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La fille du train
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Текст книги "La fille du train"


Автор книги: Paula Hawkins



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RACHEL

Jeudi 15 août 2013

Matin

Cathy m’a dégoté un entretien d’embauche. Une de ses amies vient de monter sa boîte de relations publiques et elle a besoin d’une assistante. Concrètement, c’est un boulot de secrétaire avec un titre ronflant et la paie est minable, mais ça m’est égal. Cette femme a accepté de me recevoir sans recommandations (Cathy lui a raconté que j’avais fait une dépression nerveuse mais que tout allait mieux maintenant). L’entretien aura lieu demain après-midi, chez elle – elle tient son entreprise dans un bureau de jardin qu’elle a fait installer derrière sa maison –, et il se trouve qu’elle habite à Witney. J’étais censée passer la journée à peaufiner mon CV et à répéter. C’est ce qui était prévu, sauf que Scott m’a téléphoné.

– J’espérais pouvoir discuter, a-t-il commencé.

– Nous n’avons pas… je veux dire, tu n’as pas besoin de dire quoi que ce soit. C’était… nous savons tous les deux que c’était une erreur.

– Je sais, a-t-il dit.

Il avait l’air tellement triste, pas comme le Scott furieux de mes cauchemars, plutôt comme le Scott brisé qui s’était assis sur mon lit et m’avait parlé de son enfant mort.

– Mais j’ai vraiment envie de te parler.

– Bien sûr, ai-je dit. Bien sûr qu’on peut discuter.

– En personne ?

– Oh.

Retourner dans cette maison était la dernière chose dont j’avais envie.

– Je suis désolée, mais ce n’est pas possible aujourd’hui.

– S’il te plaît, Rachel ? C’est important.

Il semblait désespéré et, malgré moi, il me faisait de la peine. J’essayais de trouver une excuse quand il a répété :

– S’il te plaît ?

Alors j’ai dit oui, et je l’ai regretté dès l’instant où le mot a franchi mes lèvres.

Il y a eu un article sur l’enfant de Megan dans les journaux – son premier enfant, celle qui est morte. Enfin, c’était au sujet du père, en réalité. Ils l’ont retrouvé : il s’appelait Craig McKenzie et il est décédé il y a quatre ans d’une overdose d’héroïne en Espagne, ce qui l’exclut de la liste. De toute manière, ça ne m’a jamais semblé une piste très crédible : si quelqu’un avait voulu la punir pour ce qu’elle avait fait à cette époque, cette personne l’aurait fait il y a des années déjà.

Alors qui cela nous laisse-t-il ? Toujours les mêmes : le mari, l’amant. Scott, Kamal. Ou alors un homme venu de nulle part qui l’aurait enlevée en pleine rue, un tueur en série en début de carrière ? Est-ce que Megan n’était que la première d’une série, une Wilma McCann, une Pauline Reade2 ? Et puis, après tout, qui nous dit que l’assassin est forcément un homme ? Megan Hipwell n’était pas bien grande. Menue, un petit oiseau. On n’aurait pas eu besoin de beaucoup de force pour la maîtriser.

Après-midi

La première chose que je remarque lorsqu’il ouvre la porte, c’est l’odeur. La sueur et la bière, un mélange aigre, nauséabond, et, en dessous, quelque chose de pire. Une odeur de moisi. Il porte un pantalon de jogging et un T-shirt gris tout taché, il a les cheveux gras et la peau luisante, comme s’il avait de la fièvre.

– Ça va ? je lui demande.

Il me sourit. Il a bu.

– Oui, entre, entre.

Je n’en ai aucune envie, mais je m’exécute. Les rideaux des fenêtres côté rue sont fermés et cela plonge le salon dans une pénombre rougeâtre qui va avec la chaleur et l’odeur.

Scott se traîne jusqu’à la cuisine, ouvre le frigo et en sort une bière.

– Viens t’asseoir, dit-il. Bois un coup.

Il a un sourire figé, sans joie, macabre. Il y a une touche de cruauté dans son visage. Le mépris que j’y ai vu samedi, après que nous avons couché ensemble, ce mépris est toujours là.

– Je ne peux pas rester longtemps, dis-je. J’ai un entretien d’embauche demain, il faut que je me prépare.

– Ah oui ?

