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La livrée du crime (Преступная ливрея)
  • Текст добавлен: 26 сентября 2016, 18:16

Текст книги "La livrée du crime (Преступная ливрея)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Alors, poursuivit ce dernier, en s’adressant au chauffeur, faites vite, il faut que nous allions au Havre le plus tôt possible.

Cependant que le mécanicien mettait son moteur en route, M. Marquet-Monnier murmurait à l’oreille de Juve :

– Je vous en prie, monsieur, faites l’impossible pour que les journaux ne racontent pas, comme ils ne l’ont que trop fait, les aventures de mon malheureux frère. Le silence, l’oubli, voilà ce que nous voulons, Mme Marquet-Monnier et moi. À ce propos j’ai oublié de vous remercier, monsieur Juve, de votre intervention au sujet du scandale de l’Œuvre des Loyers. La Presse n’a-t-elle pas enflé cette affaire dans laquelle nous avons à déplorer si malheureusement l’inconcevable conduite de Mme Gauthier ? Avez-vous des nouvelles de cette personne ? Sait-on ce qu’elle est devenue ?

– On ne sait rien, monsieur, absolument rien.

L’automobile démarra.

– Monsieur Juve, cria encore Marquet-Monnier en saluant de la main le policier, je vous recommande mon frère, je vous en supplie veillez sur lui. Je serai de retour après-demain.

***

Juve, à la fin de l’après-midi, était rentré chez lui. Le policier commençait à goûter les charmes du repos, il s’était dévêtu et s’étirait sur le canapé pour y lire les journaux, lorsque son domestique lui apporta une dépêche. Juve déchira le pointillé et lut :

« Vous supplie venir urgence me rejoindre au Havre au sujet affaire excessivement grave et totalement incompréhensible, suis descendu Grand-Hôtel »

C’était signé : Nathaniel Marquet-Monnier.

– Çà, par exemple, murmura Juve, jamais de la vie. Cet homme-là ne m’inspire pas assez de sympathie pour que je me dérange. Et puis d’ailleurs, il pourrait s’expliquer.

Juve s’étendit à nouveau sur son canapé. Mais il faut croire que le policier n’avait pas exprimé sa pensée définitive puisque, quelques secondes plus tard, il sonnait son valet de chambre.

– L’indicateur ? demanda-t-il.

À neuf heures, Juve montait dans le rapide du Havre.

9 – LE TRENTE-SIXIÈME MÉTIER

Rue Bonaparte, dans l’escalier conduisant à l’appartement que Juve occupait depuis des années et où maintes et maintes fois s’étaient déroulées des scènes tragiques, Jérôme Fandor demeura stupide, l’air furieux.

Il était à peu près sept heures du matin et le journaliste avait vainement carillonné à la porte de son ami.

Jérôme Fandor était furieux :

– Où diable peut-il être ? murmurait-il, voilà maintenant que Juve découche sans prévenir. Eh bien, je lui ferai compliment de ses mœurs, à mon vieil ami. Ah, il peut s’attendre à une chanson pas ordinaire.

Fandor avait monté l’escalier de la rue Bonaparte en sifflotant un air guerrier qu’il trouvait du plus bel effet :

– Juve va faire des gaffes, se disait le journaliste, si je ne le préviens pas. Si je ne lui raconte pas en détail tout ce que je viens d’entendre, il est évident qu’un jour ou l’autre il va mettre les pieds dans le plat et arrêter Rita. Or, Rita et François Bernard sont innocents.

– Où le pêcher ? se redemandait Fandor. Un homme du genre de Juve doit être chez lui ou nulle part. Or, comme il n’est pas chez lui, il n’est nulle part. C’est vraiment bien commode pour le découvrir.

En fin de compte, Fandor quitta la place. Or ce jour-là, c’était le printemps. Lassée d’avoir fait rage, la tempête s’était calmée. Les bourrasques avaient balayé le ciel devenu d’un bleu prometteur. Le soleil brillait, l’air était parfumé, tout invitait à la promenade, tout était joli ce matin-là.

– J’en aurai le coeur net, murmura Fandor, puisque Juve est en vadrouille, puisqu’il ne peut pas enquêter ce matin, c’est moi qui enquêterai à sa place.

Jérôme Fandor longea les quais, traversa le pont des Saints-Pères, gagna les Tuileries et, parvenu rue de Rivoli, s’engouffra dans le métropolitain.

Le journaliste, quelques instants plus tard, se trouvait à la Porte-Maillot, gagnait les grilles, entrait dans Neuilly. Une fois à Neuilly, d’ailleurs, Jérôme Fandor, en bon parisien qu’il était, semblait complètement perdu. Il connaissait les moindres rues de la capitale, son métier d’informateur l’avait conduit depuis des années dans les quartiers les plus excentriques. En revanche il ignorait, ou presque, Neuilly.

Neuilly est une ville calme, une paisible retraite adoptée par les bons bourgeois riches qui n’ont jamais d’affaires et qui ne sont jamais touchés par l’actualité. Ils y coulent des jours tranquilles sans souci de ce qui se passe à quelques mètres d’eux, dans la Ville Lumière.

– Par où passer ? se demandait le journaliste. Dans ce patelin-là, toutes les avenues se ressemblent, on n’y rencontre que des curés et des vieilles femmes.

Et pourtant non. Jérôme Fandor s’était rappelé soudain l’affaire qui avait bouleversé sa vie et celle de Juve, le mystère dont les péripéties s’étaient précisément déroulées à Neuilly et où n’étaient pas mêlés des personnages de curés ou de vieilles femmes, mais bien de terribles héros : Fantômas et Lady Beltham.

– Parbleu, songeait Jérôme Fandor, évoquant en une seconde la terrible aventure qui avait déterminé sa première poursuite contre Fantômas, parbleu, c’était, si je ne m’abuse, boulevard Inkermann, que cela se passait et près du boulevard Inkermann se trouve la rue Perronet où je vais aujourd’hui.

– Zut et zut, se dit Jérôme Fandor, s’étant repris, ce n’est pas de Fantômas que je m’occupe mais d’une affaire plus que banale : le vitriolage d’un excellent jeune homme qui a eu le tort d’engager à la légère une domestique inconnue.

Dans la pensée du jeune homme les choses s’enchaînaient de façon très simple :

– Cette Adèle, se disait Jérôme Fandor, on ne sait après tout ni qui elle est, ni d’où elle vient. Il y avait vingt-quatre heures qu’elle était placée chez Rita d’Anrémont lorsque le cambriolage a eu lieu. Pourquoi ne pas imaginer que cette bonne est, comme le sont tant d’autres, une simple indicatrice à la solde d’une bande d’apaches, qui, renseignée par elle, vient dévaliser les patrons chez qui la bonne se place provisoirement.

Et Fandor compliquait les choses comme à plaisir. Il voyait à merveille comment l’organisation matérielle du cambriolage avait pu être faite : Adèle s’était trouvée sortie au moment où le drame se déroulait ? Mais bien entendu : elle était sortie ostensiblement, d’abord, pour se créer un alibi susceptible de tromper la police, ensuite pour avoir l’occasion de laisser une porte ouverte par où pourraient s’introduire ses complices. Puis les apaches s’étaient introduits dans l’hôtel, avaient cambriolé tout à leur aise les pièces du premier étage. À l’arrivée de Sébastien, surpris par sa venue, ils l’avaient vitriolé, cependant qu’un guetteur, un veilleur quelconque, s’emparait dans l’escalier de Rita, l’assommait à moitié, allait la jeter dans la cave afin de retarder les débuts de l’enquête sans toutefois engager les graves complications d’un véritable assassinat.

Et c’était pour retrouver Adèle que Jérôme Fandor se rendait à Neuilly, rue Perronet où, il le savait par Juve, dans un ancien couvent désaffecté après la loi de séparation, dans une énorme bâtisse qu’entourait un grand jardin et qu’un liquidateur négligeant ou voleur louait pour une bouchée de pain, le bureau de placement Thorin s’était installé. C’était ce bureau de placement qui avait indiqué Adèle à Rita d’Anrémont, c’était à ce bureau de placement qu’il fallait, évidemment, aller enquêter sur la jeune femme de chambre.

Jérôme Fandor fut favorablement impressionné par le Bureau de Placement.

– Hé, hé, songea le jeune homme, ce ne sont pas les femmes de ménage à huit sous de l’heure qu’on doit venir engager ici. Ce sont plutôt les domestiques de haute volée, les ventres-blancs de grandes maisons, larbins, cochers, chauffeurs, valets, femmes de chambre, bonnes d’enfants, cordons bleus, gouvernantes, ah sapristi, qu’on a donc du mal à se faire servir.

Jérôme Fandor cependant, l’air dégagé, les mains dans les poches, regardant à droite et à gauche, avec la curiosité naturelle d’un jeune homme célibataire, qui n’a de sa vie mis les pieds dans un bureau de placement, traversa le parc, se dirigea vers le couvent proprement dit où l’on accédait par un perron. Il allait en gravir les degrés, lorsqu’une femme d’une trentaine d’années, correctement habillée de noir, les cheveux bien tirés sur le front, portant un petit tablier à bavette où se devinait un mouchoir brodé, apparut à quelque distance d’une autre porte de la maison.

Jérôme Fandor qui ne savait trop où il fallait s’adresser, s’arrêta. La femme, voix criarde, l’interpella :

– Qu’est-ce que vous désirez ?

– Je viens pour une place. C’est bien le bureau Thorin, ici.

– C’est bien le bureau Thorin, mon ami. Venez par ici.

– Mon ami, grommela Fandor, nous n’avons jamais tressé des chaussons de lisière ensemble, elle exagère, la belle enfant.

– Pourrais-je parler à Mme la directrice ?

– Mme la directrice ? Vous y allez bien, vous, tout de suite, comme ça, en arrivant ? Vous croyez peut-être qu’elle est à vos ordres. Allons, entrez. Jetez-moi votre cigarette, on ne fume pas ici. Allons, dépêchez-vous. Vous verrez la directrice, je pense, d’ici une heure, vous n’aviez qu’à arriver plus tôt si vous êtes pressé.

– On va bien voir, songeait le journaliste, et je n’en mourrai pas pour dix minutes d’une erreur peu flatteuse. En tout cas, j’y gagne d’être pendant quelques instants témoin de la façon dont les domestiques sont traités ici, ce qui n’est peut-être pas inutile pour mon enquête, et puis l’aventure vaut d’être vécue.

Il suivit le couloir, long, tortueux qui devait courir derrière d’immenses salons, pour rejoindre une série de petites pièces situées sur le derrière du bâtiment.

Jérôme Fandor aperçut une première porte, puis une autre, puis d’autres encore.

– Qu’est-ce que vous voulez, vous ?

Jérôme Fandor n’eut même pas à répondre.

– Qu’est-ce que vous savez faire ? cocher ? valet de chambre ? chauffeur ? Tenez-vous donc correctement, mon garçon, enlevez vos mains de vos poches.

– Ma foi, madame, je ne suis pas valet de chambre, je sais un peu conduire les chevaux, je suis capable à la rigueur de tenir un volant et…

– Vous ne savez rien faire, en somme ?

« C’est à peu près cela », pensa Fandor.

La sous-directrice poursuivit d’un ton tranquille :

– Cela vaut dans les quarante-cinq francs par mois. Allons, entrez là.

Jérôme Fandor avait de plus en plus envie de rire. Il n’eut guère le temps de réfléchir, toutefois. La porte ouverte, il aperçut une grande salle, assez propre, divisée dans toute sa longueur par trois grandes banquettes de bois sur lesquelles étaient assis une trentaine d’hommes à face glabre, menton fuyant, l’air de s’ennuyer à mourir.

– Entrez, répéta la sous-directrice. Asseyez-vous.

Fandor entra, avisa la banquette qui se trouvait le plus près de lui. Il s’apprêtait à y prendre place, quand on le tira par la manche :

– Pas celle-là, voyons. Vous ne savez donc rien de rien, mon ami. Dans tous les bureaux de placement, c’est pourtant la même chose, de droite à gauche, les banquettes sont disposées suivant le mérite des domestiques. Au fond avec les débutants.

Après de longs quarts d’heures d’attente et de discussions autour de lui, la sous-directrice lui fit signe, enfin :

– Vous, là-bas, venez.

Jérôme Fandor se leva, accourut :

La sous-directrice l’entraîna dans le petit couloir, le fit entrer dans une sorte de bureau sévère et froid que meublaient une table, deux chaises et un lustre à gaz :

– Votre nom ?

– Je m’appelle Jérôme.

– Jérôme quoi ? Tâchez donc d’être moins gourde, mon garçon.

– Jérôme rien, je suis un enfant trouvé, je n’ai pas de nom de famille.

– Il fallait le dire tout de suite. Vous ne valez pas plus de quarante francs.

– Si ça continue, pensait le journaliste, si j’énumère d’autres qualités, bien sûr que je ne vaudrai plus que dix francs puis cent sous par mois, encore heureux si je ne dois pas payer mes maîtres.

– En somme, vous vous appelez Jérôme, vous êtes bon à rien et bon à tout, ni valet de chambre ni cocher, ni chauffeur et un peu tout cela.

– Oui, madame.

– Vous êtes propre ?

– Je suis très propre.

– Faites voir vos mains ?

Jérôme Fandor les tendit :

– Bon ça va. Vous avez même les mains soignées, mon ami. Si vous aviez quelque capacité, ce serait excellent, mais dans la place où je vais vous envoyer…

– Vous avez une place pour moi, madame ?

– D’abord, ordonna-t-elle, habituez-vous à parler correctement. On dit : « Madame a une place pour moi ? »

– Madame a une place pour moi ?

– Oui peut-être. Ce serait une place de confiance, chez un brave homme, un vieux client, d’ailleurs Mme la directrice va vous en parler. Venez.

Derrière la sous-directrice, tenant son chapeau à la main, feignant de marcher avec précaution, en homme qui n’ose point faire du bruit, mais en réalité étouffant un fou rire mal réprimé, tirant la langue par gaminerie, Jérôme Fandor arriva dans le bureau directorial.

C’était une pièce assez richement meublée. Un tapis couvrait le sol, les meubles de velours rouge et d’acajou étaient cossus, un feu de bois pétillait dans la cheminée, des gravures en couleurs étaient pendues au mur dans des cadres de bois doré, cependant qu’un agenda volumineux fixé à la muraille était raturé d’inscriptions au crayon bleu.

Jérôme Fandor, du premier coup d’œil, inspectait la pièce, dévisageait les deux personnes qui s’y trouvaient déjà.

L’une était une vieille femme, Mme Thorin, directrice de l’agence de placement. Elle avait grand air, portait une chevelure blanche, frisée en longs bandeaux, un costume très simple que rehaussait un col d’une impeccable blancheur, comme en ont les nurses anglaises.

En face d’elle, carré sur un large fauteuil, d’où son ventre débordait, un gros homme à la figure rouge et poupine, l’air très bon enfant. Il avait une énorme main, velue aux ongles taillés courts, aux doigts chargés d’énormes chevalières en or massif et incrustées de diamants. Il paraissait jovial et de bonne humeur :

– Entrez, mon garçon, ordonna la directrice… Monsieur Labourette, voici le jeune homme dont je vous parlais, dont vous parlait madame. C’est un honnête garçon que nous connaissons depuis très longtemps. Je suis persuadée qu’il fera votre affaire. Il accepterait les gages que vous offrez, quarante francs, nourri, logé, couché et blanchi.

M. Labourette, cependant que Fandor songeait que Mme Thorin avait un beau toupet d’affirmer qu’elle le connaissait depuis longtemps, examinait le journaliste avec des yeux clignotants de maquignon cherchant la tare d’un cheval de belle apparence.

– Hé, hé, déclara le gros homme, il n’est pas mal, ce coco-là. Et alors, comme ça, vous voulez entrer à mon service ?

– Ce serait pour quelle besogne, monsieur ? demanda-t-il.

Célestin Labourette leva les bras au ciel d’un air désespéré :

– Pour quelle besogne ? Ah bien, dame un peu pour tout à la fois. Moi, mon ami, je n’ai pas besoin d’un larbin rasé qui m’intimide et qui me regarde du haut de sa grandeur. Je suis riche, pas fier pour deux sous, bon copain, et les ceusses qui travaillent avec moi, si ils ne boudent pas à l’ouvrage, ne sont pas malheureux. Tout de même, voilà ce que vous aurez à faire. Ah, d’abord, voilà mon nom, Célestin Labourette, marchand de cochons. Oui, c’est pas un métier de la haute, mais c’est un bon métier. On y gagne des sous qui ne doivent rien à personne. Marchand de cochons, Célestin Labourette, rappelez-vous ça. Et vous ? comment vous appelez-vous ?

– Jérôme.

– Jérôme ? Ça me va. C’est un nom qui se retient, ça me va tout à fait. Donc, voilà ce que vous aurez à faire. D’abord, soigner mes bidets. J’en ai deux que j’attelle à un tilbury, ensuite, promener mes chiens, ça, j’en ai quatre, gentils tout plein. Enfin, mettre mon vin en bouteilles et puis balayer de temps en temps, en haut et en bas. J’habite aux Lilas, une petite maison. Ah, je vous demanderai aussi de me prêter la main pour bêcher le jardinet. C’est pas grand, c’est pas dur. Ah, et puis encore, de venir avec moi aux abattoirs. Ça, ça ne sera pas embêtant pour vous, mon garçon. Quand on va à la Villette, on en revient toujours avec du vent dans les voiles : c’est un copain qui offre un verre, faut le rendre, il vous refait la politesse, on lui refait de même, et puis on est tous comme ça, quoi, pas fier, bon copain, des sous dans le porte-monnaie, gueulard un peu. Ça vous va-t-il ?

Jérôme Fandor hésitait de moins en moins. D’abord, son futur patron l’intéressait, l’amusait, ce devait être un type et un bon type, ce gros marchand de cochons. Et puis il y avait autre chose qui intriguait Jérôme Fandor, c’était le visage renfrogné de Mme Thorin…

La directrice du bureau de placement semblait fort peu goûter l’exubérante gaieté, la jovialité bonhomme du marchand de cochons. Pourtant, elle fit signe à Jérôme Fandor d’accepter les offres du gros homme. Elle semblait se porter garante de la véracité de ses dires.

Célestin Labourette cependant répétait, se tapant sur les cuisses, tirant de sa poche une poignée de sous qu’il faisait tinter dans sa main :

– Ça vous va-t-il, mon garçon ? Avec moi, faut pas que les choses traînent, et votre tête me revient. Dites oui, dites que ça vous botte et je vous donne tout de suite un petit acompte et je vous emmène bouffer des escargots. Hein ? avec un verre de vin blanc.

Jérôme Fandor ne pouvait résister vraiment à une offre pareille :

– Ma foi, monsieur Célestin Labourette, répétait-il, ça me va. J’aime les chevaux et les clebs, je ne demande pas mieux que d’entrer à votre service.

Célestin Labourette, ravi, tapa sur l’épaule de son nouveau serviteur et l’entraîna dehors.

10 – LE MILLION DISPARU

Le policier, en descendant du train, s’était immédiatement rendu au Grand-Hôtel. Malgré l’heure tardive, M. Marquet-Monnier l’attendait dans l’appartement somptueux retenu depuis le matin même.

Le banquier de la rue Laffitte n’avait plus l’attitude arrogante. M. Marquet-Monnier donnait les signes de la plus grande inquiétude et du plus parfait désarroi. Cet homme si flegmatique, ce col de fer blanc rigide, pondéré, qui jamais ne prononçait une parole plus haute que l’autre, paraissait absolument troublé, désorienté.

Il poussa un long soupir de satisfaction en voyant Juve entrer dans le salon attenant à sa chambre à coucher. Les deux mains tendues, il alla vers lui :

– Merci, monsieur, déclara-t-il, merci de tout cœur d’être venu, vous avez répondu à mon pressant appel et vous ne pouvez imaginer combien je vous en sais gré.

– J’ai répondu à votre appel, en effet, monsieur, mais je vous informe que mes instants sont comptés. Ne perdons pas notre temps, je vous en prie, en congratulations inutiles. Vous connaissez mieux que personne la valeur du temps.

– J’irai droit au but, fit-il, mais comme nous avons à causer quelque temps et que la nuit s’avance, faites-moi le plaisir, monsieur Juve, d’accepter une tasse de café. Je vous assure que nous avons, l’un et l’autre, besoin de toute notre lucidité.

– Soit.

M. Marquet-Monnier prit deux tasses sur un plateau, versa d’une cafetière le liquide fumant qu’il avait fait préparer en attendant le visiteur.

– Un, deux morceaux de sucre ? proposa-t-il.

– Pas de sucre du tout, fit Juve, qui, pour s’occuper, allumait une cigarette, non sans en avoir offert une à M. Marquet-Monnier.

Après un silence de quelques instants, les deux hommes s’installèrent l’un en face de l’autre.

M. Marquet-Monnier commença d’une voix étrange et troublée qui cependant peu à peu s’affermit :

– Vous avez pu vous rendre compte ce matin, monsieur, déclara t-il, de mon empressement à partir pour le Havre. J’avais rendez-vous, en effet, avec un correspondant américain de la Banque Marquet-Monnier et Cie, que je dirige, comme vous le savez, et dont je suis le principal, pour ainsi dire, le seul commanditaire. Ce correspondant d’Amérique, homme d’une honorabilité à toute épreuve et des mieux considérés à la Bourse de Philadelphie, a quitté New York il y a sept jours exactement, à bord du transatlantique La Touraine. Sa venue m’était d’ailleurs annoncée depuis une quinzaine de jours, et mon correspondant, M. Backefelder, codirecteur de la banque des États-Unis, s’annonçait comme apportant avec lui deux millions en billets de banque français qu’il devait verser entre mes mains, ou pour mieux dire entre celles de mon caissier, afin de liquider un compte résultant de diverses opérations effectuées entre sa maison et la mienne et qui se soldaient par la différence des deux millions en question à mon profit. M. Backefelder, par sa dernière lettre, me demandait de venir au Havre prendre possession de la somme, et cela pour deux raisons, disait-il : la première c’est qu’il ne tenait pas à s’aventurer seul sur le parcours du Havre à Paris, où il est rarement venu. M. Backefelder, en effet, connaît mal notre langue. D’autre part, il désirait me verser le plus tôt possible ces deux millions, ne disposant que de très peu de temps par suite de visites officielles qu’il devait effectuer dans notre pays. Jusqu’à présent, la chose est très claire. Mais voici où elle se complique. Le paquebot La Touraine est entré aujourd’hui, exactement à six heures du soir, dans le bassin de l’Eure. Or M. Backefelder ne se trouve pas à bord.

– Ah, c’est peut-être qu’il a manqué le bateau ? qu’il s’est embarqué sur un autre transatlantique ?

– Non, monsieur. Cela n’est pas, et voici pourquoi : non seulement, M. Backefelder figure sur la liste des passagers de La Touraine comme s’étant réellement embarqué à New York, comme occupant effectivement la cabine 11, côté bâbord des premières classes, mais encore, il est certain que M. Backefelder a été vu sur le bateau. Mieux que cela ou pis que cela, il a été victime d’un vol. Il s’en est plaint au capitaine et depuis lors, il a disparu.

– Disparu ? comment cela, en pleine mer ?

– Oui, en pleine mer. Pendant les trois derniers jours du voyage, il est resté introuvable et, de plus, il apparaît certain qu’il n’a pas débarqué au Havre.

– Ah ! fit Juve, la situation se corse un peu. Mais elle a besoin d’être précisée. Savez-vous qu’elle a été l’importance du vol dont M. Backefelder aurait été victime ?

– Ma foi, pas exactement. Je vous avoue, monsieur Juve, que lorsque j’ai appris au débarcadère de La Touraine, qu’on ne savait ce qu’était devenu M. Backefelder, j’ai été tellement troublé que je suis rentré à mon hôtel, espérant qu’il était venu m’y rejoindre.

– M. Backefelder savait-il donc où il pourrait vous rencontrer au Havre ?

– Je l’avais avisé par radiotélégramme que je serais au Grand-Hôtel.

– Et il n’est pas venu ?

– Non.

– Qu’avez-vous fait ensuite ?

– Ensuite, monsieur Juve, je vous ai télégraphié.

– J’imagine, monsieur Marquet-Monnier, demanda-t-il, que depuis six heures du soir, jusqu’à mon arrivée, vous n’êtes pas resté inactif, vous vous êtes renseigné ?

– J’ai essayé de le faire tout au moins. J’ai vu le lieutenant de vaisseau qui commande La Touraine. Cet officier était très pressé de retourner chez lui, dans sa famille, et n’a pu que me raconter ce que je vous ai dit. Toutefois, il m’a conseillé de voir le commissaire du bord.

– L’avez-vous vu ?

– Le commissaire du bord, sitôt que La Touraine accostait le quai, en était descendu ayant, paraît-il, des documents administratifs à transmettre d’urgence au siège de sa Compagnie. Je n’ai pas pu le joindre, mais on m’a promis qu’il serait à bord demain matin dès huit heures et qu’il me recevrait volontiers.

– Bien, si vous voulez, nous irons le voir ensemble. Ce M. Backefelder, le connaissiez-vous particulièrement ?

– Je ne l’ai jamais rencontré, déclara M. Marquet-Monnier, mais voilà déjà une dizaine d’années que ma Banque et la sienne sont en relations d’affaires. Il est un des associés de la maison de Philadelphie et très connu dans les milieux financiers, parfaitement honorable, et j’insiste sur ce point, pour sa grosse fortune. Je vois très bien quelle doit être votre pensée, monsieur Juve, et je vous demanderai d’écarter à priori l’hypothèse que M. Backefelder aurait commis une indélicatesse, un vol.

– Faudrait-il donc envisager l’éventualité d’un crime ?

– Ah, monsieur, Dieu veuille que cela ne soit pas. Nous sommes, dans ma famille, bien durement frappés depuis quelque temps.

Le banquier s’interrompit. Juve, s’étant levé, tendit la main à M. Marquet-Monnier :

– Que comptez-vous faire ? demanda le banquier.

– Je compte aller me coucher, monsieur, il est deux heures du matin et si je ne m’abuse, nous devons être demain dès huit heures précises à La Touraine. Il faut que nous prenions un peu de repos l’un et l’autre, n’est-ce pas votre avis ?

Juve, rapidement dévêtu, n’avait pas plutôt éteint l’électricité qu’il fermait les yeux et s’endormait profondément.

***

– Vous avez une autorisation, messieurs ?

– Voici, mon ami, c’est un laissez-passer pour deux personnes.

Le marin esquissa un salut militaire, puis renseigna les visiteurs :

– Pour les bureaux de M. le commissaire, il faut traverser le pont dans toute sa largeur. Vous trouverez un escalier près du manchon d’air à droite de la première cheminée. Vous descendrez deux étages, vous suivrez le couloir intérieur, quelqu’un vous renseignera lorsque vous en serez là. C’est d’ailleurs tout près.

M. Marquet-Monnier et Juve – car c’étaient les deux hommes auxquels le marin venait de s’adresser – observèrent scrupuleusement les indications qui leur étaient fournies.

Néanmoins, malgré leur attention, ils se seraient assurément perdus dans le dédale de La Touraine, si précisément, un officier aux manches galonnées d’argent n’avait entrebâillé une porte pour appeler un secrétaire.

Et Juve, à ses insignes, avait reconnu qu’il s’agissait du fonctionnaire que, dans la marine de guerre, on désigne sous le nom de « ferblantier ».

– M. le Commissaire ? demanda Juve.

– C’est moi, monsieur, répondit l’officier. À qui ai-je l’honneur de parler ?

Le fonctionnaire se doutait évidemment de la visite qu’il allait recevoir, car lorsque Juve et M. Marquet-Monnier se nommèrent, il n’éprouva aucune surprise, mais, poliment, au contraire, il les invita à pénétrer dans son bureau. Le commissariat administratif de La Touraine était une vaste cabine, confortablement meublée et installée un peu à l’arrière, à l’extrémité du couloir des appartements réservés aux voyageurs de première classe.

– Monsieur le commissaire, dit Juve, j’ai été invité à venir ici par M. Marquet-Monnier qui est fort intrigué par la disparition de son correspondant, M. Backefelder. Il lui a été déclaré hier par M. le commandant du navire que vous seriez à même de nous documenter. Je me permets donc d’insister auprès de vous pour obtenir tous les renseignements possibles.

– Monsieur, répondit le commissaire, je suis à votre entière disposition.

– Monsieur, n’attendez pas de nous des interrogations, dites plutôt ce qui s’est passé.

– Je ne demande pas mieux, monsieur Juve.

Le commissaire alors se leva, alla à une armoire fermée à clef, en tira un gros livre, en feuilleta plusieurs pages. Puis il parla :

– Lorsque j’ai fait transcrire la liste des passagers qui prenaient place, il y a sept jours exactement, à bord de La Touraine, il m’a été donné d’enregistrer la présence à bord de la personne suivante ainsi désignée : « H. W. K. Backefelder, citoyen américain, célibataire, quarante-neuf ans, habitant Philadelphie, 74e Avenue, associé de la Banque Nationale des États-Unis, passager de 1re classe, cabine bâbord n° 11. » C’est bien notre homme, n’est-ce pas ?

– C’est en effet, approuva M. Marquet-Monnier, le M. Backefelder que j’attendais et dont la venue m’avait été annoncée par lui-même.

– Bien. M. Backefelder est monté à bord deux heures avant le départ de La Touraine. Le fait est incontestable. On vous décrira M. Backefelder comme un homme très robuste, sanguin, complètement rasé, à la face ronde, un peu replète, aux yeux vifs, aux cheveux blancs coupés très ras, comme s’ils étaient passés à la tondeuse. M. Backefelder parle français, mais difficilement et avec un fort accent américain. C’est un fumeur acharné, qui a perpétuellement le cigare à la bouche et dont deux doigts de la main droite sont jaunis, brunis même par la nicotine. M. Backefelder est élégant, soigné de sa personne, sa mise est correcte, plus que correcte même, recherchée. On sent en lui non seulement l’homme d’affaires intelligent, arrivé, mais encore l’homme du monde. La cabine occupée par M. Backefelder se trouve, vous ai-je dit, côté bâbord. Mon cabinet est également à bâbord et cette coïncidence fait que, d’une façon générale, je connais mieux les voyageurs de bâbord que les autres. J’ai à plusieurs reprises rencontré M. Backefelder, mais sans avoir le moindre rapport avec lui, jusqu’au jour, jusqu’au soir plutôt, où ce passager est venu vers neuf heures frapper à mon bureau. Nous étions à ce moment à notre cinquième jour de voyage. Il faisait une mer assez dure, mais il n’y avait pas de roulis ou de tangage exagéré, et même les passagers qui n’ont pas le pied marin circulaient sans trop de difficulté dans les diverses parties du navire. Si je vous donne ces détails, c’est que j’estime qu’ils ont leur importance. À peine était-il entré dans mon bureau, que M. Backefelder, très pâle, m’a déclaré :

« – Monsieur le commissaire, je viens d’être victime d’un vol important, on m’a pris dans ma malle pour un million de valeurs en billets de banque français.

« – Un million, m’écriais-je, comme vous y allez ! mais c’est donc une fortune entière que vous transportez ?

« – C’est possible, me répondit Backefelder, toujours est-il que ce million a disparu.

« Je trouvais l’attitude de ce passager au calme imperturbable, si étonnante, si étrange, que je me méfiais aussitôt, et, pour mettre la Compagnie à couvert, j’ai dit à M. Backefelder :

« – Ce malheur qui vous frappe, monsieur, nous ne saurions en être responsables. La somme importante que vous aviez sur vous, si j’en crois votre déclaration, ne nous a été ni annoncée, ni confiée, par conséquent…

« M. Backefelder m’a interrompu d’un geste de la main :

« – Inutile d’insister, monsieur le commissaire, fit-il, je n’ai aucunement l’intention de demander à votre Compagnie le remboursement de l’argent qui m’a été volé. Je viens uniquement vous mettre au courant de ce qui s’est passé et vous demander votre précieux concours pour m’aider à découvrir le voleur.


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