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La livrée du crime (Преступная ливрея)
  • Текст добавлен: 26 сентября 2016, 18:16

Текст книги "La livrée du crime (Преступная ливрея)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Et puis, tiens, Jérôme, ce n’est pas la peine que tu poireautes en t’embêtant dans la rue pendant que je vais faire la fête là-haut. Voilà cent sous pour toi, va-t-en m’attendre au Lézard en face, bois à ma santé, je te rejoindrai quand j’aurai fait mon plein.

Fandor, depuis qu’il était en place, s’amusait follement. En Célestin Labourette, il avait trouvé un patron charmant, brave homme, amusant au possible. À la vérité, peut-être Jérôme Fandor bougonnait-il par moments en lui-même lorsqu’il était astreint à des besognes serviles auxquelles il n’était pas habitué, mais certainement aussi il savait profiter des côtés piquants de sa situation et rire de son métier de serviteur bon à tout bon à rien.

Célestin Labourette n’était pas exigeant. Pourvu que les chevaux fussent bien soignés, les chiens promenés, pourvu qu’un coup de balai rappropriât de temps à autre son intérieur, il se déclarait satisfait.

Et Fandor en était à regretter presque de quitter un jour ce patron bienveillant.

Célestin Labourette venait d’entrer au Crocodile. Fandor amusé des cent sous qu’il venait de recevoir à la minute, se conformant aux instructions reçues, allait ranger sa voiture le long du trottoir opposé au Crocodile, près du cabaret du Lézard, une chope mal famée où délibérément, il alla s’installer, commandant un demi de brune, une salade de cervelas, une omelette nature et un de ces gâteaux que Montmartre est seul à fabriquer et qui s’appelle on ne sait pourquoi un « Puits d’amour ».

– Çà, par exemple, pensa le jeune homme, voilà qui est beaucoup plus fort que d’enfermer un rat dans le tuyau d’un cor de chasse. Impossible de s’y tromper, voilà juste en face de moi cet excellent François Bernard en train de noyer son chagrin.

Fandor ne se trompait pas. En effet, c’était bien François Bernard, le terrassier ami de Rita d’Anrémont, qui se trouvait à quelques mètres du jeune homme.

La mimique du malheureux était même à ce point significative, le chagrin du terrassier se lisait si bien sur sa physionomie ouverte que Fandor, malgré lui, se sentait pris de compassion pour le pauvre diable en train d’avaler rasade sur rasade de gros vin rouge :

– Parbleu, songeait Fandor, voilà aussi ce que c’est de fréquenter des femmes chics. Je parie qu’il noie ses peines de cœur.

Fandor qui ne quittait pas des yeux le terrassier, certain que celui-ci ne pouvait le reconnaître, n’ayant jamais eu l’occasion de remarquer le jeune homme, s’amusa bientôt de voir une jeune bouquetière s’avancer vers le brave homme et l’arracher à ses préoccupations en lui glissant sous le nez, dans un geste de gaminerie amicale, un gros bouquet d’œillets.

Et tout de suite Fandor tendit l’oreille :

– Allons, disait la jeune fille, qu’est-ce que vous faites là, François ? savez-vous que je vais me fâcher avec vous si tous les soirs je vous rencontre ainsi occupé à boire. Payez vite et partez retrouver Marie.

Le terrassier grommela quelque chose que Fandor n’entendit pas, mais qui dut attrister la jeune fille :

– Allons donc, continua la bouquetière, ne dites pas cela, François, c’est méchant d’abord, et puis vous ne le pensez pas. Votre femme est la crème des ménagères. Allons, allons, faites-moi plaisir, payez tout cela et rentrez chez vous. Je vais rafraîchir mes fleurs, je veux, quand je reviendrai du lavabo, que vous ne soyez plus ici. C’est promis ?

La bouquetière venait de se retourner, Fandor l’avait reconnue :

– La Guêpe, tiens c’est la Guêpe qui connaît Bernard ? Au fait, ils habitent la même maison.

Mais si Fandor avait tressailli en reconnaissant la Guêpe, la Guêpe peut-être avait, elle aussi, reconnu le journaliste.

François Bernard, de mauvaise grâce et sans doute pour aller continuer à s’enivrer ailleurs, venait de quitter le cabaret du Lézard que déjà la Guêpe revenait du lavabo. Elle s’approcha de Fandor.

– Des jolies fleurs, mon bon monsieur ? Regardez, elles sont toutes fraîches et je ne les vends pas cher.

– Merci mademoiselle, c’est encore trop cher pour moi.

– Mais non, mais non, voyez cette botte de roses, combien croyez-vous que je la vends ?

– Cela vaut bien cinq ou six francs, je suppose ?

La bouquetière éclata de rire :

– Six francs. Eh bien, mon beau jeune homme, vous en avez de bonnes. Mais je ferais fortune à ce prix là. Six francs, tenez, c’est le prix que je vendrais cette botte au Crocodile, mais ici au Lézard, je la laisse à quarante sous. Vous la prenez ?

Fandor sourit à la jolie fille, mais refusa du geste :

– À qui diable voudriez-vous que je l’offre ?

– Bah, vous avez bien une petite amie ?

– Ma foi non.

– Eh bien, pour mettre à votre boutonnière.

– Pour mettre à ma boutonnière, ripostait Fandor, je n’ai tout de même pas besoin d’une botte de roses.

La bouquetière éclata de rire :

– Ça, c’est vrai, faisait-elle, je dis des bêtises. Eh bien, je me mets à l’amende. Pour ma peine, je vous donne cette rose.

La Guêpe avait tendu une fleur superbe à Fandor, elle ajouta :

– Vous croyez au langage des fleurs, hein ?

– Au langage des fleurs ? que voulez-vous dire ?

La bouquetière, preste, légère, sortait déjà du cabaret :

– Effeuillez cette rose et vous le saurez.

– Elle est folle, pensa Fandor.

Le journaliste cependant, tourna et retourna la rose entre les doigts, surpris par les dernières paroles qu’il venait d’entendre.

– Elle me dit d’effeuiller cette rose ? Pourquoi ? on n’effeuille pas une fleur fraîche.

Tout de même Fandor, par curiosité suivit le conseil ; pétale à pétale, il arrachait la fleur, comptant, suivant l’habitude : un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout.

De la rose effeuillée, un mince billet de papier était tombé sur le sol. Ce billet, Fandor l’avait ramassé d’un geste fébrile et maintenant, il lisait, avec des yeux qui clignotaient de stupéfaction, ces mots extraordinaires, évidemment tracés par La Guêpe à son intention :

Vite, allez au Crocodile, votre meilleur ami y court un terrible danger.

– Mon meilleur ami ? bégayait Fandor, c’est Juve. Ah, mon Dieu, que se passe-t-il donc ?

***

– On n’entre pas, mon garçon. Où voulez-vous aller ?

– Je viens chercher mon patron.

– Qu’est-ce que vous lui voulez ? qui est-ce ?

– Ça ne vous regarde pas.

– Comment ça ne me regarde pas ? espèce de malotru. Voulez-vous redescendre dans la rue et plus vite que ça.

Du Lézard au Crocodile, Fandor n’avait fait qu’un bond. Mais voilà, qu’il se heurtait à l’entrée du restaurant, au chasseur galonné qui prétendait défendre l’accès des salons à la piteuse livrée de Jérôme Fandor.

Le journaliste pourtant n’était pas homme à se laisser arrêter ainsi :

– Descendre dans la rue ? riposta-t-il avec un beau sang-froid, vous en avez de bonnes, c’est juste le contraire que je fais et vous allez voir comment.

Souple, rapide, Jérôme Fandor feignit de vouloir passer sur la droite du chasseur, barrant la porte d’entrée, puis, comme l’homme se précipitait de ce côté, il sauta brusquement à gauche, se faufila sous son bras et en dépit de ses clameurs, de ses invectives furieuses, quatre à quatre, il monta l’escalier.

Jérôme Fandor n’alla pas loin. Passant devant le vestiaire, il y jeta un rapide coup d’œil et brusquement aperçut trois personnages dont l’un était un inconnu pour lui et dont les deux autres étaient Juve et Célestin Labourette.

Célestin Labourette, complètement ivre se laissait docilement passer les manches de son paletot par une employée du vestiaire, mais derrière Juve qui refaisait son nœud de cravate, voilà que Fandor apercevait le visage d’un maître d’hôtel, d’un maître d’hôtel qu’il reconnaissait à la minute, qui n’était autre que Bébé. Juve sans se retourner tendait les bras en arrière, attendant que le domestique l’aidât à trouver les emmanchures de sa pelisse. C’était assurément l’instant où Bébé, dont la figure se contractait en un rictus méchant, allait tenter quelque chose.

Fandor, sans hésiter, bousculant tout le monde sur son passage, arriva à ce moment précis, arracha la pelisse des mains du maître d’hôtel et tranquillement aida Juve à s’en revêtir.

Fandor avait agi avec une folle impétuosité. Nul n’avait eu le temps de s’opposer à sa manœuvre, pas plus Célestin Labourette, qui dans l’état de gaieté où il se trouvait ne reconnaissait même pas son cocher, que le maître d’hôtel, que Bébé, surpris, qui laissa échapper un ah stupéfait, pas plus que Juve qui, à cent lieues de songer à Fandor, fouillait maintenant dans sa poche et tendait quarante sous au jeune homme en livrée qui venait de l’aider, et qu’il avait pris, naturellement, pour un employé du Crocodile.

Fandor comprit en une seconde que son intervention n’avait pas été remarquée. Il empocha le pourboire de Juve, sans sourciller, dit « merci monsieur » avec beaucoup de cœur. Puis, soutenant M. Labourette, il entreprit d’aider son patron à descendre l’escalier, où, médusé, le chasseur n’osait plus rien dire.

– Je suis peut-être un imbécile, pensait Fandor, mais je suis bien persuadé qu’en me donnant ces quarante sous, Juve n’a pas fait une folle dépense.

Et, comme Célestin Labourette titubait, Fandor, rappelé au devoir de son état, le houspilla de belle façon :

– Marchez donc droit, monsieur. Sapristi, il y a des dames qui vous regardent.

12 – À LA FOIRE AUX JAMBONS

– Un taxi-auto ? jamais de la vie, Fandor. Un fiacre attelé c’est très suffisant. Il faut faire des économies. D’ailleurs nous ne sommes pas pressés, bien au contraire, car il est de bonne heure et nous avons à causer.

Juve et Fandor, sortant vers huit heures du soir d’un restaurant de la rue Royale, avaient hélé un fiacre qui passait. L’automédon s’arrêta, chargea ses deux clients, mais grommela lorsque Juve lui donna l’adresse :

– Place de la Nation.

Le cocher, fouettant son cheval qui n’en avançait pas plus vite pour cela, haussa les épaules :

– Toujours des courses à faire crever les bêtes, grogna-t-il dans sa barbe.

Puis, ayant abaissé le drapeau de son taximètre, il s’engagea sur les boulevards.

Le policier et le journaliste fumant de gros cigares en personnes qui viennent de bien dîner, n’avaient d’ailleurs prêté aucune attention à ce petit manège du cocher et Fandor, d’un air gouailleur, interrogeait Juve :

– Maintenant que nous sommes seuls, dit-il, sans voisins de table susceptibles d’écouter nos conversations, allez-vous m’expliquer par suite de quel hasard extraordinaire vous avez pu dîner avec moi ce soir, par suite aussi de quel phénomène vous consentez à m’accompagner à la foire aux jambons ? Nous allons avoir l’air de deux étudiants en goguette.

–De deux étudiants, sourit Juve, toi, peut-être, Fandor, mais moi, un vieux bonhomme de mon espèce…

– Ça va bien, ça va bien, Juve, c’est à peine si la quarantaine a sonné pour vous, vous êtes vigoureux, robuste comme un homme de trente ans.

– Flatteur.

– Juve, n’essayez pas de détourner la conversation, ma parole je n’en crois pas mes yeux. Vous n’avez ni menottes aux poignets, ni entraves aux pieds, ni chaîne autour des reins, vous êtes donc libre ?

– Qu’est-ce que cela signifie, Fandor ? je ne sors pas de prison, que je sache.

– Oh, c’est tout comme. Voilà près d’une semaine que vous êtes sinon en prison, car votre retraite est volontaire, mais du moins cloîtré comme un moine en tête à tête avec ce mystérieux Américain que vous êtes allé chercher au Havre. Méditez-vous quelque conspiration tous les deux ? Ou préparez-vous une descente en Amérique ?

– Hum, pas exactement. Nous ne vivons pas cloîtrés. Bien au contraire, mon cher Fandor, je sors très fréquemment avec mon ami Back, je fais la noce, je bois des alcools.

Fandor poursuivait d’une voix interrogative :

– Vous allez dans les boîtes de nuit à Montmartre.

– Pas pour mon plaisir, je t’assure, mais Back tient à épuiser toutes les ressources de la Ville-Lumière. Je ne le quitte pas d’une semelle.

– Ce soir vous avez pu vous en débarrasser ? Mais pendant votre absence, vous n’avez pas peur qu’il disparaisse ? Ne va-t-on pas vous l’enlever ?

– Non, déclara Juve, et d’ailleurs, peu m’importe. Désormais, je sais ce que je voulais savoir.

– Ah, racontez-moi çà ?

– Ma foi, dit Juve, je veux bien.

Le policier dit alors au journaliste les circonstances étranges dans lesquelles il avait été amené à faire au Havre la connaissance de l’Américain Backefelder ; il lui avouait les soupçons qu’il avait nourri.

– En somme, vous vous surveilliez l’un et l’autre, vous étiez comme ce gendarme qui, en présence d’un malfaiteur, répond à son chef, lequel lui ordonne d’amener le bandit : – Je ne demande pas mieux, chef, mais le prisonnier ne veut pas me lâcher.

– C’est à peu près cela. À l’heure actuelle je suis rassuré et convaincu de l’innocence de Backefelder. Jour pour jour, heure pour heure, comme il l’avait annoncé, le million qu’il faisait venir d’Amérique est arrivé et demain matin, Backefelder rembourse la somme totale à la banque Marquet-Monnier.

– Donc cet homme est innocent, il a réellement été soulagé d’un million à bord de La Touraine ?

– C’est mon opinion.

– Et ce tiers inconnu, qui est-ce ?

– Fandor, poser la question, ce n’est pas la résoudre. Je n’ai pas encore effectué des recherches bien précises. Je vais m’employer à découvrir le coupable.

– Moi, dit Fandor, j’ai une idée.

– Laquelle ?

– Oh, c’est bien simple. Le vol dont a été victime votre Américain me fait l’effet d’être un vol audacieux, téméraire même et très habilement effectué. Je ne vous parlerai pas de… Car si j’ai la conviction que notre effroyable ennemi est toujours pour quelque chose dans les mystères qui nous entourent, je crois qu’il doit faire agir, dans bien des cas, plus qu’il n’agit.

– Mais alors ?

– Alors ce vol aurait été commis par un complice.

– D’accord, mais lequel ?

– Bébé. Ce n’est pas que j’en sois certain, mais j’en ai comme un pressentiment. Par le plus grand des hasards, dernièrement, j’ai aperçu Bébé. Ce délicieux cherchait une situation sociale, une place de domestique. À ma grande surprise, je l’ai vu exhiber des certificat et une lettre de la Compagnie Transatlantique assurait que l’individu en question, dont je n’ai pas pu voir le nom véritable, avait été employé en qualité de steward à bord de La Touraine. Or, n’est-ce pas sur ce navire que se trouvait votre Backefelder ?

– Au fait, quel bureau de placement ?

– L’agence Thorin.

– Toujours. Et que faisais-tu là-dedans ?

– Rien ou pas grand chose. Tenez, Juve, j’étais venu là pour engager une petite bonne.

– Ta femme de ménage ne te suffit pas ? Pour le temps que tu passes dans ton appartement.

– Ce n’était pas pour moi que j’allais l’engager.

– Et pour qui donc ?

– Il s’agissait de rendre service à une jolie personne de mes amies.

– Hum. Qu’es-tu devenu tout ces temps derniers ? Je n’ai pas eu de tes nouvelles, deviendrais-tu paresseux ?

– Vous en avez de bonnes, Juve. Je vous conseille de parler, vous qui perdez votre temps à fumer des cigares en tête à tête avec un Américain et qui, lorsque vous n’êtes pas enfermé dans son appartement, allez avec lui dans des endroits interlopes au risque de vous faire reconnaître.

– Il ne s’agit pas de ça. Crois-tu, Fandor, que nous allons faire des rencontres intéressantes ?

– J’en suis persuadé. Ma police personnelle m’a fait savoir que la bande de Belleville va venir ici dépenser le reste de l’argent qui lui est si mystérieusement parvenu.

– Qu’est-ce que tu comptes faire ?

– Juve, s’écria-t-il, je compte m’amuser. Les chevaux de bois, les montagnes russes, la femme tatouée et les veaux à deux têtes.

– Tu veux rire ?

Mais le policier s’arrêta net, mettant la main sur l’épaule du journaliste :

– Regarde donc, lui souffla-t-il à l’oreille, l’homme qui passe là.

***

– Hé, la patronne, combien les pains d’épice ?

– Deux sous au choix, l’inscription en supplément. Faites écrire le nom de votre maîtresse, de votre femme, de vos enfants.

Un grand gaillard planté avisant un pain d’épice en forme de poule, déclarait :

– Écrivez-moi quelque chose là-dessus.

– Quoi c’est qu’il faut vous inscrire ?

– Écrivez-moi : La Guêpe. En deux mots.

La marchande saisit une sorte de burette remplie de sucre en pâte et, avec adresse, dessina sur le pain d’épice les lettres demandées.

– C’est encore un sou pour les inscriptions spéciales.

L’homme fouilla sa poche, paya, lorsque soudain derrière lui une grosse voix retentit qui commandait à la marchande foraine :

– Pour moi ce sera une autre poule et la même inscription que monsieur.

Le grand individu, premier client, se retourna brusquement, considéra le nouveau venu :

– Œil-de-Bœuf.

– Bec-de-Gaz.

– Ah, s’écria Œil-de-Bœuf, car c’était lui, en effet, qui venait de surgir inopinément derrière son inséparable ami, ah, je t’y prends, Bec-de-Gaz, à faire du sentiment et à te préparer des douceurs en sucre tout en pensant à la Guêpe. Je croyais pourtant qu’t’en avait fini d’être piqué pour cet oiseau rare.

– Plus souvent, grommela Bec-de-Gaz, que je renonce à la Guêpe, Tu serais trop content de me sauter dessus.

– Faudra pourtant bien, déclara Œil-de-Bœuf énergiquement, que ça finisse un jour eu l’autre. On est de trop.

– C’est bien mon avis, on est de trop.

– Reste à savoir qui doit se débiner ?

– M’est avis que c’est toi.

– À moins qu’il ne s’agisse de toi.

Les deux hommes s’étaient éloignés, chacun d’eux tenant précautionneusement à la main sa poule en pain d’épice sur laquelle le sucre séché avait écrit en belles lettres de ronde le nom de l’aimée.

Ils marchèrent silencieusement quelques instants l’un à côté de l’autre, puis lentement Bec-de-Gaz posa sa main osseuse sur l’épaule d’Œil-de-Bœuf :

– Mon pauvre vieux, fit-il, au fond ça me fait de la peine de songer que ta peau ne vaut pas cher en ce moment, car j’ai comme une idée que ce soir on va en finir et je suis décidé à te crever comme un chien.

– Mon pauvre Bec-de-Gaz, fit-il, tu n’as pas de prudence pour deux sous, quand je pense que ta dernière heure est peut-être venue et que tu n’as encore ni fait ton testament, ni commandé ton cercueil.

– Ah, Œil-de-Bœuf.

– Ah, Bec-de-Gaz.

Quelques instants plus tard, ils trinquaient le plus amicalement du monde en face d’une bouteille de rouge.

***

Juve et Fandor allaient et venaient au milieu de la foule, se glissant inaperçus, s’arrêtant à la parade de chaque baraque, mais en réalité s’inquiétant beaucoup moins des facéties débitées par les forains que de la composition de l’assistance.

Un peu à l’écart, un couple sombre se disputait. Une femme au visage tragique disait :

– Ne fais pas le méchant, viens avec moi voir le musée anatomique, je te paie l’entrée.

En dépit de cette supplication l’homme auquel elle s’adressait, un colosse aux robustes épaules secoua la tête :

– Rien à faire pour le musée anatomique, c’est des trucs qui me dégoûtent, décidément, il n’y a pas comme toi pour avoir des idées gaies, je ne marche pas, vas-y si tu veux, tu viendras me rejoindre. D’abord il y a Mort-Subite qui m’attend pour prendre un verre. Débine Fleur-de-Rogue, va-t’en voir tes saloperies.

– Eh bien, n’en parlons plus, fit-elle. Après tout, ça m’est bien égal de voir ou de ne pas voir les baraques de la foire, ce que je veux, c’est rester avec toi.

– Ça c’est sûr, tu colles comme de la glu.

– Le Bedeau, ne me parle pas comme ça. Si c’est que tu veux me balancer, eh bien, dis-le franchement.

– C’est pas que je sois rassasié de toi, malgré tout, je sens bien que tu me tiens encore, mais je veux t’arracher de ma peau, car pour tout te dire, je ne suis pas tranquille avec toi, j’ai le taf.

– Le taf ?

– Oui, le taf, répéta durement le Bedeau, rapport à ce que je suis ton homme, ton amant, et que tous ceux que tu as eus avant moi, ça leur a porté malheur. Rappelle-toi Jean-Marie, Ribonard, crevés tous les deux.

– Mais ça n’est pas de ma faute.

– Possible, tout de même tu portes la guigne. Ça ne durera pas longtemps, Fleur-de-Rogue, j’aime autant te le dire.

Soudain, de derrière une ménagerie surgirent deux petits vieux aux allures comiques : Bouzille et la mère Toulouche. Le chemineau s’était endimanché pour la circonstance, et il avait parfaitement l’allure d’un bon paysan de la banlieue venu avec sa bourgeoise faire la fête dans les faubourgs de la grande ville. Car la mère Toulouche, affublée, elle, d’une robe de soie noire qui craquait aux entournures et coiffée d’un chapeau à fleurs dont les brides à l’ancienne se nouaient sous son triple menton, ressemblait vraiment à une ménagère respectable.

Bouzille, en bon badaud, s’intéressait aux parades, écarquillait les yeux lorsque arriva une dame vêtue d’une robe scintillante. Elle riait aux éclats lorsque le clown recevait des coups de pied dans le derrière ou que le singe savant tournait la manivelle d’un orgue de Barbarie.

– Ah c’est rien farce, criait Bouzille qui ne marchandait pas son admiration.

Mais la mère Toulouche avait son idée :

– Comprends donc ce que je te dis, Bouzille, toi qui n’as pas de casier, tu devrais demander l’autorisation de monter une affaire comme ça dans les foires. Moi, je tiendrais la caisse, toi, tu ferais le boniment. Sûr que la combine serait bonne.

– Possible, mais je ne la ferai pas avec toi, la mère Toulouche.

– Pourquoi donc ?

– Tiens, parbleu, parce qu’avec toi je serais sûrement de la revue, tu me roulerais.

– Si on peut dire.

– Et comment que tu me rouleras ! Je te connais, je me connais, c’est fait d’avance.

Il était déjà dix heures du soir et Juve et Fandor, dissimulés dans la foule, avaient à peu près repéré tout leur monde.

– Venez Juve, dit Fandor, je viens d’apercevoir deux femmes qui nous intéressent de façon toute particulière. C’est Chonchon et puis Adèle. Vous savez bien, la femme de chambre.

– Je sais, fit Juve, celle qui depuis l’affaire de la Villa Saïd fréquente les établissements de nuit.

– Si elles sont là, continua Fandor, j’imagine qu’un certain Bébé dont elles sont également éprises l’une et l’autre ne doit pas être bien loin.

– Dans ce cas, continua Juve, suis-les. Moi, j’ai autre chose à faire.

Le policier, d’un geste imperceptible, désignait une ombre qui passait solitaire, non point au milieu de la foule bruyante et épaisse, mais dans la petite allée obscure que les forains réservent entre le derrière de leurs baraques et la ligne de leurs roulottes :

– J’étais fort ennuyé tout à l’heure de l’avoir perdu de vue, désormais, je ne le quitte pas d’un pouce.

– Mais c’est Bernard le terrassier.

– En effet.

– C’est inutile de vous acharner contre lui, cet homme-là est innocent, il n’a jamais rien fait.

– Possible, dit Juve, mais il fera quelque chose. Quoi ? je n’en sais rien, et c’est ce que je saurai, mais ce quelque chose qu’il médite, je l’empêcherai de le réaliser. Va de ton côté, Fandor, moi du mien.

Le journaliste haussa les épaules. Fandor savait que lorsque Juve avait une idée dans la tête, il lui était impossible de l’en faire démordre.

– À bientôt, déclara-t-il, en s’élançant dans la foule à la poursuite des deux amoureuses de Bébé.

Juve n’avait même pas attendu l’adieu de Fandor pour se glisser sur les traces de Bernard.

Le policier vit le terrassier rejoindre à la station du métro Marie Bernard avec les trois aînés de ses enfants. Juve fut dépité.

– Ils vont rentrer chez eux tranquillement, se dit-il, Fandor avait peut-être raison.

Mais soudain, le policier tressaillit d’aise :

– Oh, oh, murmura-t-il, j’ai peut-être bien fait de rester là. Que se passe-t-il ?

Bernard, après avoir longuement fouillé dans sa poche, remit une pièce blanche à sa femme, embrassa distraitement ses enfants, puis, tandis que la marmaille et la mère de famille descendaient l’escalier du métro, Bernard, tournant les talons, s’engagea au milieu de la chaussée large et déserte et chemina la tête basse, l’air préoccupé. Bernard s’écartait de la foule, de la fête et quelques instants après, il tournait à droite dans une ruelle qui s’orientait dans la direction des fortifications, avec Juve sur les talons.

Une demi-heure plus tard, toujours derrière Bernard, Juve sortit du train de ceinture, à la gare de la porte Maillot. Oh, cette fois le cœur lui battait à rompre, car évidemment, ce que Juve attendait depuis si longtemps déjà allait se réaliser. Que venait faire dans ce quartier le mystérieux terrassier ? C’était simple. Non loin de la porte Maillot se trouve la Villa Saïd et dans la Villa Saïd, l’hôtel occupé par Rita d’Anrémont, la rencontre des deux compatriotes, des deux enfants du Limousin allait-elle se produire enfin ? et chez la maîtresse de Sébastien ? Quel était le drame auquel Juve allait sans doute assister, mais qu’il allait en même temps prévenir par sa présence ? Mais Bernard, au lieu de se diriger vers l’avenue Malakoff, s’engageait dans le boulevard Pereire. Le chemin que prenait Bernard n’était autre que celui que Juve aurait suivi s’il s’était agi pour lui d’aller de la gare de la porte Maillot à l’appartement de la rue Bayen, que, depuis quelques jours il occupait avec l’Américain. Mais Juve ne pensait pas qu’il pouvait s’agir d’autre chose que d’une coïncidence et cela dura jusqu’au moment où, parvenu à l’angle du boulevard Pereire et précisément de la rue Bayen, le terrassier s’engagea dans cette dernière rue.

– Oh, oh, fit Juve, par exemple, voilà qui devient extraordinaire.

Mais la surprise du policier devait s’accroître encore. Au bout de quelques instants, Bernard qui n’avait cessé de regarder les numéros des maisons s’arrêtait devant la porte de celle où logeait réellement Juve et Backefelder. Cet arrêt ne dura qu’une seconde. Le terrassier se baissa, glissa quelque chose sous la porte, puis, brusquement se mit à courir et disparaissait à l’angle d’une rue voisine avant même que Juve ait eu le temps de faire le moindre mouvement, car il demeurait interloqué.

Le policier sonna à sa porte. Le concierge au bout de quelques secondes tira le cordon, dès lors Juve pénétra sous la voûte, aperçut le document que quelques instants auparavant le terrassier avait glissé sous la porte de l’immeuble.

Juve alluma sa lampe électrique : C’était une lettre à son adresse, à son nom. On avait écrit sur l’enveloppe, d’une écriture penchée, régulière, d’une écriture de femme :

« Monsieur Juve. Très pressé. »

Juve déplia et lut :

Méfiez-vous. Ne quittez pas Backefelder un instant sans quoi les pires malheurs s’abattront sur vous.

Juve éprouva un coup violent au cœur. Depuis six heures du soir n’avait-il pas quitté Backefelder ? Son émotion s’accroissait encore du fait que la mystérieuse recommandation était signée : Lady Beltham.


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