Текст книги "Belle Catherine"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
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– On se retrouvera bientôt, dit-il ; pour le moment, je te dis adieu...
– Adieu ? Tu pars ?
Xaintrailles fit une affreuse grimace qui s'acheva en sourire narquois.
– Oui. Ma santé l'exige. La Trémoille a dû avoir des soupçons précis en ce qui concerne les avatars de son château et si je reste ici, je me retrouverai une belle nuit avec un couteau entre les deux épaules. Je préfère rejoindre mes hommes à Guise. Là, personne ne pourra rien contre moi.
– J'ai bien envie de te suivre. Il ferait beau voir qu'on m'empêchât de reprendre ma place dans l'armée. Je ne sais aucun de mes anciens frères d'armes qui nous livrerait, moi ou ma femme.
Le mot fit chaud au cœur de Catherine qui, tendrement, glissa son bras sous celui de son époux. Mais Xaintrailles hochait la tête, son regard s'était assombri.
– Non ! Tes frères d'armes n'ont pas changé, mais l'or de La Trémoille est partout. Viens, une sacristie n'est pas un endroit convenable pour ce genre de confidences, et j'ai à te parler.
Jacques Cœur, alors, intervint :
– Nous avons préparé un petit souper, à la maison. Ne pouvez-vous, avant de partir, le partager ? Cela ne vous retarderait guère.
Le capitaine n'eut qu'une brève hésitation avant d'accepter. Frère Jean, qui avait ôté ses ornements sacerdotaux, était revenu auprès des jeunes époux et les félicitait à son tour, en y joignant ses adieux. Le moine aussi partait la nuit même, profitant de cette trêve de Noël pour quitter la ville où le père de Macée l'avait caché. Il allait rejoindre la grande abbaye de Cluny, la plus puissante de la chrétienté, et y attendre que le mauvais génie eût desserré ses griffes.
– Je prierai Dieu chaque jour pour votre bonheur, dit-il à Catherine avec une dernière bénédiction... et aussi celle que nous avons tous aimée car je ne doute pas qu'elle ait pris sa place au séjour des bienheureux.
Son froc brun se fondit dans l'ombre et l'enfant de chœur fila sur ses talons en annonçant qu'il allait fermer l'église. Un instant plus tard, tout le monde avait regagné la rue enneigée. Le vent s'était levé et chassait des toits d'épais paquets de neige. Le son lointain des violes et des luths vint avec lui par-dessus les maisons muettes. Xaintrailles haussa les épaules.
– Il y a bal au palais !.... enfin, bal comme l'entend le Grand Chambellan, c'est-à-dire ce genre de fête auprès de laquelle une bacchanale est une distraction de couventine. A cette heure, tout le monde doit être superbement ivre. Mais c'est quand il est ivre que La Trémoille est le moins dangereux.
Une heure plus tard, Catherine était assise sur une sorte de chaise curule dans le cabinet de Jacques Cœur auprès d'Arnaud installé à ses pieds sur un carreau de velours. Et tous deux écoutaient Xaintrailles leur faire le point de la situation. Le souper de mariage avait été vite expédié : d'abord parce que le capitaine voulait avoir quitté la ville avant le jour, ensuite parce que la raréfaction du ravitaillement ne permettait plus guère de festins somptueux. La famine qui sévissait dans les campagnes, née des incessantes dévastations de la guerre, atteignait même les riches cités où les réserves se tarissaient. Même un homme aussi avisé que Jacques Cœur se trouvait frappé par les restrictions obligatoires et le plus clair du repas de noces avait consisté en une énorme potée aux choux, éminemment nourrissante, mais fort peu raffinée. Catherine, en ce qui la concernait, n'en avait mangé que modérément et s'était rattrapée sur les raisins séchés qui avaient formé le dessert.
Maintenant, la dernière goutte de vin de Sancerre avalée, la dernière santé portée au bonheur des jeunes époux, Xaintrailles tentait, une fois encore, de faire entendre à son ami ce qu'il estimait être la voix de la raison. L'équipement guerrier du capitaine avait, en effet, réveillé dangereusement l'instinct combatif d'Arnaud.
