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La fille du train
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Текст книги "La fille du train"


Автор книги: Paula Hawkins



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On se rassure comme on peut.

Soir

Je n’ai pas cessé de penser à Jess de la journée. J’étais incapable de me concentrer sur quoi que ce soit à part ce que j’avais vu le matin. Qu’est-ce qui a pu me faire croire qu’il y avait un problème ? Je ne pouvais pas déceler son expression à une telle distance, mais, en la regardant, j’ai eu le sentiment qu’elle était seule. Plus que seule : abandonnée. C’est peut-être le cas – il est peut-être en déplacement dans un de ces pays exotiques où il se précipite pour sauver des vies. Et il lui manque, et elle s’inquiète, même si elle sait qu’il n’a pas le choix.

Bien sûr qu’il lui manque, il me manque même à moi. Il est doux et fort, comme un bon mari. Et ils forment une vraie équipe. J’en suis sûre, ça se voit. La force et ce côté protecteur qu’il dégage ne signifient pas pour autant qu’elle soit faible. Elle est forte à sa manière, elle fait des déductions logiques qui le laissent pantois d’admiration. Elle sait aller droit au cœur du problème, le disséquer et l’analyser en moins de temps qu’il n’en faut à d’autres pour dire bonjour. Quand ils sont de sortie, il lui prend souvent la main, pourtant cela fait des années qu’ils sont ensemble. Ils se respectent et ils ne se rabaissent jamais.

Ce soir, je suis épuisée. Je suis sobre, cent pour cent à jeun. Il y a des jours où je me sens tellement mal que j’ai besoin de boire ; d’autres où je me sens tellement mal que j’en suis incapable. Aujourd’hui, la simple idée de l’alcool me retourne l’estomac. Et c’est un défi d’affronter la sobriété dans le train du soir, surtout en ce moment, par cette chaleur. Une fine pellicule de transpiration recouvre chaque centimètre carré de ma peau, l’intérieur de la bouche me démange, et j’ai les yeux irrités, peut-être à cause du mascara qui a coulé dans les coins.

Mon téléphone se met à vibrer dans mon sac à main et je sursaute. Deux filles assises de l’autre côté de la voiture me regardent puis se tournent l’une vers l’autre pour échanger discrètement un sourire. Je ne sais pas ce qu’elles pensent de moi, mais je me doute que ce n’est pas très positif. J’ai le cœur qui bat à tout rompre au moment où j’attrape le téléphone. Je sais que, ça aussi, ça ne sera pas très positif : c’est peut-être Cathy qui va me demander – toujours avec une extrême gentillesse – si je veux bien laisser la bouteille de côté ce soir. Ou alors ma mère, pour m’annoncer qu’elle sera à Londres la semaine prochaine et me proposer de me rejoindre au bureau pour qu’on aille déjeuner. Je regarde l’écran. C’est Tom. Je n’hésite qu’une seconde avant de décrocher.

– Rachel ?

Pendant les cinq premières années où je l’ai connu, je n’ai jamais été « Rachel », seulement « Rach ». Parfois « Shelley », parce qu’il savait que je détestais ça, et ça le faisait rire de me voir m’agacer puis pouffer – je ne pouvais pas m’en empêcher, dès qu’il riait, je riais aussi.

– Rachel, c’est moi.

Il a la voix pesante, il paraît éreinté.

– Écoute, il faut que tu arrêtes ça, d’accord ?

Je ne réponds pas. Le train ralentit et nous sommes presque au niveau de la maison, de mon ancienne maison. J’ai envie de lui dire : « Sors, va te mettre sur la pelouse dans le jardin. Laisse-moi te voir. »

– S’il te plaît, Rachel, tu ne peux pas continuer à m’appeler comme ça en permanence. Il faut que tu te secoues.

J’ai une boule coincée dans la gorge, aussi dure qu’un caillou bien lisse. Je n’arrive pas à déglutir. Je n’arrive pas à parler.

– Rachel, tu m’entends ? Je sais que ça ne va pas très fort pour toi, et j’en suis désolé, vraiment, mais… Je ne peux pas t’aider, et tous ces appels commencent vraiment à contrarier Anna. D’accord ? Je ne peux plus t’aider. Va aux Alcooliques anonymes, je ne sais pas. S’il te plaît, Rachel. Vas-y ce soir, après le travail.

