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La livrée du crime (Преступная ливрея)
  • Текст добавлен: 26 сентября 2016, 18:16

Текст книги "La livrée du crime (Преступная ливрея)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Que je t’aie aimée ? ce n’est pas assez, que je t’aie adorée et que je t’adore encore, demain plus qu’aujourd’hui.

– Mon chéri, mon chéri, balbutiait Rita d’une voix qu’elle faisait savamment trembler d’une émotion factice cependant que tout en répondant à Sébastien, elle maîtrisait sous la fascination de son regard Bernard, toujours dans son coin, témoin involontaire de cette scène d’aveu.

– Le seul moyen d’être à l’abri, avait repris l’aveugle, c’est de brûler ces traites. Tout à l’heure, j’ai voulu le faire, lorsque j’étais seul dans le bureau, mais je n’ai pas osé. Je suis infirme, incapable désormais d’agir par moi-même. J’ai eu peur d’incendier la maison en commettant quelque maladresse, et alors je suis venu, comme attiré par un lien invincible, me disant que mon ange gardien aurait des yeux et des gestes qui se substitueraient aux miens.

– Tu as bien fait, murmura Rita qui jeta un regard farouche du côté de Bernard, lequel, abasourdi, ne comprenait pas encore la pensée machiavélique qui venait de germer dans la cervelle de la demi-mondaine.

– Allume le gaz de la cheminée, Rita. Puis tu y jetteras ces papiers et tu les verras se consumer les uns après les autres. Lorsqu’ils ne seront plus que des cendres impalpables, je serai rassuré. Nous serons tranquilles.

Rita d’Anrémont flamba une allumette. Le gaz ronfla. Guidé par sa chaleur, Sébastien s’en approchait, mais sa maîtresse l’arrêta :

– Pas si près, dit-elle, tu pourrais te brûler, te faire mal, mon pauvre chéri. Donne-moi tes papiers.

L’aveugle obéit. Une à une, les traites passèrent de ses mains amaigries aux doigts roses et fuselés de la demi-mondaine ; celle-ci, par manière de plaisanterie, annonçait tout haut les sommes que représentait chacun de ses papiers :

– Dix mille. Cinquante mille. Vingt-cinq mille. Encore vingt-cinq mille. Trente mille. Quatre-vingt mille.

– Une fortune engloutie, soupira Sébastien.

– Une fortune, répéta Rita d’Anrémont sur un ton énigmatique.

Puis au fur et à mesure que les secondes passaient, Rita d’Anrémont fit crépiter dans la flamme du gaz les petits morceaux de papier ramassés dans la pièce, une fumée âcre montait.

– Ça brûle, s’écriait Sébastien, je sens l’odeur.

– Oui.

Mais cependant qu’elle faisait se carboniser des paperasses sans importance, de la main qui lui restait libre, elle tendait les traites intactes à Bernard.

Puis, elle lui fit signe des yeux de les prendre et Bernard, ne comprenant pas, mais obéissant, tendit la main et prit les documents.

– C’est fini, s’écria la demi-mondaine, mon cher Sébastien, tu vas dormir tranquille.

– Tranquille. Entre tes bras.

La jeune femme, jusqu’alors agenouillée devant le poêle à gaz, s’était relevée, elle entraîna son amant hors du boudoir. On entendit leurs pas se perdre dans le couloir qui conduisait à la chambre à coucher. Mais quelques secondes plus tard, Rita revenait et soufflait à l’oreille de Bernard :

– Va-t’en, maintenant, tu vois ce que j’ai fait, non seulement nous tenons sa fortune, mais encore son frère marchera. N’oublie pas ta promesse. Songe que je t’aime. Que je voudrais me donner à toi tout entière, et qu’il me faut subir encore ses odieuses caresses. Songe à nous, Bernard. L’heure de la vengeance va bientôt sonner, et ce sera ensuite, pour nous qui nous aimons, le bonheur.

***

Saisi par la froideur de la nuit, titubant comme un homme ivre, Bernard, qui en multipliant les précautions, s’était sauvé de l’hôtel somptueux qui abritait sa maîtresse maintenue dans ce luxe comme dans une prison dorée, se trouvait désormais au milieu de l’avenue du Bois-de-Boulogne déserte à cette heure avancée de la nuit.

