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La livrée du crime (Преступная ливрея)
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Текст книги "La livrée du crime (Преступная ливрея)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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18 – LADY BELTHAM CHEZ THORIN

– Jérôme !

De sa voix bourrue, le bienfaisant Célestin Labourette venait d’appeler à son aide son domestique. Et maintenant il lui déclarait :

– Jérôme ! donne-moi une allumette c’est l’heure sainte et sacrée de la pipe. Allons, grouille-toi mon garçon. Il est absolument temps que je fume, ou je deviens enragé.

Jérôme Fandor frotta une allumette, la tendit à son patron :

– À votre santé, Monsieur.

– À la tienne, mon garçon.

Célestin Labourette s’entourait d’un nuage bleuâtre des plus propices à la rêverie. C’était l’instant que Jérôme Fandor attendait depuis le matin.

Jérôme Fandor, en effet, avait remarqué que Célestin Labourette n’était jamais si brave homme, si bien disposé à accorder tout ce qu’on pouvait lui demander qu’une fois son déjeuner achevé, au moment où il commençait à fumer, le gilet déboutonné, la patte de son pantalon lâchée et si à l’aise que, rien qu’à le voir, on sentait son contentement intime de gros homme dont la digestion se fait lentement.

– Patron, commençait Jérôme Fandor, j’aurais quelque chose à vous demander.

– Tu es un bon garçon, si je peux te faire plaisir.

– Oui patron, je vous demande mon après-midi.

– Tu as donc envie de faire la noce ?

– Patron, j’ai une petite amie à voir.

À cette déclaration imprévue, Célestin Labourette éclata de rire, d’un large rire jovial qui lui secouait la bedaine, qui lui plissait les yeux, lui fendait la bouche, d’une oreille à l’autre.

– Eh bien, mon colon, tu ne manques pas de toupet, toi au moins. Il y en a qui s’inventeraient une mère malade, un oncle agonisant, un héritage à recevoir, n’importe quoi enfin. Toi, tu dis les choses tout à trac. Vingt dieux, tu as une petite amie à voir, mon garçon ? hé, hé, mes félicitations, elle est brune ou elle est blonde ?

– Blonde.

– Alors je ne te tromperai pas avec elle, je n’aime que les brunes. Et comme ça, c’est aujourd’hui que tu as décidé d’aller lui faire la cour ? Elle est prévenue de ta visite au moins ?

– Oui, patron, pourquoi ?

– Parce que si elle ne l’était pas, mon ami, je risquerais en t’accordant la permission, de lui occasionner des ennuis. Tu pourrais la trouver par exemple dans les bras d’un agent de ville.

– Pas de danger, patron, elle est fidèle.

– La bonne blague ! Eh bien Jérôme, tu ne te mouches pas du pied quand tu t’y mets. Ah tu connais des femmes fidèles ? Mes félicitations. Tu me présenteras, hein. Eh bien, va, mon garçon, va retrouver ta belle. Aujourd’hui, je n’ai pas de cochons à mener à l’abattoir et je n’ai pas besoin de toi pour le tilbury, va te promener, va te payer une tranche de rigolade. Allons dépêche-toi. Je ne t’attends pas avant sept heures.

Le journaliste monta dans sa chambre de domestique, une mansarde que meublaient en tout et pour tout une paillasse, une vieille commode dont il était impossible de refermer les tiroirs et trois chaises boiteuses. Cinq minutes au jeune homme pour donner un coup de brosse à ses souliers, de gros souliers qu’il avait achetés pour mieux faire figure de domestique. Un coup de brosse pour la coiffure. La livrée envoyée au diable. Le veston d’alpaga, dont la simplicité convenait heureusement à sa nouvelle profession, endossé, et il était prêt, prêt à aller voir, prêt à aller retrouver la petite amie blonde dont il avait parlé à Célestin Labourette. À peine le reporter avait-il franchi le jardinet qui séparait la demeure du marchand de cochons, de la rue, que les manières volontairement enjouées et rieuses du pseudo-domestique se modifièrent entièrement. Jérôme Fandor, le front soucieux, la démarche pressée, avançait à grands pas, héla un fiacre, jeta une adresse, puis sautant dans le véhicule, ferma les yeux, parut dormir.