– Le mieux, disait Xaintrailles, c'est que vous demeuriez cachés ici, puisque maître Cœur ne demande qu'à vous garder. La reine Yolande reviendra, et elle saura, elle, faire comprendre au roi Charles que La Trémoille le conduit à sa perte, elle saura te faire rendre justice et...
Je t'arrête tout de suite, coupa Montsalvy. Il ne saurait être question de demeurer ici. Ce n'est pas être ingrat envers nos amis que leur avouer combien l'inaction me pèse. J'étouffe... Tu me connais trop pour ne pas savoir que j'ai horreur de ce que l'on appelle la tranquillité. On m'a attaqué, j'entends me défendre et me venger.
– C'est ridicule. Je t'ai dit que tu ne pouvais rien faire.
– Je peux, du moins, rentrer chez moi, dans mes monts d'Auvergne. J'ai des terres, des paysans, une forteresse puissante, j'ai mon pays qui m'attend. C'est là, et nulle part ailleurs, que doit naître mon fils.
– Tu es fou... Traîner une femme enceinte sur les grands chemins...
Tout de suite, Catherine, sans lui laisser le temps de répondre, noua ses bras autour du cou d'Arnaud.
– S'il part, je pars avec lui !
Il l'embrassa doucement, avec les précautions que l'on réserve à un objet fragile.
– Ma douce, il a raison. Et moi, j'ai parlé en égoïste. C'est l'hiver, les chemins sont rudes et notre enfant est à deux mois de voir le jour. Il vaut mieux, pour toi et pour lui, demeurer ici, à l'abri, tandis que j'irai...
Un regret poignant perçait sous la voix du jeune homme, mais, brusquement, Catherine s'écarta de lui, laissant glisser ses bras. Un pli dur barra son front.
– Voilà donc ton amour ? A peine unis, tu parles déjà de me quitter, de t'en aller loin de moi... Et pourtant, tu as dit tout à l'heure : « Jusqu'à ce que la mort nous sépare... »
– Mais l'enfant ?
– L'enfant ? Il est ton fils ! Il sera un Montsalvy, un homme comme toi, un vrai ! Et moi qui suis déjà sa mère, j'entends être digne de vous deux. C'est toi qui avais raison, tout à l'heure ; mieux vaut pour lui naître sur une balle de paille sur la terre de ses pères plutôt que dans la douceur d'un lit étranger, loin de toi. Pars si tu veux, mais sache bien que, même si tu me le défends, je te suivrai comme je t'ai suivi à Orléans, comme je t'ai suivi à Rouen, comme je t'ai suivi dans la Seine et comme je te suivrai au tombeau s'il le fallait.
Elle s'arrêta, rouge d'émotion, un peu haletante. Sa poitrine soulevait spasmodiquement le drap vert de sa robe et ses grands yeux brûlaient d'indignation. Arnaud, brusquement, se mit à rire, se releva sur un genou, l'attrapa aux épaules et la serra contre lui.
– Morbleu ! Madame de Montsalvy, vous avez parlé comme l'aurait fait ma mère ! (Puis, plus doucement :) Tu as gagné, mon amour ! Va pour l'aventure, le froid, la nuit, la guerre s'il le faut, et que Dieu pardonne si je fais une sottise.
Les yeux de Xaintrailles allaient du visage d'Arnaud à celui de Catherine.
– Ainsi, tu as pris ta décision ?
Arnaud se retourna vers lui. L'orgueil flambait sur son visage.
– Elle est prise. Nous partirons.
– C'est bien. Dans ce cas, autant tout te dire. Les nouvelles sont mauvaises et aussi bien tu les aurais apprises avant peu. Il se prépare, en Auvergne, d'étranges choses. La Trémoille réclame le comté comme son fief-Arnaud sursauta. Une lente rougeur s'étendit sur son front. Ses yeux noirs étincelèrent de colère.
– L'Auvergne ? De quel droit ?
– De celui qu'il s'arroge. Tu te souviens qu'en premières noces, il avait épousé la veuve du duc de Berry, Jeanne de Boulogne, héritière d'Auvergne. Celle-ci, en mourant, a légué son fief à son neveu, Bertrand de Latour.