Bernard tenait encore à la main les traites que, quelques instants auparavant, Rita d’Anrémont l’avait chargé de conserver. Il se rendait mal compte de l’usage qu’on allait faire de ces papiers, mais il obéissait, subjugué, envoûté par cette femme qui le terrorisait, en même temps qu’il sentait son amour pour elle s’accroître d’heure en heure.

Soudain, le terrassier lâcha un juron, poussant un cri étouffé qui s’étranglait dans sa gorge.

Quelqu’un venait de le saisir par le bras et il se sentait maîtrisé, comprimé comme dans un étau. C’était un hercule à coup sûr qui lui faisait sentir sa force.

Le terrassier se retourna, vit un homme d’une quarantaine d’années, au visage glabre, aux yeux étincelants. C’était l’homme qui ne le lâchait pas.

– Allons, ordonna-t-il d’une voix brève et autoritaire, donne-moi ces papiers.

– Mais, balbutia l’ouvrier.

– Donne, te dis-je, ou je t’abats comme un chien.

L’agresseur de l’ouvrier appuyait sur la poitrine de ce dernier le canon d’un revolver. Bernard trembla, obéit.

– Voilà, dit-il, mais qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?

– Que t’importe ? répondit l’inconnu. Je suis la police, et si tu fais un mouvement, un geste, je te flanque en prison.

– Laissez-moi, implorait l’ouvrier.

Son agresseur parut hésiter un instant :

– Je t’épargne, dit-il, si tu m’obéis. Tu es en train de te perdre, Bernard, et pour peu que tu continues, c’est l’échafaud qui t’attend. Fais attention. Songe, que jusqu’à présent, tu as été un brave ouvrier, un honnête homme, un bon père de famille. Il est temps de te ressaisir, obéis-moi. Jure sur la tête de ta femme, sur celle de tes enfants que tu aimes, jure que tu ne retourneras pas chez Julie Person. Que tu ne la reverras jamais.

Terrifié, par cette apparition soudaine, anéanti, terrorisé à l’idée qu’on savait qui il était, ce qu’il allait faire, le terrassier était incapable de résister à l’ordre qu’on lui donnait :

– Je vous promets, je jure, dit-il enfin d’une voix blanche. Grâce. Épargnez-moi. C’est vrai. Je suis un misérable. J’ai failli tuer, j’ai failli…

Et à ce moment, en effet, François Bernard sentait toute l’horreur de sa conduite, entrevoyait avec effroi l’abîme de douleurs, de déshonneur, de fange et de sang, devant lui.

Mais l’inconnu l’interrogeait encore :

– Dis-moi, Bernard, hier, tu es allé porter une lettre que tu as glissée sous une porte, rue Bayen. Qui t’avait chargé de cette commission ? Allons, parle, explique-toi. Il faut dire la vérité, ou sans quoi…

– Cette lettre, voilà trois jours que j’aurais dû la porter à ce monsieur de la rue Bayen, et puis je l’avais oubliée dans ma poche. J’ai fait la commission dès que je me suis souvenu. On m’avait donné dix francs.

– Qui ? mais qui ? interrogeait rageusement l’inconnu.

Le terrassier parut chercher dans sa mémoire :

– Une dame, dit-il, une dame du grand monde, que je connais pour l’avoir vue quelquefois. Elle est toujours vêtue de noir, c’est une personne bien charitable, qui jusqu’à présent nous aidait à payer notre loyer.

– Son nom ?

– Je ne le sais pas très bien, fit le terrassier, mais je crois que c’est madame Gontier, Gauthier…

– Bien, dit l’inconnu, tu n’as pas menti. Je te laisse libre. Rentre chez toi, Bernard, mais prends bien garde et souviens-toi de ton serment.

Sur ce, Bernard, enfin libéré, s’en alla, et l’homme qui l’avait confessé murmura :

– Ce pauvre Sébastien vient de l’échapper belle. Décidément ma soirée n’a pas été perdue.

C’était Juve qui venait de parler ainsi presque à haute voix, dans le silence de la nuit.

15 – LA CHAMBRE VIDE

D’un pas léger, du pas que prend volontiers un homme content de lui, satisfait de la tournure des événements et plus satisfait encore de la façon dont il a su les plier à sa volonté, les accommoder à ses besoins, Juve se dirigeait vers les quais d’embarquement de la gare du Nord :

– C’est bien le train pour Valmondois ?

