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La fille du train
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 03:55

Текст книги "La fille du train"


Автор книги: Paula Hawkins



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Tout au fond de l’armoire, au bas de trois rangées de boîtes à chaussures soigneusement étiquetées, je prends une boîte gris foncé marquée « bottes compensées rouges », et dans la boîte se trouve un vieux téléphone portable, une antiquité avec un forfait prépayé que j’ai achetée il y a des années, et que j’ai gardée au cas où. Ça fait quelque temps que je ne m’en suis pas servie, mais le jour est venu. Je vais être honnête. Finis les mensonges, finis les secrets. Il est temps que papa affronte ses responsabilités.

Je m’assois sur le lit et j’allume le téléphone, priant pour qu’il ait encore un peu de batterie. L’écran s’illumine et je sens l’adrénaline qui fait bouillir mon sang, ça me donne le tournis, la nausée, même, mais ça me fait un peu planer aussi, comme si j’étais défoncée. Je commence à m’amuser, à apprécier l’anticipation de tout faire éclater au grand jour, de le mettre face – de tous les mettre face – à ce que nous sommes et à ce que nous avons fait. D’ici la fin de la journée, chacun saura quelle est sa place.

J’appelle son numéro. Sans grande surprise, je tombe tout de suite sur son répondeur. Je raccroche et lui envoie un texto : « J’ai besoin de te parler. URGENT. Rappelle-moi. » Puis je reste assise là, à attendre.

Je vais dans le journal d’appels. La dernière fois que je me suis servie de ce téléphone, c’était en avril. Beaucoup d’appels, tous sans réponse, début avril et fin mars. J’ai rappelé, rappelé et rappelé encore, et il m’a ignorée, il n’a même pas daigné répondre à mes menaces – je lui ai dit que j’irais chez lui, que je parlerais à sa femme. Mais, aujourd’hui, je pense qu’il va m’écouter. Je ne lui laisserai pas le choix.

Quand ça a commencé, ce n’était qu’un jeu. Une distraction. Je le voyais de temps en temps, il passait à la galerie, souriant, pour flirter. C’était inoffensif, après tout, il y avait beaucoup d’hommes qui passaient à la galerie pour sourire et flirter. Mais la galerie a fermé et je me suis retrouvée à m’ennuyer à la maison toute la journée. J’avais besoin d’autre chose. De quelque chose de différent. Puis, un jour où Scott était en déplacement, je l’ai croisé dans la rue, on a commencé à discuter et je l’ai invité à prendre un café chez moi. À la manière dont il me regardait, je savais exactement ce qu’il avait en tête, et c’est arrivé. Et puis c’est arrivé d’autres fois, même si je n’avais pas prévu que ça devienne une vraie relation, je n’en avais aucune envie. J’aimais juste être désirée, le sentiment d’avoir le pouvoir. C’était aussi bête que ça. Je n’avais pas envie qu’il quitte sa femme, mais je voulais qu’il en ait envie. Qu’il me désire à ce point-là.

Je ne me souviens pas à quel moment j’ai commencé à croire que ça pouvait être plus que ça, qu’on était faits pour être ensemble. Mais, dès l’instant où ça s’est produit, je l’ai senti s’éloigner. Il a arrêté de m’écrire, de répondre à mes appels. Jamais je ne m’étais sentie rejetée comme ça, jamais. Et j’ai détesté ça. Alors ça s’est transformé en autre chose : une obsession. Je comprends, maintenant. Et, à la fin, j’ai vraiment cru que je pouvais laisser tomber et reprendre ma vie, un peu meurtrie peut-être, mais sans avoir fait grand mal à personne. Aujourd’hui, ce n’est plus aussi simple.

Scott est encore devant la porte. Je ne l’entends plus mais je sens qu’il est toujours là. Je vais dans la salle de bains et je compose à nouveau le numéro. Je retombe sur la messagerie, alors je raccroche et je recommence, une deuxième fois, une troisième fois. Je chuchote un message :

– Décroche le téléphone ou j’arrive. Et je suis sérieuse, cette fois. Il faut que je te parle. Tu ne peux pas continuer de m’ignorer.

