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La fille du train
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 03:55

Текст книги "La fille du train"


Автор книги: Paula Hawkins



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– Je n’en reviens pas, bon sang ! Rachel ! RACHEL !

Je me suis endormie. Oh non… et je n’ai pas nettoyé le vomi sur les escaliers. J’ai laissé mes vêtements dans l’entrée. Oh non, oh non.

J’enfile un pantalon de jogging et un T-shirt. Quand j’ouvre la porte, Cathy vient d’arriver juste derrière. En me voyant, elle prend un air horrifié.

– Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ? s’exclame-t-elle avant de lever une main. En fait, non, Rachel, désolée, mais je n’ai même pas envie de savoir. Je ne peux pas tolérer ça chez moi. Je ne peux pas tolérer…

Sa voix s’éteint, mais elle s’est tournée vers l’entrée, vers les marches.

– Je suis désolée, je balbutie. Vraiment, je suis désolée, c’est juste que j’ai été très malade mais je comptais nettoyer…

– Sauf que tu n’étais pas malade, pas vrai ? Tu étais ivre. Tu avais la gueule de bois. Je suis désolée, Rachel, mais ce n’est pas possible. Je ne peux pas vivre comme ça. Il faut que tu t’en ailles, d’accord ? Je vais te laisser quatre semaines pour trouver un autre logement, mais, après ça, il faudra que tu t’en ailles.

Elle tourne les talons et part vers sa chambre.

– Et pour l’amour de Dieu, nettoie-moi ça.

Et elle claque la porte derrière elle.

Une fois que j’ai fini de nettoyer, je retourne dans ma chambre. La porte de Cathy est toujours fermée, mais je sens sa rage silencieuse irradier jusqu’ici. Je ne peux pas lui en vouloir. Moi aussi, je serais furieuse si, en rentrant chez moi, je trouvais des sous-vêtements trempés de pisse et une flaque de vomi dans l’escalier. Je m’assois sur le lit et j’ouvre mon ordinateur portable. Je me connecte à mon compte de messagerie et je commence à rédiger un e-mail à ma mère. Je crois que, cette fois, le moment est venu. Il faut que je lui demande de l’aide. Si je retournais vivre à la maison, ça ne pourrait pas continuer comme ça, je serais bien obligée de changer, de me soigner. Mais je n’arrive pas à trouver les bons mots, la bonne façon de lui expliquer tout cela. Je vois déjà la tête qu’elle fera en lisant ma supplication, sa déception amère, son exaspération. Je peux presque l’entendre soupirer.

Mon téléphone émet un bip. Il y a un message, reçu des heures plus tôt. C’est encore Tom. Je n’ai pas envie de savoir ce qu’il a à me dire, mais je n’ai pas le choix, je ne peux pas l’ignorer. Mon cœur s’accélère tandis que je compose le numéro de ma boîte vocale, m’attendant au pire.

– Rachel, tu peux me rappeler, s’il te plaît ?

Il ne semble plus aussi fâché que tout à l’heure et mon cœur s’apaise légèrement.

– Je veux juste m’assurer que tu es bien rentrée chez toi. Tu étais dans un sale état, hier soir.

Un long soupir compatissant.

– Écoute, je suis désolé d’avoir crié, hier, je suis désolé que ça soit allé… un peu loin. Je suis désolé pour toi, Rachel, je t’assure, mais il faut vraiment que ça s’arrête.

J’écoute une seconde fois son message et la bonté dans sa voix, et les larmes commencent à couler. Il me faut un bon bout de temps avant de pouvoir me calmer et de réussir à composer un texto pour Tom : « Je suis désolée, je suis rentrée. » Je ne peux rien dire de plus parce que je ne sais même pas pourquoi je suis désolée. Je ne sais pas ce que j’ai fait à Anna, comment je lui ai fait peur. Très honnêtement, ça m’est un peu égal, mais je ne veux pas faire de peine à Tom. Après tout ce qu’il a traversé, il mérite d’être heureux. Je préférerais juste que ça puisse être avec moi.

