355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Марсель Аллен » La livrée du crime (Преступная ливрея) » Текст книги (страница 10)
La livrée du crime (Преступная ливрея)
  • Текст добавлен: 26 сентября 2016, 18:16

Текст книги "La livrée du crime (Преступная ливрея)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
сообщить о нарушении

Текущая страница: 10 (всего у книги 17 страниц)

13 – LE MORCEAU D’ÉTOFFE

Ce n’était point une maison luxueuse que la maison de la rue Bayen. Juve avait dû frotter une allumette pour lire la lettre extraordinaire que François Bernard avait glissée sous la porte.

Maintenant, il demeurait immobile, le pied sur les premières marches de l’escalier, réfléchissant à l’avertissement qu’il venait de découvrir et se demandant avec une anxiété grandissante s’il n’allait pas trouver chez lui, dans l’appartement qu’il occupait avec Backefelder, un terrible spectacle.

Le policier pourtant, était rappelé au sentiment de la réalité par le bruit que faisaient d’autres locataires rentrant eux aussi dans l’immeuble et carillonnant pour se faire ouvrir la porte d’entrée.

– Allons, murmura le policier, il est inutile de tergiverser avec moi-même, il faut que je monte. Montons.

Mais, tout de même, tandis qu’il gravissait les étages, Juve ne marchait pas avec une grande assurance. Son allumette éteinte, il n’en n’avait pas frotté une autre et pourtant, dans l’obscurité qui l’environnait, il voyait clair, il voyait des choses fantastiques, hallucinantes, des visions d’horreur, des visions de drame, des visions de sang. Lady Beltham ! C’était Lady Beltham, à n’en pas douter, qui avait signé la lettre dont il froissait le papier, dans sa main. Et comment lady Beltham avait-elle pu savoir que Juve habitait momentanément en compagnie de l’Américain H. W. K. Backefelder ? Pourquoi avertissait-elle Juve d’avoir à ne point quitter son compagnon ? Parbleu, si lady Beltham intervenait, si lady Beltham disait à Juve : « Ne quittez pas Backefelder », c’est que lady Beltham savait, ou croyait savoir, que Fantômas projetait quelque chose à l’encontre de l’Américain.

Fantômas. Il serait donc toujours sur sa route ? Chaque fois que Juve s’efforcerait de mettre son habileté ou son audace à la disposition d’un malheureux à protéger, il trouverait Fantômas sur son chemin, véritable génie du mal, triomphant dans ses criminelles tentatives. Et Juve, montant son escalier, se demandait où était Fantômas. Ce qu’il faisait ? ce qu’il méditait ? à l’abri de quel masque insoupçonné, de quelle personnalité inconnue il rêvait encore au Crime qui était en quelque sorte sa raison de vivre ? Juve, d’une main qui tremblait un peu, introduisait sa clef dans la serrure.

– Allons donc, pensait le policier, éprouvant un secret besoin de se mentir à lui-même pour rattraper un peu son sang-froid, je m’exagère les choses, sans doute. Lady Beltham m’a prévenu, à temps sans aucun doute, je ne vais pas quitter Backefelder. Fantômas échouera dans ses projets et même, qui sait, je réussirai peut-être à l’appréhender comme dans une véritable souricière.

La clef tourna, la serrure grinça, la porte s’ouvrit. Juve pénétra non sans un certain sentiment d’angoisse, non sans une appréhension secrète, dans le vestibule de l’appartement. Il referma sa porte, il tendit l’oreille. Rien. Nul bruit suspect. Il fut sur le point de se railler lui-même pour ses craintes exagérées. Juve avança de trois pas dans le vestibule.

– Je suis un sot, pensa-t-il.

Puis, il s’arrêta, il s’immobilisait, les bras en avant, respirant à pleins poumons, et malgré lui, saisi par l’effroi indéfinissable qui se dégage on ne sait pourquoi des lieux familiers emplis d’obscurité et qui vous semblent soudain receler des mystères. Juve était bien trop énervé pour demeurer longtemps dans l’incertitude.

– Bah, tant pis pour lui, pensa-t-il en se figurant M. Backefelder tranquillement endormi dans son lit et reposant la conscience en paix, je m’en vais l’éveiller et il ne pourra pas m’en vouloir.