– Tu me la bailles belle, grogna Montsalvy en haussant les épaules, Latour est de ma famille. Sa femme, Anne de Ventadour, est la nièce de ma mère. Nous sommes cousins et du plus proche lignage.
– Parfait ! Mais La Trémoille n'en réclame pas moins le pays en tant qu'héritier de sa première femme. C'est parfaitement illégal, bien sûr, mais depuis quand se soucie-t-il de légalité ?
suivi dans la Seine et comme je te suivrai au tombeau s'il le fallait.
Elle s'arrêta, rouge d'émotion, un peu haletante. Sa poitrine soulevait spasmodiquement le drap vert de sa robe et ses grands yeux brûlaient d'indignation. Arnaud, brusquement, se mit à rire, se releva sur un genou, l'attrapa aux épaules et la serra contre lui.
– Morbleu ! Madame de Montsalvy, vous avez parlé comme l'aurait fait ma mère ! (Puis, plus doucement ) Tu as gagné, mon amour ! Va pour l'aventure, le froid, la nuit, la guerre s'il le faut, et que Dieu pardonne si je fais une sottise.
Les yeux de Xaintrailles allaient du visage d'Arnaud à celui de Catherine.
– Ainsi, tu as pris ta décision ?
Arnaud se retourna vers lui. L'orgueil flambait sur son visage.
– Elle est prise. Nous partirons.
– C'est bien. Dans ce cas, autant tout te dire. Les nouvelles sont mauvaises et aussi bien tu les aurais apprises avant peu. Il se prépare, en Auvergne, d'étranges choses. La Trémoille réclame le comté comme son fief-Arnaud sursauta. Une lente rougeur s'étendit sur son front. Ses yeux noirs étincelèrent de colère.
– L'Auvergne ? De quel droit ?
– De celui qu'il s'arroge. Tu te souviens qu'en premières noces, il avait épousé la veuve du duc de Berry, Jeanne de Boulogne, héritière d'Auvergne. Celle-ci, en mourant, a légué son fief à son neveu, Bertrand de Latour.
– Tu me la bailles belle, grogna Montsalvy en haussant les épaules, Latour est de ma famille. Sa femme, Anne de Ventadour, est la nièce de ma mère. Nous sommes cousins et du plus proche lignage.
Parfait ! Mais La Trémoille n'en réclame pas moins le pays en tant qu'héritier de sa première femme. C'est parfaitement illégal, bien sûr, mais depuis quand se soucie-t-il de légalité ? le dire. Depuis combien de temps es-tu assez fort pour seulement monter à cheval ?
Arnaud recula, baissa la tête, mais son visage demeura contracté. Catherine eut l'impression bizarre qu'une force inconnue et menaçante venait de s'introduire dans la petite pièce paisible. Silhouette noire, aiguë, dont l'ombre, tout à coup, touchait chaque chose, s'étirait vers les angles obscurs, rejoignant les poutres peintes du plafond. C'était comme si, soudain, le routier espagnol était entré tout armé dans la maison, traînant après lui une lueur d'incendie. Elle sentit une main de glace étreindre son cœur quand Arnaud se tourna d'une pièce vers Jacques Cœur.
– Maître Jacques, pouvez-vous me donner le moyen de quitter cette ville dès demain ? Je ne puis plus demeurer.
– Si tu le désires, je peux te donner dix hommes d'armes qui te rejoindront hors de la ville, là où tu me l'indiqueras, coupa Xaintrailles.
Il bouclait de nouveau, sur le buffle de son pourpoint, la cuirasse qu'il avait ôtée un moment pour souper, enfonçait son chaperon sur sa tête, s'enroulait dans son manteau. L'heure de se séparer était venue. Catherine éprouvait de la peine à quitter ce bon compagnon, toujours si rudement fraternel. Elle le lui dit tout simplement, avec cette spontanéité qu'elle avait gardée de son enfance.
– Je vous aime bien, Jean. Revenez-nous vite !
Le rude visage tavelé de taches de rousseur grimaça ' un sourire qui cachait peut-être une larme et grommela :
– On se reverra à Montsalvy ! J'irai vous demander à souper, un soir, quand vous ne m'attendrez pas. Et je m'installerai chez vous assez de temps pour tuer quelques-uns de ces gros solitaires de la Châtaigneraie. Adieu, mes amis.