Je m’allonge sur le lit et je me glisse sous la couette. Je voudrais comprendre ce qui s’est passé ; si seulement je savais pourquoi je dois être désolée. J’essaie désespérément de trouver un sens à un morceau furtif de souvenir. Je suis presque sûre que je me suis disputé avec quelqu’un, ou que j’ai vu une dispute. Est-ce que c’était avec Anna ? Je tâte la blessure sur mon crâne, puis la coupure sur ma lèvre. J’arrive presque à voir, à distinguer les mots, mais le souvenir m’échappe une nouvelle fois. Je suis incapable de m’y accrocher. Chaque fois que je crois pouvoir le saisir, il recule dans les ténèbres, hors de portée.

MEGAN

Mardi 2 octobre 2012

Matin

Il va bientôt pleuvoir. Je le sens. J’ai les dents qui claquent et le bout des doigts tout blanc, avec une touche de bleu. Je ne veux pas rentrer. J’aime bien être dehors, c’est cathartique, purifiant, comme un bain d’eau glacée. Scott va bientôt venir me porter jusqu’à la chambre, de toute façon. Il m’enveloppera dans les couvertures, comme un enfant.

J’ai fait une crise d’angoisse en rentrant à la maison, hier soir. Il y avait une moto qui n’arrêtait pas de faire rugir son moteur, encore et encore, et une voiture rouge qui roulait lentement sur la route et, sur le trottoir, deux femmes avec des poussettes qui me bloquaient le passage. Je n’avais pas la place de les doubler, alors je suis descendue sur la chaussée et j’ai failli être renversée par une voiture qui arrivait en sens inverse et que je n’avais pas vue. Le conducteur a klaxonné et m’a crié quelque chose. Je n’arrivais plus à reprendre mon souffle, j’avais le cœur qui battait à tout rompre et j’ai senti mon estomac se tordre, comme quand on vient juste de prendre un cacheton et qu’on sait qu’on va bientôt planer, cette poussée d’adrénaline qui vous donne la nausée, qui vous rend à la fois excité et effrayé.

J’ai couru jusque chez moi, j’ai traversé la maison et je suis allée au bout du jardin, près de la voie ferrée, et je me suis assise là pour attendre le train, attendre que son vacarme me traverse et balaie tous les autres bruits. J’ai attendu que Scott vienne me calmer, mais il n’était pas là. J’ai essayé d’escalader le grillage, j’avais envie de m’asseoir de l’autre côté un petit moment, là où personne ne va jamais. Je me suis coupée à la main, alors je suis repartie à l’intérieur, et c’est là que Scott est rentré et qu’il m’a demandé ce qui s’était passé. Je lui ai dit que j’avais lâché un verre en faisant la vaisselle. Il ne m’a pas crue et il s’est vraiment fâché.

Je me suis relevée dans la nuit et, pendant que Scott dormait, je me suis glissée sur le balcon. J’ai composé son numéro et j’ai écouté sa voix quand il a répondu, d’abord toute douce, endormie, puis plus forte, méfiante, inquiète, exaspérée. J’ai raccroché et j’ai attendu de voir s’il me rappelait. Je n’avais pas appelé en numéro caché, alors je me suis dit que c’était possible. Mais non, alors j’ai rappelé, encore et encore et encore. J’ai fini par tomber sur sa messagerie où, avec sa voix monocorde de professionnel, il m’a promis de me rappeler dès que possible. J’ai songé à appeler le cabinet pour avancer mon prochain rendez-vous, mais je ne pense pas que le serveur vocal soit allumé en pleine nuit, alors je suis allée me recoucher. Je n’ai pas fermé l’œil.

Je vais peut-être aller faire un tour dans la forêt de Corly ce matin, prendre quelques photos ; dans cette ambiance, avec la brume et l’obscurité, je devrais pouvoir réaliser de bons clichés. J’ai eu l’idée de créer des cartes postales, peut-être, et d’essayer de les vendre dans la boutique de souvenirs de Kingly Road. Scott n’arrête pas de dire que je n’ai pas à m’inquiéter pour le travail, que j’ai juste besoin de me reposer. Comme si j’étais infirme ! Me reposer, c’est bien la dernière chose dont j’ai besoin. J’ai surtout besoin de trouver de quoi remplir mes journées. Je ne sais pas ce qui va se passer si je n’y arrive pas.