À haute voix, Juve appela :

– Monsieur Backefelder.

Mais à la voix du policier, aucun écho. Juve en fut surpris, il sursauta, toussa, demeura un instant interdit :

– Ah çà, il a le sommeil bien dur.

Et il appela plus fort :

– Monsieur Backefelder.

Mais ce fut tout aussi vainement et cependant, il avait crié très fort, le plus fort qu’il avait pu.

– Je suis trop loin de sa chambre à coucher, se dit Juve, et c’est évidemment ce qui fait qu’il ne m’entend point ou que sa réponse ne parvient pas jusqu’à moi.

Juve s’efforçant au calme gagnait à tâtons un porte-parapluie où il accrochait son chapeau, sa pelisse, d’un mouvement qu’il voulait lent, et qui, cependant, était saccadé, nerveux, empreint d’une réelle inquiétude.

– Faisons de la lumière, avant tout.

Juve sortit du vestibule, ouvrit une petite porte qui conduisait à la cuisine. Backefelder et lui, vivant au restaurant, n’utilisaient pas la pièce et l’avaient transformée en débarras. Le policier, toujours à tâtons, chercha une lampe, la trouva, frotta une allumette et il éprouva immédiatement un grand réconfort, à voir clair.

– Backefelder ronfle, se dit Juve, je vais aller écouter à sa porte, je l’entendrai dormir bien tranquille, et par conséquent, je serai rassuré.

Au sortir de la cuisine, Juve retraversa le vestibule, et, passant devant la salle à manger, ouvrit la porte pour jeter un coup d’œil à la pièce. Il fut surpris, elle était en désordre. Il n’y avait évidemment rien d’extraordinaire dans le fait que l’on avait pas entièrement retiré le couvert, mais tout de même Juve fut ennuyé de ne point trouver les choses en leur état normal. D’ordinaire, sitôt le dîner achevé, quand par hasard lui ou Backefelder dînait rue Bayen, étant pressés par quelque course, le domestique qu’ils avaient engagé s’empressait à desservir, à donner un coup de balai, à rendre à toutes choses, une apparence d’ordre et de confortable. Ce jour-là, il n’en était pas ainsi. Juve voyait la table encore dressée. Même, dans un coin de la salle à manger une serviette, la serviette de Backefelder évidemment, était tombée, traînait là à l’abandon, ce qui était au moins surprenant. Et Juve de son coup d’œil perspicace notait encore que, sur l’assiette marquant la place où s’était assis l’Américain, demeurait la moitié d’un dessert inachevé. Qu’est-ce que cela voulait dire ?

– Continuons notre visite, se dit le policier.

Quittant la salle à manger, Juve traversa le petit salon où d’ordinaire lui et l’Américain, après dîner, allaient fumer un cigare. La pièce avait été meublée à la hâte, en raison de l’installation provisoire de H. W. K. Backefelder mais, néanmoins, grâce à de bons fauteuils, aux tapis épais, qui couraient devant la cheminée, elle avait un air d’intimité qui rassura immédiatement Juve.

– Ici, aucun désordre, murmura le policier.

Mais, tout en songeant, Juve renifla :

– Tiens, c’est curieux, il n’a donc pas fumé aujourd’hui. Je ne sens aucune odeur de tabac et cependant le parfum du tabac anglais qu’il fume demeure d’ordinaire fort longtemps.

Cela, c’était une toute petite observation, mais elle venait après beaucoup d’autres, elle s’ajoutait automatiquement, en quelque sorte, aux motifs d’effroi que Juve accumulait sans même en avoir conscience depuis qu’il avait pénétré dans l’appartement. Et c’est avec une brusquerie qui n’avait plus rien de prudent, avec une impétuosité qui prouvait à quel degré d’inquiétude il en était arrivé, que Juve abandonna le salon-fumoir pour suivre en courant un petit corridor.

– Ah çà, j’en aurai le cœur net.

Le policier était en moins de rien à la porte de la chambre où devait reposer son compagnon :

– Monsieur Backefelder ? Monsieur Backefelder ?

Par deux fois, il appela encore.

Et le silence persista. Rien ne lui répondit.