Il lève un sourcil, puis s’assoit et pousse une chaise vers moi d’un coup de pied.

– Assois-toi et bois un coup.

C’est un ordre, pas une invitation. Je m’assois en face de lui et il fait glisser la bouteille de bière devant moi. J’en prends une gorgée. Dehors, j’entends des cris – des enfants qui jouent dans un jardin – et, plus loin, le roulement familier du train.

– Ils ont eu les résultats des tests ADN, m’annonce Scott. L’inspectrice Riley est venue me voir hier soir.

Il attend ma réponse, mais j’ai trop peur de ne pas dire ce qu’il faut, alors je garde le silence.

– Ce n’est pas le mien. Ce n’était pas le mien. Mais, le plus drôle, c’est que ce n’était pas celui de Kamal non plus.

Il rit.

– Alors elle se tapait un troisième type. Tu y crois ?

Il a encore cet horrible sourire.

– Tu ne savais pas, pas vrai ? pour cet autre gars ? Elle ne t’a pas fait de confidences au sujet d’un autre homme, si ?

Le sourire s’évanouit peu à peu et je commence à avoir un mauvais pressentiment, un très mauvais pressentiment. Je me lève et fais un pas vers la porte, mais il se tient déjà devant moi, il m’attrape les bras, et il me force à me rasseoir.

– Reste assise.

Il m’arrache mon sac à main de l’épaule et le jette dans un coin de la pièce.

– Scott, je ne sais pas ce qui se passe…

– Mais enfin ! crie-t-il, penché sur moi. Si, Megan et toi, vous étiez d'aussi bonnes amies ! tu devais tout savoir sur ses amants !

Il sait. Et, tandis que j’en prends enfin conscience, ça doit se voir sur mon visage car il approche le sien plus près encore, et je sens son haleine rance sur moi quand il ajoute :

– Allez, Rachel. Dis-moi tout.

Je secoue la tête et sa main part brusquement sur le côté, et va frapper la bouteille de bière devant moi. Elle tombe, roule jusqu’au bord de la table et explose sur le carrelage.

– Tu ne l’as jamais vue de ta vie ! hurle-t-il. Tout ce que tu m’as raconté, c’était des mensonges.

La tête rentrée dans les épaules, je me lève en marmonnant :

– Je suis désolée, je suis désolée.

Je tente de faire le tour de la table pour reprendre mon sac à main, mon téléphone, mais il m’agrippe à nouveau le bras.

– Pourquoi tu as fait ça ? Qu’est-ce qui t’a poussée à faire ça ? C’est quoi, ton problème ?

Il me regarde, ses yeux braqués sur les miens, et je suis terrifiée mais, en même temps, je sais que ses questions sont justifiées. Je lui dois une explication. Alors je n’essaie pas d’enlever mon bras, je laisse ses doigts s’enfoncer dans ma chair, et je m’efforce de parler clairement et calmement. Je me retiens de pleurer. Je tâche de ne pas paniquer.

– Je voulais que tu saches, pour Kamal. Je les ai vus ensemble, comme je te l’ai dit, mais tu ne m’aurais pas prise au sérieux si je n’avais été qu’une fille dans le train. J’avais besoin…

– Besoin ?

Il me lâche et se détourne.

– Tu dis que tu avais besoin…

Sa voix s’est adoucie, il se calme peu à peu. Je respire profondément pour ralentir les battements de mon cœur.

– Je voulais t’aider, je reprends. La police soupçonne toujours le mari, et je voulais que tu saches… que tu saches qu’il y avait quelqu’un d’autre…

– Alors tu as inventé une histoire comme quoi tu connaissais ma femme ? Tu te rends compte que c’est dingue, ton truc ?

– Oui.

Je vais dans la cuisine prendre un torchon sur le plan de travail, puis je me penche pour nettoyer la bière renversée. Scott s’assoit, les coudes posés sur les genoux, la tête baissée.

– Ce n’était pas la femme que je pensais connaître, dit-il. Je n’ai pas la moindre idée de qui elle était.

J’essore le torchon au-dessus de l’évier et je laisse couler de l’eau froide sur mes mains. Mon sac à main n’est pas bien loin, au coin de la pièce. Je fais un mouvement vers lui, mais Scott lève les yeux et je m’immobilise. Je reste là, dos au plan de travail dont j’agrippe le bord. J’ai besoin de sa stabilité. De réconfort.