Jérôme Fandor, toutefois, ne dormait pas. Tandis que le cheval le véhiculait à une allure déplorablement lente à travers les rues des Lilas d’abord, puis à travers les faubourgs parisiens ensuite, tandis qu’il se rendait dans la direction de Belleville, Jérôme Fandor réfléchissait :

– D’après ce que je suis parvenu à apprendre, supputait le journaliste, la Mme Gauthier, qui n’est autre que Lady Beltham, doit se rendre aujourd’hui même à Belleville, faire une tournée de charité. Parbleu. Il est impossible d’admettre que Lady Beltham ne soit plus en relations avec Fantômas et par conséquent, en arrivant à pister Lady Beltham, je parviendrai au monstre.

Au fur et à mesure que son fiacre se rapprochait de la rue de la Liberté, Jérôme Fandor se sentit envahi d’une satisfaction intime, la satisfaction des succès proches… Or, brusquement, le journaliste se dressait dans sa voiture.

– Malédiction, murmurait-il.

Et, en même temps, il se hâta de baisser la vitre de la portière, de passer la tête :

– Cocher, cocher, suivez la voiture qui vient de nous croiser, ce coupé de grande remise.

Jérôme Fandor, dans ce coupé, ce coupé qui s’éloignait à bonne allure, avait cru reconnaître le gracieux visage de Mme Gauthier, les traits de lady Beltham.

– Suivre c’te voiture-là ? répondit le cocher. Eh bien, vous n’avez pas la frayeur, vous, n’y a pas mèche avec mon cheval, j’vas relayer.

– J’m’en fiche, crevez votre rosse s’il le faut mais suivez cette voiture.

– Crevez ma bique ? vous y allez bien, pour la ramener en sueur au dépôt et écoper de vingt francs d’amende, j’y tiens pas, jeune homme.

– Marchez, crédibisèque, il y a cent francs de pourboire pour vous si nous ne sommes pas distancés.

– Cent francs de pourboire ?

Le cocher, de stupéfaction, était devenu blême. L’allure du fiacre changea. Les coups de fouet cinglèrent le dos de l’haridelle qui prit le galop.

– On les rattrapera, dit le cocher.

Le fiacre regagnait évidemment du terrain sur le coupé, allait être bientôt à sa suite, mais la partie n’était pas gagnée. Jérôme Fandor passa à nouveau la tête par la portière :

– Cocher ?

L’homme ne l’entendait pas, ayant trouvé plus simple, pour maintenir sa bête au galop de s’accroupir sur son siège et de lui larder la croupe à coups d’épingles.

– Cocher, hurlait Fandor.

– Ça va, on rattrape.

– Cocher ? criait désespérément Fandor.

Et comme l’automédon enfin condescendait à écouter, le journaliste acheva :

– Bon sang, ne vous faites pas remarquer comme ça, collez-vous dans le sillage du coupé que je vous ai montré, mais n’attirez pas l’attention sur vous. D’ailleurs si vous faites de grands gestes et si vous gueulez comme un diable, les sergents de ville vont vous arrêter.

Autant en emporte le vent. Jérôme Fandor pouvait bien parler, supplier son cocher de se redresser, de s’asseoir correctement sur son siège, celui-ci restait ébloui par la vision du pourboire promis.

– L’animal, grognait Fandor, il va flanquer son cheval par terre, casser ma jolie figure et me faire rater définitivement ma poursuite.

Le fiacre, d’ailleurs, après avoir regagné sur le coupé dans les rues encombrées, perdait manifestement sur lui dans les voies larges où le cheval de maître pouvait se déployer plus à son aise.

– Cré bon sang, jura Jérôme Fandor, je m’en vais rater mon affaire.

Jérôme Fandor, par bonheur, avait entrevu aussitôt le moyen d’améliorer sa situation : il fouilla dans son portefeuille, y prit un billet de cent francs, ouvrit la portière et, s’agrippant au marchepied, parvint à frapper le bras de son automédon épileptique.

– Ça va bien, lui cria-t-il, voilà le pourboire promis, arrêtez-moi à la première station de taximètres.

Le galop furieux continua quelques secondes encore, puis Jérôme Fandor avisa un taxi-auto qui passait en maraude, sautait en voltige du fiacre, rejoignant le taxi-auto, grimpa sur le marchepied :

– Vite, allez, marchez, il faut que je rejoigne ce coupé.

Et tandis que l’auto démarrait à toute allure, épuisé, hors d’haleine, le cœur battant à tout rompre, Jérôme Fandor, cramponné au marchepied, finissait par ouvrir la portière. Il se jeta à l’intérieur du landaulet, tomba sur les coussins, épuisé.