Juve colla son oreille au vantail de la porte. Le lit était tout contre, le long de la muraille, il allait sans doute percevoir la respiration du dormeur, s’assurer facilement qu’il était là. Juve ne perçut rien. Il avait eu peur dans le salon, il eut encore plus peur. Ce n’était plus le moment de tergiverser, d’agir avec délicatesse.

Juve empoigna le bouton de la porte, voulut entrer dans la pièce. La porte résista. Elle était fermée.

– Ah çà, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Jamais Backefelder n’a fermé sa porte à clef, que je sache.

Juve se recula, il s’adossa à la porte, les pieds appuyés contre le mur, il fit un violent effort, prêt à faire sauter la porte de ses gonds. Mais la porte était solide. Elle résista. Alors, Juve s’impatienta. Tout à l’heure, l’angoisse l’effleurait seulement et il lui résistait, maintenant elle le tenait, il était en sa possession, il était pris par la peur. Juve, abandonnant le procédé qu’il avait adopté un instant, changea de tactique. En dépit du bruit qu’il causait dans l’immeuble tranquille, à cette heure avancée de la nuit, il entreprit de défoncer à coups d’épaule l’un des panneaux de la porte. Et pendant qu’il se meurtrissait les chairs, Juve, les yeux fermés, ayant posé sa lampe sur le sol à côté de lui, croyait voir Fantômas, lady Beltham, lady Beltham qui connaissait François Bernard puisque c’était par l’intermédiaire du terrassier que Juve avait reçu la lettre de la maîtresse du bandit. Il ne fallut pas longtemps à Juve pour réussir. Doué d’une vigueur exceptionnelle, habile aussi à de pareilles entreprises, Juve, en quelques secondes, défonça le panneau inférieur de la porte. Il pénétra dans la chambre de Backefelder.

– J’arrive trop tard, dit-il, simplement.

Devant le policier, étroitement garrotté, bâillonné, les yeux bandés, ne pouvant bouger même un doigt, se trouvait H. W. K. Backefelder, assis sur une chaise de la salle à manger et si pâle, si blême que, sans réfléchir, Juve le crut mort. Comme tous les hommes d’action, devant l’horreur du fait accompli, Juve demeura paralysé quelques secondes, anéanti, et puis, la réaction se fit en lui, il eut comme une honte de sa propre émotion, il se précipita vers l’Américain.

Et à peine Juve s’était-il approché, avait-il frôlé son compagnon de quelques jours, qu’un cri de joie s’échappait de ses lèvres :

– Mais, il vit, il vit, ah, crédibisèque, il vit !

Avec une précipitation extrême, Juve alors entreprit de déligoter le malheureux étranger. Il enleva le bandeau qui lui voilait la lumière. Et avec un indicible bonheur, il vit le regard de Backefelder étinceler, lumineux, affolé, suppliant surtout.

– Oui, oui, criait Juve, perdant complètement la tête, je me dépêche, vous allez être libre.

Et, tout en parlant, le policier s’arrachait les ongles à vouloir défaire les nœuds compliqués qui maintenaient les cordages, immobilisant Backefelder depuis les pieds jusqu’à la tête, maintenant même son bâillon. Ce n’était malheureusement pas chose facile que de défaire les nœuds compliqués à dessein des cordes tendues avec une rigidité extrême. Juve s’impatientait, s’embrouillait, finit par prendre un canif et par scier autant qu’il le pouvait les liens. Le bâillon tomba d’abord. Juve haleta :

– Que vous est-il arrivé ? Qui est-ce qui vous a mis…

Mais évidemment, Backefelder était encore hors d’état de répondre. Le dernier cordage défait, il se leva pesamment du siège où il venait de vivre de si cruels moments, et, les membres engourdis, titubant, victime d’un étourdissement, il fit quelques pas à travers la pièce sans répondre aux questions que Juve multipliait. Pendant quelques secondes, cette scène se prolongea, puis Backefelder ayant fait deux ou trois grandes aspirations profondes, s’étant étiré, sembla retrouver un peu de calme, de tranquillité d’âme au moins. Alors, avec son flegme parfait, Backefelder se tournant vers Juve qui, maintenant, adossé à la muraille, le regardait avec stupeur, il lui tendit la main, et, d’un ton très tranquille, déclarait :

– Ma foi, monsieur Juve, je vous remercie du service que vous venez de me rendre.