Un baiser à Catherine, une accolade à Arnaud, une révérence à Macée qui lui offrait la coupe de vin épicé de l'adieu et Xaintrailles se tournait vers Jacques Cœur qui avait saisi un flambeau pour éclairer son hôte dans l'escalier.
– Je vous suis, maître Cœur ! Encore merci de votre aide !
– Passez, Messire. Je vais vous dire où vous pourrez envoyer, dès demain, les dix hommes d'armes que vous avez promis. Car je savais, avant vous, les nouvelles de ce soir et j'ai tout préparé pour faire quitter la ville à nos amis. J'avais deviné que messire de Montsalvy voudrait partir sur l'heure, et que dame Catherine refuserait de le quitter.
Aucun muscle n'avait bougé dans la figure calme du pelletier. Pourtant, Catherine eut la sensation d'un effort sur lui-même. Il y avait, derrière l'impassibilité de Jacques Cœur, une sorte de désespoir dont peut-être lui-même n'avait pas la conscience très nette, mais qu'il refoulait, d'instinct.
L'horloge du couvent des Jacobins sonna trois coups, puis il y eut le bruit sourd de la porte qui se refermait sur Xaintrailles. Enfin, le claquement d'un pas rapide qui s'éloignait sur les pavés de la rue. Catherine et Arnaud, face à face, n'avaient pas bougé. Tous deux écoutaient partir leur ami comme si le bruit de ses pas résonnait dans leur propre cœur. Macée, alors, mit dans la main de Catherine un bougeoir dont elle venait d'allumer la chandelle.
– Venez, dit-elle, il est temps d'aller dormir. Demain, la journée sera rude !
Dormir ? Catherine, ni Arnaud n'y songeaient guère. Dans la grande chambre de Jacques et de Macée ; qui, pour cette nuit nuptiale, leur avait été cédée, ils se retrouvèrent l'un près de l'autre, la main dans la main, comme deux enfants au seuil d'une aventure. La pièce, intime avec les toiles brodées de rouge et J de bleu qui couvraient les murs, avec aussi son beau feu ronflant dans la cheminée conique et le lit aux draps bien blancs sous ses courtines de drap rouge vif, s'offrait à eux comme un univers clos et douillet au seuil duquel expirait le monde. Tout autour, c'était le silence attentif de la nuit refermé sur la maison comme sur une coquille. Le danger, pour le moment, faisait trêve et ces premières heures de vie à deux n'appartenaient bien qu'à eux seuls. Demain, tout recommencerait, mais, pour l'instant, le mal ni la haine ne pouvaient les atteindre.
Sans quitter la main de Catherine, Arnaud referma soigneusement la porte puis entraîna la jeune femme jusqu'au lit sur le bord duquel il la fit asseoir avant de la prendre dans ses bras. Sans qu'ils eussent seulement échangé un mot, il se mit à l'embrasser avidement. Bien qu'ils habitassent la même demeure depuis que Xaintrailles l'avait ramené mourant, c'était la première fois qu'Arnaud échangeait des caresses avec Catherine. Tous deux avaient mis un point d'honneur à respecter la maison des Cœur et à attendre d'être régulièrement unis. Mais, maintenant, Arnaud semblait décidé à rattraper le temps perdu.
Sa bouche courait des tempes de Catherine à ses yeux, à ses lèvres, à son cou. Il l'étreignait avec une passion qui la meurtrissait, mais qu'elle subissait avec une joie sauvage. De temps en temps contre son oreille, il murmurait son bonheur.
– Ma femme... Ma Catherine à moi... Ma femme pour toujours !
Elle s'abandonnait à ses mains fiévreuses qui, déjà, dénouaient les minces liens de la gorgerette blanche, délaçaient le corselet de la robe. D'un geste vif, il avait enlevé la coiffe de mousseline empesée et l'avait envoyée promener à l'autre bout du lit.
Soudain, Catherine se raidit sous ses caresses. Au fond d'elle-même, l'enfant s'agitait avec une violence nouvelle.