Soir

Cet après-midi, le Dr Abdic (Kamal, comme il m’a dit de l’appeler) m’a suggéré de commencer à tenir un journal intime. J’ai failli répondre : je ne peux pas, je suis sûre que mon mari le lira dans mon dos. Je me suis retenue parce que ça me semblait terriblement déloyal envers Scott. Mais c’est vrai. Je ne pourrais jamais mettre par écrit ce que je ressens réellement, ce que je pense ou ce que je fais. La preuve : quand je suis rentrée, ce soir, mon ordinateur portable était tiède. Il sait effacer l’historique du navigateur Internet et tout ça, il sait couvrir ses traces, mais je sais que j’avais éteint l’ordinateur avant de partir. Il a recommencé à lire mes mails.

Ça m’est égal, en fait, il n’y a rien à trouver (un tas de réponses automatiques de sociétés de recrutement, et un message de Jenny, de mon cours de Pilates, qui me propose de me joindre à son rendez-vous hebdomadaire avec ses copines – elles se retrouvent tous les jeudis soir et chacune à son tour prépare à dîner pour les autres – bref, plutôt mourir). Ça m’est égal, parce que ça le rassure de voir qu’il n’y a rien, que je ne lui cache rien de suspect. Et ça, c’est bon pour moi – c’est bon pour nous –, même si ce n’est pas vrai. Et je ne peux pas vraiment lui en vouloir, parce qu’il a de bonnes raisons de me soupçonner. Je lui en ai donné par le passé, et je risque fort de lui en donner de nouvelles à l’avenir. Je ne suis pas une épouse modèle. Impossible. J’ai beau l’aimer énormément, ce ne sera jamais suffisant.

Samedi 13 octobre 2012

Matin

J’ai dormi cinq heures cette nuit – un record ces temps-ci – et le plus bizarre c’est que, quand je suis rentrée, j’étais tellement surexcitée que j’étais certaine d'être incapable de rester en place pendant des heures. Je m’étais pourtant dit que je ne recommencerais pas, pas après la dernière fois, puis je l’ai vu, j’ai eu envie de lui, et je me suis dit : pourquoi pas ? Je ne vois pas pourquoi je devrais me retenir, il y a des tas de gens qui ne s’embêtent pas avec ça. Les hommes ne s’embêtent pas avec ça. Je ne veux pas faire de mal à qui que ce soit, mais il faut bien être fidèle à soi-même, non ? Je ne fais rien de plus qu’être fidèle à moi-même, à cette Megan que personne ne connaît – ni Scott, ni Kamal, personne.

Hier, après mon cours de Pilates, j’ai proposé à Tara d'aller au cinéma avec moi la semaine prochaine, puis je lui ai demandé si elle était d’accord pour me couvrir ce soir.

– S’il te téléphone, est-ce que tu peux lui dire que je suis avec toi, que je suis aux toilettes et que je le rappelle dès que je sors ? Ensuite tu me passes un coup de fil, je le rappelle, et c’est réglé.

Elle a souri, haussé les épaules et dit :

– D’accord.

Elle ne m’a même pas demandé où j’allais ni avec qui. Elle a vraiment envie d’être mon amie.

Je l’ai retrouvé à l’hôtel Swan, à Corly, il nous avait réservé une chambre. Il faut qu’on fasse attention à ne pas se faire prendre. Ce serait très grave pour lui, ça ficherait sa vie en l’air. Pour moi aussi, ce serait un désastre. Je ne veux même pas imaginer comment réagirait Scott.

Il avait envie que je lui parle, après, de ce qui s’était passé quand j’étais plus jeune et que j’habitais à Norwich. J’y avais fait allusion par le passé mais, hier soir, il voulait que je lui donne des détails. Je lui ai raconté quelques trucs, mais pas la vérité. J’ai menti, j’ai inventé des bobards, je lui ai sorti le genre d’histoires sordides qu’il avait envie d’entendre. C’était marrant. Ça ne me gêne pas de mentir, de toute façon, ça m’étonnerait qu’il ait cru à la majorité de ce que je lui ai dit. Et je suis quasiment sûre qu’il ment, lui aussi.

Quand je me suis rhabillée, il est resté allongé sur le lit à me regarder. Il a dit :

– Il ne faut plus que ça se reproduise, Megan, tu le sais. On ne peut pas continuer.