J’enlève le pansement dégoûtant du bout de mon doigt et j’observe la peau en dessous, pâle, ridée, et le sang séché écrasé au bord de mon ongle. J’enfonce le pouce de ma main droite au centre de la coupure et je la sens se rouvrir avec une vive douleur, comme une brûlure. Je retiens mon souffle. Du sang commence à s’échapper de la plaie. De l’autre côté de la voiture, les filles me dévisagent, interdites.


MEGAN

un an plus tôt

Mercredi 16 mai 2012

Matin

J’entends le train qui approche ; une musique que je connais par cœur. Il prend de la vitesse pour sortir de la gare de Northcote, puis, après avoir entamé le virage dans un bruit de ferraille, il commence à ralentir, passe d’un fracas à un grondement, avec parfois un crissement de freins pour s’arrêter au feu de signalisation, à une centaine de mètres de la maison. Sur la table, mon café a refroidi, mais je suis si bien là, au chaud, que je ne me décide pas à me lever pour m’en faire un autre.

Parfois, je ne regarde même pas passer les trains, je me contente de les écouter. Assise là le matin, les yeux fermés, quand le soleil n’est plus qu’une tache orange derrière mes paupières, je pourrais me croire n’importe où. Je pourrais me trouver dans le sud de l’Espagne, à la plage ; ou en Italie, aux Cinque Terre, au milieu de ces jolies maisons aux couleurs vives, avec le train qui emmène et ramène des flots de touristes. Je pourrais être de retour à Holkham, les cris des mouettes dans mes oreilles, le sel sur ma langue et un train fantôme qui emprunte la voie rouillée à moins d’un kilomètre de là.

Aujourd’hui, le train ne s’arrête pas et il passe lentement. J’entends les roues claquer sur les traverses, je le sens presque remuer. Je ne peux pas voir les visages des passagers et je sais que ce ne sont que des employés qui font la navette jusqu’à la gare d’Euston, à Londres, pour se rendre à leur bureau, mais j’ai bien le droit de rêver. Rêver à des excursions exotiques, des aventures qui attendent les voyageurs au terminus et au-delà. Dans ma tête, je ne cesse de revenir à Holkham ; c’est étrange que j’y pense encore, des matins comme celui-ci, avec tant d’affection, de regret même. Et pourtant. Le vent dans l’herbe, l’immense ciel couleur ardoise surplombant les dunes, la maison infestée de souris qui tombait en ruine, avec toutes ses bougies, sa crasse et sa musique. Maintenant, c’est comme un rêve, pour moi.

Je sens mon cœur battre un tout petit peu trop vite.

J’entends le bruit de ses pas dans l’escalier juste avant qu’il m’appelle :

– Tu veux un autre café, Megs ?

Le charme est rompu, je suis réveillée.

Soir

J’ai froid dans la brise, mais les deux doigts de vodka dans mon Martini me réchauffent. Je suis sortie sur le balcon et j’attends que Scott revienne du travail. Je vais le convaincre de m’emmener dîner chez l’italien de Kingly Road. Ça fait une éternité qu’on n’est pas sortis de ce trou.

Je n’ai pas fait grand-chose aujourd’hui. J’étais censée finir de remplir mon dossier d’inscription pour les cours sur les supports textiles à la Saint Martins’ School, la prestigieuse école d'art de Londres. Et j’ai commencé, mais j’étais en train de travailler en bas, dans la cuisine, quand j’ai entendu une femme hurler, un bruit horrible, j’ai cru qu’on était en train de l’assassiner. Je suis sortie en courant dans le jardin, mais je n'ai rien vu.

Par contre, je l’entendais toujours, des cris affreux qui me transperçaient toute entière, une voix stridente, désespérée.

– Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu lui veux ? Rends-la moi, rends-la moi !

Ça m’a semblé sans fin, mais ça n’a probablement duré que quelques secondes.

Je me suis précipitée à l’étage et j’ai grimpé sur le balcon. De là, à travers le feuillage des arbres, j’ai vu deux femmes près du grillage, quelques jardins après le mien. L’une d’elles pleurait – peut-être les deux – et on entendait aussi un bébé s’égosiller.

