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La livrée du crime (Преступная ливрея)
  • Текст добавлен: 26 сентября 2016, 18:16

Текст книги "La livrée du crime (Преступная ливрея)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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5 – POUR LE GAZ

– Maman, maman, c’est pour le gaz.

Quatre à quatre, une fillette de cinq ou six ans grimpait jusqu’au sommet de l’escalier étroit qui desservait les nombreux logements du 150 de la rue de la Liberté.

C’était un grand immeuble isolé au milieu des terrains vagues qui dominent Paris. De ses fenêtres, on avait une vue superbe sur la ville entière. Mais ce matin-là, nul parmi les habitants ne se préoccupait de regarder le panorama qu’un soleil de printemps rendait radieux.

Il était huit heures et l’activité régnait dans la maison. C’était jour du terme et les enfants partaient à l’école comme tous les autres matins.

Le renseignement fourni par la fillette qui montait au sixième avait été comme un cri d’alarme jeté dans l’immeuble et, à chaque étage, des portes s’entrebâillaient, puis se refermaient bruyamment, on entendait de vagues protestations, des plaintes courroucées, des injures.

Indifférent, un jeune homme blond au visage intelligent montait lentement derrière la petite fille.

Une vieille femme aux cheveux gris, ébouriffés, aux yeux chassieux encore tout gonflés de sommeil, s’en vint ouvrir :

– Quoi c’est qu’il vous faut ? interrogea-t-elle, d’un air de méfiance.

L’employé toucha sa casquette galonnée d’argent aux armes de la Ville :

– C’est pour le compteur, dit-il.

– C’est que je n’ai peut-être pas tout à fait la somme rapport à ce que c’est le terme aujourd’hui.

– Ne vous inquiétez pas, je ne viens pas pour l’encaissement.

– Oh alors, donnez-vous donc la peine d’entrer.

L’employé pénétra dans une sorte de galetas misérable, découvrit le compteur dans une petite cuisine obscure, derrière un tas de chiffons, sous des papiers graisseux, puis monta à l’étage au-dessus où il procéda aux mêmes formalités.

– Je suis inspecteur de la Compagnie, avait-il dit à la mère de la petite fille, et comme celle-ci lui faisait observer que, la veille déjà, un inspecteur du gaz était venu relever le chiffre de consommation, l’homme expliquait sans se troubler :

– Je le sais bien. Mais voilà, j’inspecte les inspecteurs.

Comme il redescendait, il s’entendit appeler :

– Hé là, l’homme du gaz, s’il vous plaît ?

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– C’est-y que vous pourriez me faire envoyer deux hectolitres de poussier à un franc quat’sous ?

– Deux hectolitres de poussier, mais, c’est au marchand de charbons.

Il s’interrompit, la ménagère penchée sur la rampe de l’escalier le regardait surprise :

– On dirait que ça vous étonne. Elle ne vend donc plus de charbon, votre Compagnie ? Jusqu’à présent, c’est toujours chez vous que je me fournissais.

L’homme bafouilla :

– Je vous demande pardon, j’étais distrait, je ne faisais pas attention à ce que vous me disiez. Ça va bien, je vous enverrai le charbon.

Cependant que la mère de famille rentrait dans son logement, l’inspecteur distrait descendit les étages, gagna la rue. Quittant la rue de la Liberté, il s’engagea dans le passage de la Renaissance qui mène à la rue de la Mouzaïa. Curieusement, il considérait la double rangée de petites maisons basses, précédées d’un jardinet qui caractérisent et donnent un aspect de banlieue à ce passage peu fréquenté par les Parisiens élégants et dans lequel vivent, entassées les unes sur les autres, des familles d’ouvriers et de petits employés.

Tout en avançant, il songeait :

– Décidément, je suis un mauvais inspecteur et je vais faire perdre quarante-huit sous à la Compagnie.

Soudain, alors qu’il arrivait à l’extrémité du passage, l’inspecteur du gaz sentait qu’on lui frappait sur l’épaule. Il se retourna et tressaillit. Son interlocuteur, homme d’une cinquantaine d’années, au visage rond et hirsute, le salua d’un amical :

– Bonjour, monsieur Fandor.

Et le journaliste – car c’était lui qui se promenait ainsi, coiffé d’une casquette de fonctionnaire du gaz – reconnut à son tour le chemineau Bouzille :

– Bouzille, par exemple, si je m’attendais à te voir par ici. Voilà qui n’est pas ordinaire. Qu’est-ce que tu deviens ?