Et il proposa :

– Si nous allions fumer un cigare ?

***

Dix minutes plus tard, Juve obtenait enfin du flegmatique compagnon qu’il s’était donné des renseignements sur sa nuit.

– Par pitié, dit Juve, énervé de voir Backefelder tranquillement installé dans un fauteuil du salon-fumoir tirer de larges bouffées d’un excellent havane, par pitié, que vous est-il arrivé ?

– Des choses bien extraordinaires, monsieur Juve, et d’abord, je vous apprends ceci : à peine étiez-vous parti que j’ai reçu la visite d’un envoyé du Comptoir d’Escompte. On m’a remis le million que j’avais demandé d’urgence en Amérique.

– Et alors ?

– Oh alors, en vérité, cela était extrêmement fâcheux. Le million est arrivé, et il est reparti.

– On vous a volé ?

– Oui, lui et l’autre.

– Comment, lui et l’autre ?

– Le million qui me restait. Cela était très simple. Sur le bateau qui me menait en France, je vous l’ai dit, j’avais deux millions. On m’en a pris un. Bon. Et on me laisse l’autre. Je demande un nouveau million en Amérique, pour remplacer le million disparu. Ce soir, le million nouveau est arrivé. Bon. On le prend, en prenant le premier aussi. Mon coffre-fort est fracturé.

Déjà Juve n’était plus dans la pièce. Comme un fou, il s’était jeté hors du salon, il courait à la chambre de l’Américain. La cassette d’acier, comme l’avait dit Backefelder, avait été fracturée à l’aide l’instruments perfectionnés évidemment. On avait réussi à faire sauter le couvercle et maintenant elle était vide. Les millions étaient envolés. Juve, une seconde, devant le coffret, demeura immobile, furieux.

Ah, il le comprenait. Tout cela n’était pas l’effet d’un hasard. Tout cela découlait d’une volonté nette, sûre d’elle. Si Backefelder n’avait été d’abord, sur le bateau, dépouillé que d’un million sur deux, c’était évidemment que l’auteur du larcin avait merveilleusement prévu les intentions de l’Américain. Il avait supposé que Backefelder remplacerait le million volé.

La ruse était bonne. Au million déjà volé sur le transatlantique, le voleur ajoutait le million dédaigné par lui sur le bateau et aussi le million envoyé d’Amérique. Jamais deux sans trois.

Juve, toutefois, le premier moment de stupeur passé, se sentit repris d’une folle curiosité. Comment tout cela était-il arrivé ? Le policier, abandonnant la chambre du vol, retourna auprès de l’Américain. Traversant la pièce, il aperçut, tombé contre le mur, une sorte de petit chiffon noir. C’était peu de chose et cependant Juve tressaillit à voir ce morceau d’étoffe. Il se baissa, il le ramassa, il le déploya et des gouttes de sueur lui perlèrent au front. Cette loque était une cagoule, une cagoule noire, la cagoule de…

Puis, le policier s’était ressaisi, il avait rejoint Backefelder, toujours flegmatiquement occupé à fumer dans le petit salon, et maintenant il le pressait de questions.

– Allô, vous étiez très difficile à contenter, monsieur Juve, disait l’Américain, vous vouliez savoir tout, et vous questionnez tout le temps. Cela était impossible pour moi de vous répondre.

– Parlez donc, monsieur Backefelder, dites-moi ce qui vous est arrivé.

– Je parle. Donc, j’étais en train de dîner. Tout seul et tranquillement. Je venais de recevoir le million envoyé et de le placer dans la cassette, sous mon lit. Je dînais avec un appétit raisonnable et une rapidité grande, parce que je pensais me coucher de bonne heure. J’étais au moment où je mangeais une banane.

– Oui, alors ?

– Alors le domestique, Joseph, a passé derrière moi, et puis il m’a attaché :

– C’est lui qui vous a attaché ?

– Bien fait, je vous assure. Tout de suite, il m’a mis une serviette sur la bouche. Et puis j’avais les bras liés, les jambes aussi à ma chaise. Je ne pouvais plus rien dire, rien faire.