J’ai hésité à appeler la police, mais c’est alors que tout s’est calmé d’un coup. La femme qui avait crié est rentrée en courant dans la maison, l’enfant dans les bras. L’autre est restée dehors. Elle a couru vers la maison, elle a trébuché, mais s’est rattrapée, puis elle s’est mise à errer en cercles dans le jardin. Très bizarre. Dieu sait ce qui s’était passé. En tout cas, c’est le truc le plus excitant qui soit arrivé depuis des semaines.

Mes journées me paraissent vides maintenant que je n’ai plus la galerie pour m’occuper. Elle me manque. Et ça me manque de ne plus parler aux artistes. Même les jeunes mamans insupportables me manquent, celles qui, un café Starbucks à la main, venaient fixer les tableaux de leur regard morne en chuchotant à leurs copines que le petit Jessie faisait déjà de plus jolis dessins quand il n’était encore qu’à la maternelle.

Parfois, j’ai envie de voir si je n’arriverais pas à retrouver des potes d’avant, puis je me demande de quoi je pourrais leur parler, maintenant. Ils ne reconnaîtraient pas cette nouvelle Megan, heureuse en ménage, dans sa petite banlieue tranquille. De toute façon, je ne peux pas prendre le risque de retomber dans le passé, ce n’est jamais une bonne idée. Je vais attendre que l’été soit fini, et puis je chercherai du travail. Je trouve ça dommage de gâcher ces longues journées estivales. Je trouverai quelque chose, ici ou ailleurs, je finirai bien par trouver quelque chose.

Mardi 14 août 2012

Matin

Me voilà plantée devant mon armoire, à examiner pour la centième fois ma penderie pleine de jolis vêtements, la garde-robe parfaite de la gérante d’une galerie d’art petite mais branchée. Je n’ai toujours rien là-dedans qui fasse « nounou ». Putain, rien que ce mot me fiche la nausée. Comme les jours précédents, j’enfile un jean et un T-shirt, et je m’attache les cheveux. Je ne me maquille même pas. Franchement, quel intérêt d’être endimanchée pour aller passer la journée avec un bébé ?

Je descends l’escalier avec une désinvolture calculée, j’ai presque envie de provoquer une dispute. Scott prépare le café dans la cuisine. Il se tourne vers moi, souriant, et ça me rend ma bonne humeur en un clin d’œil. J’arrête de bouder et, souriante, je prends la tasse qu’il me tend avant de m’embrasser.

Je ne vais pas lui en vouloir, de toute façon, c’était mon idée. C’est moi qui me suis proposée pour aller m’occuper du bébé des gens au bout de la rue. Je me suis dit que ça pourrait être marrant. Mais c’était idiot, je devais être complètement folle. Morte d’ennui, folle, ou curieuse. Je voulais aller voir. Je crois que j’en ai eu l’idée après l’avoir entendue crier dans le jardin. Je voulais savoir ce qui se passait. Mais je ne leur ai jamais demandé, évidemment. Ce ne sont pas vraiment des choses qui se font, si ?

Scott m’a encouragée – il s’est montré très enthousiaste au début, quand je lui en ai parlé. Il pense que passer plus de temps avec des bébés va me mettre d’humeur pondeuse, moi aussi. En fait, ça a l’effet strictement inverse : quand je pars de là-bas, je cours jusqu’à chez moi tant je suis pressée d’enlever mes habits et de sauter sous la douche pour me débarrasser de l’odeur de bébé.

Je regrette mes journées à la galerie, où apprêtée, coiffée, je discutais avec d’autres adultes d’art, de films ou de rien du tout. Et rien du tout, voilà qui serait déjà mieux qu’une conversation avec Anna. La pauvre, elle est d’un ennui ! On a l’impression qu’elle avait peut-être des choses à dire, il y a bien longtemps, mais aujourd’hui tout tourne autour de son enfant : est-ce qu’elle a assez chaud ? est-ce qu’elle a trop chaud ? elle a bu quelle quantité de lait ? En plus, elle est toujours là, alors la plupart du temps j’ai l’impression d’être la cinquième roue du carrosse. Mon travail, c’est de surveiller le bébé pendant qu’Anna se repose, pour qu’elle puisse souffler un peu. Mais qu’est-ce qu’il y a de fatigant, là-dedans ? Et puis, elle est tout le temps stressée, c’est bizarre. Je la sens rôder en permanence autour de moi, tressaillir pour un rien. Elle flanche dès qu’un train passe et sursaute chaque fois que le téléphone sonne. C’est qu’ils sont si fragiles, à cet âge-là, m’explique-t-elle, et je ne peux qu’acquiescer.