– C’est l’inspectrice Riley qui me l’a dit, reprend-il. Elle me posait des questions sur toi. Elle voulait savoir si on avait une liaison.

Il rit.

– Une liaison ! Et puis quoi encore. Je lui ai répondu : « Vous avez vu à quoi ressemblait ma femme ? Qui tomberait si bas aussi vite ? »

Mon visage me brûle, et de la sueur froide s’accumule sous mes aisselles et en bas de mon dos.

– Apparemment, Anna s’est plainte. Elle t’a vue traîner dans les parages. C’est comme ça qu’ils ont su. Je leur ai dit : « Ce n’est pas une liaison, c’est une amie de Megan, elle m’aide… »

Il rit à nouveau, doucement, un rire sans joie.

– Et elle m’a dit : « Elle ne connaît pas Megan. Ce n’est qu’une minable petite menteuse, une femme qui n’a pas de vie. »

Son sourire s’est évanoui.

– Vous n’êtes que des menteuses. Toutes autant que vous êtes.

Mon téléphone émet un bip. Je fais un pas vers mon sac à main, mais Scott me devance et l’attrape.

– Une minute, on n’en a pas encore fini.

Il vide le contenu de mon sac sur la table : téléphone, portefeuille, clés, rouge à lèvres, tampon, reçus de carte bancaire.

– Je veux savoir précisément sur quoi tu m’as raconté des conneries.

Il prend mon portable pour examiner l’écran, puis lève les yeux vers moi, l’air glacial. Il lit à voix haute :

– « Ceci est un message de confirmation de votre rendez-vous avec le Dr Abdic, lundi dix-neuf août à seize heures trente. Si vous ne pouvez pas vous présenter à ce rendez-vous, merci de nous en avertir au plus tard vingt-quatre heures à l’avance. »

– Scott…

– Mais qu’est-ce que c’est que ça ? demande-t-il d’une voix éraillée, à peine audible. Qu’est-ce que tu as fait ? Qu’est-ce que tu lui as raconté ?

– Je n’ai rien raconté du tout…

Il laisse tomber le téléphone sur la table et fonce sur moi, les poings serrés. Je recule jusqu’à un coin de la pièce et je me tasse entre le mur et la porte vitrée.

– Je voulais découvrir… Je voulais t’aider.

Il lève une main et je me recroqueville, la tête rentrée dans les épaules ; j’attends qu’arrive la douleur et, à ce moment, je sais que j’ai déjà fait cela auparavant, que j’ai déjà ressenti tout cela, mais je ne me souviens pas quand, et je n’ai pas le temps d’y réfléchir parce que, même s’il ne m’a pas frappée, il m’a mis ses mains sur les épaules et il m’agrippe fort, ses pouces appuient sur ma poitrine et j’ai tellement mal que je pousse un cri.

– Tout ce temps, dit-il, les dents serrées, pendant tout ce temps j’ai cru que tu étais de mon côté, alors que tu travaillais contre moi. Tu lui as donné des informations, c’est ça ? Tu lui as raconté des trucs sur moi, sur Megs. C’était toi qui voulais que la police s’en prenne à moi. C’était toi…

– Non, je t’en prie, non. C’est faux. Je voulais t’aider !

Sa main droite remonte jusqu’à ma nuque, il attrape mes cheveux et tire.

– Scott, je t’en prie, non, s’il te plaît. Tu me fais mal. Je t’en prie.

Il me traîne vers la porte d’entrée. Une vague de soulagement m’envahit. Il va me jeter dehors. Dieu merci.

Sauf qu’il ne me jette pas dehors, il continue de me traîner derrière lui en me crachant des insultes. Il m’emmène à l’étage et j’essaie de résister, mais il est trop fort et je n’y arrive pas. Je pleure.

– Je t’en prie, non, je t’en prie !

Je sais qu’il va m’arriver quelque chose de terrible, je veux hurler, mais impossible, ça ne vient pas.

Je suis aveuglée par les larmes et la terreur. Il me pousse violemment dans une pièce et claque la porte derrière moi. J’entends la clé tourner dans la serrure. Une bile tiède remonte dans ma gorge et je vomis sur la moquette. J’attends, j’écoute. Il ne se passe rien, et personne ne vient.