L’employé qui sifflait un air de valse grogna une réponse affirmative :

– C’est bien le train pour Valmondois. Oui. C’est là que vous allez ?

– Probablement.

– Faites voir votre billet ?

Juve tendit son coupon. L’homme, à l’aide d’une pince, sans but apparent, sans utilité bien réelle, découpa un mince confetti, puis, il le tendit à Juve :

– Le convoi de droite, annonça-t-il, les voitures de tête.

Que faire en wagon à moins que l’on ne songe ?

Et Juve, tout naturellement, tandis que le train s’attardait en gare du Nord, tandis qu’il démarrait pesamment, tandis qu’il filait enfin au long des voies, songeait à tous les événements mystérieux dont il venait d’être témoin, auquel il était mêlé et dont peut-être il commençait à entrevoir la trame, la raison d’être.

– Rita d’Anrémont est une coquine, posait-il en principe. Son malheureux amant, ce jeune Sébastien Marquet-Monnier est un sympathique imbécile. Quant au terrassier François Bernard, ou je me trompe fort, ou il joue simplement dans toutes ces affaires le rôle d’un polichinelle, d’un pantin, d’une marionnette dont Rita d’Anrémont tient les fils et qui, à sa volonté, exécute les plus fantastiques pirouettes, les pitreries les plus farces. Les plus lugubres aussi. C’est lui peut-être, sans doute même, n’en déplaise à Jérôme Fandor mon subtil ami, qui a vitriolé Sébastien, c’est certainement Rita d’Anrémont qui profite du cambriolage. En tout cas Rita, d’Anrémont se prépare à faire chanter de bonne manières Nathaniel Marquet-Monnier. Elle a merveilleusement conçu son plan en profitant de la cécité de Sébastien et j’ai non moins merveilleusement combiné mon affaire en me jetant au travers de ses projets criminels. N’empêche, les traites, je les ai, je les garde, momentanément du moins, car tout à l’heure, elles vont passer de ma main dans celle du principal intéressé, de ce rigide et hautain Nathaniel, qui sera vraisemblablement, plus que surpris de cette restitution en quelque sorte in extremis, à laquelle il doit être fort loin de s’attendre. En ce qui concerne la tentative d’assassinat et le cambriolage de la Villa Saïd, je puis admettre que je suis renseigné, à peu de chose près. Il n’en demeure pas moins que je ne comprends rien encore aux liens qui doivent unir cette affaire avec le double vol dont a été victime cet excellent et flegmatique Backefelder.

Et, comme chaque fois qu’il pensait au vol dont Backefelder avait été le piteux héros, Juve ne pouvait s’empêcher de tressaillir. Pourquoi ?

À cause d’une silhouette, celle d’un homme vêtu de noir dont le visage était masqué d’une cagoule, la silhouette de Fantômas qui, à coup sûr, avait combiné et mené à bien le vol des millions de Backefelder.

Et puis, tout s’embrouillait.

Que Rita d’Anrémont eût dépouillé son amant Sébastien en cambriolant elle-même son hôtel, c’était simple. Que cette même Rita d’Anrémont, plus tard, eût tenté de s’emparer de traites déjà payées par Nathaniel Marquet-Monnier pour obtenir un second paiement du banquier, c’était limpide encore. Mais que fallait-il conclure du fait que Rita d’Anrémont, coupable dans ces affaires, connaissait le terrassier François Bernard, lequel servait d’intermédiaire à une certaine Mme Gauthier, qui n’était autre que lady Beltham ?

Juve, sourcil froncé, retournait dans sa tête les données du problème :

– Bah, finit-il par se dire, à chaque jour suffit sa peine. Commençons par le commencement. J’ai dans ma poche les traites volées par Rita, reprises par moi à François Bernard et que je vais restituer à Nathaniel Marquet-Monnier. Ne cherchons pas plus loin.

Le train arrivait à Valmondois. Juve sauta sur le quai. Le banquier habitait une petite île verdoyante.

– Joli séjour, charmant pays, pensait Juve.

Le jardin soigneusement entretenu occupait toute la pointe de l’île. Bordée sur trois de ses côtés par la rivière même, la maison était construite à l’extrémité même de l’île, sur l’eau.

La propriété, une grande maison bâtie en pierres de taille avec un toit d’ardoises, ne témoignait d’aucun goût artistique mais seulement de la prospérité des affaires du banquier.