Arnaud perçut son recul, la regarda.
– Qu'as-tu ?
L'enfant... Il bouge beaucoup ! Peut-être ne devrions-nous pas... Il se mit à rire et Catherine songea qu'il riait comme personne avec une force et une gaieté venues de son indomptable vitalité. L'éclair de ses dents blanches étincela dans l'ombre rouge des rideaux.
– Si ce petit bougre se mêle de m'empêcher de t'aimer, il aura affaire à moi. Les enfants n'ont jamais fait la loi chez nous. Et je te veux ! J'ai trop faim de toi... Il y a trop longtemps ! Tant pis pour lui !
Exigeant et tendre, il la ramenait contre lui, la renversait sur la courtepointe de velours, reprenait sa bouche tout en continuant de dénuder son buste et ses épaules. Sous les lèvres chaudes et dures qui la caressaient, Catherine sentit son sang prendre feu. La folie d'amour s'alluma en elle avec la violence de l'ouragan. Elle lui rendit baiser pour baiser, caresse pour caresse et, loin maintenant de le repousser, s'offrit au contraire avec une ardeur nouvelle. C'était la première fois qu'il l'aimait ainsi, avec cette violence contenue, cette science qu'elle ne lui avait jamais connue. Un instant, la pensée la traversa qu'il y avait en lui quelque chose de changé, car, jusque-là, leurs étreintes avaient été brutales, d'une ardeur presque sauvage. C'était un combat passionné, sans vainqueur ni vaincu, dont tous deux sortaient épuisés. Il y avait alors, dans la passion d'Arnaud, quelque chose d'implacable et d'un peu hâtif. Il la soumettait à sa loi. Tandis que, ce soir, elle le sentait attentif à éveiller en elle un plaisir aigu. Et, dans ces caresses lentes, subtiles, sous lesquelles elle gémissait, emportée par le désir, elle retrouvait avec étonnement ces sensations intenses que Philippe de Bourgogne, ce maître d'amour, savait lui dispenser.
Impatiente, elle se plaignit quand il la quitta pour se dévêtir, mais ronronna bientôt de plaisir contre une poitrine dure où le cœur cognait à grands coups. Les flammes de la cheminée, reflétées par les rideaux rouges du lit, habillaient de reflets fauves les épaules brunes d'Arnaud, jouaient dans les boucles noires et drues de ses cheveux en désordre. Elle put encore songer qu'il en serait désormais ainsi chaque nuit que Dieu leur donnerait... et puis elle oublia tout pour se laisser rouler par la vague brûlante qui déferlait sur elle.
Le feu était presque éteint et la chambre chaude baignait dans une obscurité rougeâtre où se mêlaient les senteurs du pin brûlé et celles, plus âpres, de l'amour et des corps en sueur. La tête au creux de l'épaule d'Arnaud endormi, Catherine sommeillait vaguement. Elle flottait délicieusement dans le vague, ayant laissé au lit bouleversé son corps anéanti. Elle avait chaud, elle était bien et elle ne savait plus où finissait la réalité, où commençait le rêve.
Dans l'âtre, les braises crépitaient encore de temps en temps, jetant une brève étincelle, mais tout autour un énorme silence enveloppait le lit comme un cocon protecteur. Il n'y avait plus, au monde, que la respiration calme de l'homme endormi et les paupières battantes de la femme comblée. Avec un profond soupir, Catherine se lova plus étroitement contre Arnaud qui marmotta quelque chose dans son sommeil. Elle ferma les yeux... et les rouvrit presque aussitôt. Au-dehors, un bruit bizarre avait fait éclater le silence, menaçant et lugubre comme le frottement des écailles d'un serpent : celui, caractéristique, du fer claquant contre la pierre.
Écartant le bras d'Arnaud qui tentait, instinctivement, de la retenir, Catherine se coula hors du lit. La température de la chambre, plus fraîche que celle qui régnait sous les courtines du lit, la fit frissonner, mais elle courut sur ses pieds nus jusqu'à l'étroite fenêtre à meneaux. Celle-ci donnait sur la rue des Armuriers. Catherine entrouvrit le volet de bois plein, jeta un coup d'œil. Avec une exclamation étouffée, elle se rejeta en arrière : des soldats en armes, portant arcs et guisarmes, le chapeau de fer enfoncé sur le camail d'acier, prenaient position autour de la maison de Jacques Cœur, barrant la rue des Armuriers et, sans doute, la rue d'Auron sur toute leur largeur. Le silence avec lequel la manœuvre s'effectuait démontrait clairement que les hommes d'armes et l'officier qui les commandait comptaient bien sur l'effet de surprise.