Je sors et, les jambes lourdes, je parcours la cinquantaine de mètres qui sépare notre maison de la leur dans Blenheim Road. Pas vraiment d’humeur à gambader. Aujourd’hui, ce n’est pas elle qui m’ouvre la porte, c’est lui, son mari. Tom, en costume-cravate et chaussures vernies, sur le départ. Il est beau, dans son costume. Pas aussi beau que Scott – il est plus petit et plus pâle, et il a les yeux un peu trop rapprochés quand on le regarde de près –, mais pas mal. Il me fait son grand sourire à la Tom Cruise avant de disparaître et de nous laisser entre nous, moi, elle et le bébé.

Jeudi 16 août 2012

Après-midi

J’ai démissionné !

Je me sens tellement mieux, j’ai l’impression que tout est possible. Je suis libre !

Assise sur le balcon, j’attends la pluie. Au-dessus de moi, le ciel est d'un noir d’encre, les hirondelles tournent et plongent, l’air est étouffant d’humidité. Scott devrait être de retour dans une heure. Il va falloir que je le lui dise. Il ne restera pas fâché plus d’une minute ou deux, je saurai me faire pardonner. Et je ne compte pas passer mes journées à tourner en rond à la maison : j’ai bien réfléchi. Je pourrais prendre un cours de photographie, ou tenir un étalage au marché pour vendre des bijoux. Je pourrais apprendre à cuisiner.

Un jour, quand j’étais plus jeune, un de mes profs m’a dit que j’étais passée maîtresse dans l’art de me réinventer. À l’époque, je n’ai pas saisi de quoi il voulait parler, j’ai cru qu’il voulait faire son intéressant, mais, depuis, je me suis prise d’affection pour cette idée. Fugueuse, amante, épouse, serveuse, gérante d’une galerie, nounou, et que sais-je encore. Alors, qui aurai-je envie d’être, demain ?

Je n’avais pas prévu de démissionner, les mots sont sortis tout seuls. Nous étions installés autour de la table de la cuisine, Anna avec le bébé sur les genoux, et Tom, qui était repassé parce qu’il avait oublié quelque chose et qui était resté prendre un café. C’était tout à fait ridicule, comme situation, ma présence n’avait pas le moindre intérêt. Pire : j’étais mal à l’aise, comme si je dérangeais.

– J’ai trouvé un autre travail, ai-je dit sans réfléchir. Alors je ne vais plus pouvoir rester avec vous.

Anna m’a dévisagée, et je ne pense pas qu’elle m’ait cru. Elle a répondu « Oh, quel dommage », mais ça se voyait qu’elle n’était pas sincère. Elle avait l’air soulagé. Elle ne m’a même pas posé de questions sur ce nouvel emploi, et heureusement, parce que je n’avais même pas songé à préparer un mensonge crédible.

Tom a semblé légèrement surpris. Il a dit :

– Tu vas nous manquer.

Mais ça non plus, ce n’est pas vrai.

La seule personne qui sera vraiment déçue, c’est Scott, alors il faut que je me mette à la recherche d’une bonne excuse. Je vais peut-être lui dire que Tom me draguait, ça réglera le problème.

Jeudi 20 septembre 2012

Matin

Il est peu après sept heures, et il fait froid là, dehors, mais c’est tellement beau, comme ça, tous les jardins, ces bandes vertes bien collées les unes aux autres, qui attendent que les doigts des rayons de soleil surgissent de derrière la voie ferrée et viennent les réanimer. Ça fait des heures que je suis réveillée, je n’arrive pas à dormir. Je n’ai pas dormi depuis des jours. Il n’y a rien de pire au monde que l’insomnie, je déteste ça, rester là avec le cerveau qui égrène chaque seconde, tic, tac, tic, tac. Mon corps entier me démange. J’ai envie de me raser le crâne.

J’ai envie de m’enfuir. De partir en road-trip en décapotable, les cheveux au vent, et de rouler jusqu’à la côte – n’importe laquelle. J’ai envie de marcher sur une plage. Avec mon grand frère, on voulait passer notre vie sur les routes. On avait des projets géniaux, Ben et moi. Enfin, c’était surtout les projets de Ben, c’était un grand rêveur. On était censés descendre en moto de Paris à la Côte d’Azur, ou longer toute la côte pacifique des États-Unis, de Seattle à Los Angeles ; on voulait retracer le parcours de Che Guevara de Buenos Aires à Caracas. Si j’avais fait tout ça, peut-être que je ne me serais pas retrouvée ici, à ne pas savoir quoi faire du reste de ma vie. Mais, si j’avais fait tout ça, peut-être que je me serais retrouvée exactement au même endroit, et que j’en aurais été satisfaite. Mais bien sûr, je n’ai rien fait de tout ça, parce que Ben n’a jamais pu atteindre Paris, il n’a même pas pu atteindre Cambridge. Il est mort sur l’A10, entre Cambridge et Londres, le crâne écrasé sous les roues d’un semi-remorque.

Il me manque chaque jour. Plus que quiconque, je crois. C’est lui, le grand vide dans ma vie, le trou au beau milieu de mon âme. Ou peut-être n’en était-il que le commencement. Je ne sais pas. Je ne sais même pas si tout cela a vraiment à voir avec Ben, ou plutôt à voir avec tout ce qui s’est passé après ça, et tout ce qui s’est passé depuis. Tout ce que je sais, c’est que par moments tout roule, la vie est belle et je suis comblée, et en l’espace d’une seconde le monde bascule, je meurs d’envie de m’enfuir, je suis perdue et le sol semble se dérober sous mes pieds.

Alors je vais aller voir un psychologue ! Ça risque d’être un peu bizarre, mais ça sera peut-être marrant. J’ai toujours pensé que ça devait être pratique d’être catholique, de pouvoir aller à confesse pour se libérer de toute sa culpabilité, d’avoir quelqu’un qui vous dit que vous êtes pardonné, qui vous débarrasse de vos péchés et vous permet de repartir de zéro.

Mais évidemment, ce n’est pas la même chose. Je suis un peu nerveuse, mais je ne parviens pas à m’endormir depuis quelque temps, et Scott me harcèle pour que j’y aille. Je lui ai dit :

– Je trouve déjà assez difficile de parler de ces choses-là à des gens que je connais, j’arrive à peine à t’en parler, à toi.

Il m’a répondu :

– Justement, c’est le principe, on peut tout dire à un inconnu.

Sauf que ce n’est pas entièrement vrai. On ne peut pas TOUT dire. Pauvre Scott. Il n’a pas idée. Il m’aime si fort que ça me fait mal. Je ne sais pas comment il y arrive. À sa place, je deviendrais folle, avec quelqu’un comme moi.

Mais il faut bien que je fasse quelque chose et, au moins, ça me donne l’impression de me remuer. Toutes ces idées que j’avais – les cours de photo et de cuisine –, en fin de compte, ça me paraît assez vain. Comme si je jouais à la vie au lieu de vivre pour de vrai. Il faut que je trouve un truc qui me passionne réellement, un truc essentiel. Je ne peux pas n’être qu’une épouse, ce n’est pas moi. Je ne comprends pas comment les autres y arrivent ; il n’y a littéralement rien d’autre à faire qu’attendre. Attendre qu’un homme rentre à la maison et vous aime. Soit ça, soit partir à la recherche d’une distraction.

Soir

J’attends. J’avais rendez-vous il y a une demi-heure, et je suis encore là, dans la salle d’attente, à feuilleter un exemplaire de Vogue et à me demander si je ne devrais pas partir. Je sais qu’un rendez-vous chez le médecin peut souvent s’éterniser, mais chez le psy ? À force de regarder des films, je croyais qu’ils vous mettaient à la porte à l’instant même où vos trente minutes étaient écoulées. Mais j’imagine que ce ne sont pas les psys remboursés par la Sécu qu’on nous montre à Hollywood.

Alors que je m’apprête à me lever pour aller voir la réceptionniste et lui dire que j’ai suffisamment attendu, la porte du cabinet du docteur s’ouvre, et un homme grand et dégingandé en sort, l’air désolé, avant de me tendre la main.

– Madame Hipwell, je suis navré de vous avoir fait patienter si longtemps.

Je lui souris, je lui dis que ce n’est rien et, à ce moment précis, je le sens, oui, que ce n’est rien, que tout ira bien, parce que, même si ça ne fait qu’un instant que je suis en sa compagnie, je me sens déjà apaisée.