Et il avait raison, je le sais. On ne devrait pas, on ferait mieux d’éviter, mais on recommencera quand même. Ce ne sera pas la dernière fois. Il ne me dira jamais non. J’y réfléchissais en rentrant, et c’est ce que j’aime le plus dans tout ça, avoir du pouvoir sur quelqu’un. C’est ça, le plus grisant.

Soir

J’ouvre une bouteille de vin dans la cuisine quand Scott arrive derrière moi, pose les mains sur mes épaules et les serre gentiment en me demandant :

– Comment c’était, chez le psy ?

Je lui dis que ça s’est bien passé, qu’on fait des progrès. Il a l’habitude que je ne donne pas de détails, maintenant. Puis :

– C’était sympa, avec Tara, hier soir ?

Je lui tourne le dos et je n’arrive pas à savoir s’il est sincère ou s’il soupçonne quelque chose. Je n’ai rien entendu d’étrange dans sa voix.

– Elle est très gentille, dis-je. Vous vous entendriez bien, elle et toi. On va au cinéma la semaine prochaine, d’ailleurs. Je pourrais peut-être lui dire de venir manger avec nous après ?

– Je ne suis pas invité au cinéma, moi ?

– Mais si, je réponds avant de me retourner pour l’embrasser sur la bouche. Sauf qu’elle a envie de voir ce truc avec Sandra Bullock et…

– J’ai compris ! Invite-la à dîner ici après, alors, dit-il, les mains doucement appuyées en bas de mon dos.

Je sers le vin et nous allons dehors. On s’assoit côte à côte au bord de la terrasse, les doigts de pied dans l’herbe.

– Elle est mariée ? demande-t-il.

– Tara ? Non. Célibataire.

– Elle n’a pas de petit copain ?

– Je ne crois pas.

– Une petite copine ? ajoute-t-il, un sourcil levé, et je ris. Mais elle a quel âge ?

– Je ne sais pas. La quarantaine, je dirais.

– Oh. Et elle n’a personne. C’est un peu triste.

– Mmm. Je pense qu’elle se sent seule.

– Ils s’accrochent toujours à toi, les gens seuls, tu as remarqué ? Ils foncent droit sur toi.

– Ah oui ?

– Elle n’a pas d’enfants, alors ? demande-t-il.

Je ne sais pas si c’est mon imagination, mais, dès que le sujet des enfants surgit, j’entends comme une insistance dans sa voix et je sens déjà arriver la dispute, et je ne veux pas, je n’ai pas envie de ça ce soir, alors je me lève et je lui dis de prendre nos verres de vin, parce qu’on va dans la chambre.

Il me suit et j’enlève mes vêtements en montant l’escalier et, quand on arrive, au moment où il me pousse sur le lit, ce n’est déjà plus à lui que je pense, mais ça n’a aucune importance parce que, ça, il ne le sait pas. Je suis assez douée pour lui faire croire qu’il n’y a que lui.

RACHEL

Lundi 15 juillet 2013

Matin

Cathy m’a rappelée quand je partais ce matin pour me prendre dans ses bras, un peu raide. J’ai cru qu’elle allait me dire qu’elle ne me mettrait pas à la porte, en fin de compte, mais au lieu de ça elle m’a glissé une lettre imprimée, mon préavis d’expulsion officiel, date de départ incluse. Elle n’a pas réussi à me regarder dans les yeux. J’étais embêtée pour elle, vraiment, mais j’étais surtout embêtée pour moi. Elle m’a souri tristement, et elle a dit :

– Ça me désole de devoir te faire ça, Rachel.

C’était très gênant, comme situation. On était dans le couloir et, malgré l’huile de coude et la javel employées la veille, ça sentait encore un peu le vomi. J’avais envie de pleurer, mais je ne voulais pas la faire culpabiliser davantage, alors je lui ai fait un grand sourire et j’ai répondu :

– Pas du tout, je t’assure, ce n’est pas un souci.

Comme si elle m’avait simplement demandé de lui rendre un petit service.