Bouzille hocha la tête. Il considéra le journaliste d’un air énigmatique, puis, gonflant la poitrine et se redressant pour se donner de l’importance, il répondit :

– Eh bien voilà, fit-il, je suis dans le commerce.

– Ah, ah, fit Fandor, Bouzille dans le commerce, quel commerce ?

– Je suis dans l’alimentation et dans le vice.

– Cette rubrique-là, ne figure pas au Bottin, mais c’est dégoûtant Bouzille, de l’avouer avec un tel cynisme. Alors, comme ça vous donnez à manger aux repus et vous servez de louche intermédiaire à l’assouvissement de leurs passions ? C’est du moins ce que je crois comprendre.

– En effet, monsieur Fandor.

Bouzille frappa sur ses poches :

– À gauche, alimentation, expliqua-t-il, à droite, le vice.

Et, en même temps, le chemineau tira des profondeurs de son vêtement des petites herbes vertes et des bouts de cigarettes.

– Gauche, alimentation, insista-t-il, vous voyez ce que je tiens là dans la main, eh bien, c’est du mouron, du mouron pour les petits oiseaux, j’vends ça un sou la botte, et quand j’en aurai débité deux ou trois tonnes dans ma journée, je vous prie de croire que je pourrai me payer un aussi bon dîner que Rothschild. De l’autre côté, c’est le tabac, je fais les mégots à la terrasse des cafés et je transforme les déchets en cigarettes ou en tabac de pipe. Vous voyez, monsieur Fandor, voilà comment je suis à la fois dans l’alimentation et dans le vice : je nourris les bêtes, je fais fumer les hommes.

– Pas mal, dit Fandor, pour une blague, c’en est une, mais je m’étonne, Bouzille, de te voir de retour à Paris et quelque peu misérable en somme, car, lorsque je t’ai vu pour la dernière fois, tu exerçais, si je ne me trompe, la profession lucrative de mendiant riche à Monaco.

– Ah çà, monsieur Fandor c’était le bon temps mais il n’existe plus, c’est d’ailleurs la faute à votre ami, à monsieur Juve.

Bouzille, prenant sans façon le journaliste par le bras, lui rappelait alors par suite de quelles aventures il avait été enfermé sur l’instigation du policier à la prison de Monte-Carlo, puis oublié par la justice locale et finalement expulsé :

– Ce ne sont pas des gens comme il faut, monsieur Fandor, conclut-il et ils ne connaissent rien aux usages. Un matin ils m’ont foutu à la porte, tout simplement comme ça, sans m’avoir jugé ni condamné : « On a assez, qu’ils m’ont dit, de vous nourrir à rien faire, débinez-vous d’ici ». Mais, que je leur ai répondu : « vous n’êtes pas logiques : du moment que vous avez une prison, il vous faut des prisonniers. » Moi, vous comprenez, monsieur Fandor, j’étais tout à fait bien dans leur tôle, et je n’avais pas plus envie que ça de m’en aller, surtout que c’était l’été qui arrivait, et dans le midi il n’y a rien à faire. Je suis revenu tranquillement en visitant des villes et suis rentré à Paris, il y a peut-être huit jours.

– Qu’est-ce que tu as donc vu comme villes ?

– J’ai vu la prison d’Avignon, pas mal bâtie, mais un peu sale. Puis j’ai fait huit jours à Lyon, mais ça ne m’a pas plu. Il y a trop de monde, alors j’ai été chercher à Chalon-sur-Saône un billet de logement pour trois mois que m’a délivré le président de la police correctionnelle. Puis, y en a d’autres encore que j’ai oubliés. Et vous-même, m’sieur Fandor, vous avez donc changé de métier ?

– En effet, Bouzille, en effet, je suis dans le gaz en ce moment.

– Ça m’a tout l’air d’une blague, cette profession-là.

Fandor, désormais avait tiré Bouzille à l’écart :

– Naturellement, Bouzille, que c’est une blague. Je ne suis pas plus dans le gaz que toi dans le commerce, mais cela ne te regarde pas et puisque je te rencontre, tu vas pouvoir me donner quelques renseignements.

Fandor avait fouillé dans son gousset. Bouzille tendit la main et y hospitalisa une belle pièce de cinq francs :

– J’ai fait ma journée, dit-il, je suis à vos ordres, je vous écoute.