Dix minutes plus tard, Jérôme Fandor se retrouvait en pleine possession de ses moyens. Malheureusement, la situation ne s’était pas améliorée. Certes, le journaliste avait été merveilleusement inspiré en sautant du simple fiacre pris aux Lilas pour grimper dans le taxi-auto. Facilement, en effet, le wattman forçant un peu l’allure avait rejoint le coupé de maître et maintenant il le suivait la roue dans la roue, sans qu’il fût possible que celui-ci s’échappât. Cependant, Jérôme Fandor, à peine remis de ses premières émotions, avait en effet avidement contemplé le coupé de maître dans lequel se trouvait, croyait-il, lady Beltham. Il avait eu une violente émotion. Il lui avait semblé que, par le petit carreau percé dans la paroi postérieure du coupé, sans même relever le rideau qui le voilait, mais en profitant de l’œillère qui y était ménagée, quelqu’un l’avait regardé à plusieurs reprises, quelqu’un avait surveillé le taxi-auto.

– Crédibisèque, avait juré Fandor, ça y est, je suis brûlé. Ma folle poursuite en fiacre a attiré l’attention de lady Beltham. Elle s’est rendu compte qu’on la poursuivait. Je ne saurai rien aujourd’hui par elle. Bigre de bigre, ça va me coûter chaud, cette affaire-là. Cent francs à mon cocher, cinq ou six francs à ce taximètre. Et tout cela peut-être pour faire chou blanc.

Après les rues excentriques du quartier de la Villette, le coupé avait tourné dans la rue Lafayette qu’il descendait à grande allure. Puis, l’itinéraire changea encore une fois. Un brusque crochet amena voiture poursuivante et voiture poursuivie par la rue du Faubourg-Poissonnière, encombrée de fardiers pesants, jusqu’aux grands boulevards.

– Où diable s’en va-t-elle ? se demandait Fandor.

Le coupé de maître obliqua vers la Bourse, longea le Théâtre Français, puis vira sur la place du Palais-Royal. Jérôme Fandor abaissa les rideaux de son taxi :

– Sapristi, pensa le journaliste, je suis joué, elle va au magasin du Louvre, je vais la perdre dans la cohue.

Jérôme Fandor, par bonheur, n’était pas homme à abandonner la lutte. Après avoir baissé les rideaux bleus garnissant les portières de son propre taxi-auto, il manœuvra de façon à baisser la glace qui le séparait du chauffeur :

– Attention, commença-t-il, ne vous retournez pas et écoutez-moi, ayez l’air d’être en maraude. Zut pour les contraventions que vous recevrez. Écoutez les instructions qui vont être données au cocher de ce coupé.

Et pour que ses paroles eussent plus de poids, Fandor affirmait à son wattman :

– Je suis de la police.

Et tandis qu’un sergent de ville commençait à réprimander vertement son chauffeur, Jérôme Fandor entendait distinctement lady Beltham dire à son cocher :

– J’en ai pour une demi-heure, allez m’attendre devant le ministère des Finances, je vous retrouverai là.

***

– Écoutez, dit Fandor au conducteur qui l’avait conduit, vous ne vous doutez pas de l’importance de la poursuite que nous venons de réussir, mais elle n’est pas finie. Voici ce que nous allons faire : vous allez changer de place avec moi. Prenez mon manteau, c’est moi qui conduirai ce fiacre. Vous en descendrez d’ailleurs ostensiblement quand vous m’entendrez frapper au carreau, vous aurez l’air de me payer. Je veux que l’on croie ma voiture vide.

– Monsieur veut conduire mon fiacre ? Mais si la compagnie le savait ? Si un inspecteur ?

– Assez, je ne vous demande pas votre avis, je vous donne des ordres.

Et comme le wattman semblait peu convaincu, Jérôme Fandor n’hésita pas.

Il prit son portefeuille, en tira une carte de la Bibliothèque Nationale qu’il montra une seconde au digne conducteur du taxi :

– Voici mon brevet d’agent de police et pour vous indemniser de votre journée, voici cinquante francs.

Jérôme Fandor, en même temps, songeait :

– Zut, j’ai donné cent francs tout à l’heure, tâchons de diminuer les prix et de faire des économies.

En même temps, il ajouta :

– D’ailleurs, vous ne risquez rien. Je prends toutes les responsabilités à mon compte. Allons, dépêchez-vous. Rendez-vous ce soir à minuit à l’Arc de Triomphe, je vous y rendrai votre véhicule.

Terrorisé par la manière brusque du journaliste, émerveillé par la carte qu’il venait d’entrevoir, le chauffeur ne fit plus de difficultés.

En une seconde, il eut revêtu le veston de Fandor, se fut coiffé de son chapeau et le journaliste lui-même faisait un très présentable wattman, engoncé dans le lourd paletot bleu de son chauffeur, le front recouvert de la casquette.

– Montez, ordonna Fandor, et soyez prêt à descendre dès que j’arrêterai lorsque je frapperai au carreau.

Ce travestissement rapide n’avait duré que quelques secondes. Jérôme Fandor pilotant avec habileté le taxi-auto dont il était maintenant le chauffeur, retrouva rapidement, rangé devant le ministère, le coupé de lady Beltham. Il alla stationner quelques mètres plus loin :

– Au volant, pensait le journaliste, je suis sûr de ne pas laisser échapper le coupé. De plus, si par hasard je m’aperçois que lady Beltham surveille mon véhicule, je n’aurai pour atténuer ses craintes qu’à faire descendre mon chauffeur. Elle ne le reconnaîtra pas et comme, à coup sûr, elle ne pensera pas à m’identifier sous mon costume de wattman, je pourrai la filer tant que je voudrai.

Vingt minutes plus tard, lady Beltham rejoignait son coupé, donnait une adresse à son cocher, le véhicule tournait rue de Rivoli, partait dans la direction de la Concorde. Derrière lui, le taxi-auto de Jérôme Fandor s’ébranla.

C’est d’un bon train que son coupé suivit la rue de Rivoli, traversa la place de la Concorde, grimpa l’avenue des Champs-Élysées.

– C’est à l’Étoile que ça va se décider se dit Jérôme Fandor. De quel côté va-t-elle tourner ?

Le coupé ne tourna pas. Il contourna l’Arc de Triomphe, puis descendit l’avenue de la Grande-Armée.

– Mon Dieu, songea Jérôme Fandor, où diable s’en va donc lady Beltham ? J’imagine que nous n’allons pas franchir l’octroi et sortir de Paris ?

Jérôme Fandor se trompait. Le coupé de lady Beltham franchit la grille, fila par la rue de Chartres, vers le cœur de Neuilly.

Comme il franchissait l’octroi, le chauffeur passa la tête à la portière :

– Hé, monsieur, vous oubliez de déclarer l’essence.

– L’essence, je m’en fous, ne vous occupez pas de cela, je vous paierai les droits de réintroduction.

Le cocher abasourdis, se demandant sérieusement s’il n’avait pas laissé monter sur son siège un fou dangereux, n’insista pas. Jérôme Fandor, au volant, continuait à réfléchir :

– L’église de Neuilly, le boulevard Inkermann, ah çà… est-ce que par hasard ?

Et soudain, comme le coupé opérait un virage savant pour prendre une étroite petite rue proprette, Jérôme Fandor retint mal un juron :

– Ah, nom de Dieu, je m’en doutais, mais qu’est-ce que cela peut donc vouloir dire ?

Sur une plaque indicatrice, Jérôme Fandor avait lu : « Rue Perronet ».

Quelque temps encore le taxi-auto poursuivit le coupé, puis le coupé s’arrêta et Jérôme Fandor vit lady Beltham en descendre pour entrer à une petite porte, la porte d’un grand établissement aux airs de couvent, que le journaliste reconnut parfaitement. Lady Beltham venait de pénétrer dans le bureau de placement Thorin.

19 – DE L’AMOUR À LA MORT

Ni Sébastien ni la belle Rita ne furent au déjeuner auquel ils devaient assister.

L’après-midi, Rita d’Anrémont, soucieuse et perplexe, mais ne négligeant pas cependant pour cela les exigences de sa vie de plaisir, s’en était allée à un thé rejoindre des amies. L’une d’elles avait insisté pour que Rita restât dîner avec elle, et après de nombreuses hésitations, la demi-mondaine à qui son rôle de garde-malade commençait à peser, avait décidé d’accepter la proposition de son amie et de ne pas revenir chez son amant. Elle avait donc téléphoné pour solliciter l’autorisation de Sébastien, qu’elle savait être accordée d’avance.

Le jeune homme était resté seul dans le grand hôtel vide et morne. On lui avait servi son repas. Il mangea du bout des lèvres, puis, toujours très troublé et plus soucieux assurément qu’il ne voulait le paraître, Sébastien s’était retiré dans son cabinet de travail. Ce bureau étant son véritable chez lui, il en reconnaissait tous les objets familiers rien qu’au toucher.

Sébastien, sitôt son dîner terminé, avait congédié Mme Casimir, la femme du concierge qui provisoirement assurait le service en attendant que Rita d’Anrémont eût engagé des domestiques. Et ce soir-là, l’infortuné aveugle, plus morose qu’à son ordinaire, isolé dans sa tristesse et ses ténèbres perpétuelles, avait voulu être plus seul encore.

Il était environ neuf heures du soir lorsque des pas furtifs retentirent dans le vestibule du rez-de-chaussée.

Sébastien prêta l’oreille et, avec une certaine surprise, il entendit que l’on montait l’escalier conduisant au premier étage où il se trouvait.

– Qui va là ? cria brusquement l’aveugle inquiet.

Le bruit, cependant, s’était arrêté, bien que Sébastien ait cru deviner que la porte donnant dans son cabinet de travail s’ouvrait.

À tout hasard Sébastien répéta :

– Qui va là ?

L’infortuné crut défaillir, une voix inconnue, grave et sourde, répondait :

– C’est moi, n’ayez pas peur.

– Qui que vous soyez, supplia Sébastien, épargnez un malheureux. Je suis aveugle : Si vous venez pour voler, volez mais ne me tuez pas. Soyez tranquille, même si je le voulais, je ne pourrais pas vous dénoncer.

– Ce n’est pas un voleur, monsieur, qui se présente devant vous, c’est un misérable, un criminel, mais un criminel repentant. C’est vous que je viens voir, je souffre le martyre, il faut que je parle.

– Au secours.

– Remettez-vous, monsieur, n’ayez pas peur, je vous jure qu’il ne vous sera fait aucun mal, bien au contraire. Écoutez…

– Mais, pour l’amour de Dieu, expliquez-vous.

– Laissez-moi parler.

– Parlez.

– Monsieur, il y avait, voici quinze ans au moins de cela, dans une bourgade au fond du Limousin, à Saint-Symphorien, un jeune ouvrier et une jeune paysanne qui se connaissaient d’être voisins, de se rencontrer sur la route. Puis un beau jour, au printemps, ils s’étaient connus mieux. Leurs intentions étaient pures. Ils ne formaient qu’un projet : c’était celui de s’unir devant la loi et devant le prêtre. Le jeune homme, sur ces entrefaites, partit au régiment. La jeune fille, vint à Paris.

– Où voulez-vous en venir ?

– Je ne suis qu’un simple ouvrier, un terrassier, monsieur, père de famille. Je m’appelle François Bernard, et, jusqu’à présent, je n’avais jamais commis de mauvaise action.

– Qu’est-ce que vous voulez ? Un secours ? Une charité ? Ce n’est vraiment pas l’heure. Je me demande comment vous vous êtes permis de vous introduire ainsi chez moi ?

– Je vous en supplie, laissez-moi encore quelques instants. Il faut que vous m’entendiez, il faut que je me confesse et que j’expie.

– C’est un fou, se dit Sébastien, qui, résigné, se promit de ne plus interrompre son étrange interlocuteur.

– J’étais parti au régiment. Julie Person était venue à Paris. Il faut vous dire que Julie Person c’était la jeune fille que j’aimais et cependant les hasards de la vie m’ont retenu cinq ou six ans encore hors du pays après ma période militaire. Lorsque j’y suis revenu, j’ai épousé une brave fille qui se trouvait là-bas, ma femme aujourd’hui, monsieur, la mère de mes enfants. J’avais, je l’avoue, à peu près oublié mon premier amour. Mais je suis venu travailler à Paris, et j’ai retrouvé Julie Person. Et j’ai découvert que je l’aimais toujours. Pourtant, elle avait changé. Elle ne baissait plus les yeux. Elle ne rougissait plus. Elle portait des fourrures. On parlait d’elle dans le journal. Elle m’a reconnu. Elle m’a dit : « Bonjour Bernard ». Elle n’a jamais été ma maîtresse bien qu’elle jure qu’elle m’aime. C’est à ce moment, monsieur, qu’elle est devenue votre maîtresse.

Sébastien bondit :

– Ma maîtresse ? Julie Person. Je ne comprends pas ce que vous racontez, mon garçon.

– Vous comprendrez, monsieur, répondit l’homme, lorsque vous saurez que Julie Person se fait appeler dans votre monde : Mme Rita d’Anrémont.

– Rita, ce n’est pas possible. Vous mentez. Vous divaguez.

– Je sais ce que je dis, monsieur, et je dis la vérité.

– C’est vous, hurla-t-il, oui, c’est vous qui avez voulu la tuer, qui êtes venu l’arracher à mes bras, qui l’avez attachée, meurtrie, jetée dans la cave.

– Non, monsieur, non, je ne suis pas un voleur et jamais je n’aurais osé toucher un seul cheveu de la tête de Julie Person. Hélas, oui, j’étais chez vous la nuit du crime. Mais je n’étais pas seul. Il y avait quelqu’un d’autre, un voleur, un bandit qui n’a pas craint de torturer la femme que j’aime. La preuve, monsieur, qu’il y avait un tiers, je vous l’apporte, j’ai tenu à vous l’apporter.

Le terrassier, dont les doigts tremblaient, prit de la poche de son veston une boucle de vêtement qu’il tendit à l’aveugle, mais celui-ci ne vit pas, et le terrassier, d’un geste las, posa l’objet machinalement sur une étagère voisine.

– Si ce n’est pas vous qui avez volé chez moi, qui avez attaché Rita, que faisiez-vous donc dans ma maison ?

– J’étais là, monsieur, pour vous vitrioler. Pardon. J’étais jaloux. Je l’aime.

– Ah, bandit, canaille, hurla l’aveugle.

Mais il s’arrêta net. À ce moment précis, un appel strident venait de retentir, quelqu’un cria :

– Sébastien… Bernard !

C’était Rita d’Anrémont.

– Sébastien, dit-elle d’une voix plus douce, comment se fait-il ? Vous avez reçu cet homme, cet ouvrier à cette heure tardive ? Que vous veut-il ? Expliquez-moi. Je suis inquiète.

Mais Bernard coupa la parole à Rita.

– Julie Person, dit-il, et d’abord j’ai tout dit, assez d’équivoques.

– Tu as tout dit ? fit-elle, qu’as-tu pu dire ?

Le terrassier se dégageait :

– J’ai dit ce que j’ai dit, finissons-en.

– Rita, s’écriait Sébastien, cet homme a dit vrai, tout à l’heure, lorsqu’il m’a fait connaître son amour pour toi, ton amour pour lui ? Il a avoué m’avoir vitriolé par jalousie, mais ne l’as-tu pas toi-même encouragé à commettre ce crime ? Je t’en supplie, Rita, dis que ce n’est pas vrai, dis que tu as bien brûlé les traites que je t’avais remises. Dis que tout cela n’est pas.

La demi-mondaine ne disait rien. Elle regardait les deux adversaires en présence : Sébastien, malingre, à demi-mort de névrose et de fatigue, fou de désespoir, aveugle ; et, en face de lui, Bernard, robuste, puissant, épaules noueuses, bras musclés, farouche, le regard chargé de haine. Elle eut peur, soudain de se mettre du côté du plus faible et d’être alors la victime de celui qui, assurément, fou de jalousie, serait le plus fort.

– Et quand ça serait ? hurla-t-elle alors. Oui, quand ça serait ? Que peux-tu dire ? Que peux-tu donc penser ? Tu veux, pauvre misérable Sébastien, que nous mettions bas les masques. Soit. Écoute. Tu as voulu la vérité, la voici. T’aimer, moi ? Allons donc. Ça n’est pas une femme comme moi qui peut s’éprendre d’un être comme toi. Apprends-le donc, je n’en ai jamais voulu qu’à ton argent, et je ne me gêne pas pour le dire, car d’ici peu, tu ne seras guère en état de le répéter. Non, je ne t’aime pas. Je ne t’ai jamais aimé, car il en est un autre que j’aime. Dont je suis folle, qui occupe toute mon âme, tout mon cœur, toute ma pensée, c’est lui, c’est Bernard, mon premier, mon seul, mon unique amour. Bernard, finissons-en.

La misérable elle-même prit dans la poche de l’ouvrier le couteau qui s’y trouvait. Elle ouvrit l’arme, elle la plaça de force dans la main du terrassier :

– Va donc, va donc, murmura-t-elle, anxieuse, il faut en finir. Nous avons été trop loin. Tant pis, advienne que pourra.

Elle se recula, poussa le terrassier par les épaules dans la direction de Sébastien, effondré dans son fauteuil.

– Va donc, ordonnait-elle, frappe.

Mais l’ouvrier n’obéissait pas. Il demeurait immobile, silencieux, le sourcil froncé, le regard hargneux, la lèvre mauvaise.

Soudain Bernard, qui était demeuré atterré, poussa un rugissement sauvage. Ah cette fois, l’homme sortit de sa stupeur, s’arrachant à son immobilité. Son bras se leva, terrible :

– Bravo Bernard, dit Rita, frappe, tue-le.

Mais elle s’interrompit. Bernard avait crié :

– Misérable.

C’était à Rita d’Anrémont qu’il s’adressait, c’était vers elle qu’il tournait son arme meurtrière. Et plus vif que la pensée, plus rapide que l’éclair, il plongea le couteau jusqu’à la garde, dans la poitrine de Rita d’Anrémont.

Un flot de sang jaillit de la blessure.

– Grâce, hurla Rita d’Anrémont qui, dans un effort surhumain, se redressa, arracha l’arme et, de ses deux mains, comprimait la plaie béante. Elle fit deux pas, puis chancela, s’abattit. Sa tête, lourdement, vint tomber sur les genoux de Sébastien.

L’aveugle avait entendu un dernier appel :

– Au secours, Sébastien, murmuraient les lèvres déjà presque inertes de sa maîtresse.

Et dès lors, ivre de fureur à son tour, l’infirme se précipita au hasard devant lui, fonçant dans les ténèbres, hurlant comme une bête blessée, hurlant lui aussi à la mort. Après avoir trébuché dans le cadavre de la demi-mondaine, Sébastien, absolument fou, se heurta au terrassier. Celui-ci, à genoux sur le tapis de la pièce, demeurait hagard, hypnotisé, comprenant à peine ce qu’il venait de faire. Mais soudain le robuste ouvrier reçut un choc en pleine poitrine, cependant qu’il tombait en arrière.

Sébastien, de tout son poids, était tombé sur le terrassier, et ses mains nerveuses et fines se serraient autour du cou de l’homme, l’emprisonnèrent comme dans un étau. L’infortuné jeune homme n’avait rien d’un athlète, mais la rage et le désespoir centuplaient son énergie. Il était fou, incapable de se rendre compte de ce qu’il faisait. Un homme qu’il ne connaissait pas venait, tout à coup, de lui apprendre qu’il était épris de sa maîtresse à lui, il venait lui raconter brutalement, lâchement, que cette femme était indigne de cet amour, il le prouvait. Puis cet homme assassinait l’infortunée Rita.

Et, cependant que le terrassier se débattait, gémissait, faisait des bonds affreux, l’étreinte de Sébastien ne se desserrait pas. L’homme s’était relevé, essayant de se secouer, de faire lâcher prise aux mains nerveuses qui l’étranglaient. En vain. Sébastien ne lâchait pas. Ses doigts s’incrustaient dans la chair, crevaient la peau, pénétraient dans la gorge. Brusquement, le corps de Bernard retomba lourdement inerte. La tête du misérable résonna sur le plancher.

– Il est mort, murmura l’aveugle, Rita, où es-tu ?

Horreur, le corps était presque froid. Rita était morte, bien morte.

– Au secours, au secours ! hurla Sébastien en proie au délire. Au secours !

Il se précipita sans savoir, au hasard de la pièce, se heurtant à tous les murs. Soudain, sa main tremblante rencontra une poignée que, machinalement, il fit tourner, c’était l’issue. Une bouffée d’air froid le frappa au visage. Il aspira profondément, emplissant ses poumons, et se précipita en avant sur ce qu’il imaginait être le palier de la maison dont les moindres détails lui étaient connus. Un obstacle, soudain, l’arrêta dans sa course. Sébastien se heurta à une sorte de barre qui lui venait à mi-corps et, entraîné par son élan, il bascula, la tête en avant, par-dessus cette barre. Le malheureux avait pris la fenêtre pour la porte, tombant par dessus le balcon. Il s’effondra sur les dalles du perron et se brisa le crâne en arrivant au sol.


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