Je pense que c’est dû à sa voix. Douce et grave. Avec un léger accent, mais je m’y attendais, parce qu’il s’appelle Kamal Abdic. J’imagine qu’il doit avoir dépassé la trentaine, mais la couleur incroyable de sa peau – couleur miel foncé – lui donne l’air très jeune. Il a des mains que je peux imaginer me caresser, des doigts longs et délicats, je peux presque les sentir sur ma peau.

On ne parle de rien d’important, ce n’est qu’une séance d’introduction, pour « apprendre à se connaître » ; il me demande ce qui m’amène et je lui parle des crises d’angoisse, de mon insomnie, du fait que je reste réveillée la nuit dans mon lit par peur de m’endormir. Il veut approfondir, mais je ne suis pas encore prête. Il me demande si je prends de la drogue, si je bois. Je lui dis que, ces derniers temps, j’ai d’autres vices, puis je croise son regard et je crois qu’il a saisi ce dont je parle. Mais j’ai l’impression que je devrais prendre tout ça un peu plus au sérieux, alors j'évoque la galerie qui a fermé, ce sentiment permanent d’être désœuvrée, déboussolée, du fait que je passe trop de temps dans ma tête. Il ne parle pas beaucoup, juste une question de temps en temps pour me relancer, mais j’ai envie d’entendre sa voix, alors, en partant, je lui demande d’où il vient.

– De Maidstone, répond-il, dans le Kent. Mais je me suis installé à Corly il y a quelques années.

Il sait que ce n’était pas ce que je demandais et m’adresse un sourire rusé.

Quand j’arrive à la maison, Scott m’attend, et il me glisse un verre dans la paume de la main. Il veut tout savoir. Je lui dis que ça va. Il me pose des questions sur le psychologue : est-ce que je l’aime bien, est-ce qu’il a l’air gentil ? Ça va, dis-je encore pour ne pas paraître trop enthousiaste. Il me demande si on a parlé de Ben. Scott croit que tout a à voir avec Ben. Il a peut-être raison. Il n’est pas impossible qu’il me connaisse mieux que je ne le crois.

Mardi 25 septembre 2012

Matin

Je me suis réveillée tôt, ce matin, mais j’ai réussi à dormir quelques heures, ce qui est déjà pas mal par rapport à la semaine dernière. Quand je me suis levée, je me suis sentie presque reposée, alors, au lieu de m’installer sur le balcon, j’ai décidé d’aller me promener.

Avec le temps, je sors de moins en moins, presque sans m’en rendre compte. J’ai l’impression de ne jamais aller nulle part. Je vais faire les courses, à mon cours de Pilates, et chez le psy. Parfois chez Tara. Et le reste du temps, je suis à la maison. Pas étonnant que je rue dans les brancards.

Je sors, je prends à droite dans la rue, puis à gauche sur Kingly Road. Je passe devant le pub, le Rose. Avant, on y allait tout le temps. Je ne sais pas pourquoi on a arrêté. Mais je n’ai jamais trop aimé ça, il n’y avait quasiment que des couples juste en dessous de la quarantaine qui buvaient trop et semblaient à la recherche d’une meilleure vie, à se demander s’ils auraient un jour le courage de tout plaquer. C’est peut-être pour ça qu’on a arrêté de venir, parce que ça ne me plaisait pas. Le pub, puis des boutiques. Je ne compte pas aller bien loin, je veux juste faire un petit tour pour me dégourdir les jambes.

C’est agréable d’être dehors de si bon matin, avant l’apparition des écoliers et des voitures de ceux qui partent travailler à Londres ; les rues sont vides et propres, la journée pleine de promesses. Je prends une nouvelle fois à gauche et j'arrive au terrain de jeux – le seul semblant de parc que nous avons dans le quartier. Il est désert, mais d’ici quelques heures il sera investi par des nuées d’enfants, de mamans, et de filles et garçons au pair. La moitié des nanas de mon cours de Pilates sera là, toutes en survêtement tendance et prêtes à faire des étirements en se jaugeant du coin de l’œil, un gobelet Starbucks niché dans leurs mains manucurées.