Je suis dans la chambre d’amis. Dans ma maison, c’était le bureau de Tom – maintenant, c’est la chambre du bébé, la pièce avec les rideaux rose pâle. Ici, c’est un cagibi rempli de paperasse et de dossiers, avec un tapis de course pliable et un vieil ordinateur Apple. Il y a un carton plein de papiers recouverts de chiffres – de la comptabilité, peut-être pour l’entreprise de Scott – et un autre avec des piles de cartes postales vierges, avec des restes de Patafix au dos, comme si elles avaient été affichées sur un mur : les toits de Paris, des enfants qui font du skateboard dans une petite rue, des traverses de chemin de fer recouvertes de mousse, une vue sur la mer depuis l’intérieur d’une grotte. Je me plonge dans l’examen des cartes postales – je ne sais pas pourquoi, ni ce que je cherche, j’essaie simplement de ne pas me laisser envahir par la panique. J’essaie de ne pas penser au reportage montrant le corps de Megan qu’on extirpait de la boue. J’essaie de ne pas penser à ses blessures, à la frayeur qu’elle a dû ressentir quand elle a compris ce qui allait lui arriver. Je fouille dans le carton et, soudain, quelque chose me mord le doigt et je bascule en arrière, sur mes talons, avec un petit cri. J’ai une coupure bien nette au bout de mon index et du sang coule sur mon jean. J’arrête le saignement avec le bas de mon T-shirt, puis je me remets à fouiller, plus attentivement. Je repère immédiatement le coupable : il y a là une photo dans un cadre cassé, et un morceau de verre manquant tout en haut, où mon sang est étalé.

Je n’ai jamais vu cette photo auparavant. C’est une photo de Megan et Scott ensemble, leurs visages près de l’objectif. Elle rit et il la regarde avec adoration. À moins que ce ne soit de la jalousie ? Le verre est brisé en étoile depuis le coin de l’œil de Scott, alors j’ai du mal à interpréter son expression. Je reste assise par terre avec la photo devant moi et je pense à ces objets qu’on casse régulièrement et que, parfois, on ne trouve pas le temps de réparer. Je pense à toutes les assiettes qui ont été brisées lors de mes disputes avec Tom, à ce trou dans le plâtre du couloir, au premier étage.

Quelque part, derrière la porte, j’entends le rire de Scott, et mon corps entier se glace. Je me relève tant bien que mal pour me précipiter à la fenêtre, je l’ouvre, je me penche à l’extérieur et, mes doigts de pied touchant à peine le sol, j’appelle à l’aide. J’appelle Tom. C’est sans espoir, pathétique. Même si, par chance, il se trouvait dans son jardin, quelques maisons plus loin, il ne m’entendrait pas, c’est trop loin. Je jette un coup d’œil en bas et je suis prise de vertige, alors je rentre, l’estomac retourné, des sanglots dans la gorge.

– S’il te plaît, Scott ! je crie. Je t’en prie…

Je déteste le son de ma voix, son ton enjôleur, désespéré. Mais un coup d’œil à mon T-shirt couvert de sang me rappelle que je ne suis pas encore à court de ressources. Je prends le cadre photo et je le retourne sur la moquette, puis je choisis le plus long des morceaux de verre et je le glisse précautionneusement dans la poche arrière de mon jean.

J’entends alors des pas monter les marches. Je me place dos au mur, le plus loin possible de la porte. La clé tourne dans la serrure.

Scott a mon sac à la main et le lance à mes pieds. Dans l’autre main, il tient un papier.

– Mais c’est madame Columbo ! dit-il avec un sourire.

Il prend une voix efféminée et lit à voix haute :

– Megan « s’est enfuie avec son amant, que j’appellerai A ».

Il a un rire moqueur.

– « A lui a fait du mal… Scott lui a fait du mal… »

Il chiffonne le papier en boule et le jette par terre.

– Bon sang ! t’es vraiment ridicule, tu sais ?

Il examine la pièce, et aperçoit le vomi sur la moquette et le sang sur mon T-shirt.

– Mais putain, qu’est-ce que t’as fabriqué ? Tu veux te foutre en l’air ? Tu vas faire le boulot à ma place ?