Juve sonna, resonna. En vain. Des lueurs se voyaient cependant aux fenêtres de la maison. Il y avait assurément du monde, on devait l’entendre.

– Fâcheuse idée que j’aie eue là, soliloqua le policier, de venir à Valmondois à six heures du soir. J’aurais dû venir ce matin. Oui, mais ce matin je n’aurais sans doute pas rencontré Nathaniel et c’est Nathaniel que je veux voir.

Juve, en cet instant, ébranlait pour la cinquième fois, avec une vigueur furieuse, le pied de biche :

– Tiens, on dirait que cette sonnette ne fonctionne pas. Je n’entends pas de bruit.

Puis, comme personne ne venait, il se décida tout simplement à franchir la haie d’épine. La haie passée, Juve, tranquillement, longea l’allée, gagna le perron de la villa, heurta du doigt la porte. Cette fois on l’entendit. On devait même l’entendre avec un certain étonnement car il vit une femme de chambre se précipiter pour lui ouvrir la porte. Derrière la jeune bonne, une dame d’une trentaine d’années, en robe foncée, toisa dédaigneusement Juve :

– Eh bien ?

– M. Nathaniel Marquet-Monnier est-il rentré, mademoiselle ? Voulez-vous lui annoncer que M. Juve désirerait l’entretenir quelques instants.

Le policier n’eut pas le temps d’achever sa phrase :

– Ah, monsieur Juve, c’est vous ? Dieu soit loué. Est-ce mon mari qui vous envoie ?

– Non, madame, pourquoi ?

– Excusez-moi, monsieur Juve, je suis Mme Marquet-Monnier. Voulez-vous vous donner la peine d’entrer… Marie, voulez-vous allumer les candélabres du salon ? Veuillez me suivre, monsieur.

Juve obéit, et derrière Mme Marquet-Monnier, pénétra dans un grand salon tout bête à force d’être convenable, avec ses fauteuils en tête à tête et ses douzaines de chaises raides en rang d’asperges. Les candélabres allumés, la petite bonne disparut. Mme Marquet-Monnier s’installa, les pieds sur un tabouret de velours, et cela cependant que d’un signe de tête elle indiquait un siège à Juve.

– Monsieur Juve, commençait Mme Marquet-Monnier, je sais parfaitement qui vous êtes. Je vais donc vous parier en toute franchise.

– Parlez, madame, je suis tout oreilles.

– Ce que je vais vous dire va vous sembler probablement un peu excentrique et je m’en afflige à l’avance ; croyez bien que si j’agis ainsi, c’est que réellement les circonstances m’en font une nécessité impérieuse.

– Parlez, madame.

– Je suis en ce moment folle d’inquiétude…

– Pourquoi donc ?

– Parce que depuis ce matin, monsieur Juve, il se passe des choses extraordinaires dans la propriété. J’ai donc cru que votre arrivée n’était pas fortuite et que c’était mon mari qui vous envoyait.

– Ma foi, madame, je vous avoue que je ne comprends rien du tout. Depuis dix minutes que je suis ici vous me parlez d’inquiétude, de peur. Quelle inquiétude ? quelle peur ? Qu’est-ce qui se passe en un mot ?

– Je ne vous cache pas, monsieur, que depuis ce vol extraordinaire dont a été victime M. Backefelder que vous connaissez, je vis dans une nervosité perpétuelle. Je ne suis qu’une pauvre femme qui n’entend rien aux affaires et qui tâche seulement de remplir ses devoirs de maîtresse de maison. Je m’effraie maintenant de la complication des affaires de mon mari. Je ne sais pourquoi, mais je vous le répète, depuis le vol de M. Backefelder, vol du transatlantique et vol de la rue Bayen, je vis dans la crainte de quelque chose qui doit survenir.

– Enfin, madame, voulez-vous me dire en deux mots quels sont les phénomènes qui vous ont intrigués tout particulièrement ? les craintes vagues, vous savez, cela ne relève guère des enquêtes de police.

