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La fille du train
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 03:55

Текст книги "La fille du train"


Автор книги: Paula Hawkins



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C’est bête, mais ça me fait plaisir qu’il ne l’aime pas non plus : c’est un autre point commun, un autre lien tissé entre nous.

– Bref, je voulais juste vous dire merci. De m’avoir contacté. Et puis, c’était… Ça va sembler étrange, mais c’était agréable de discuter avec quelqu’un… quelqu’un dont je ne suis pas proche. J’ai eu l’impression que ça me permettait de penser plus rationnellement. Après votre départ, je n’arrêtais pas de repenser à la première fois que Megan est allée le voir – Abdic – et à comment elle était en revenant. Elle avait quelque chose d’inhabituel, une légèreté.

Il expire bruyamment.

– Je ne sais pas. Peut-être que ce n’est que mon imagination.

Je retrouve le sentiment que j’avais hier, qu’il n’est déjà plus en train de me parler, à moi, mais qu’il parle, tout court. Je ne suis plus qu’une oreille attentive, et ça me convient. Je suis contente de lui être utile.

– J’ai encore passé la journée à fouiller dans les affaires de Megan. J’avais déjà retourné notre chambre et toute la maison une bonne demi-douzaine de fois, à la recherche du moindre indice quant à l’endroit où elle pourrait être. Quelque chose qui vienne de lui, peut-être. Mais rien. Pas d’e-mails, pas de lettres, rien. J’ai pensé à le contacter, mais son cabinet est fermé aujourd’hui, et je n’arrive pas à trouver un numéro de téléphone portable.

– Vous êtes sûr que c’est une bonne idée ? je demande. Je veux dire, vous ne pensez pas que vous devriez laisser ça à la police ?

Je ne veux pas finir ma phrase à voix haute, mais on le pense sûrement tous les deux : cet homme est dangereux. Ou, en tout cas, il pourrait l’être.

– Je ne sais pas, je ne sais pas du tout.

Il y a dans sa voix une note de désespoir qui fait peine à entendre, mais je n’ai pas de réconfort à lui offrir. Sa respiration est trop rapide à l’autre bout du fil ; il a le souffle court, comme s’il avait peur. J’ai envie de lui demander s’il a quelqu’un pour lui tenir compagnie, mais je ne peux pas : ça serait mal compris, comme si je lui faisais des avances.

– J’ai croisé votre ex, aujourd’hui, reprend-il.

Les poils de mes bras se dressent.

– Ah ?

– Oui, je suis sorti prendre le journal et je l’ai vu dans la rue. Il m’a demandé comment j’allais, et si j’avais des nouvelles.

– Ah, dis-je encore.

C’est tout ce que je parviens à prononcer, les mots ne se forment pas dans ma bouche. Je ne veux pas qu’il discute avec Tom. Tom sait que je ne connais pas Megan Hipwell. Tom sait que j’étais à Blenheim Road le soir de sa disparition.

– Je n’ai pas parlé de vous. Je ne… vous voyez. Je ne sais pas si j’aurais dû lui dire qu’on s’était rencontrés.

– Non, je ne pense pas, enfin, je ne sais pas. Ce serait peut-être bizarre.

– D’accord.

Après ça, un long silence s’installe. J’attends que mon cœur se calme. Au moment où je crois qu’il va raccrocher, il me demande :

– Elle ne parlait jamais de moi, alors ?

– Bien sûr… bien sûr que si. Enfin, on ne bavardait pas si souvent que cela, mais…

– Mais vous êtes venue à la maison. Megan n’invite presque jamais ses amis à passer. Elle est très réservée, elle ne partage pas son espace personnel avec beaucoup de gens.

Je cherche une bonne raison. Je regrette de lui avoir dit que j’étais venue.

– J’étais juste passée lui emprunter un livre.

– Ah bon ?

Il ne me croit pas. Elle ne lit pas. Je repense à leur maison, et il n’y avait pas de livres sur les étagères.

– Quel genre de choses elle disait ? À mon sujet ?

– Euh, elle était très heureuse. Avec vous, je veux dire. Dans votre couple.