– Assurément, répondait-il. Mais après, nom d’un chien ? que s’est-il passé ?

– Il ne s’était pas passé d’abord grand’chose. Le domestique Joseph, après m’avoir attaché, il s’est versé un grand verre de vin et il l’a bu, tranquillement. J’ai entendu qu’il ouvrait la porte et qu’il y avait un quelqu’un qui entrait.

– Qui ?

– Pas si vite. Le quelqu’un qui entrait, je l’ai vu sans le voir. Un homme grand, beau, bien fait, un bon boxeur s’il voulait. Mais sans doute il ne veut pas. Un grand vêtement noir, et puis sur le visage il avait un masque, une sorte de grand masque d’étoffe noire.

– Une cagoule.

– Oui c’était Fantômas, ce était lui tout juste. Je l’ai entendu plusieurs fois appeler par Joseph.

– Et qu’est-ce qu’il a dit ? qu’est-ce qu’il a fait ?

– Il a dit d’abord en entrant dans la salle : « Joseph, ce n’est pas la peine de le tuer, il est trop bête pour mériter la mort. Attachons-le, ce sera suffisant. »

– Mais vous étiez déjà attaché ?

– Sans doute. Mais beaucoup moins parfaitement bien. Le Fantômas il avait des cordes et une grande habileté, il m’a attaché lui-même et je ne pouvais plus ni bouger, ni voir.

– Et alors ?

– Et alors, le Fantômas il a dit : « Emporte-le dans sa chambre, cela retardera toujours un peu l’enquête de cet animal de Juve. « Alors, ils ont levé ma chaise, ils l’ont emportée dans la chambre. J’ai entendu qu’ils fouillaient dans la cassette et puis ils sont partis, après avoir fermé la porte à clef. Oh, je m’embêtais beaucoup fort, monsieur Juve, quand vous êtes rentré. J’entendais bien que vous m’appeliez, mais je ne pouvais pas répondre, et puis je me disais : Il va se coucher dans son lit, et moi qui voudrais bien me coucher dans le mien. Et je me disais aussi : Bien sûr que M. Juve il ne va pas avoir l’idée de venir me retrouver. J’étais très satisfait quand vous avez enfoncé la porte.

Juve n’écoutait plus. Dans son esprit, un lent travail se faisait. Et d’abord comment Fantômas avait-il pu avoir l’audace de revenir voler à deux reprises, Backefelder ? Car c’était lui certainement qui l’avait déjà volé à bord du transatlantique, lui ou un de ses complices. Quel rapport pouvait-il y avoir encore une fois entre lady Beltham et le terrassier François Bernard, ce terrassier qui déjà se trouvait mêlé de si intime manière au vol et à la tentative d’assassinat de la Villa Saïd, ce terrassier qui était sans doute, le complice de Rita d’Anrémont ? Juve réfléchissait, mais ne trouvait rien. Tout lui semblait décousu. Que deviner ? Que comprendre ? Où s’efforcer de découvrir Fantômas ?

Backefelder cependant, s’était levé, il avait fini son cigare, il souriait à Juve. Le policier demanda :

– Qu’allez-vous faire maintenant ? Comprenez-vous quelque chose à ce qui se passe ?

– Je comprends que je étais très fatigué. Je vais commencer par me coucher et par dormir jusqu’à demain.

– Bon, mais demain ?

– Demain ? Oh cette fois c’est bien simple, je dirai au commissaire que je porte plainte, et qu’il faut que l’on arrête Fantômas.

14 – L’AVEUGLE ET LE TERRASSIER

– Allons, murmura Juve en s’installant de son mieux sur le balcon qu’il venait d’escalader, je crois que j’arrive au bon moment.

Le policier écarquilla les yeux, se pencha vers la fenêtre dont les persiennes à jour lui permettaient de voir l’intérieur de la pièce brillamment éclairée. Depuis plusieurs jours déjà, le policier s’était, avec un acharnement et un entêtement dignes du plus pur des Bretons, attaché à la filature du terrassier Bernard. Depuis que Juve avait découvert les relations de cet ouvrier avec la demi-mondaine, il était convaincu que tôt ou tard ils finiraient pas se rejoindre à nouveau et que de leur rencontre résulterait presque à coup sûr un drame qui éclairerait définitivement la mystérieuse affaire de la Villa Saïd.