Il rit encore.

– Je devrais t’éclater la tête, mais, tu sais quoi, tu ne vaux pas la peine que je me fatigue.

Il s’écarte.

– Fous le camp de chez moi.

Je saisis mon sac et me jette sur la porte, mais, au même moment, il fait mine de s’avancer pour me frapper et, l’espace d’un instant, je crois qu’il va m’arrêter, m’attraper à nouveau. Il doit voir la terreur dans mes yeux car il s’esclaffe, il éclate d’un rire sonore. Je l’entends encore quand je claque la porte d’entrée derrière moi.

Vendredi 16 août 2013

Matin

J’ai à peine fermé l’œil. J’ai bu une bouteille et demie de vin pour tâcher de trouver le sommeil, pour empêcher mes mains de trembler, pour cesser de sursauter au moindre son, mais ça n’a pas vraiment fonctionné. Chaque fois que je commençais à sombrer, je me réveillais brusquement. J’étais certaine qu’il était dans la pièce, avec moi. J’allumais la lumière et je restais assise, à écouter les bruits de la rue, les bruits quotidiens des habitants de l’immeuble. Ce n’est que lorsque la lueur du jour a commencé à paraître que j’ai réussi à me détendre suffisamment pour dormir. J’ai encore rêvé que j’étais dans les bois. Tom était là, mais j’avais quand même peur.

J’ai laissé un petit mot à Tom, hier soir. Quand je suis sortie de chez Scott, j’ai couru jusqu’au numéro vingt-trois et j’ai tambouriné à la porte. J’étais tellement paniquée que ça m’était bien égal qu’Anna soit là, et qu’elle soit énervée de me voir devant chez elle. Personne n’est venu ouvrir, alors j’ai gribouillé quelques phrases sur un bout de papier que j’ai glissé dans la boîte aux lettres. Je m’en fiche qu’elle le voie – je crois même qu’au fond j’ai envie qu’elle le voie. Je suis restée vague : je lui ai dit que j’avais besoin de parler de l’autre jour. Je n’ai pas mentionné Scott, parce que je ne voulais pas que Tom aille le voir pour s’expliquer – Dieu sait ce qui pourrait arriver.

J’ai appelé la police presque à l’instant où je suis rentrée. J’ai d’abord bu deux verres de vin pour me calmer. J’ai demandé à parler au capitaine Gaskill, mais on m’a répondu qu’il n’était pas disponible, et je me suis retrouvée à parler à Riley. Ce n’était pas ce que je voulais. Je sais que Gaskill aurait été plus gentil avec moi.

– Il m’a retenue prisonnière chez lui, ai-je expliqué. Et il m’a menacée.

Elle m’a demandé pendant combien de temps j’avais été « retenue prisonnière ». Même au téléphone, je l’entendais mettre des guillemets autour des mots.

– Je ne sais pas, ai-je dit. Une demi-heure, peut-être.

Il y a eu un long silence.

– Et il vous a menacée. Pouvez-vous me dire la nature exacte de ces menaces ?

– Il a dit qu’il m’éclaterait la tête. Il a dit… il a dit qu’il devrait m’éclater la tête.

– Qu’il devrait vous éclater la tête ?

– Il a dit que c’était ce qu’il ferait mais que ça le fatiguait.

Un silence. Puis :

– Est-ce qu’il vous a frappée ? Est-ce que vous êtes blessée ?

– Des bleus. Juste des bleus.

– Il vous a frappée ?

– Non, il m’a agrippée.

Nouveau silence. Puis :

– Madame Watson, pourquoi étiez-vous chez Scott Hipwell ?

– Il m’a demandé de venir le voir. Il a dit qu’il avait besoin de me parler.

Elle a poussé un long soupir.

– Nous vous avons avertie de rester en dehors de tout cela. Vous lui avez menti, vous lui avez raconté que vous étiez une amie de sa femme, vous lui avez raconté tout un tas d’histoires, et… laissez-moi finir. Et il s’agit de quelqu'un qui, au mieux, subit en ce moment une énorme pression et est terriblement secoué. Au mieux. Au pire, il pourrait s’avérer dangereux.

– Il EST dangereux, c’est ce que je suis en train de vous dire, bordel !

– Vous ne rendez service à personne, en allant là-bas, en lui mentant et en le provoquant. Nous sommes au milieu d’une enquête pour meurtre, nous. Il serait temps que vous le compreniez. Vous mettez nos progrès en péril, vous risquez…

– Quels progrès ? l’ai-je sèchement interrompue. Vous ne faites pas le moindre progrès. Il a tué sa femme, je vous le dis. J’ai trouvé un cadre, une photo d’eux deux, brisée. C’est un homme enragé, instable…

– Oui, nous avons pris connaissance de cette photo. Toute la maison a déjà été fouillée. Je n’appellerais pas ça une preuve formelle.

– Alors vous ne comptez pas l’arrêter ?

Une nouvelle fois, elle a poussé un long soupir.

– Venez au poste demain faire une déposition. Nous nous chargerons du reste. Et… madame Watson ? Ne vous approchez plus de Scott Hipwell.

Cathy est rentrée et m’a trouvée en train de boire. Elle n’était pas contente. Qu’est-ce que j’aurais pu lui dire ? Je ne pouvais pas lui expliquer. Je me suis contentée de dire que j’étais désolée et je suis montée dans ma chambre, comme une adolescente qui s’enferme pour bouder. Puis je suis restée éveillée, à essayer de dormir, à attendre un appel de Tom. Un appel qui n’est pas venu.

Je me lève de bonne heure, je regarde mon téléphone (pas d’appels manqués), je me lave les cheveux et je m’habille pour mon entretien, les mains tremblantes, des nœuds dans l’estomac. Je dois partir tôt pour passer d’abord au poste de police faire ma déposition. Je ne m’attends pas à ce que ça change quoi que ce soit. Ils ne m’ont jamais prise au sérieux, ce n’est pas maintenant qu’ils vont commencer. Je me demande ce qu’il leur faudrait pour qu’ils arrêtent de me voir comme une affabulatrice.

Sur le chemin de la gare, je n’arrête pas de jeter des coups d’œil par-dessus mon épaule ; le hurlement soudain d’une sirène de police me fait littéralement bondir de frayeur. Une fois sur le quai, je marche aussi près que possible du grillage, les doigts glissant le long des fils de fer entrelacés, au cas où je devrais subitement m’y agripper. Je me rends bien compte que c’est ridicule, mais je me sens affreusement vulnérable maintenant que j’ai aperçu l’homme qu’il est ; maintenant qu’il n’y a plus de secrets entre nous.

Après-midi

Je n’ai plus qu’à mettre toute cette affaire derrière moi. Pendant tout ce temps, j’ai cru qu’il y avait quelque chose à retrouver dans mes souvenirs, quelque chose qui manquait. Mais non. Je n’ai rien vu d’important, je n’ai rien fait de terrible. Je me trouvais simplement dans la même rue. Je le sais, désormais, grâce à l’homme aux cheveux roux. Et pourtant, j’ai toujours l’impression de rater un élément.

Ni Gaskill ni Riley n’étaient au poste de police ; j’ai fait ma déposition devant un officier blasé en uniforme. Elle va être classée et oubliée, j’imagine, à moins qu’on ne retrouve mon cadavre dans un fossé quelque part, un jour. Mon entretien avait lieu à l’opposé de là où habite Scott, mais j’ai quand même pris un taxi pour m’y rendre depuis le commissariat. Je ne veux prendre aucun risque. Tout s’est bien passé : le travail en lui-même est en dessous de mes capacités, mais, après tout, je semble moi-même en dessous de mes capacités depuis un an ou deux. Il faut que je revoie mes exigences à la baisse. Le plus gros inconvénient (en dehors de la paie merdique et de l’indignité du travail en lui-même), ce sera d’être obligée de venir à Witney chaque jour, d’arpenter ces rues en courant le risque de tomber sur Scott, ou Anna et son bébé.

Parce que, dans ce coin, on dirait que ça m’arrive tous les jours, de tomber sur les gens. C’est une des choses qui me plaisaient ici : la sensation de vivre dans un petit village accolé à Londres. On ne connaît peut-être pas tout le monde, mais chaque visage nous est familier.

Je suis presque à la gare, je passe devant le pub lorsque je sens une main sur mon bras. En me retournant brusquement, je glisse sur le trottoir et je me retrouve sur la route.

– Ouh là ! pardon. Je suis désolé.

C’est encore lui, l’homme aux cheveux roux, une pinte à la main, l’autre levée pour plaider l’innocence.

– Tu es un peu nerveuse, non ? ajoute-t-il avec un sourire.

Je dois avoir l’air vraiment effrayé, parce que son sourire s’évanouit.

– Ça va ? Je ne voulais pas te faire peur.

Il me dit qu’il a débauché tôt, et il me propose de prendre un verre avec lui. Je commence par refuser, puis je change d’avis.

– Je te dois des excuses, dis-je quand Andy (c'est son prénom) m’apporte un gin tonic. Pour la manière dont je me suis comportée dans le train, la dernière fois je veux dire. Je passais une sale journée.

– Pas de souci, répond Andy.

Il a un sourire décontracté, calme. Il ne doit pas en être à sa première pinte. Nous sommes assis face à face dans l’arrière-cour du pub ; je me sens plus en sécurité que côté rue. C’est peut-être ce sentiment qui me pousse à tenter ma chance.

– J’aurais voulu te parler de ce qui s’est passé le soir où on s’est rencontrés, dis-je. Le soir où Meg… le soir où cette femme a disparu.

– Oh. D’accord. Pourquoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

Je prends une profonde inspiration. Je me sens rougir. Peu importe le nombre de fois où on a dû l’admettre, c’est toujours aussi embarrassant. Ça me fait toujours grimacer.

– J’étais vraiment ivre et je ne me souviens de rien. Il y a des éléments que je voudrais comprendre. Je veux juste savoir si tu as vu quelque chose, si tu m’as vue parler à quelqu’un, ce genre de chose…

Je garde les yeux rivés sur la table, incapable de croiser son regard.

Il me pousse gentiment le pied avec le sien.

– C’est rien, t’as rien fait de mal.

Je lève la tête. Il sourit.

– Moi aussi, j’étais bourré. On a un peu papoté dans le train, je ne me rappelle plus de quoi. Puis on est tous les deux descendus ici, à Witney, et tu ne tenais pas très bien debout. Tu as glissé sur les marches. Tu te souviens ? Je t’ai aidée à te relever et tu étais toute gênée, tu rougissais, comme en ce moment.

Il rit.

– On est sortis ensemble de la gare, et je t’ai proposé de m’accompagner au pub. Mais tu m’as répondu que tu devais aller retrouver ton mari.

– C’est tout ?

– Non. Tu ne te souviens vraiment de rien ? C’était un peu plus tard, je ne sais pas, une demi-heure après, peut-être ? J’étais venu m’installer ici, mais un pote m’a appelé pour me dire qu’il prenait un verre dans un bar de l’autre côté des rails, alors je me suis dirigé vers le passage souterrain. Je t’ai vue, tu étais tombée. Tu étais dans un sale état. Tu t’étais coupée. J’étais un peu inquiet, je t’ai proposé de te ramener chez toi, mais tu ne voulais rien entendre. Tu étais… tu n’allais pas bien du tout. Je crois que tu t’étais disputée avec ton mec. Il était en train de repartir dans la rue, et je t’ai dit que je pouvais aller le chercher si tu voulais, mais tu m’as dit non. Il est parti en voiture un peu après ça. Il était… euh… il n’était pas tout seul.

– Il était avec une femme ?

Il acquiesce et rentre légèrement la tête.

– Ouais, ils sont montés en voiture ensemble. Je me suis dit que ça devait être pour ça que vous vous étiez disputés.

– Et ensuite ?

– Ensuite tu es partie. Tu avais l’air un peu… perdue, je ne sais pas, et tu t’es éloignée. Tu n’arrêtais pas de répéter que tu n’avais pas besoin d’aide. Comme je te l’ai dit, j’étais plutôt éméché, moi aussi, alors j’ai laissé tomber. J’ai pris le passage souterrain et je suis allé retrouver mon pote au bar. C’est tout.

Tandis que je monte les marches qui mènent à l’appartement, je suis certaine de voir des ombres au-dessus de moi, d’entendre des pas. Quelqu’un m’attend sur le prochain palier. Il n’y a personne, bien sûr, et l’appartement est vide, lui aussi. Il semble intact, il sent le vide, mais ça ne m’empêche pas d’aller vérifier chaque pièce – et sous mon lit et sous celui de Cathy –, dans les penderies et dans le placard de la cuisine, qui serait pourtant trop petit pour dissimuler un enfant.

Enfin, après avoir fait trois fois le tour de l’appartement, j’arrête. Je monte au premier, et je vais m’asseoir sur mon lit pour repenser à la conversation que j’ai eue avec Andy, au fait que cela concorde en tous points avec ce dont je me souviens. Il n’y a pas eu de grande révélation : Tom et moi nous sommes disputés dans la rue, j’ai glissé et je me suis blessée, il est parti en colère et est monté en voiture avec Anna. Un peu plus tard, il est ressorti me chercher, mais j’étais déjà partie. J’ai pris un taxi, j’imagine, ou le train.

Je reste assise à regarder par la fenêtre, et je me demande pourquoi je ne me sens pas mieux. Peut-être que c’est simplement parce que je n’ai toujours pas de réponses. Peut-être que c’est parce que, même si ce dont je me souviens concorde avec ce dont les autres se souviennent, j’ai toujours l’impression que quelque chose ne colle pas. Puis cela me frappe : Anna. Non seulement Tom n’a jamais mentionné cet épisode, mais surtout, quand j’ai vu Anna s’éloigner de moi et monter dans la voiture, elle n’avait pas sa fille dans ses bras. Où était Evie à ce moment-là ?

Samedi 17 août 2013

Matin

Il faut que je parle à Tom, que j’arrive à remettre les choses en ordre dans ma tête parce que, plus j’y réfléchis, moins ça a de sens, et je ne peux pas m’empêcher d’y réfléchir. Et de toute façon je suis inquiète, parce que ça fait deux jours que je lui ai laissé le petit mot et il ne m’a toujours pas recontactée. Il n’a pas décroché son téléphone hier soir, et il n’a pas répondu non plus de la journée. Quelque chose ne va pas, et je ne parviens pas à me débarrasser de l’idée que cela a à voir avec Anna.

Je sais qu’il aura envie de me parler, lui aussi, quand il saura ce qui s’est passé avec Scott. Je sais qu’il voudra m’aider. Je n’arrête pas de penser à son attitude ce jour-là, dans sa voiture, à ce que j’ai ressenti entre nous. Alors je décroche le téléphone et je compose encore une fois son numéro, je suis tout émoustillée, comme avant, et l’impatience d’entendre le son de sa voix est aussi vive qu’elle l’était il y a des années.

– Oui ?

– Tom, c’est moi.

– Oui.

Anna est sûrement avec lui, c’est pour ça qu’il ne veut pas prononcer mon prénom. J’attends un moment, pour lui laisser le temps de passer dans une autre pièce, de s’éloigner d’elle. Je l’entends soupirer.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Euh, je voulais te parler… Comme je l’ai écrit dans le mot…

– Hein ? demande-t-il d’un ton irrité.

– Je t’ai laissé un petit mot avant-hier. J’avais besoin de te parler…

– Je n’ai rien reçu.

Un autre soupir, plus profond.

– Et merde. Alors c’est pour ça qu’elle me fait la tronche.

Anna a dû le trouver, et elle ne le lui a pas donné.

– Qu’est-ce que tu me veux ?

J’ai envie de raccrocher, de rappeler et de recommencer depuis le début. De lui dire comme c’était agréable de le voir lundi, quand nous sommes allés dans les bois.

– Je voulais juste te poser une question.

– Quoi ? dit-il encore, l’air vraiment énervé maintenant.

– Est-ce que tout va bien ?

– Qu’est-ce que tu veux, Rachel ?

Envolée, toute la tendresse de l’autre jour. Je me maudis d’avoir laissé ce petit mot : de toute évidence, ça lui a attiré des ennuis à la maison.

– Je voulais te demander, ce soir-là, le soir où Megan Hipwell a disparu…

– Bon Dieu, on en a déjà discuté, tu ne vas pas me dire que tu as encore oublié.

– J’ai…

– Tu étais ivre, dit-il plus fort, la voix dure. Je t’ai dit de rentrer chez toi. Tu ne m’écoutais pas. Tu t’es éloignée. Je t’ai cherchée en voiture un bout de temps, mais je ne t’ai pas retrouvée.


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