Tout en parlant, je me rends compte que c’est un peu bizarre, comme phrase, mais je ne peux pas être plus précise, alors j’essaie de me rattraper :

– Pour être honnête, les choses n’allaient vraiment pas bien entre mon mari et moi, à cette époque, alors c’était surtout histoire de comparer nos relations. Elle s’illuminait dès qu’elle parlait de vous.

Quel cliché ridicule.

– Ah oui ?

Il ne semble pas l’avoir remarqué, et il y a maintenant une touche de nostalgie dans son ton.

– Ça fait plaisir à entendre.

Il se tait, et j’entends sa respiration saccadée à l’autre bout de la ligne.

– On a… on a eu une dispute terrible, dit-il alors. Le soir où elle est partie. Je ne supporte pas de penser qu’elle ait pu m’en vouloir quand…

Sa voix s’éteint.

– Je suis sûre qu’elle ne vous en a pas voulu longtemps. Dans un couple, on se dispute, c’est comme ça. On se dispute tout le temps.

– Mais c’était une grosse dispute, affreuse, et je ne peux pas… J’ai l’impression que je ne peux pas en parler à qui que ce soit parce que, sinon, on va me regarder comme si j’étais coupable.

Sa voix a changé : désormais, elle paraît hantée, lourde de culpabilité.

– Je ne me souviens pas de comment ça a commencé, continue-t-il.

Sur le coup, je ne le crois pas, puis je repense à toutes les disputes que j’ai oubliées et je me mords la langue.

– Le ton est monté. J’ai été très… j’ai été cruel avec elle. Un connard. Un vrai connard. Elle était très affectée, alors elle est montée mettre des affaires dans un sac. Je ne sais pas quoi exactement mais, plus tard, j’ai remarqué que sa brosse à dents avait disparu, c’est comme ça que j’ai su qu’elle ne comptait pas rentrer. J’ai cru… je me suis dit qu’elle avait dû partir passer la nuit chez Tara. Elle l’avait déjà fait une fois. Juste une. Ce n’est pas comme si ça arrivait tout le temps.

« Je ne lui ai même pas couru après.

Une nouvelle fois, je suis frappée par cette impression qu’il ne me parle pas vraiment, non, il se confesse. Il est assis d’un côté du confessionnal et, moi, je suis de l’autre côté, sans visage, invisible.

– Je l’ai laissée partir.

– Et c’était samedi soir ?

– Oui. C’est la dernière fois que je l’ai vue.

Un témoin l’a vue (ou a vu « une femme correspondant à sa description ») se diriger vers la gare de Witney vers dix-neuf heures trente, c’est ce que j’ai lu dans les articles des journaux. C’est la dernière personne à l’avoir vue. Personne ne se souvient de l’avoir vue sur le quai ou dans le train. Il n’y a pas de caméra de surveillance à Witney, et les caméras à Corly ne l’ont pas non plus sur leurs bandes, mais, d’après les articles, cela ne prouve rien parce qu’il y a « d’importants angles morts » dans cette gare.

– Et quelle heure était-il quand vous avez essayé de la contacter ? je demande.

Un autre long silence.

– Je… je suis allé au pub. Le Rose, vous voyez lequel, au coin de Kingly Road ? J’avais besoin de me reprendre, de remettre de l’ordre dans mes idées. J’ai bu deux pintes, puis je suis rentré à la maison. C'était un peu avant vingt-deux heures. Je crois que j’espérais qu’entre-temps elle se serait calmée, et qu’elle serait rentrée. Mais elle n’était pas là.

– Alors il était environ vingt-deux heures quand vous avez essayé de l’appeler ?

– Non.

Sa voix est à peine plus audible qu’un murmure, à présent.

– Non, j’ai encore bu une ou deux bières à la maison, j’ai regardé un peu la télé, et puis je suis allé me coucher.

Je repense à toutes les disputes que j’ai eues avec Tom, toutes les choses affreuses que je pouvais lui dire quand j’avais trop bu, toutes les fois où je suis partie en claquant la porte et en lui hurlant que je ne voulais plus jamais le revoir. Malgré tout cela, il ne manquait jamais de m’appeler, de m’aider à me calmer, de me cajoler pour que je rentre à la maison.

– Je m’imaginais qu’elle était avec Tara, dans sa cuisine, vous savez, à lui raconter quel sale con j’étais. Alors j’ai lâché l’affaire.

Il a « lâché l’affaire ». À entendre la dureté, l’indifférence de cette phrase, ça ne me surprend pas qu’il n’en ait parlé à personne. D’ailleurs, ça me surprend qu’il m’en parle, même à moi. Ce n’est pas le Scott que j’imaginais, le Scott que je connaissais, celui qui se tenait derrière Megan sur le balcon, ses grandes mains posées sur les fines épaules de sa femme, prêt à la protéger de tout.

Je m’apprête à raccrocher, mais Scott n’a pas fini.

– Je me suis réveillé tôt. Je n’avais pas de message sur ma boîte vocale. Je n’ai pas paniqué, j’en ai juste déduit qu’elle devait être avec Tara et qu’elle m’en voulait encore. Je l’ai appelée et je suis tombé sur son répondeur, mais je n’ai toujours pas paniqué. Je me suis dit qu’elle devait probablement encore dormir, ou qu’elle m’ignorait. Je n’ai pas trouvé le numéro de Tara, mais j’avais son adresse sur une carte de visite sur le bureau de Megan. Alors j’ai pris la voiture et je suis allé là-bas.

Je me demande pourquoi il a ressenti le besoin d’aller jusque chez Tara s’il n’était pas inquiet, mais je ne veux pas l’interrompre. Je le laisse parler.

– Je suis arrivé un peu après neuf heures. Tara a mis du temps à venir m’ouvrir et, une fois là, elle a eu l’air vraiment surprise de me voir. De toute évidence, j’étais la dernière personne qu’elle s’attendait à trouver sur le pas de sa porte à cette heure-là, et c’est là que j’ai su… C’est là que j’ai su que Megan n’était pas là. Et que j’ai commencé à penser… Que j’ai commencé…

Sa voix s’étrangle dans sa gorge et j’ai honte d’avoir douté de lui.

– Elle m’a dit que la dernière fois qu’elle avait vu Megan, c’était à leur cours de Pilates de vendredi soir. Et là, j’ai commencé à paniquer.

Après avoir raccroché, je songe que, pour quelqu’un qui ne le connaîtrait pas, quelqu’un qui n’aurait pas vu la manière dont il se comportait avec elle comme j’ai pu le voir, beaucoup de ce qu’il m’a dit ne semblerait pas tout à fait vrai.

Lundi 22 juillet 2013

Matin

J’ai les idées embrouillées. Après un sommeil profond mais plein de rêves cette nuit, j’ai du mal à me réveiller complètement. Les hautes températures sont de retour et il fait une chaleur étouffante dans le train, même s’il n’est qu’à moitié plein aujourd’hui. Je me suis levée en retard ce matin et je n’ai pas eu le temps de regarder les infos sur Internet avant de quitter la maison, ni de prendre un journal sur le chemin, alors j’essaie de me connecter au site de la BBC avec mon téléphone, mais il n’arrive pas à charger, je ne sais pas pourquoi. À Northcote, un homme avec un iPad monte à bord et s’assoit à côté de moi. Lui n’a aucun problème à aller voir les dernières news et arrive sans délai sur le site du Daily Telegraph. Là, je vois le titre du troisième article de la page, étalé en grandes lettres en gras : DISPARITION DE MEGAN HIPWELL : UN HOMME EN ÉTAT D’ARRESTATION.

Une telle panique me prend que j’en oublie la bienséance et que je me penche pour mieux voir. L’homme me regarde, offusqué, presque effrayé.

– Désolée, dis-je. Je la connais. La femme disparue, je la connais.

– Oh, comme c’est affreux, dit-il.

C’est un homme d’âge moyen, élégamment vêtu, et qui s’exprime bien.

– Voulez-vous lire l’article ?

– Oui, s’il vous plaît. Je n’arrive pas à accéder au site avec mon portable.

Il me sourit gentiment et me tend sa tablette. Je tapote le titre et l’article apparaît.

« Un homme de trente-six ans a été interpellé en lien avec la disparition de Megan Hipwell, une habitante de Witney de vingt-neuf ans portée disparue depuis le samedi 13 juillet. La police n’a pas été en mesure de confirmer s’il s’agit de Scott Hipwell, le mari de Megan Hipwell, qui a été placé en garde à vue vendredi. Un porte-parole de la police a fait une déclaration ce matin : “Nous pouvons confirmer l’arrestation d’un homme en lien avec la disparition de Megan. Aucune charge ne pèse pour l’instant contre lui. Nous continuons de rechercher Megan, et nous fouillons en ce moment même un logement que nous soupçonnons être une scène de crime.” »

Le train passe devant la maison et, pour une fois, il ne s’est pas arrêté au feu. Je me tourne vivement vers la vitre, mais c'est trop tard. Le numéro quinze a déjà disparu. J’ai les mains qui tremblent en rendant l’iPad à son propriétaire. Il secoue la tête, l’air triste.

– Je suis désolé.

– Elle n’est pas morte, dis-je d’une voix rauque.

Je n’arrive même pas à me croire moi-même. Des larmes me piquent les yeux. J’étais dans sa maison. J’étais là. Je me suis assise en face de lui, à cette table, je l’ai regardé dans les yeux, et j’ai senti quelque chose. Je repense à ces mains immenses et au fait que, s’il peut me broyer, moi, il aurait pu l’anéantir – minuscule Megan, fragile Megan.

Les freins crissent tandis que nous approchons de la gare de Witney, et je me lève brusquement.

– Il faut que j’y aille, dis-je à l’homme à côté de moi qui, malgré sa surprise, hoche la tête d’un air grave.

– Bonne chance, dit-il.

Je cours le long du quai et dans les escaliers. Je vais à contre-courant du flot des gens, et je suis presque arrivée en bas quand je trébuche et qu’un homme s’écrie :

– Attention !

Mais je l’ignore, parce que j’ai le regard fixé sur le rebord d’une marche, l’avant-dernière. Il y a une tache de sang. Je me demande depuis combien de temps elle est là. Aurait-elle une semaine ? Serait-ce mon sang ? le sien ? Est-ce qu’il y a du sang dans la maison, je me demande, est-ce que c’est pour ça qu’ils l’ont arrêté ? J’essaie de revoir la cuisine, le salon. L’odeur : très propre, une odeur de désinfectant. Était-ce une odeur d’eau de Javel ? Je ne sais pas, je n’arrive plus à m’en souvenir, tout ce que je me rappelle clairement, c’est la transpiration dans son dos et les relents de bière dans son haleine.

Je passe en courant devant le souterrain, je trébuche en tournant au coin de Blenheim Road. Je retiens ma respiration tandis que je me précipite sur le trottoir, la tête baissée, trop effrayée pour oser la relever. Pourtant, quand je m’y résous, il n’y a rien à voir. Pas de camionnette garée devant chez Scott, pas de voitures de police. Est-ce qu’ils auraient déjà fini de fouiller la maison ? S’ils avaient trouvé quelque chose, ils y seraient sûrement encore ; ça doit prendre des heures de tout examiner, d’analyser chaque preuve. J’accélère encore. Quand j’arrive devant le numéro quinze, je m’arrête pour reprendre mon souffle. Les rideaux sont tirés, au rez-de-chaussée et à l’étage. Ceux des voisins frémissent : on m’observe. Je m’avance sur le seuil de la porte, une main levée. Je ne devrais pas être ici. Je ne sais pas ce que je fais là. Je voulais juste voir. Je voulais savoir. Un instant, je suis tiraillée entre mon désir d’aller contre mon instinct et de frapper à la porte, et mon envie de tourner les talons. Je fais demi-tour, et c’est à ce moment que la porte s’ouvre.

Avant que j’aie le temps de bouger, ses mains surgissent, il m’agrippe l’avant-bras et me tire vers lui. Ses lèvres ne forment plus qu’une ligne menaçante, et il a les yeux fous. Il est désespéré. La frayeur et l’adrénaline m’envahissent, et je vois les ténèbres survenir. J’ouvre la bouche pour crier, mais trop tard, il m'attire brutalement à l’intérieur et claque la porte derrière moi.

MEGAN

Jeudi 21 mars 2013

Matin

Je ne perds jamais. Il devrait le savoir, ça. Je ne perds jamais à ce genre de jeu.

L’écran de mon téléphone est vierge. Obstinément, insolemment vierge. Pas de texto, pas d’appel manqué. Chaque fois que je le regarde, j’ai l’impression de recevoir une gifle, et ma colère grandit encore. Qu’est-ce qui m’est arrivé, dans cette chambre d’hôtel ? Qu’est-ce que je me suis imaginé ? Que nous avions une connexion, qu’il y avait un vrai lien entre nous ? Il n’a jamais eu l’intention de s’enfuir avec moi. Mais, l’espace d’une seconde (plus d’une seconde !), je l’ai cru, et c’est ça qui me rend vraiment furieuse. J’ai été ridicule, crédule. Et il s’est moqué de moi tout du long.

S’il croit que je vais rester là à pleurer sur mon sort, il se fourre le doigt dans l’œil. Je peux très bien vivre sans lui, aucun problème, mais je ne supporte pas de perdre. Ce n’est pas moi. Ça n’a rien à voir avec moi. On ne me quitte pas. C’est moi qui décide quand partir.

Ça me rend folle, mais je ne peux pas m’en empêcher. Je n’arrête pas de revenir à cet après-midi à l’hôtel, de repenser encore et encore à ce qu’il m’a dit, à ce que ça m’a fait.

L’enfoiré.

S’il croit que je vais me contenter de disparaître sans un mot, il se plante. S’il ne répond pas bientôt, ce n’est plus sur son portable que je vais appeler, mais directement chez lui. Je ne le laisserai pas m’ignorer.

Pendant le petit déjeuner, Scott me demande d’annuler mon rendez-vous chez le psy. Je ne réponds pas. Je fais semblant de ne pas avoir entendu.

– Dave nous a invités à dîner, ajoute-t-il. Ça fait une éternité qu’on n’est pas allés les voir. Tu ne peux pas déplacer ton rendez-vous ?

Il garde un ton léger, comme si c’était une demande anodine, mais je le sens qui m’observe, il a les yeux braqués sur moi. Nous approchons dangereusement d’une dispute.

– Je ne peux pas, Scott, c’est trop tard, dis-je prudemment. Pourquoi tu ne proposerais pas plutôt à Dave et Karen de venir dîner ici samedi ?

L’idée de devoir recevoir Dave et Karen ce week-end m’épuise d’avance, mais il va falloir que je fasse des compromis.

– Ce n’est pas trop tard, dit-il en reposant sa tasse de café sur la table devant moi.

Il pose un instant la main sur mon épaule et conclut :

– Annule, d’accord ?

Puis il s’en va.

À la seconde où la porte d’entrée se referme, j’attrape la tasse de café et je la jette violemment contre le mur.

Soir

Je pourrais me dire qu’il ne m’a pas vraiment rejetée. Je pourrais me persuader qu’il essaie juste d’agir de façon raisonnable, d’un point de vue moral et professionnel. Mais je sais que ce n’est pas vrai. Ou, en tout cas, ce n’est pas toute la vérité, parce que, quand on a suffisamment envie de quelqu’un, la morale ne fait pas le poids – et le professionnalisme encore moins. On ferait tout pour avoir cette personne. Alors, c’est qu’il n’a pas suffisamment envie de moi.

J’ai ignoré les appels de Scott tout l’après-midi, je suis arrivée en retard à mon rendez-vous, et je suis entrée directement dans son cabinet sans un mot à la réceptionniste. Il était installé à son bureau, en train d’écrire quelque chose. Il m’a jeté un coup d’œil quand je suis entrée, sans un sourire, puis il est revenu à ses papiers. Je me suis campée devant son bureau et j’ai attendu qu’il me regarde. Ça m’a semblé prendre une éternité.

– Tout va bien ? m’a-t-il enfin demandé, et il souriait, à présent. Vous êtes en retard.

La respiration coincée dans la gorge, je n’arrivais plus à parler. J’ai fait le tour de son bureau et je me suis appuyée dessus, et ma jambe a effleuré sa cuisse. Il a reculé sa chaise.

– Megan, vous allez bien ?

J’ai secoué la tête. Je lui ai tendu la main et il l’a prise.

– Megan, a-t-il répété, non.

Je n’ai rien dit.

– Vous ne pouvez pas… Vous devriez vous asseoir, a-t-il dit. Parlons-en.

J’ai secoué la tête.

– Megan.

Chaque fois qu’il répétait mon nom, il ne faisait qu’empirer les choses.

Il s’est levé pour faire le tour de son bureau, pour mettre de la distance entre nous. Il s’est tenu au milieu de la pièce.

– Allons, a-t-il dit, la voix professionnelle – brusque, même. Asseyez-vous.

Je l’ai suivi jusqu’au milieu de la pièce, j’ai posé une main sur sa taille et l’autre sur son torse. Il m’a saisi les poignets et s’est éloigné.

– Non, Megan. Vous ne pouvez pas… nous ne pouvons pas…

Il s’est détourné.

– Kamal, ai-je dit, la voix séductrice – et j’ai détesté m’entendre ainsi. Je t’en prie…

– Ça… là. C’est déplacé. C’est normal, bien évidemment, mais…

Je lui ai dit que je voulais être avec lui.

– C’est un transfert, Megan, a-t-il dit. Ça arrive de temps en temps. Ça m’arrive à moi aussi, d’ailleurs. J’aurais dû aborder ce sujet la dernière fois. Je suis désolé.

Alors j’ai eu envie de hurler. À l’entendre, ça semblait tellement banal, tellement froid, tellement commun.

– Tu veux dire que tu ne ressens rien ? ai-je demandé. Tu veux dire que c’est moi qui imagine tout ça ?

Il a secoué la tête.

– Megan, je n’aurais jamais dû laisser les choses aller aussi loin.

Je me suis rapprochée de lui, j’ai mis les mains sur ses hanches pour le faire pivoter vers moi. Une nouvelle fois, il m’a attrapée, et ses longs doigts se sont refermés sur mes poignets.

– Je pourrais perdre mon travail, a-t-il dit, et c’est là que je me suis vraiment énervée.

Je me suis écartée, comme enragée. Il a essayé de me retenir, mais en vain. Je lui ai hurlé dessus, je lui ai dit que je n’en avais rien à foutre de son putain de boulot. Il essayait de me calmer – il devait s’inquiéter de ce qu’allaient penser la réceptionniste ou les autres patients. Il m’a attrapée par les épaules, ses pouces se sont enfoncés dans la chair en haut de mes bras, et il m’a ordonné de me calmer, d’arrêter d’agir comme une enfant. Il m’a secouée très fort ; l’espace d’un instant j’ai cru qu’il allait me gifler.

Je l’ai embrassé sur la bouche et j’ai mordu sa lèvre inférieure aussi fort que j’ai pu ; j’ai senti le goût du sang sur ma langue. Il m’a repoussée.

J’ai passé tout le chemin du retour à concocter ma vengeance. J’ai réfléchi à tout ce que je pourrais lui faire. Je pourrais le faire virer, ou pire. Mais je n’en ferai rien, je l’apprécie trop pour ça. Je ne veux pas lui faire de mal. Ce n’est même plus tant le fait d’avoir été rejetée qui me dérange, maintenant. Ce qui me dérange, c'est que je n’ai pas pu finir de raconter mon histoire, et je ne peux pas recommencer depuis le début avec quelqu’un d’autre, c’est trop difficile.

Et maintenant, je n’ai pas envie de rentrer parce que je ne sais pas comment je vais expliquer à Scott les bleus sur mes bras.


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