La peur galvanisa Catherine. Elle courut au lit, secoua Arnaud.
– Vite ! Lève-toi ! Nous sommes cernés !
Il bondit avec cette rapidité d'éveil de l'homme habitué à vivre dangereusement, courut à la fenêtre. Un instant, sa haute silhouette brilla contre le fond sombre des boiseries, puis il enfila ses chausses, ses souliers et, sans même prendre la peine de passer une chemise, se rua dans l'escalier, jetant à Catherine qui, maintenant, claquait des dents :
– Habille-toi ! Je vais prévenir Jacques Cœur.
Rendue maladroite par la peur, Catherine tâtonna à
la recherche de ses vêtements, enfila sa chemise. Elle finissait de passer sa robe quand Arnaud revint avec le pelletier qui nouait la cordelière d'une robe d'intérieur. Déjà, le poing ferré de l'officier faisait résonner la porte d'entrée. On entendit sa voix au-dehors.
– Ouvrez ! De par le Roi !
– Messire de Xaintrailles a dû être suivi, ou reconnu, quand il nous a quittés, chuchota Jacques. Il n'y a pas une minute à perdre. Venez !
Il les entraîna hors de la chambre tandis que Macée, frissonnante dans une longue chemise, une chandelle à la main, y entrait et se coulait dans le lit défait. Elle avait, au passage, échangé avec Catherine un regard chargé d'angoisse. Les coups au-dehors se faisaient plus violents. La voix autoritaire leur parvint, menaçante.
– Enfoncez la porte si ces manants tardent trop à ouvrir !
– Eh ! marmonna Cœur entre ses dents, qu'ils l'enfoncent ! Cela nous donnera du temps.
Ils parvinrent dans la cuisine comme la vieille Mahaut, flanquée de Sara et de Gauthier, y pénétrait. Le visage de Jacques Cœur s'éclaira.
– Conduis-les tous à la réserve secrète, dit-il à la vieille servante. Moi, je vais parlementer. Grâce au ciel, tout le monde est là... et le feu est éteint.
Cette dernière phrase, incompréhensible tout d'abord, le devint pour Catherine quand elle vit son hôte s'engager dans la cheminée. La plaque de bronze, frappée de fleurs de lys, du fond tourna comme par magie, découvrant un trou noir. Déjà, Mahaut avait allumé une chandelle et s'engageait dans le trou. Arnaud saisit Catherine par un bras et l'entraîna.
– Viens ! N'aie pas peur !
Mais elle claquait des dents, autant de froid que de peur. Arrachée brutalement à sa douce quiétude de tout à l'heure, il lui semblait vivre un mauvais rêve. Rapidement, Arnaud ôta son pourpoint, le posa, chaud encore de sa propre chaleur, sur les épaules de sa femme.
– Faites vite ! s'impatienta Jacques. Vous trouverez de quoi vous couvrir en bas. Cette fois, c'est sérieux !
En effet, on entendait le fracas de la porte qui craquait sous les coups des soldats. Elle allait s'effondrer. Sara et Gauthier s'engagèrent à leur tour. La plaque se referma et Catherine, agrippée au bras d'Arnaud, se retrouva dans une obscurité que la chandelle de la vieille Mahaut perçait à peine. Les marches taillées dans la pierre étaient hautes et glissantes ; une forte odeur de fumée froide prenait à la gorge, mais, curieusement, le vacarme de la maison ne s'entendait presque plus.
– Où allons-nous ? chuchota Arnaud.
– Le maître l'a dit. Dans la resserre secrète. C'est là qu'il cache les marchandises précieuses qu'il veut dissimuler à la rapacité des hommes du Grand Chambellan... celles aussi qu'il veut emporter dans son prochain voyage en Orient.