Je reste quelques instants dans la salle de bains, le téléphone posé sur le rebord du lavabo, à essayer de le faire sonner par la force de mon esprit. L’écran reste obstinément gris, vierge. Je me brosse les cheveux, je me lave les dents, je me maquille légèrement. Je commence à reprendre des couleurs normales. J’ai encore les yeux rouges et mal à la gorge, mais ça a l’air d’aller. Je me mets à compter. Si le téléphone n’a toujours pas sonné quand j’arrive à cinquante, j’irai là-bas, frapper à la porte. Il ne sonne pas.

Je range le téléphone dans la poche de mon jean, puis je traverse rapidement la chambre et j'ouvre la porte. Scott est assis sur le palier, les bras autour des genoux, la tête baissée. Il ne relève pas les yeux, alors je passe à côté de lui et je cours dans l’escalier, le souffle coincé dans la gorge. J’ai peur qu’il m’attrape par-derrière et qu’il me pousse. Je l’entends se mettre debout avant de m’appeler :

– Megan ! où tu vas ? Tu vas le rejoindre, lui, c’est ça ?

Arrivée en bas des marches, je me retourne.

– Il n’y a pas de « lui », d’accord ? C’est terminé.

– Attends, Megan, s’il te plaît. S’il te plaît, ne pars pas.

Je n’ai pas envie de l’entendre me supplier, je n’ai pas envie d’entendre sa voix plaintive tandis qu’il s’apitoie sur lui-même alors que ma gorge me fait encore tellement mal que j’ai l’impression qu’on y a versé de l’acide.

– N’essaie pas de me suivre, dis-je d’une voix rauque. Sinon, je ne reviendrai jamais. Tu as compris ? Si je t’aperçois quand je me retourne, ce sera la dernière fois que tu me verras.

Je l’entends appeler mon nom au moment où je claque la porte derrière moi.

J’attends un peu dehors, sur le trottoir, pour m’assurer qu’il ne me suit pas, puis je m’éloigne. D’abord rapidement, puis je ralentis, et je ralentis encore. J’arrive devant le numéro vingt-trois et c’est là que je panique. Je ne suis pas prête à vivre cette scène. J’ai besoin d’une minute pour m’y préparer. De quelques minutes. Je continue de marcher, je dépasse la maison, le passage souterrain, la gare. Je continue jusqu’au parc, puis, encore une fois, je compose son numéro.

Je lui dis que je suis dans le parc, que je vais l’attendre ici, mais que, s’il ne vient pas, c’est fini, je débarquerai chez lui. C’est sa dernière chance.

C’est une belle fin de journée, il est sept heures passées mais il fait bon et il y a encore du soleil. Il reste quelques enfants qui jouent sur les balançoires et le toboggan, leurs parents non loin qui bavardent avec animation. Ça a l’air agréable, normal, et en les regardant j’ai la sensation écœurante que Scott et moi n’emmènerons jamais notre fille jouer ici. Je n’arrive pas à nous imaginer là, heureux, détendus. Plus maintenant. Pas après ce que je viens de faire.

Ce matin, j’étais tellement sûre que la meilleure solution était de tout mettre sur la table – pas juste la meilleure solution d’ailleurs, la seule. Finis les mensonges, finis les secrets. Et, quand il m’a fait mal, ça n’a fait que renforcer ma certitude. Mais maintenant, assise là, toute seule, sachant que Scott est furieux et, surtout, qu’il a le cœur brisé, je ne trouve plus que c’était la bonne chose à faire. Je n’ai pas été forte, j’ai été inconsciente, et il m’est impossible d’évaluer les dégâts que j’ai commis.

Peut-être que le courage qu’il me faut, ce n’est pas celui de dire la vérité, mais uniquement celui de partir. Pour elle et pour moi, désormais, l’heure est venue : je dois m’éloigner d’eux deux, de tout ça. Peut-être qu’en réalité je suis faite pour la fuite et les secrets.

Je me lève et fais le tour du parc. J’ai envie que le téléphone sonne mais, en même temps, j’en ai peur. Au bout du compte, je suis rassurée qu’il ne sonne pas. Je prends ça comme un signe. Je retourne sur mes pas, vers la maison.

Je viens de dépasser la gare quand je le vois. Il sort du passage souterrain d’un pas rapide, les épaules voûtées, les poings serrés, et, avant que je puisse m’en empêcher, je l’appelle.

Il se retourne vers moi.

– Megan ! Bordel de…

Son visage n’est que fureur, mais il me fait signe d’approcher.

– Viens, me dit-il une fois que je suis près de lui. On ne peut pas discuter ici. J’ai ma voiture juste là.

– Il faut que…

– On ne peut pas discuter ici ! répète-t-il, agacé. Viens.

Il me tire par le bras, puis reprend, plus calmement :

– On va aller dans un endroit calme, d’accord ? Un endroit où on pourra parler.

Tandis que j’entre dans la voiture, je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, dans la direction d’où il est venu. Le passage souterrain est plongé dans l’obscurité, mais j’ai l’impression qu’il y a quelqu’un, dans les ténèbres. Quelqu’un qui nous regarde partir.

RACHEL

Dimanche 18 août 2013

Après-midi

À la seconde où elle l’aperçoit, Anna tourne les talons et se précipite dans la maison. Avec le cœur qui cogne, je la suis prudemment et je m’arrête juste avant la porte coulissante. À l’intérieur, ils s’étreignent, il l’enveloppe de ses bras, l’enfant entre eux. Anna a la tête baissée et les épaules qui tremblent. Il lui embrasse les cheveux mais garde les yeux rivés sur moi.

– Qu’est-ce qui se passe ici ? demande-t-il, un demi-sourire aux lèvres. Je dois dire que je ne m’attendais pas en rentrant à vous trouver toutes les deux en train de papoter dans le jardin.

Il parle d’un ton léger, mais je ne m’y laisse pas prendre. Je ne m’y laisserai plus prendre. J’ouvre la bouche, mais je m’aperçois que je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas par où commencer.

– Rachel ? tu comptes me dire ce qui se passe ?

Il libère Anna de son étreinte et s’avance vers moi. Je fais un pas en arrière et il s’esclaffe.

– Qu’est-ce qui t’arrive, cette fois ? Tu es saoule ?

Malgré sa question, je vois dans ses yeux qu’il sait que je suis sobre et, pour une fois, je parie qu’il préférerait que ce ne soit pas le cas. Je glisse une main dans la poche arrière de mon jean pour toucher mon téléphone – il est là, compact et solide, réconfortant, mais je regrette de ne pas avoir eu le bon sens d’appeler à l’aide plus tôt. Qu’on me croie ou non n’a aucune importance : si j’avais dit à la police que j’étais avec Anna et son enfant, des agents auraient accouru.

Tom n’est plus qu’à quelques dizaines de centimètres de moi – nous sommes chacun d’un côté de la porte, lui dedans et moi dehors.

– Je t’ai vu, dis-je.

Prononcer ces mots à voix haute libère alors en moi une satisfaction éphémère mais réelle.

– Tu crois que je ne me souviens de rien, mais tu as tort. Je t’ai vu. Après que tu m’as frappée, tu m’as abandonnée là, dans le passage souterrain, et…

Il commence à rire mais, désormais, je vois tout, et je me demande comment j’ai pu ne pas réussir à lire si clairement en lui auparavant. C’est de la panique qui est apparue dans ses yeux. Il se tourne vers Anna, mais elle ne croise pas son regard.

– De quoi est-ce que tu parles ?

– Dans le passage souterrain. Le soir où Megan Hipwell a disparu…

– Oh, et puis quoi encore ? m’interrompt-il en agitant la main avec lassitude. Je ne t’ai pas frappée. Tu es tombée.

Il prend la main d’Anna et l’attire vers lui.

– Ma chérie, c’est pour ça que tu es fâchée ? Ne l’écoute pas, elle raconte n’importe quoi. Je ne l’ai pas frappée. Je n’ai jamais levé la main sur elle de toute ma vie.

Il passe un bras autour des épaules d’Anna et l’attire plus près encore.

– Allons. Je t’ai prévenue qu’elle était comme ça. Elle ne sait pas ce qui se passe quand elle boit, alors elle invente la plupart de…

– Tu es monté dans la voiture avec elle. Je vous ai vus partir.

Il sourit toujours, mais sans la moindre conviction désormais, et je ne sais pas si c’est mon imagination, mais il me paraît plus pâle. Il serre Anna moins fort et la libère une nouvelle fois. Elle s’assoit à la table, dos à son mari, avec sa fille qui se tortille sur ses genoux.

Tom passe une main sur sa bouche et s’appuie contre le plan de travail de la cuisine, les bras croisés sur la poitrine.

– Tu m’as vu monter en voiture avec qui ?

– Avec Megan.

– Ah, d’accord !

Il recommence à rire, un rire sonore, forcé.

– La dernière fois qu’on en a discuté, tu m’as dit que tu m’avais vu monter en voiture avec Anna. Maintenant c’est Megan, c’est ça ? Et la semaine prochaine, ce sera qui ? Lady Di ?

Anna lève les yeux vers moi. Sur son visage, le doute laisse place à l’espoir.

– Tu n’en es pas sûre ? me demande-t-elle.

Tom se laisse tomber à genoux à côté d’elle.

– Mais évidemment qu’elle n’en est pas sûre ! Elle a tout inventé, c’est ce qu’elle fait en permanence. Ma chérie, s’il te plaît. Tu ne veux pas monter un moment à l’étage ? Je vais discuter avec Rachel. Et, cette fois…

Il me lance un regard avant de conclure :

– … je te promets que je vais faire en sorte qu’elle ne nous embête plus.

Anna hésite, je le vois bien à sa façon d’étudier le visage de Tom à la recherche de la vérité, tandis qu’il garde les yeux rivés sur elle.

– Anna ! je m’écrie pour essayer de la ramener dans mon camp. Tu sais. Tu sais qu’il ment ! Tu sais qu’il couchait avec elle.

L’espace d’une seconde, personne ne dit rien. Anna passe de Tom à moi puis de moi à Tom. Elle ouvre la bouche, mais aucun mot n’en sort.

– Anna ! de quoi elle parle ? Il… il n’y avait rien entre Megan Hipwell et moi.

– J’ai trouvé le téléphone, Tom, dit-elle d’une voix si étouffée qu’elle en est presque inaudible. Alors arrête, s’il te plaît. Ne mens pas. Ne me mens pas.

La fillette se met à pleurnicher. Très délicatement, Tom la prend des bras d’Anna. Il marche jusqu’à la fenêtre en la berçant et en lui murmurant des paroles que je n’entends pas. La tête baissée, Anna laisse couler ses larmes, qui dégoulinent de son menton pour s’écraser sur la table de la cuisine.

– Où est-il ? demande Tom en se retournant vers nous, sans plus aucune trace d’amusement sur le visage. Le téléphone, Anna. Tu le lui as donné ?

Il se tourne vivement vers moi.

– C’est toi qui l’as ?

– Je ne sais pas de quel téléphone vous parlez, je réponds, tout en regrettant qu’Anna ne l’ait pas mentionné plus tôt.

Tom m’ignore.

– Anna ? est-ce que tu le lui as donné ?

Anna secoue la tête.

– Où est-il ?

– Je l’ai jeté. Par-dessus le grillage. Près de la voie ferrée.

– C’est bien, très bien, commente-t-il distraitement.

Il essaie de comprendre, de trouver le moyen de se sortir de là, et il me jette un regard. Un instant, il semble abattu.

Enfin, il se tourne vers Anna.

– Tu étais tout le temps trop fatiguée, dit-il. Plus rien ne t’intéressait. Il n’y en avait que pour le bébé. Hein, c’est vrai ? Hein, qu’il n’y en avait que pour toi ? Que pour toi !

Et le revoilà maître de la situation, revigoré, qui fait des grimaces à sa fille en lui chatouillant le ventre pour la faire sourire.

– Quant à Megan, elle était tellement… Elle était disponible. Les premières fois, on est allés chez elle. Mais elle était parano, elle avait peur que Scott nous surprenne. Alors on a commencé à se retrouver au Swan. C’était… eh bien, tu te souviens de comment c’était, n’est-ce pas, Anna ? Au début, quand on allait dans la maison de Cranham Road. Tu comprends.

Par-dessus son épaule, il me fait un clin d’œil.

– C’est là qu’Anna et moi on se donnait rendez-vous, à l’époque.

Il déplace sa fille sur son autre bras pour la laisser poser sa tête sur son épaule.

– Tu dois me trouver cruel, mais ce n’est pas ça. Je dis simplement la vérité. C’est ce que tu veux, non, Anna ? Tu m’as demandé de ne pas mentir.

Anna ne relève pas la tête. Elle agrippe le rebord de la table, le corps tendu. Tom pousse un profond soupir.

– Pour être honnête, je suis soulagé.

C’est à moi qu’il parle, il me regarde droit dans les yeux.

– Vous n’avez pas la moindre idée d’à quel point c’est épuisant de devoir gérer des gens comme vous. Et, putain, c’est pas faute d’avoir essayé. J’ai tout fait pour vous aider, toutes les deux. Mais vous êtes… Je veux dire, je vous ai aimées toutes les deux, passionnément, mais qu’est-ce que vous pouvez être faibles, par moments !

– Va te faire foutre, Tom, s’écrie Anna en se levant. Je t’interdis de me mettre dans le même sac qu’elle !

Je la dévisage, et je me rends compte qu’ils vont vraiment bien ensemble, finalement, Anna et Tom. Elle lui convient cent fois mieux que moi, parce que c’est ça qui la dérange : pas que son mari soit un menteur et un assassin, mais qu’il ait osé la comparer à moi.

Tom s’approche d’elle et lui murmure d’une voix apaisante :

– Je suis désolé, ma chérie, c’était malhonnête de ma part.

Elle l’ignore et il s’adresse à moi :

– J’ai fait de mon mieux, tu sais. J’ai été un bon mari pour toi, Rach. J’ai dû supporter beaucoup de choses, ton alcoolisme, ta dépression. J’ai supporté tout ça longtemps avant de jeter l’éponge.

– Tu m’as menti, dis-je, et il paraît surpris. Tu m’as répété que tout était ma faute. Tu m’as fait croire que je n’étais bonne à rien. Tu m’as regardée souffrir, et tu…

Il hausse les épaules.

– Est-ce que tu imagines une seconde comme tu étais devenue chiante, Rachel ? et laide ? Trop triste pour te lever le matin, trop fatiguée pour prendre une douche ou te laver les cheveux, bordel ! Pas étonnant que j’aie perdu patience, si ? Pas étonnant que j’aie dû me mettre à chercher des distractions ailleurs. Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même.

Il passe du mépris à l’inquiétude lorsqu’il se tourne vers sa femme.

– Anna, avec toi, c’était différent. Promis. Ce truc avec Megan, c’était juste… juste pour m’amuser. Rien d’autre. J’admets que je n’en suis pas fier, mais j’avais besoin de relâcher la pression. C’est tout. Je n’avais pas l’intention que ça s’éternise. Ça n’aurait jamais dû interférer avec nous, avec notre famille. Il faut que tu le comprennes.

– Tu…

Anna essaie de dire quelque chose, mais elle n’arrive pas à formuler sa pensée. Tom pose une main sur son épaule et la serre doucement.

– Quoi, mon amour ?

– Tu l’as embauchée pour garder Evie ! crache-t-elle. Est-ce que tu la sautais pendant qu’elle travaillait ici ? pendant qu’elle s’occupait de notre enfant ?

Il enlève sa main, et son visage est l’image même du repentir.

– C’était terrible. Je pensais… je pensais que ce serait… Très franchement, je ne sais pas ce que je pensais. Je ne suis pas sûr que je pensais à quoi que ce soit, en réalité. J’ai eu tort. J’ai eu terriblement tort.

Son masque change encore : le voilà maintenant qui ouvre les grands yeux de l’innocence, et il plaide :

– Je ne savais pas, à ce moment-là, Anna. Il faut que tu me croies, je ne savais pas qui elle était. Je ne savais pas pour ce bébé qu’elle a tué. Je ne l’aurais jamais laissée garder Evie si j’avais su cela. Il faut que tu me croies.

Sans prévenir, Anna se lève d’un bond et fait tomber sa chaise par terre – le bruit du siège qui cogne contre le sol de la cuisine réveille leur fille.

– Donne-la-moi, dit Anna, les bras tendus.

Tom recule légèrement.

– Tout de suite, Tom, donne-la-moi. Donne-la-moi.

Mais il n’obéit pas, il s’éloigne tout en berçant l’enfant, il recommence à lui murmurer à l’oreille pour l’aider à se rendormir, alors Anna se met à crier. Au début, elle répète : « Donne-la-moi, donne-la-moi ! », puis ça se transforme en un hurlement inintelligible de fureur et de souffrance. Le bébé hurle, elle aussi. Tom tente de la calmer, il ignore Anna, alors c’est à moi de prendre celle-ci en main. Je l’entraîne à l’extérieur pour lui parler à voix basse.

– Il faut que tu te calmes, Anna, dis-je, pressante. Tu comprends ? Calme-toi. Parle-lui, distrais-le pendant que j’appelle la police, d’accord ?

Elle secoue la tête sans s’arrêter. Elle m’attrape les bras, et ses ongles s’enfoncent dans ma chair.

– Comment a-t-il pu faire ça ?

– Anna ! écoute-moi. Il faut que tu ailles l’occuper un moment.

Enfin, elle me regarde, elle me regarde vraiment, et hoche la tête.

– D’accord.

– Va… je ne sais pas. Va l’éloigner de la porte et gagne du temps.

Elle repart à l’intérieur. Je prends une grande inspiration, puis je me retourne et fais quelques pas dans le jardin. Je ne vais pas trop loin, juste sur la pelouse. Je jette un coup d’œil derrière moi. Ils sont toujours dans la cuisine. Je m’éloigne encore. Le vent s’est levé, il fait lourd et un orage ne va pas tarder à éclater. Les martinets volent bas dans le ciel, et je sens l’odeur de la pluie qui arrive. J’adore cette odeur.

Je glisse la main dans ma poche arrière et j’en sors mon téléphone. Mes mains tremblent, il me faut un, deux, trois essais pour parvenir à déverrouiller mon clavier. Je voudrais appeler l’inspectrice Riley, quelqu’un qui me connaît, mais, lorsque je parcours mon journal d’appels, je ne retrouve pas son numéro, alors j’abandonne. Je vais simplement appeler le numéro d’urgence, le 999. J’en suis au deuxième « 9 » quand son pied percute le bas de ma colonne vertébrale et que je m’écrase face contre terre, le souffle coupé. Le téléphone m’échappe, et il s’en empare avant que j’aie pu me remettre à genoux ou même prendre une inspiration.

– Allons, allons, Rachel, dit-il en me prenant par le bras pour me relever sans difficulté. Évitons de faire n’importe quoi.

Il me ramène dans la maison et je le laisse faire, parce que je sais que ce n’est pas le moment de me débattre, je n’ai aucune chance de m’échapper ainsi. Il me pousse par l’ouverture de la porte coulissante, la referme derrière lui, puis la verrouille. Il jette la clé sur la table de la cuisine. Anna est debout, là, et me fait un petit sourire. Je me demande alors si c’est elle qui lui a dit que j’allais appeler la police.

Anna commence à préparer le déjeuner de sa fille, et met de l’eau à bouillir pour nous faire du thé. Dans cette mise en scène grotesque de normalité, j’ai l’impression que je pourrais presque faire poliment mes adieux puis traverser la pièce pour retrouver la sûreté de la rue. C’est si tentant que je me retrouve à faire un pas dans cette direction, mais Tom se place en travers de mon chemin. Il pose une main sur mon épaule, puis passe les doigts sous ma gorge, avec une très légère pression.

– Qu’est-ce que je vais faire de toi, Rachel ?


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