– Ce matin, mon mari est parti de bonne heure à sa banque, m’annonçant qu’il ne rentrerait pas déjeuner, mais qu’il viendrait dîner à huit heures. Il est huit heures moins dix, s’il n’a pas manqué son train, il sera là dans quelques instants. Je commencerai seulement alors à respirer en paix. Voici ce qui s’est passé depuis ce matin. D’abord, la barque que nous possédons et qui est attachée à un piquet de notre jardin – elle nous sert à passer sur l’autre rive sans être obligés de remonter jusqu’au pont – nous a été volée pendant la nuit. Par qui ? comment ? on ne le sait pas. Cela, déjà, m’avait fait peur. Mais il y a mieux : vers dix heures, je suis descendue au jardin pour aller, comme tous les jours, surveiller la distribution de grain à mes poules, monsieur, je me suis aperçue avec un effroi très réel et que je ne vous dissimule pas, que Tom, notre chien de garde, était mort, empoisonné, je crois.

– Oh, oh, la barque volée, le chien de garde tué. En effet, c’est mystérieux.

– Ce n’est pas tout, monsieur. Je suis sortie pour aller porter l’aumône à de pauvres gens – j’estime que la charité doit être faite en personne et je visite moi-même les indigents. Eh bien, monsieur, j’ai constaté que la sonnette de la porte d’entrée avait été mystérieusement démontée au cours de la nuit.

– En effet, tout à l’heure, moi-même, j’ai vainement sonné à votre porte, j’ai dû franchir la haie pour atteindre le perron. Est-ce tout, madame ?

– Non, ce n’est pas tout, monsieur. J’ajoute que très émue par ces trois phénomènes anormaux : disparition de la barque, mort du chien de garde, démontage de la sonnette, j’ai voulu tout à l’heure, au moment où le soir commençait à tomber, téléphoner à Nathaniel pour le prier de rentrer de bonne heure, car j’avais peur à l’idée de la nuit venant. Monsieur, le téléphone était coupé… Et voilà tout, monsieur, c’est bien peu de chose en effet, je m’en rends parfaitement compte, mais il n’empêche qu’il me semble que ce peu de chose est effrayant. Comment tout cela est-il arrivé ? Pourquoi est-ce arrivé ? Qu’en dois-je conclure ? En tout cas, quand vous êtes arrivé, je vous avoue que j’étais à bout d’énergie. Ici, à la campagne, on est seul, désarmé, livré sans défense à tous les rôdeurs de nuit, à tous les gens de mauvaise vie qui peuvent être tentés par un mauvais coup. La porte qui claque, le volet qui bat, les peupliers de l’avenue, tous ces bruits me font mal.

Juve allait répondre à Mme Marquet-Monnier qu’elle devait s’exagérer les dangers qu’elle courait, lorsque la petite bonne fit irruption dans la pièce.

– Madame, criait la domestique, venez voir, c’est extraordinaire. La serrure de la porte de l’office qui est tout abîmée.

– Allons voir, dit le policier. Venez, madame, répéta-t-il. Ne craignez rien. Vous ne courez aucun danger à mes côtés.

Et peut-être pour donner confiance à Mme Marquet-Monnier, peut-être parce qu’il commençait lui-même à s’alarmer, Juve tira de sa poche un revolver dont le canon étincela aux lumières.

– Qu’il en soit fait, selon la volonté de Dieu, mais je vais être bien tourmentée jusqu’à l’arrivée de Nathaniel, dit Mme Marquet-Monnier.

***

Dix minutes plus tard, Juve, Mme Marquet-Monnier et le banquier s’entretenaient dans le grand salon. Au moment où Juve constatait que la serrure de la porte de l’office présentait non seulement des traces d’effraction, mais bien un encrassement anormal provenant, à n’en pas douter, de ce qu’on en avait pris l’empreinte à l’aide de cire à modeler, le banquier arriva.

Il avait reconnu le policier, lui avait demandé tout de suite ce qui motivait sa venue, puis s’était renseigné sur ce qui semblait intriguer Juve, occupé à examiner sans mot dire la serrure. Juve avait entraîné le banquier dans le grand salon. En dépit de l’air étonné de Nathaniel qui, tout comme sa femme, semblait considérer que le policier en prenait bien à son aise avec lui, il avait mis le maître de la maison au courant :

– Nous étions en train d’étudier tout cela, disait Juve, quand vous êtes arrivé, monsieur. Vous n’avez rien remarqué d’anormal de votre côté, soit ici, dans la propriété, soit dans vos bureaux, à Paris ?

M. Nathaniel Marquet-Monnier, pour toute réponse, haussait les épaules, enlevant ses gants, son pardessus qu’il tendit à la jeune domestique :

– Portez cela dans ma chambre, fit-il. Et se retournant vers Juve, il expliqua, enfin : Non seulement, monsieur, je n’ai rien remarqué d’anormal, mais encore je suis persuadé qu’il n’y avait rien d’anormal à remarquer.