Mais, murmura Catherine, la cachette du toit ? En effet, la maison des Cœur, comme toutes les maisons de Bourges, avait reçu plusieurs visites domiciliaires, mais des cachettes ménagées entre les solives du haut toit pointu avaient permis de dissimuler les hôtes suspects de la maison.
La vieille Mahaut ne répondit pas tout de suite. On arrivait au bas de l'escalier et la chandelle vacillait dans l'air épaissi.
Mahaut s'occupa d'allumer un chandelier posé à même le sol contre un pilier de pierre, rond et massif, dont un simple bourrelet formait le chapiteau. Quand elle répondit, ce fut sans regarder Catherine.
– Si les soupçons qui portent sur nous sont graves et le maître pense qu'ils le sont les soldats peuvent incendier la maison. Ils l'ont fait, il n'y a pas longtemps, chez l'apothicaire Noblet. Ici, on ne risque rien, même si la maison flambe.
Catherine se souvenait, en effet, du criminel incendie allumé chez l'apothicaire, suspecté de cacher des épices rares.
Toute la ville avait été en émoi la nuit entière et l'on avait eu bien du mal à sauver les maisons voisines. Presque tout le quartier de Notre-Dame du-Fourchaud avait failli flamber...
La jeune femme éprouva un malaise. Quels dangers n'allaient pas courir, à cause d'elle, les braves gens qui lui avaient donné une si généreuse hospitalité ! Mais elle oublia un instant ses craintes en contemplant l'étrange décor qui l'entourait.
Gauthier avait saisi le chandelier et l'élevait, avançant au milieu d'une salle longue et étroite, voûtée bas en petites briques d'un rose passé. Les murs étaient percés, à intervalles réguliers, de niches oblongues dont certaines étaient vides et d'autres scellées de pierres portant des inscriptions et des dessins bizarres. Celui qui revenait le plus souvent affectait la forme stylisée d'un poisson. Une porte basse, étroite, s'ouvrait au fond.
La voix rauque du Normand résonna profondément sous la voûte.
– Quel étrange endroit ! Ces niches ont l'air faites pour y mettre des corps humains...
– C'est bien ça, fit Mahaut en se signant précipitamment. Le maître dit que c'est une espèce de cimetière. Oh ! ça remonte à loin... au temps où le pays était encore tout sauvage.
– En Italie, jadis, j'ai vu des nécropoles romaines, dit Sara... C'était comme ça.
– Ouais ! coupa Mahaut qui visiblement n'aimait guère cet endroit. Allons plus loin. Fait froid ici.
Il ne faisait pas plus chaud au-delà de la porte, mais les deux salles qui se suivaient en enfilade étaient beaucoup plus larges et voûtées d'ogives. Elles étaient aussi meublées d'une assez belle quantité de sacs gonflés et de rouleaux emballés de toile rude. Ces marchandises entassées leur ôtaient beaucoup de leur aspect mystérieux, vaguement inquiétant. Une odeur bizarre, faite des senteurs mélangées de la toile neuve, des épices et de l'encens, les emplissait, âcre et entêtante.
Mais, malgré le pourpoint d'Arnaud, Catherine claquait des dents. Gauthier, alors, avisa des pelleteries entassées dans un coin. Il fourragea dedans, tira une sorte de houppelande de drap entièrement doublée de renard roux et la tendit à la jeune femme.
– Ceci sera plus chaud et messire Arnaud, lui aussi, risque de prendre mal.
Dans la houppelande, Catherine disparut complètement. Elle était beaucoup trop longue et large pour elle, mais elle s'y sentait au chaud et un peu réconfortée ; elle alla s'asseoir sur un sac au pied d'un pilier.
– Elle n'avait pas vu le regard, soudain assombri, avec lequel Arnaud avait regardé le Normand envelopper sa femme du vêtement fourré. Le jeune homme avait repris son pourpoint et l'avait remis, mais il avait refusé, d'un geste sec, d'y ajouter une pelleterie prise aussi dans le tas. Agenouillé devant Catherine, Gauthier était occupé à envelopper dans les pans de la houppelande les pieds de la jeune femme. Là, fit-il avec satisfaction en se relevant, ainsi vous serez mieux !
– Quelle étonnante chambrière tu fais ! fit Arnaud sarcastique. Est-ce une habitude prise durant votre voyage jusqu'ici ? À quoi donc servait Sara ?
Celle-ci s'était installée auprès de Catherine, repliée sur elle-même pour avoir plus chaud. Elle leva sur Arnaud un regard mécontent.
– Quand je n'étais pas en prison et menacée d'être brûlée vive, répliqua-t-elle, j'essayais seulement d'empêcher que le désespoir la rendît folle.
Catherine avait suivi avec étonnement la brève escarmouche. Elle ne comprenait pas la soudaine mauvaise humeur d'Arnaud. Pour elle, les soins du géant étaient tout naturels, mais elle voulut atténuer l'impression pénible. Si les deux hommes commençaient à se disputer, l'avenir risquait de se montrer ; assez noir. Elle tendit le bras, saisit la main d'Arnaud et l'amena près d'elle.
Viens près de moi... J'aurai toujours froid sans toi. Il se calma aussitôt, vint s'accroupir à ses pieds.
– Pardonne-moi... mais j'enrage déjà d'être enfermé ici, comme un rat dans une cage tandis que là-haut, peut-être...
La phrase demeura inachevée. Tous les réfugiés de la cave l'avaient déjà complétée. Que se passait-il au– dessus de leur tête ? Là, dans ce caveau aussi sourd qu'une tombe, ils étaient totalement retranchés du monde. Qui pouvait dire si la maison ne flambait pas et si, quand on ferait jouer la plaque de la cheminée, elle ne demeurerait pas coincée par d'énormes décombres ? Sauvés de la fureur de La Trémoille, étaient-ils sur le point de finir, misérablement, emmurés vivants dans cette cave si bien cachée ? L'idée terrifiante traversa en éclair l'imagination de Catherine et elle sentit le sang refluer vers son cœur. Déjà, sous ces voûtes basses, elle se sentait étouffer... Comme pour lui donner raison, un bruit d'écroulement leur parvint, loin tain, assourdi mais net. La vieille Mahaut se signa précipitamment.
– Doux Jésus ! Si c'était...
Une même crainte s'empara des cinq compagnons d'infortune. Assis en cercle, autour du flambeau posé à terre, leurs yeux, où luisait la flamme jaune, reflétaient aussi l'appréhension informulée. Ils osaient à peine se regarder comme si chacun d'eux avait honte de sa peur. Le silence devint étouffant et Arnaud ne put le supporter. Serrant les poings, il se releva et se mit à marcher nerveusement comme un fauve en cage et Catherine n'eut pas le courage de l'en empêcher.
Mieux valait encore le bruit cadencé, énervant cependant, de ses pas, plutôt que l'affolant silence. C'était encore de la vie, comme appartenait aussi au monde des vivants le regard instable, clignotant, de la vieille Mahaut qui sautillait d'un visage à l'autre comme pour y chercher un réconfort. Elle avait tiré de son tablier un chapelet de buis et en égrenait les boules lissées par des milliers de prières, entre ses doigts crevassés. Les minutes succédaient aux minutes, lourdes, intolérables à mesure qu'elles s'accumulaient. Catherine luttait de toutes ses forces pour ne pas se mettre à hurler.
Et puis, aussi soudainement qu'elle était venue, l'angoisse quitta les cinq emmurés. Dans le cercle de lumière jaune, sans que personne l'eût entendu approcher, Jacques Cœur apparut. Il souriait, mais il fallut qu'il parlât pour que Catherine admît qu'il était un être de chair et non pas un fantôme.
– C'est fini ! dit-il calmement. Vous pouvez remonter.
– Mais, fit Arnaud, ce bruit que nous avons entendu ? Nous avons cru que la maison s'écroulait.
Non, seulement une crédence pleine de plats d'étain que le sergent a fait tomber parce qu'il était persuadé qu'elle dissimulait un passage secret. J'admets que le bruit a dû être entendu jusqu'au palais royal ! Venez maintenant, le jour n'est pas loin, et le danger est momentanément éloigné. Mais nous avons bien des choses à préparer.