Or, vers dix heures du soir, alors que Juve commençait à désespérer, un bruit de pas hésitants et lourds qui retentissaient dans le silence de la nuit l’avait fait tressaillir. Depuis une heure environ, Juve s’attendait à quelque chose : il avait remarqué que Rita d’Anrémont avait éloigné ses domestiques. Donc, que la demi-mondaine voulait rester seule chez elle, seule avec l’aveugle. Pourquoi ? Bernard venait d’entrer. Les deux « enfants du Lioran » allaient s’expliquer en tête à tête, mais qu’allaient-ils se dire ?

Pour le savoir, Juve s’était agrippé à la vigne vierge, avait escaladé, gagné le balcon du premier étage, s’était installé sur le balcon où s’ouvrait la fenêtre du cabinet de toilette de Rita d’Anrémont, véritable boudoir d’ailleurs, d’un luxe compliqué, délicat, incroyable et que des multitudes de lampes électriques inondaient d’une lumière aveuglante, mais adroitement tamisée cependant, par des verres dépolis. L’œil collé à la persienne, Juve, sans être vu – car du dehors son corps se confondait avec l’ombre environnant la villa, – était aux premières loges. Juve arrivait au moment précis où la scène commençait. Rita d’Anrémont qui, sans doute, avait été au-devant de l’ouvrier, rentrait précisément dans son boudoir et François Bernard venait derrière elle.

Rita d’Anrémont paraissait dans le scintillement de ces lumières douces, rajeunie de quinze ans. Lui, demeurait sur le seuil immobile, tenant du bout des doigts, son chapeau de feutre mou. Il était vêtu d’un complet à carreaux, il avait autour du cou un col proprement repassé, très bas, trop bas peut-être pour quelqu’un qui aurait voulu viser à l’élégance, et sur lequel d’ailleurs remontait une cravate suffisamment assujettie. On devinait, rien qu’à le voir, l’ouvrier endimanché, l’être qui n’a pas l’habitude de la tenue bourgeoise. Et de fait, François Bernard avait une allure piteuse, dans ses vêtements raides et mal faits à sa taille, alors que lorsqu’il portait le bourgeron bleu, le large pantalon à côtes et la ceinture rouge entourant sa taille, il avait une allure martiale en quelque sorte. François Bernard n’avait assurément pas l’habitude d’assister à des spectacles aussi suggestifs. Lorsqu’il était témoin du coucher de sa femme, l’excellente Marie Bernard, lorsque la marmaille tapageuse laissait la mère de famille aller prendre un peu de repos, le déshabillé de la digne épouse ne ressemblait en rien à celui de la capiteuse personne aujourd’hui sous ses yeux. Sans doute,

François Bernard avait bien lu dans les livres des histoires extraordinaires sur les dames élégantes et leur façon de se vêtir, mais c’est à peine s’il osait se souvenir que cette prestigieuse personne, Rita d’Anrémont, n’était autre que Julia Person, sa payse, la fille d’un homme comme lui, et qu’il était épris d’elle et qu’elle lui avait dit être amoureuse de lui.

Bernard parlait bas, d’une voix sifflante et saccadée. Mais, à travers la fenêtre et par delà les persiennes, le son de ses paroles vibrait suffisamment pour que Juve n’en perdît rien. Le policier anxieux de savoir ce qui allait se passer, prêt à surgir, à écarter d’un geste brusque le volet simplement poussé, à briser la fenêtre d’un coup de poing et à pénétrer dans la pièce si sa présence était nécessaire, écoutait toujours. Aux exclamations admiratives de Bernard, alors qu’il exprimait tout son amour, tout son désir, Rita d’Anrémont s’était retournée :

– Ce que je veux, murmura-t-elle, la voix mauvaise, le regard trouble, c’est en finir. Écoute-moi Bernard.

La demi-mondaine saisit par le bras l’ouvrier, elle l’attira contre elle et lui fit sentir la chaleur de ses lèvres, puis lui dit :

– Nous avons déjà bien commencé, il faut continuer, faire mieux encore. Écoute Bernard, tu sais que je t’aime et que si je reste avec lui, c’est uniquement parce qu’il est riche.