– Et pourquoi ?

Le banquier avait un sourire supérieur :

– Mais tout simplement parce que ma femme est très nerveuse et que c’est sa nervosité seule qui lui fait voir des mystères partout. Le chien est mort parce qu’il est mort. La barque s’est détachée. La sonnerie s’est cassée. Il arrive tous les jours qu’un téléphone ne marche pas. Propos de femmes, voyons.

Et en même temps le banquier s’assit à la table du milieu, se tourna vers son épouse, lui demandant :

– Voulez-vous me faire apporter mon courrier, ma chère amie ? Je pense que je puis avoir des lettres urgentes. Vous permettez, monsieur Juve ? D’ailleurs je serais heureux d’apprendre ce qui me vaut l’honneur de votre visite. Est-ce au sujet de mon correspondant Backefelder ?

Juve admirait le calme immuable de Nathaniel Marquet-Monnier. Une minute auparavant, alors qu’il n’était pas encore là, Juve lui-même commençait à partager l’inquiétude de Mme Marquet-Monnier.

– Non, monsieur, ce n’est pas au sujet de M. Backefelder, c’est au sujet de votre frère. Vous m’aviez promis de l’aller voir.

– Et je n’en ai pas encore eu le temps, répondait le banquier qui remercia d’un sourire sa femme, lui apportant elle-même le courrier. Que voulez-vous, j’ai des occupations qui m’accaparent entièrement. Mais ce qui est promis est promis. J’irai demain, peut-être, si je trouve le temps.

– Vous irez demain, il le faut, monsieur. Votre frère est entre les mains d’une coquine, cette Rita d’Anrémont, d’une coquine qui a failli le tuer pour le voler, qui est capable de l’assassiner, d’une coquine en tout cas qui, sans moi, allait peut-être vous jouer un méchant tour.

– Mme Rita d’Anrémont allait me jouer un méchant tour, à moi ? Je ne peux craindre qu’un scandale et je ne le crains guère, car elle n’aurait rien à y gagner.

– La maîtresse de votre frère s’était emparée de ces effets déjà payés, et allait vous les faire payer à nouveau. Voici le méchant tour qu’elle méditait.

– En effet, c’était un méchant tour, mais je ne comprends pas très bien. Ces traites ont été remises par moi à mon frère, les lui avait-il donc données ?

– Non, monsieur, elle les lui avait prises.

– Cette femme est une misérable. Vous avez raison, il faudra que j’obtienne coûte que coûte de Sébastien qu’il s’en sépare. Je vous remercie du service, monsieur. Vous m’excuserez, dit le banquier à Juve, pour gagner du temps, je vais immédiatement serrer ces traites dans mon coffre-fort et je reviens vous trouver, car j’imagine que nous avons encore à causer.

Le policier resta en tête à tête avec Mme Marquet-Monnier.

– Terrible scandale, commença celle-ci.

– Plus terrible le malheur de votre beau-frère, répondit Juve.

– Il a péché, il est sévèrement puni. Dieu veuille…

Mais Juve ne devait jamais savoir quoi. Un bruit venait d’éclater.

D’un même mouvement, l’épouse du banquier et Juve se levèrent :

– Que se passe-t-il ?

– Vous avez entendu ?

Puis tous deux coururent à la porte par laquelle le banquier était sorti. Juve ouvrit, et du premier regard il vit le cabinet de travail sobrement meublé de quelques chaises, d’un bureau-ministre, d’un grand coffre-fort. Sur le bureau brûlait une lampe que le banquier avait apportée en entrant. Le coffre-fort était fermé, le cabinet de travail en ordre. La pièce était vide. Pourtant, le banquier venait d’y pénétrer par son unique porte.

Juve se précipita sur la fenêtre. Elle n’était pas fermée, il l’ouvrit grande : le banquier n’avait pu sortir par là puisque la fenêtre surplombait la rivière. Juve se retourna, considéra le cabinet de travail où Mme Marquet-Monnier, livide, se tordait les mains de désespoir.

Et Juve, sans même prendre conscience de ses paroles, jura :

– Crédibisèque, je deviens fou. Qu’est-il donc devenu ? Il était là, il n’est pas sorti, donc il y est et pourtant il n’y est pas.


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