Je dépasse le parc et descends la rue vers Roseberry Avenue. Si je tournais à droite, je verrais ma galerie – enfin, c’était ma galerie autrefois, maintenant ce n’est plus qu’une vitrine vide. Mais je n’en ai pas envie. C’est encore trop douloureux pour moi. J’ai bossé tellement dur pour que ça marche. Mauvais endroit, mauvais moment – il n’y a pas de marché pour l’art dans les banlieues, pas dans un tel contexte économique. À la place, je prends à gauche, je passe devant le Tesco Express, l’autre pub, celui où vont les gens de notre lotissement, puis je me dirige vers la maison. Je commence à avoir des papillons dans le ventre, je suis nerveuse. J’ai peur de croiser les Watson, c’est toujours gênant de les voir. Je n’ai manifestement pas de nouvel emploi, ce qui signifie que j’ai menti parce que je n’avais pas envie de continuer à travailler pour eux.

Enfin, c’est surtout gênant quand je la croise, elle. Tom se contente de m’ignorer. Mais Anna semble prendre ça comme un affront. De toute évidence, elle est persuadée que ma courte carrière de nounou a pris fin à cause d’elle ou de son enfant. Mais ça n’a rien à voir avec son enfant, vraiment, même si le fait qu’Evie n’arrêtait pas de geindre ne facilitait pas les choses. C’est beaucoup, beaucoup plus compliqué mais, bien sûr, je ne peux pas le lui expliquer. Bref. C’est sûrement une des raisons pour lesquelles je ne sors plus trop, pour ne pas tomber sur les Watson. Une petite partie de moi espère qu’ils vont déménager. Je sais qu’elle n’aime pas cet endroit : elle déteste cette maison, elle déteste devoir vivre parmi les affaires de l’ex-femme de Tom, et elle déteste les trains.

Je m’arrête au coin de la rue et je jette un coup d’œil dans le passage souterrain sous les rails. L’odeur de froid et d’humidité me donne toujours un frisson le long de la colonne vertébrale, comme si je venais de retourner un caillou pour regarder ce qui se tapit en dessous : de la mousse, des lombrics, de la terre. Ça me rappelle quand j’étais petite, quand je jouais dans le jardin et qu’avec Ben on cherchait des grenouilles près de la mare. Je repars. La voie est libre – aucune trace de Tom ou d’Anna – mais, au fond de moi, la Megan qui adore ce genre de scandales de voisinage s’en retrouve toute désappointée.

Soir

Scott vient d’appeler pour dire qu’il devait travailler tard, et ce n’est pas ce que j’avais envie d’entendre. Je suis à cran, je l’ai été toute la journée. Je ne tiens pas en place. J’ai besoin qu’il soit là, qu’il m’aide à me calmer, mais maintenant il ne rentrera pas avant des heures et mon cerveau va continuer de tourner et tourner et tourner encore, et je sais que c’est une nuit sans sommeil qui m’attend.

Je ne peux pas rester assise là à regarder les trains, je suis trop tendue, mon cœur palpite dans ma poitrine, comme un oiseau qui chercherait à s’échapper d’une cage. J’enfile mes tongs, je descends l’escalier et je sors par la porte d’entrée dans Blenheim Road. Il doit être dix-neuf heures trente – il reste quelques traînards qui rentrent du travail. Il n’y a personne d’autre dans la rue, mais on entend les cris des enfants qui jouent dans les jardins derrière les maisons, profitant des derniers rayons du soleil d’été avant qu’on les appelle pour dîner.

Je descends la rue vers la gare. Je m’arrête un instant devant le numéro vingt-trois, et j’hésite à sonner. Qu’est-ce que je pourrais dire ? Je n’ai plus de sucre ? Je passais juste discuter ? Les rideaux sont à moitié ouverts mais je ne les vois pas à l’intérieur.

Je reprends mon chemin jusqu’au coin de la rue et, sans vraiment l’avoir décidé, je continue dans le passage souterrain. J’en ai parcouru environ la moitié quand un train passe au-dessus de moi, et c’est fabuleux : on dirait un tremblement de terre, ça résonne jusqu’au centre de mon corps, ça fait vibrer mon sang. Je baisse les yeux et j'aperçois quelque chose par terre, un élastique à cheveux, violet, étiré, usé. C’est sûrement juste une joggeuse qui l’a laissé tomber, mais il me donne la chair de poule et j’ai soudain envie de sortir d’ici au plus vite pour retrouver la lumière du jour.

Alors que je repars vers chez moi, il me dépasse en voiture, nos regards se croisent et il me sourit.


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