– Ah, me parle pas de ton amant.

– Écoute, je t’ai dit que je restais avec lui parce qu’il est riche, et que j’ai besoin d’argent, de beaucoup d’argent. Comme toutes les femmes. Comme tout le monde. Mais je vais te dire une chose, Bernard.

– Quoi donc ?

– Sébastien a une fortune personnelle immense à laquelle je ne puis toucher, mais je sais qu’il a fait un testament en ma faveur. Par conséquent, s’il meurt… As-tu compris ?

– Non.

– Comment, non ? s’écria Rita interdite.

– Je n’ai pas compris. Je ne veux pas comprendre.

La demi-mondaine leva les yeux au ciel. Elle murmura :

– Tu ne m’aimes donc pas, Bernard. Je ne suis donc plus capable de te plaire ?

En disant ces mots, elle se laissait tomber sur l’épaule de l’ouvrier et ses cheveux frôlaient la lèvre, la joue, l’oreille du terrassier. De ses bras vigoureux, il serra la demi-mondaine sur son cœur, l’étreignant à l’écraser :

– Moi ne plus t’aimer. Julie Person, souviens-toi de ce que nous avons déjà fait.

Mais la demi-mondaine ne voulait évidemment pas que le terrassier fît un retour sur lui-même. Elle lui mit la main sur les lèvres pour l’empêcher de poursuivre, et elle changea de ton :

– Déjà je t’ai défendu de m’appeler Julie Person. Je m’appelle Rita d’Anrémont.

– J’aime t’appeler Julie. Ce n’est pas comme ça qu’il t’appelle l’autre, quand il te serre dans ses bras.

– Aucune importance, cria la demi-mondaine. D’ailleurs si c’est pour faire l’imbécile et le sentimental que tu es venu ici, inutile de rester plus longtemps. Je t’ai dit ce que je voulais pour assurer notre bonheur. C’est sa mort à lui, à l’autre, comme tu dis. Si tu as quelque chose dans le ventre, si tu n’as pas froid aux yeux, Bernard, prouve-le. Choisis. Moi, je suis la récompense.

Elle s’offrait à lui, mais brusquement, Bernard sursauta. Il venait d’entendre du bruit. La porte du boudoir s’ouvrit lentement.

Rita d’Anrémont n’avait pas bronché. Du doigt qu’elle mit sur ses lèvres, elle signifiait au terrassier de ne pas bouger. La porte, cependant, s’était grande ouverte, on entendit sur le parquet d’un couloir voisin des pas hésitants et feutrés. Qui arrivait ainsi ? L’homme qui s’avançait à tâtons, malgré la lumière, c’était Sébastien.

– J’ai entendu du bruit, murmura-t-il, est-ce toi, Rita ?

Le terrassier ne bougea pas. Cependant son regard, terrifié et terrible à la fois, ne quittait pas le visage de Sébastien, aux énormes orbites noires, cependant qu’au lieu et place des paupières couraient de longues cicatrices boursouflées de bourgeons rouges.

Ah, ce visage ! À droite de la bouche, la lèvre était déchirée, un lambeau de chair semblait pendre, comme mort ; les narines rongées comme par un lupus ; sur le cou, sur le front, partout les taches laissées par le corrosif, taches suppurantes encore la veille, et qui traçaient des étoiles roses sur la peau jaune. Cependant, guidé par son amour, Sébastien, lentement, avec des souplesses et des adresses d’aveugle, s’était rapproché de Rita qu’il entendait, disait-il, respirer. Puis, caressant, tendre, pour la jolie femme qu’il voyait toujours comme il l’avait connue, il l’attirait auprès de lui, la faisait s’asseoir sur un divan très bas. Sébastien l’enlaçait doucement dans ses bras maigres, puis, les lèvres de l’aveugle cherchaient celles de l’aimée et leurs deux bouches se confondirent dans un interminable baiser.

Mais brusquement, Rita d’Anrémont toute pale, s’arrachant à l’étreinte, se redressa, s’écarta de son amant :

– Non, non, hurla-t-elle, pas ici, jamais, jamais.

– Qu’est-ce que tu as ? demanda Sébastien interdit.