Les deux hommes entrèrent chez le marchand de vins. Depuis plusieurs jours déjà Jérôme Fandor rôdait dans le quartier de Belleville, à la recherche, semblait-il, d’une piste mystérieuse et difficile à retrouver, à laquelle il donnait tous ses soins. Quinze jours auparavant, Fandor, plus heureux que son ami Juve des mains duquel s’échappait le sinistre bandit Fantômas, avait pu s’attacher à la poursuite de l’Insaisissable. Lorsque Fantômas, évadé de la prison de Saint-Calais, s’était rendu à Orléans, Fandor était resté sur ses talons, l’empêchant de s’arrêter, de dormir, presque de respirer. Le journaliste avait livré au criminel une poursuite acharnée, ne désespérant pas de l’appréhender, lorsque soudain au moment où ils arrivaient l’un et l’autre à la gare d’Orléans, Fantômas, brusquement, avait disparu. Le journaliste, dépité, furieux, mais nullement découragé, était alors revenu à Paris et avait décidé sans prendre haleine de recommencer ses recherches dans la pègre où, sans aucun doute, Fantômas ne tarderait pas à revenir et à renouer ses relations avec les apaches. Fandor, toutefois, pour procéder à ses enquêtes, avait décidé d’agir prudemment.

À deux ou trois reprises, dans le quartier, Fandor avait aperçu la mère Toulouche et le terrible Bedeau.

Fandor s’était dit qu’il fallait trouver un moyen pratique et naturel de s’introduire dans toutes les habitations du quartier. D’où la tenue d’homme du gaz.

Depuis une bonne demi-heure déjà, le journaliste, en faisant boire Bouzille, avait obtenu de lui divers renseignements sur les habitants du quartier et plus il causait avec le chemineau, plus le journaliste acquérait la certitude qu’il se trouvait en somme au centre d’un véritable îlot où évoluaient les gens qu’il désirait retrouver. Oui, c’était là que tenaient leurs assises, tantôt dans un assommoir, tantôt dans un autre, parfois dans un logement ou dans une masure, même au besoin dans un terrain vague, les membres de ce qui avait été la fameuse bande des Ténébreux. Il n’était plus question de Fantômas, toutefois. Bouzille lui-même, cette véritable gazette vivante, était sans nouvelle du Roi de l’Épouvante :

– Mais, ajoutait-il, fier de la rémunération que Fandor lui avait donnée, vous pouvez compter que je ne tarderai guère à être renseigné. Je vous l’dis, m’sieur Fandor, je suis né pour faire de la police, voilà huit jours seulement que je suis rentré à Paris et je vous ai déjà découvert, déguisé en homme du gaz, je retrouverai bien Fantômas si vous me donnez cinq francs par jour, même s’il s’habille en pape, en chiffonnier ou en président de la République.

Sur ce, le chemineau se leva brusquement et il sortit du cabaret.

Fandor, par la fenêtre le regardait et, avec une surprise non dissimulée, il constata que le chemineau, après avoir traversé la rue, abordait une dame à la démarche élégante, toute vêtue de noir, au visage dissimulé derrière une épaisse voilette. Bouzille et l’inconnue s’entretinrent quelques instants sur le trottoir en face du cabaret dans lequel se trouvait Fandor, et le journaliste crut voir le chemineau qui, chapeau à la main, se confondait en salutations, remettait à la mystérieuse personne quelques pièces d’argent, puis Bouzille salua encore plus bas et revint au cabaret :

– Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Fandor.

– Ça veut dire que je viens de payer mon terme et pour pas cher, pour la moitié du prix, déclara Bouzille.

– Ah ? et comment ça se fait ?

– Mais c’est Mme Gauthier.

– Mme Gauthier ?

– Voyons, m’sieur Fandor, vous ne connaissez donc rien de ce qui se passe dans le quartier ? moi qui n’habite Belleville que depuis huit jours, je suis déjà au courant de tout et tout ce qu’il y a de bien avec elle.

– Ta propriétaire, sans doute, puisque tu lui as donné de l’argent ?

– Très peu, m’sieur Fandor, des propriétaires, n’en faut plus, au lieu que des dames Gauthier, vous pouvez en fabriquer à la douzaine, on ne se plaindra jamais qu’il y en ait de trop sur le pavé de Paris. Ça, voyez-vous, c’est le bon Dieu en personne descendu sur la terre, la Providence des pauvres bougres.

Longuement, confusément, en émaillant son discours de saillies pittoresques, Bouzille expliqua à Fandor intéressé, le rôle que jouait cette dame mystérieuse.

Elle faisait partie d’une société charitable de femmes du grand monde riche, qui avait pour but de venir en aide aux familles pauvres et nombreuses, de même aux ouvriers, aux malades. Cette société charitable payait les loyers des miséreux, mais en partie seulement. Chacun, pour faire preuve de bonne volonté, devait mettre une somme. Cette dame passait le matin du terme, prenait l’argent, puis on n’avait plus à s’occuper de rien et le lendemain elle apportait la quittance.

– Ainsi, conclut Bouzille, j’avais encore vingt-trois francs à donner cette semaine au proprio, eh bien, j’ai refilé sept francs à la dame Gauthier et c’est sa société qui va mettre le reste.

– Où demeure-t-elle ?

– Ma foi, je n’en sais rien.

Mais Fandor avait demandé le Bottin, il le consulta : Gauthier… puis, apercevant à la suite du nom cette indication « Trésorière de l’Œuvre des Loyers », il s’écria :

– Voilà la dame, pas vrai Bouzille ?

Le chemineau se pencha sur l’épaule du journaliste et lut, en suivant les lettres de son gros doigt :

– Rue des Mathurins 149. Oui, ça doit faire l’affaire.

Brusquement, le journaliste quitta le chemineau et dix minutes plus tard, ayant troqué sa casquette d’inspecteur du gaz contre un chapeau de feutre mou et dont il se baissa les bords sur les yeux, Fandor faisait les cent pas devant le 149 de la rue des Mathurins.

Le journaliste n’attendit pas en vain. La dame en noir descendit d’un fiacre, et Fandor passant à ce moment tout à côté d’elle, devina ses traits sous l’épaisse voilette :

– Elle, murmura-t-il, c’est elle. Ah par exemple, si je m’y attendais. Décidément, je dois être sur la bonne piste.

***

– Madame la trésorière, vous avez la parole.

Mme Marquet-Monnier, femme de l’honorable banquier de la rue Laffitte et présidente de l’Œuvre des Loyers, venait de parler.

Dans le salon, les dames dont l’âge variait de vingt-cinq à quarante ans, travaillaient avec l’application des personnes qui ont une mission à remplir.

Il s’agissait en effet, de la réunion hebdomadaire du Comité de l’Œuvre des Loyers. Mme Marquet-Monnier en était la présidente, la réunion avait eu lieu ce jour-là chez la trésorière, Mme Gauthier, parce qu’on était le jour du terme, le huit du mois, échéance des petits loyers, et qu’il fallait s’occuper avec la trésorière de tous les règlements d’argent à effectuer dans ce quartier de Belleville.

Mme Gauthier prit la parole. Elle exposait la situation. L’orateur était une femme d’une remarquable beauté. L’éclat de son teint et de ses cheveux éblouissants d’un or brillant tirant sur le rouge, ressortait encore mieux sur sa toilette sombre qu’égayait un petit col de dentelle blanche.

Mme Gauthier, d’une voix harmonieuse, expliquait à ses collègues qu’elle avait le matin même achevé de recueillir les parts des loyers que les pauvres gens du quartier de Belleville avaient pu réunir :

– Nous avons, dit-elle, huit mille francs à payer, moins trois mille qui résultent de l’effort des locataires, c’est donc cinq mille francs qu’il faut ajouter pour parfaire cette somme.

Mme Marquet-Monnier reprit la parole :

– Vous venez d’entendre, mesdames, dit-elle, le rapport de Mme Gauthier, notre dévouée trésorière. Quelqu’un a-t-il une objection à formuler ?…Personne ? Je vous propose donc, Mesdames, l’adoption pure et simple.

Se tournant alors vers Mme Gauthier, la présidente demanda :

– Veuillez avoir l’obligeance, chère madame, de me remettre, d’une part les trois mille francs que vous avez recueillis dans le quartier de Belleville, et de l’autre les cinq mille francs destinés à parfaire la somme et qui sont dans votre caisse.

Mme Gauthier se leva :

– Rien n’est plus simple ni plus juste, chère madame.

La jolie femme, tirant de son réticule un trousseau de minuscules clefs, alla au petit meuble d’angle, l’ouvrit, mais devant le meuble béant, elle demeura stupéfaite, les jambes se dérobant sous elle.

Réagissant néanmoins contre son émotion, Mme Gauthier d’un geste brusque refermait le meuble, elle se retourna, affectant un air impassible.

– Je vous demande mille pardons, ma chère présidente, mesdames, fit-elle… mais je croyais avoir ici même ces fonds, je me suis trompée, ils sont à ma banque, au Comptoir National. Assurément dans un instant… je vais, d’ici une heure à peine…

Un peu hautaine, comme à son ordinaire, calme et flegmatique, la présidente tendit sa main gantée à Mme Gauthier :

– Il suffit, chère madame, que les fonds soient arrivés rue Laffitte pour cinq heures du soir. Or, il est à peine trois heures de l’après-midi. À tout à l’heure.

Les dames du Comité se retirent, madame Gauthier avait pour toutes un sourire aimable. Toutefois, malgré ses efforts, la jolie femme ne pouvait dissimuler son émotion. Quelques-unes de ses collègues s’en apercevaient car, à peine ces dames avaient-elles quitté son appartement, que l’une d’elles, résumant la pensée de toutes les autres, murmurait à l’oreille de la présidente :

– Je ne sais pas si je m’illusionne, mais il me semble qu’il se passe quelque chose ? Avez-vous remarqué comme Mme Gauthier est devenue soudain toute pâle ?

La présidente ne répondit pas, mais son air préoccupé trahissait sa pensée.

Seule dans son appartement, Mme Gauthier donnait libre cours à son inquiétude, se tordait les bras, cependant qu’une sueur d’angoisse lui perlait au front :

La jeune femme, après être restée quelques instants immobile, comme figée dans un muet désespoir, se précipita à nouveau vers le petit meuble qu’elle avait été ouvrir en présence de tout le monde pour en retirer de l’argent. Seule désormais, elle recommença, poussa la clé dans la serrure, écarta d’une main tremblante la porte du petit coffre vide, absolument vide.

– Ai-je donc été volée ? que signifie encore ce nouveau mystère ?

Et soudain, elle poussa un cri, cependant qu’après avoir enfoncé sa main à l’intérieur du meuble, elle en tira une sorte de chiffon noir, d’étoffe souple et molle, qu’elle laissa échapper de ses doigts tremblants. Mme Gauthier sursauta :

– La cagoule, murmura-t-elle, c’est encore la cagoule. Il m’en veut toujours. Qu’a-t-il fait ? que veut-il de moi ?

***

La nuit était venue, et dans les bouges de Belleville, on faisait ripaille et grand tapage. Bec-de-Gaz, Œil-de-Bœuf, les deux inséparables étaient encore installés dans le cabaret du père Joseph, entre eux se dressait une muraille de bouteilles dont le nombre augmentait sans cesse.

– Canaille, grommelait Bec-de-Gaz, en regardant Œil-de-Bœuf, cependant qu’Œil-de-Bœuf jurait :

– Brigand, en regardant Bec-de-Gaz.

Les deux hommes, tout en trinquant se menaçaient du poing :

– Elle est pour moi, je l’aime.

– Moi aussi je l’aime et je la veux.

– Bec-de-Gaz.

– Œil-de-Bœuf.

Les deux hommes se levèrent, et vidèrent leur verre. Puis, Bec-de-Gaz, penchant sa haute taille par-dessus la table encombrée de bouteilles, murmura à l’oreille d’Œil-de-Bœuf :

– Écoute Œil-de-Bœuf, ça ne peut pas durer comme ça. J’te l’ai déjà dit, j’en pince pour la Guêpe et je sais également que t’es chipé pour elle. Deux hommes comme nous ce serait trop pour une fille comme elle. Ça ne peut donc pas s’arranger.

– Ça ne peut pas s’arranger.

– Qu’est-ce qui nous reste à faire ?

– À jouer du surin, jusqu’à ce qu’un meurt.

– J’allais te le proposer.

– C’était accepté d’avance.

Les deux hommes soudain eurent la même pensée :

– Père Joseph, criaient-ils, un saladier de rouge.

L’Auvergnat obéit avec empressement. Chose extraordinaire, les apaches ce jour-là, avaient les poches bourrées d’argent.

À la table des deux amis devenus adversaires, il y eut un silence.

– Ce qui me fait de la peine, dit enfin Œil-de-Bœuf, c’est l’idée que je m’en vais, dans un instant, saigner un bon copain comme toi, Bec-de-Gaz et qu’il crèvera là, sur le trottoir, la gueule ouverte. C’que c’est qu’la vie, tout de même.

– Moi, répliqua Bec-de-Gaz, c’est pas tant ça qui m’embête c’est comme qui dirait plutôt l’idée que j’te voie là en face de moi en train de siffler des verres, bien vivant, bien nourri, et que dans une heure peut-être, lorsque je t’aurai descendu, tu seras raide, froid et glacé, incapable d’absorber la moitié d’un demi-setier. Ça c’est triste quand on y pense. Mon pauvre Œil-de-Bœuf, je suis bien désolé de savoir que tu vas mourir.

– Mon pauvre Bec-de-Gaz, je suis bien désolé à l’idée que tu vas me quitter pour le champ de navet.

– Encore un saladier ? Œil-de-Bœuf.

– Encore un, Bec-de-Gaz.

Cependant que ce dialogue s’échangeait à une table, à l’autre, dans un groupe mystérieusement composé du Bedeau, de Mort-Subite et de Fleur-de-Rogue en pleine lune de miel avec le redoutable sonneur, on buvait discrètement et copieusement aussi, car on était riche, à la santé de celui qui, quelques heures auparavant, venait de semer l’or dans les bouges où se terraient jusqu’à la nuit les apaches du quartier. Et c’était la santé de Fantômas que l’on portait, car l’Empereur du Crime, conformément à sa promesse de la veille, leur avait donné de l’argent à tous.

– Et ça n’est pas fini, avait-il déclaré au Bedeau qu’il avait pris à part, ça ne fait que commencer. D’ici quelques jours la bande des Ténébreux sera reconstituée et alors on verra ce qu’on verra.

Cependant, dans la rue sombre, sur le bord des terrains vagues, deux femmes discutaient mystérieusement. C’était Marie Bernard et la vendeuse de fleurs, que la pègre désignait sous le surnom de la Guêpe, en raison de la finesse de sa taille.

L’excellente mère de famille, la digne épouse du terrassier expliquait à la jolie fille :

– Crois-tu que ce n’est pas incompréhensible cette affaire-là ? Mon loyer n’est pas payé et ceux des locataires non plus, et pourtant, on a toutes donné un acompte à la dame de l’Œuvre qui vient tous les trois mois, à Mme Gauthier. Le proprio a fait savoir que du moment que l’Œuvre n’avait pas raqué, c’était nous autres qu’on devait le faire, ou bien alors qu’on serait vendus.

– Cela m’étonne beaucoup, déclara-t-elle, puisque Mme Gauthier a touché l’argent, elle a dû payer, elle a payé.

Mais, à ce moment même, un groupe de femmes et d’enfants s’ameutaient au coin du passage de la Renaissance sous l’inspiration du chemineau Bouzille :

– La voleuse, la voleuse, criait-on sur l’air des lampions, cependant que la voix du chemineau, dominant le tumulte, hurlait :

– Je connais son adresse, c’est rue des Mathurins. Allons-y les aminches, et comment qu’on va lui faire un chahut à celle qui vole l’argent du prolétaire.

La petite troupe tapageuse s’éloignant du terrain vague parvint au carrefour de la place du Danube, méditant de pénétrer dans le métro. La police veillait, son attention avait été attirée par les clameurs. Et, en dépit des protestations, des explications confuses qu’elles donnèrent, les braves ménagères furent dispersées, tandis que Bouzille, la forte tête de la bande, l’homme qui dirigeait l’expédition, était, malgré ses protestations et ses discours, conduit au poste.

La Guêpe savait maintenant à quoi s’en tenir.

Et la jolie fleuriste considérait d’un air désolé la pauvre mère de famille qui pleurait toutes les larmes de son corps à l’idée qu’elle allait peut-être être expulsée le lendemain. La Guêpe, lentement, fouilla dans sa poche, en sortit une poignée de monnaie qu’elle déposa dans la main de son amie :

– Prends, dit-elle, et ne dis rien.

– Mais, s’écria Marie Bernard, c’est de l’or, rien que des pièces d’or. Tu me donnes trop, la Guêpe, et puis, d’où vient cette fortune ?

– Prends, cet argent est pour toi.

Puis, la fleuriste, craignant sans doute d’en avoir trop dit, s’éloigna à grands pas, laissant Marie Bernard interdite derrière elle.

La Guêpe, toutefois, s’en allait le cœur plus léger ; l’or qu’elle venait de donner charitablement à l’infortunée mère de famille lui avait brûlé les doigts jusqu’alors, car il provenait du partage, et le Bedeau, trésorier de Fantômas s’était chargé de le lui remettre. La Guêpe y avait droit. N’avait-elle pas appartenu aux Ténébreux, naguère ? Elle n’avait pas osé refuser.


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