C’est dans le train que les larmes viennent, et ça m’est égal qu’on me regarde ; après tout, mon chien pourrait avoir été renversé par une voiture. Peut-être qu’on vient de me déceler une maladie incurable. Peut-être que je suis une alcoolique divorcée, stérile, et bientôt à la rue.

C’est ridicule, quand j’y pense. Comment ai-je fait pour me retrouver là ? Je me demande quand ça a commencé, ce déclin, et à quel moment j’aurais pu l’arrêter. Quelle a été ma première erreur ? Pas ma rencontre avec Tom, qui m’a sauvée de mon chagrin après la mort de papa. Ni notre mariage de jeunes amoureux insouciants et ivres de bonheur, un jour de mai très froid, il y a sept ans. J’étais heureuse, mon compte en banque se portait bien, et j’avais une carrière. Ça n’a pas non plus été d’emménager au numéro vingt-trois, Blenheim Road, une maison plus grande et plus belle que je n’aurais imaginé habiter à seulement vingt-six ans. Je me rappelle parfaitement ces premiers jours, passés à marcher pieds nus pour sentir la chaleur du parquet sous mes orteils ; je me délectais de ce grand espace, du vide de toutes ces pièces qui n’attendaient que d’être remplies. On faisait des projets, Tom et moi : ce qu’on planterait dans le jardin, ce qu’on accrocherait aux murs, de quelle couleur on allait peindre la chambre d’amis – mais, dès le départ, dans mon esprit, c’était déjà la chambre du bébé.

C’est peut-être ça. C’est peut-être à ce moment que les choses ont commencé à aller de travers, quand j’ai cessé de nous voir comme un couple, et que je ne nous ai plus considérés que comme une famille. Après ça, une fois que j’ai eu cette image en tête, n’être que nous deux n’a plus jamais été suffisant. Est-ce que c’est à partir de là que Tom s’est mis à me regarder différemment, sa déception réfléchissant la mienne ? Après tout ce qu’il a abandonné pour moi, pour que nous puissions être ensemble, je lui ai laissé croire qu’il ne me suffisait pas.

Je laisse les larmes couler jusqu’à Northcote, puis je me reprends, je m’essuie les yeux et, au dos de la lettre de Cathy, je commence à rédiger une liste de choses à faire aujourd’hui :

– Bibliothèque Holborn

– E-mail maman

– E-mail Martin, recommandation ??

– Trouver groupe AA (centre Londres, Ashbury)

– Dire à Cathy pour le travail ?

Quand le train s’arrête au feu, je lève la tête et je vois Jason sur son balcon, face au train. J’ai l’impression qu’il me regarde droit dans les yeux et, c’est très étrange, j’ai la sensation qu’il m’a déjà regardée ainsi, qu’il m’a déjà vue, vraiment vue. Je l’imagine me sourire et, sans comprendre pourquoi, cela me fait peur.

Il se détourne et le train repart.

Soir

Je suis aux urgences de l’hôpital universitaire. Je me suis fait renverser par un taxi en traversant Gray’s Inn Road. Et je tiens à préciser que j’étais sobre comme un chameau, même si je n’étais pas dans mon état normal : j’étais distraite, presque paniquée. J’ai une coupure de deux centimètres de long au-dessus de mon œil droit, et un interne très beau est en train de me recoudre. Il est trop brusque, trop froid pour moi. Quand il a fini, il remarque la bosse sur ma tête.

– Elle n’est pas récente, lui dis-je.

– Elle n’a pas l’air bien vieille.

– Non, mais elle n’est pas d’aujourd’hui.

– Vous étiez dans les tranchées, c’est ça ?

– Je me suis cognée en entrant dans une voiture.

Il m’examine la tête une bonne poignée de secondes avant de commenter :

– Ah oui ?

Il recule pour me regarder dans les yeux.

– Ça n’en a pas l’air. On dirait plutôt que quelqu’un vous a frappée avec quelque chose.

Je me sens soudain engourdie. Je me souviens de m’être baissée pour éviter un coup, je me souviens d'avoir levé les bras. Est-ce que c’est un vrai souvenir ? Le docteur se rapproche à nouveau et observe plus attentivement la blessure.

– Un objet aiguisé, dentelé peut-être…

– Non, dis-je. C’était une voiture. Je me suis cogné la tête en entrant dans une voiture.

Je ne sais pas si c’est lui que j’essaie de convaincre ou moi.

– D’accord.

Il me sourit et recule, puis se penche pour trouver mon regard.

– Est-ce que tout va bien…

Il s’interrompt le temps de consulter sa fiche.

– … Rachel ?

– Oui.

Il me dévisage longtemps ; il ne me croit pas. Il est préoccupé. Il pense peut-être que je suis une femme battue.

– Bon, je vais quand même nettoyer la plaie parce qu’elle n’est pas jolie à voir. Y a-t-il quelqu’un que je peux appeler pour vous ? Votre mari ?

– Je suis divorcée.

– Quelqu’un d’autre, alors ?

Il n’en a rien à faire que je sois divorcée.

– Une amie, oui, merci. Elle va s’inquiéter, sinon.

Je lui donne le nom de Cathy et son numéro. Cathy ne va pas s’inquiéter – je ne suis même pas encore en retard –, mais j’espère que, en apprenant que je me suis fait renverser par un taxi, elle aura pitié de moi et qu’elle me pardonnera pour hier. Mais elle va sûrement croire que, s’il y a eu un accident, c’est parce que j’étais ivre. Je voudrais bien demander au docteur s’il peut me faire une prise de sang ou autre chose pour prouver ma sobriété. Je lui souris mais il ne me regarde pas, il prend des notes. De toute façon, c’est ridicule comme idée.

C’était ma faute, le chauffeur de taxi n’y est pour rien. J’ai foncé devant le taxi – je me suis presque jetée sous ses roues, d’ailleurs. Je ne sais pas où je pensais me précipiter ainsi. Je ne pensais pas du tout, j’imagine, en tout cas pas à moi. Je pensais à Jess. Qui ne s’appelle pas Jess, elle s’appelle Megan Hipwell, et elle a disparu.

J’étais à la bibliothèque de Theobald’s Road. Je venais d’envoyer un e-mail à ma mère avec mon compte Yahoo (je ne lui ai rien dit de significatif, c’était plutôt un message pour tâter le terrain, histoire d’évaluer ses sentiments maternels à mon égard en ce moment). Sur la page d’accueil de Yahoo, on trouve des faits divers sélectionnés selon son code postal – Dieu seul sait comment ils connaissent mon code postal, mais bon. Et j’ai vu une photo d’elle, de Jess, ma Jess, la parfaite jeune femme blonde. À côté, un gros titre annonçait : DISPARITION D’UNE FEMME À WITNEY.

Au début, je n’étais pas sûre que ce soit elle. Elle lui ressemblait, elle avait exactement le même visage qu’elle a dans ma tête, mais je ne me faisais pas confiance. Puis j’ai lu l’histoire, j’ai vu le nom de la rue, et j’en ai eu la confirmation.

« L’inquiétude ne cesse de croître dans les locaux de la police du Buckinghamshire au sujet de la disparition d’une femme de vingt-neuf ans, Megan Hipwell, résidant Blenheim Road, à Witney. Mme Hipwell a été vue pour la dernière fois samedi soir aux alentours de dix-neuf heures par son mari, Scott Hipwell, alors qu’elle quittait le domicile pour se rendre chez une amie. D’après M. Hipwell, une telle disparition « n’est pas du tout dans ses habitudes ». Mme Hipwell était vêtue d’un jean et d’un T-shirt rouge. Elle mesure un mètre soixante-deux et est de corpulence mince, avec des cheveux blonds et des yeux bleus. Nous demandons à toute personne qui aurait une information concernant Mme Hipwell de contacter la police du Buckinghamshire. »

Elle a disparu. Jess a disparu. Megan a disparu. Depuis samedi. J’ai fait une recherche sur Google, mais l’histoire n’apparaît que dans le Witney Argus, et ce dernier ne donne aucun détail supplémentaire. J’ai repensé à Jason – à Scott – ce matin, sur son balcon, qui m’a regardée, qui m’a souri. J’ai attrapé mon sac, je me suis levée et j’ai couru hors de la bibliothèque, sur la route, sur le chemin d’un taxi noir.

– Rachel ? Rachel ?

Le beau médecin essaie d’attirer mon attention.

– Votre amie est arrivée.


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