Comment aurait-il su qu’elle ne lui parlait pas à lui ? La demi-mondaine, en effet, alors qu’indifférente elle s’abandonnait à l’étreinte de Sébastien, avait jeté les yeux sur Bernard. La figure de l’homme l’avait terrifiée. Le terrassier n’était plus le fauve qui recule, mais le tigre altéré de sang, le jaguar prêt à bondir. L’homme qui, quelques instants auparavant, hésitait à commettre un crime, venait de se décider.

Il s’était emparé d’un couteau placé à sa droite, tout son corps frémissait, déjà il avait le bras levé. Son poing allait s’abattre.

Ce n’était ni le lieu ni le moment songeait Rita et elle s’était lancée au cou de Bernard. Ce dernier parut s’apaiser : Rita d’Anrémont prenant ses lèvres, les écrasait sous les siennes.

Une voix plaintive retentit. C’était Sébastien qui, brassant les ténèbres de ses mains décharnées, interrogeait :

– Rita, qu’es-tu devenue ? Je t’entends, tu fais du bruit, mais que se passe-t-il ?

– Je me suis cognée dans un meuble, je me suis fait un peu mal, mais ce n’est rien. Qu’est-ce que tu veux ?

– Rita, ma gentille petite Rita, tu vas m’aider. J’ai quelque chose à faire d’important et je compte sur ton obligeance.

– Bien sûr, quoi mon lapin ?

– Tu sais que je vais avoir bientôt la visite de mon frère aîné, de mon frère Nathaniel.

– Je sais, et c’est bien pour te faire plaisir et ne pas avoir l’air de t’accaparer comme ils le disent, que je t’ai conseillé de le recevoir. Mais prends garde, méfie-toi, Sébastien, méfie-toi de lui.

L’aveugle hocha la tête, plissa le front d’un air ennuyé :

– Laissons cela, Rita, c’est mon frère. Je suis tout à fait de ton avis, il y a des reproches qu’il me déplairait d’entendre. C’est justement à ce sujet que tu vas m’aider.

– Ah ?

Sébastien tira son portefeuille de sa poche, il y saisit des feuilles de papier timbré surchargées de cachets et de signatures.

– Ma bonne petite Rita, je vais t’expliquer. Tu n’entends rien aux affaires, et les questions d’argent sont parfaitement indifférentes au joli oiseau chanteur que tu es. Ces papiers sont des traites, des reconnaissances de dettes souscrites il y a déjà pas mal de temps à de vilaines gens, à des usuriers. Ces personnages me prêtaient à peu près la moitié de la somme, que je m’engageais à leur rembourser, c’est l’usage, paraît-il, et j’étais bien forcé de m’y soumettre. Toutefois, lorsque j’ai pu disposer de ma fortune, ces oiseaux de proie se sont naturellement précipités sur moi. Ils m’ont tendu comme des menaces ces paperasses portant ma signature, et j’ai payé… payé… payé… mais maintenant, les papiers sont entre mes mains, je les garde et je veux les garder si bien que nul ne pourra plus jamais les retrouver.

– Que veux-tu donc en faire ?

L’aveugle, avec une nuance de tristesse, poursuivit :

– Ces traites sont libellées de telle sorte, je te demande pardon, ma petite Rita, de t’ennuyer de tous ces détails, mais c’est dans ton intérêt également que je te fournis ces explications, ces traites, donc, sont libellées de telle sorte qu’il suffirait maintenant que quelqu’un s’en emparât pour qu’on puisse, en me les faisant présenter par un homme de loi, m’obliger à les payer à nouveau. Ce serait vraiment désagréable et parfaitement inutile. De plus, je ne veux pas que mon frère sache jamais que j’ai donné des signatures et des signatures, il faut que je te l’avoue, mais tu en garderas le secret, parce que c’est grave, des signatures qui ressemblaient à la sienne, ma petit Rita, à celle de mon frère, que j’avais imitée pour me procurer de l’argent. Si je n’avais pas eu ma fortune pour payer, c’était plus que la ruine, c’était pour moi le déshonneur.

– Mon pauvre, pauvre petit, murmura Rita d’Anrémont, faut-il que tu m’aies aimée pour avoir fait cela.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю