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La livrée du crime (Преступная ливрея)
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Текст книги "La livrée du crime (Преступная ливрея)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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23 – LE REPAIRE

À sept heures du matin, dans la tiédeur de son lit, Juve qui avait commencé à dépouiller ses journaux et, naturellement, sursauté en lisant un premier reportage fait à la hâte et peu explicite relatif au meurtre du malheureux Célestin Labourette, meurtre inexpliqué, inexplicable, affirmait le journal, mais qui, cependant, entraînerait certainement d’importantes arrestations dans le monde de la pègre, car la police prévenue avait pu arriver à temps et arrêter un des auteurs du forfait.

Juve était encore en train de lire les détails du tragique récit lorsqu’au pied de son lit le téléphone se mit à carillonner. Il bondit sur l’appareil : c’était M. Havard qui appelait à l’aide le roi des policiers et le chargeait d’aller éclaircir ce que l’on appelait déjà « la tragique affaire des Lilas ».

– Je ne suis pas renseigné du tout, dit M. Havard, tout ce que je sais, c’est qu’il y a un meurtre et que l’on a arrêté quelqu’un. Allez donc voir de quoi il s’agit, Juve. Décidément le drame court la rue. Il faut en finir. Il faut, pour satisfaire l’opinion, que nous arrivions au moins à éclaircir l’un de ces mystères.

Ce n’est pas, en vérité, uniquement pour donner satisfaction à l’opinion que Juve s’habilla en hâte et partit pour Les Lilas. Le policier se souciait fort peu de ce que l’on est convenu d’appeler « l’opinion », qui avait une importance capitale aux yeux de M. Havard. L’opinion, c’était, pour Juve, quelque chose de négligeable au regard de la conscience, et c’était en s’aidant de sa conscience que Juve se promettait d’apporter tous ses soins à la nouvelle enquête qu’on lui confiait. Depuis longtemps, en effet, Juve considérait que les crimes le plus souvent ne sauraient être considérés comme formant autant d’affaires nettement définies et distinctes. Il jugeait et l’expérience lui avait à maintes reprises donné raison, que les affaires sont reliées entre elles, qu’elles dépendent les unes des autres, que les criminels appartenant au monde de la pègre se connaissent, se renseignent entre eux, ont des affinités, des rapports, ce qui fait qu’il est toujours intéressant, dans l’étude d’une affaire, de ne point oublier les constatations établies au cours d’une enquête se rapportant à une autre affaire.

– Célestin Labourette, songeait Juve, tout en s’habillant, Je connais ce nom, mais du diable si je peux préciser où je l’ai entendu pour la première fois. Célestin Labourette, un marchand de cochons ? m’a dit M. Havard.

Et puis, soudain, Juve se souvint. Célestin Labourette, mais oui ! Au Crocodile, le gros qui disait : « Parfaitement, je suis marchand de cochons, gros marchand de cochons, comme qui dirait le roi des marchands de cochons. »

Maintenant qu’il y pensait, d’ailleurs, c’est ce même soir, avec Backefelder, qu’il avait vu Adèle et Chonchon, sans compter le maître d’hôtel : Bébé. Crédibisèque, il ne fallait pas beaucoup de flair pour sentir les traces de… Ne nous énervons pas.

***

Au commissariat de police des Lilas, le collègue de service ne lui laissa même pas le temps d’ouvrir la bouche :

– Eh bien, mon cher, pour une fois, je crois que vous arrivez comme les carabiniers d’Offenbach. Il n’y a plus rien à trouver. Le coupable est sous les verrous. Par conséquent, j’imagine que, grâce à ses aveux, grâce aux dénonciations de ses complices, nous saurons tout.

– Eh bien, c’est parfait, la besogne va nous être simplifiée si réellement l’un des assassins est déjà sous les verrous. En somme, que s’est-il passé ? que savez-vous ? comment avez-vous été prévenu ?

– Voici en deux mots l’affaire. Hier soir, vers onze heures, j’étais en train de signer des rapports, des papiers administratifs, lorsque tout d’un coup, le brigadier de garde a frappé à la porte de mon cabinet. C’est un homme en qui j’ai toute confiance, sérieux, habile, connaissant son métier. « Monsieur le commissaire, m’a-t-il déclaré, il y a l’agent Perrier qui vient de rentrer au poste et qui raconte une histoire extraordinaire. »

J’ai fait entrer l’agent Perrier et il m’a raconté, en effet, des choses extraordinaires. Au beau milieu de sa faction, alors que, suivant sa propre expression, il ne « songeait à rien du tout », il a entendu des cris, puis des coups de revolver provenant d’une petite villa voisine. Mon agent a aperçu une grosse femme vêtue de façon un peu voyante qui s’enfuyait en toute hâte, cependant qu’à la porte d’entrée une autre femme lui criait :

– Reviens donc, Chonchon, es-tu bête. C’est pas à nous qu’ils en veulent. C’est les poteaux.

– Alors, qu’a fait l’agent Perrier ?

– Il a écouté.

– Mon Dieu, il aurait dû se précipiter dans cette maison.

– C’est là où la chose devient tout à fait cocasse. L’agent Perrier s’est convaincu qu’il y avait toute une bande de cambrioleurs occupés à l’intérieur de la maisonnette. Il a entendu des bruits de pas, des bruits de voix, puis des lumières ont passé aux fenêtres, enfin un remue-ménage extraordinaire à cette heure avancée de la nuit.

– Et alors, l’agent Perrier est entré dans la maison ?

– L’agent Perrier n’est pas entré, il était seul, il se serait fait tuer. Non. Il a eu une heureuse inspiration. Il est revenu au poste pour donner l’alarme et c’est à ce moment que j’ai décidé d’intervenir. Averti, j’ai immédiatement pris cinq hommes avec moi et nous nous sommes élancés vers la maison. Nous allions atteindre la grille. À ce moment précis, nous avons vu un homme qui en sortait sur la pointe des pieds, si j’ose m’exprimer ainsi, et prenait les plus grandes précautions pour n’être pas découvert. On l’a ceinturé, mis hors d’état de nuire. Rien qu’à sa façon de s’habiller, c’est visiblement un des apaches qui ont attaqué la villa.

– Et qu’a-t-il dit ?

– Rien. Depuis son arrestation, il s’enferme dans un mutisme absolu.

– Nous verrons à l’interroger tout à l’heure. L’arrestation faite, comment avez-vous opéré ?

– Comme il le fallait, j’ai laissé deux de mes hommes avec le prisonnier qui avait les menottes, en leur enjoignant de le conduire au poste où il est encore. Puis, avec les trois agents restants, j’ai sonné à la grille de la villa et je suis entré.

– Il n’y avait plus personne ?

– Comment le savez-vous ?

– Dame, si vous avez sonné pour vous annoncer.

Un silence. Le commissaire était maintenant au paroxysme d’une colère contenue. N’empêche, il fallait répondre. Les règles de la politesse administrative l’exigeaient :

– Nous sommes entrés et nous nous sommes précipités aussi vite que nous l’avons pu dans la petite maison. Nous sommes arrivés juste à temps pour apercevoir un groupe d’hommes qui sautaient le mur du fond du jardin. Ils se sont enfuis à travers les terrains vagues derrière, emportant, si nous l’avons bien vu, un corps, quelqu’un, un blessé.

– Et vous les avez poursuivis ?

– Nous avons fouillé la maison, d’abord.

– Ah ?

– Et c’est alors que nous avons trouvé dans la salle à manger le malheureux propriétaire de la villa. Célestin Labourette, à demi-mort, criblé de coups de couteau, baignant dans son sang et si terriblement atteint qu’à l’hôpital où je l’ai fait immédiatement transporter, on désespère de le sauver. Défense de l’interroger.

– Vous n’avez rien trouver d’autre ?

– Si, dans la cave, une petite lampe électrique allumée.

– Et c’est tout ?

– C’est tout. Je ne vous parle point des meubles cambriolés, un petit coffre-fort forcé, des dégâts.

– Eh bien, tout cela me semble parfait, voyons l’homme que vous avez arrêté, dit Juve.

Le commissaire envoya chercher l’homme arrêté. Juve se carra dans le fauteuil de cuir, prépara un carnet et, le crayon à la main, s’apprêta à prendre des notes.

Dans le couloir, on entendait le gardien qui pressait son prisonnier :

– Avance donc, sacré nom.

Puis, la porte du cabinet du commissaire s’ouvrit. Juve était placé juste en face. C’est lui qui, le premier, devait apercevoir celui qu’on allait introduire.

Et Juve éclata de rire. Un rire énorme. Pas du tout conforme au personnage dont il était venu tenir le rôle au commissariat des Lilas.

– Qu’avez-vous ? demanda le commissaire.

– Vite, lui répondit Juve, faites-moi le plaisir de détacher cet homme. Les clefs de ces poussettes, tout de suite, ou je me fâche, crédibisèque.

– Mais…, firent le Commissaire et le gardien de la paix, vous n’allez pas détacher cet homme.

– Bougre de nom d’un chien, dépêchez-vous donc. Puisque je vous dis que c’est Jérôme Fandor, de La Capitale, aussi innocent que moi. Faut-il être bête pour l’avoir arrêté et pris pour un apache.

***

Une heure plus tard, Fandor, mis en liberté grâce à l’insistance de Juve qui, cependant, pour convaincre le commissaire de police de l’imbécillité de son arrestation, dut téléphoner à M. Havard, le policier et le journaliste étaient attablés dans une petite salle proprette et pauvre formant l’arrière-boutique de l’un des restaurants des Lilas. Devant eux, fumaient deux grands bols de chocolat et ils mettaient à mal, avec entrain, une corbeille de brioches. Juve, tout yeux et tout oreilles, écoutait Fandor qui, enfin, consentait à le mettre au courant de ses propres exploits.

– Juve, disait Fandor, il y a quelque chose que vous ignorez. C’est que Mme Gauthier, lady Beltham, fréquente le bureau de placement Thorin.

– Qu’est-ce que cela signifie ?

– Le bureau Thorin, continuait Fandor, est le bureau qui a placé Adèle chez Rita d’Anrémont. Rita d’Anrémont a été cambriolée. Le bureau Thorin est le bureau qui a fourni un domestique à Backefelder et qui, de plus, est chargé de trouver la main-d’œuvre engagée à bord du transatlantique qui l’amenait en France. Le bureau Thorin, enfin, a fourni des domestiques, je m’en suis assuré, à Nathaniel Marquet-Monnier. Nathaniel Marquet-Monnier a été cambriolé. J’ajoute, Juve, que moi-même j’ai été placé chez ce malheureux Célestin Labourette par le bureau Thorin. Hier soir, Célestin Labourette a été à moitié assassiné et complètement dévalisé. Dans toutes les affaires qui nous préoccupent, Juve, nous retrouvons, à des titres divers, le bureau Thorin d’une part, et de l’autre, Fantômas. Alors ?

– Je n’ose presque pas conclure, dit Juve. Si je comprends bien, Fandor, tu n’es pas éloigné de penser…

Mais Juve n’était pas homme à hésiter longtemps. Il s’interrompit, tira de son gousset une pièce de monnaie, il appela le garçon, paya.

– Que faites-vous ?

– Je m’apprête à partir.

– Pour aller où ?

– Tu le sais bien, parbleu. Pour aller au bureau Thorin. Tu as raison, c’est là qu’il faut enquêter.

– Vous avez raison, Juve, le bureau Thorin, c’est le repaire, allons y traquer Fantômas.

24 – UNE BOMBE

Les « perles » et les cordons bleus se redisaient pour la millième fois la même histoire :

– Croyez-vous, la patronne émettait la prétention de venir farfouiller dans mon garde-manger. « De deux choses l’une, madame, que je lui ai dit, il y a ici une cuisine et un salon. Si c’est que vous voulez venir à la cuisine, j’irai au salon, si c’est que vous voulez que je sois à la cuisine, restez au salon et pas tout le temps à tourner dans mes plats ».

– C’est vrai aussi, renchérit une brunette coiffée à la vierge, les patrons s’imaginent qu’on est des esclaves. Pour cinquante francs que l’on me donnait dans ma dernière place, madame voulait que je fasse la cuisine et le ménage. Mais ça n’a pas traîné. Je lui ai fait comprendre qu’une cuisinière n’était pas une bonne à tout faire.

Au bureau Thorin, comme ailleurs, c’était la lutte des classes. Les cuisinières dédaignaient les bonnes à tout faire, les femmes de chambre méprisaient les cordons bleus et c’était tout juste si les gouvernantes et les bonnes d’enfants qui, elles, ne portaient pas tablier, ne bousculaient pas les femmes de chambre en passant.

Lorsqu’une grande femme sèche et étriquée fit son apparition :

– Allons, dit-elle, j’ai déjà défendu que l’on parle si fort. Causez à voix basse si vous le voulez. Mais pas si fort, on vous entend jusque dans le bureau de Mme la directrice. D’ailleurs, j’ai besoin d’une de vous. Marie Legall, Mme Thorin vous demande.

– Voilà, mademoiselle, j’arrive.

La porte retombée derrière la petite Bretonne, les commentaires allèrent bon train :

– Ah, la petite coquine, vous avez-t’y pas vu que voilà déjà deux fois ce matin qu’elle est appelée par la directrice.

– Parbleu, ça arrive de province, ça ne sait pas se défendre, ça accepte tous les prix et toutes les places.

– Moi, je vous dis que cette petite-là, avec son béret de Bretonne, est une finaude. Elle doit faire des rapports à Mme Thorin.

À ce moment, une explosion les fit sursauter toutes tant qu’elles étaient. Le silence.

Puis, dans les hurlements, Marie Legall entra. La petite bonne, méconnaissable, défigurée, hurlant elle aussi, reconnaissable seulement à ses habits, à son corsage de futaine noire, à son tablier à bavette. Elle n’avait plus figure humaine, car, à la suite d’un accident que nul ne devinait encore, ses chairs étaient brûlées, arrachées, les yeux formaient une plaie, la bouche n’était plus qu’un trou rouge d’où sortait le sang, le nez apparaissait décharné jusqu’à l’os, les cheveux s’en allaient, tandis qu’elle marchait, par flocons arrachés de dessus son crâne.

– Au secours, criait-elle, avançant, les bras en croix, battant l’air.

Et, à chacun de ses pas, le sang tombait de son visage, tombait de ses vêtements, car des pieds à la tête, elle en était couverte, littéralement couverte. Puis, elle s’écroula.

Alors, les clameurs redoublèrent. Enfin, des employés du bureau de placement apparurent :

Que s’était-il passé ? Personne n’en savait rien. La première, la sous-directrice, parut retrouver sa présence d’esprit :

– Et Mme Thorin, cria-t-elle, qu’a-t-il bien pu lui arriver ? Marie Legall était avec elle.

Et elle partit vers le bureau. Ce bureau n’avait qu’une porte, une porte qui donnait sur le couloir. Du sang filtrait sur le sol, on n’entendait dans la pièce aucun cri, aucun gémissement.

– Madame Thorin, madame Thorin !

Aucune réponse.

La sous-directrice ouvrit la porte et regarda à l’intérieur du cabinet de la directrice :

– Au secours ! cria la sous-directrice.

Il y eut une ruée vers le cabinet de la directrice. Sans souci de Marie Legall, on se précipita dans le corridor vers le cabinet.

On criait :

– Mais qu’est-ce qu’il y a ? Où est Mme Thorin ?

– Regardez donc, dit la sous-directrice.

On regarda par la porte ouverte à demi. Plafond, sol, murailles, meubles, tout, dans la pièce, était rouge de sang, recouvert même de débris innommables, débris de chair, d’os, de viscères, les seuls vestiges qui semblaient demeurer de la malheureuse Mme Thorin.

Marie Legall avait été grièvement atteinte au visage ; pour la malheureuse Mme Thorin, son corps avait dû être déchiqueté, pulvérisé, réduit en ces milliers de fragments qui souillaient le cabinet directorial, qui lui donnaient l’aspect d’une chambre de torture.

Depuis dix minutes déjà, l’horreur régnait en maîtresse au bureau de placement Thorin, lorsque, grave, digne, très lent et infiniment solennel, un sergent de ville se présenta, attiré par les cris, les clameurs qu’on entendait depuis la rue Perronet, de l’autre côté du parc.

Ce sergent de ville était un brave garçon et même un homme brave :

– Pourquoi qu’on appelle au secours ? demanda-t-il.

– C’est un accident, expliqua un larbin à face glabre et qui tremblait.

– C’est une bombe pour sûr, hurlait une petite bonne d’enfants qu’une crise de nerfs allait terrasser quelques secondes après.

– C’est la patronne qui a éclaté, affirmait une cuisinière.

La sous-directrice, enfin, parut :

– Vite, par ici, monsieur l’agent, un épouvantable malheur vient d’avoir lieu. Venez. Dépêchez-vous !

Bousculé, poussé à droite, poussé à gauche, l’agent fut conduit jusqu’à la grande salle où gisait toujours la petite Bretonne. Devant le corps de cette femme qui se débattait en proie visiblement à d’horribles douleurs, l’agent posa un genou en terre, se pencha vers la malheureuse :

– Hé, mademoiselle, vous m’entendez ? qu’est-ce qui vous est arrivé ?

– Dieu, que je souffre, dit la petite Bretonne, ne me laissez pas mourir comme ça. Achevez-moi, par pitié.

L’agent répéta :

– Mais, qu’est-ce qui vous est arrivé ?

– J’étais en train de donner mon nom et montrer mes certificats à Mme Thorin.

Et puis, tout d’un coup, elle suffoqua de douleur et avec une voix déchirante murmura :

– Ah, j’étouffe, on m’a jeté au visage un bol de quelque chose. Ça m’a brûlé horriblement, et puis, c’est tout. Il y a eu un grand bruit et puis je ne sais rien, je me suis sauvée, je n’ai rien vu… je… je…

Alors l’agent se releva :

– Je ne comprends pas du tout ce qui s’est passé, Elle n’a rien vu cette malheureuse. Tout de même, il faudrait téléphoner au poste pour qu’on envoie des agents et puis aussi une ambulance.

Un petit vieux s’était précipité, bousculant ceux qui lui entravaient le passage. Il criait :

– Qu’est-ce qu’il y a ? Où est ma femme ?

Il se pencha sur la Bretonne :

– Ce n’est pas elle, criait-il, mais par pitié, dites-moi où elle est ? Ma femme, ma femme ! Mais vous voyez bien que je deviens fou.

On se regardait toujours, les domestiques échangeaient des coups d’œil interrogateurs : qui était ce monsieur ? qui appelait-il ?

Or, le petit vieillard, sans même donner le temps à chacun de comprendre ce qu’il cherchait, partait de la salle, s’élança vers le couloir conduisant au cabinet directorial. Par bonheur, il y rencontra la sous-directrice qui revenait de donner un coup de téléphone pour prévenir le poste :

– Monsieur Thorin, cria l’employée, barrant de ses bras étendus la largeur du corridor, monsieur Thorin, ne passez pas, vous ne pouvez pas aller voir ça. Non, c’est trop horrible !

Alors il se fit un grand mouvement de compassion et l’agent lui-même intervint :

– Restez là, monsieur Thorin, restez là. Ne bougez pas. Ah, votre pauvre femme, monsieur Thorin.

***

Une heure plus tard, le bureau de placement était rentré dans le calme. Aux coups de téléphone affolés de la sous-directrice, le commissaire de police lui-même, accompagné de cinq agents, s’était précipité rue Perronet. Une civière avait emmené vers l’hôpital le plus proche la malheureuse Marie Legall qui paraissait à l’agonie. Tous les domestiques avaient été consignés dans le jardin de l’ancien couvent sur l’ordre du magistrat.

Et dans le bureau directorial, aidé de son secrétaire, le commissaire procédait à des constatations :

– C’est invraisemblable, disait-il, tout est ici recouvert de sang, de fragments de chair, d’os. On croirait, en effet, réellement que le corps de cette malheureuse Mme Thorin a éclaté, réellement éclaté. Pourtant, c’est impossible. S’il y avait eu explosion, il y aurait dégâts matériels, les meubles seraient brisés.

– Monsieur le commissaire ?

– Qu’est-ce qu’il y a ? que me voulez-vous ?

– Il y a deux personnes, dit l’agent, deux messieurs, qui venaient voir Mme Thorin et qui, apprenant que vous êtes ici pour un crime, demandent absolument à vous parler.

– Dites que je n’y suis pour personne.

– Ils ont mis leurs cartes sous enveloppe.

– Donnez.

Le magistrat déchira l’enveloppe que le sergent de ville lui tendait, assez surpris que les visiteurs eussent pris soin de mettre ainsi sous pli fermé leurs cartes de visite.

– Eux, murmura le commissaire, ah, véritablement, cela tombe bien. Mais je me demande en même temps ce que cela signifie.

Et comme le gardien de la paix considérait son chef, attendant ses ordres, le commissaire reprit :

– Eh bien, sapristi, qu’est-ce que vous attendez donc là ? faites-les donc entrer, parbleu. Faites-les entrer. Il n’y a jamais de consigne pour eux.

Le gardien de la paix avait déjà fait demi-tour.

25 – JUVE MÈNE L’ENQUÊTE

Juve et Fandor ne laissèrent guère au commissaire le temps de réfléchir. À peine l’agent les avait-il informés qu’ils avaient libre passage, qu’ils se précipitaient tous deux en courant à l’intérieur du bureau de placement.

– Où est le Commissaire ? avait demandé Fandor au planton.

– Dans le bureau directorial. Je vais vous conduire.

Mais c’était là une prétention exagérée. Déjà Fandor avait bousculé le brave gardien de la paix, déjà il entraînait Juve.

– Passons par ici, je connais le chemin. Je suis déjà venu.

Fandor qui était toujours accoutré des vêtements qu’il avait volés la nuit précédente au malheureux Bedeau, car, dans sa hâte d’activer l’enquête, il n’avait pas voulu passer chez lui pour se changer, produisait sur son passage une violente sensation.

En arrivant, Juve et Fandor avaient voulu se renseigner. Mais les explications qu’on leur fournissait étaient si confuses qu’ils n’en purent rien tirer d’intéressant.

– C’est une bombe, affirmait une commère.

– C’est la directrice qui a éclaté, énonçait avec une autorité indiscutable un petit télégraphiste qui, à coups de coude, avait atteint le premier rang des spectateurs.

Plus loin, on parlait d’une femme vitriolée, d’un amant qui avait surpris sa maîtresse en flagrant délit, et des versions contradictoires circulaient :

– Il y a dix morts, disait l’un.

– Quinze, disait un autre.

– Qu’est-ce qui s’est passé ? Que savez-vous ? Comment expliquez-vous la chose ? demanda le Commissaire à Juve dès qu’il l’aperçut.

Devant la mine ahurie de Juve, lui-même s’interrompait :

– Voyons, reprenait enfin le Commissaire, j’imagine bien que si vous arrivez ici, c’est que vous êtes au courant des événements qui s’y passent ?

– Je ne sais rien.

– Vous venez donc ici par hasard ?

– Pas tout à fait, rétorquait Juve, mais presque.

– À la porte, dit le journaliste, on nous a affirmé qu’il y avait dix morts, puis quinze, puis que c’était une bombe. Puis qu’on avait jeté du vitriol. Et en réalité ?

– Du vitriol ? oui, Monsieur Fandor, on a jeté du vitriol. Mais qui ? pourquoi ? Je n’en sais rien, et l’on vous a parlé d’une bombe ? En effet, il y a peut-être eu une bombe, mais ce n’est pas prouvé.

– Ah çà, tâchons de ne pas jouer aux devinettes. Il y a eu quoi ?

– Venez, regardez, dit le commissaire en prenant l’inspecteur par la manche.

Devant Juve, il venait d’ouvrir la porte du cabinet directorial.

– Miséricorde, fit Juve. Qu’est-ce que cela signifie ? C’est là que la jeune femme a été vitriolée ?

Derrière le policier, se dressa un homme en noir, qui déclara d’une voix sonore :

– Personne n’a été vitriolé, la jeune femme que l’on a amenée tout à l’heure au poste de secours et que j’ai fait conduire à l’hôpital n’a pas été atteinte par de l’acide sulfurique. Les blessures que vous avez vues ont été produites par de l’eau mélangée de poivre, tom simplement et si elle était couverte de sang, c’est assurément qu’elle avait été éclaboussée par le sang de quelqu’un d’autre.

– Mais enfin, docteur, que vous a-t-elle dit ?

– Peu de choses, monsieur le Commissaire : qu’elle parlait avec la directrice de ce bureau de placement, qu’elle était en train de faire vérifier à cette dame ses propres certificats, lorsque subitement, elle avait eu l’impression d’être arrosée avec un liquide qui l’a brûlée, puis, un grand bruit s’est fait entendre et elle a fui en hurlant.

– Elle ne sait rien d’autre ?

– Rien d’autre, monsieur. Toutefois, elle m’a dit que Mme Thorin – je crois que c’est ce nom qu’elle a prononcé – a dû être grièvement blessée, c’est pourquoi je suis venu. Où se trouve cette personne ?

– Regardez, docteur, dit le commissaire, et du bras il montrait la pièce éclaboussée de sang et de débris de corps humain.

– Mme Thorin était assise à son fauteuil, expliqua-t-il, elle a dû être victime d’un attentat anarchiste.

Or, tandis que le magistrat parlait ainsi, Juve avait pénétré dans la petite pièce tragique. Marchant dans le sang, glissant sur les chairs broyées qui jonchaient le sol, Juve alla jusqu’au bureau. Il saisit l’appareil téléphonique, il obtint la ligne, il demanda la Sûreté :

– Allô, allô. Dites aux deux inspecteurs Léon et Michel de se rendre d’urgence à l’église de Neuilly et de m’y attendre. Allô ? C’est compris ? Bon.

Juve raccrocha, revint à Fandor :

– C’est une histoire inadmissible, murmurait Juve à l’oreille du journaliste. Je ne puis croire ce que mes yeux voient. Nous sommes l’un et l’autre victimes, et tout le monde est victime avec nous, d’une plaisanterie. Fandor, tu vas aller à l’église attendre Léon et Michel, tu leur donneras comme instructions…

– Dites-moi, Monsieur, ne remarquez-vous rien d’anormal au point de vue médico-légal, dans l’aspect de ce cabinet ? Ne trouvez-vous pas, par exemple, qu’il y a beaucoup de sang, beaucoup de débris anatomiques ?

Le médecin parut scandalisé.

– Mais, commença-t-il, je ne vous comprends pas. Que voulez-vous dire ?

– Eh bien, cela n’a aucune importance.

Le policier tapa sur l’épaule du commissaire :

– Dites-moi, mon cher ami, et M. Thorin ? le mari de la victime, où est-il ?

– Dans sa chambre, m’a-t-on dit. Le pauvre homme est dans un état effrayant.

– Si vous alliez le consoler ?

– Vous voulez que je monte, vers M. Thorin ?… Mais pourquoi ?

– On ne sait pas. Ce malheureux est terriblement frappé. Il conviendrait de ne pas le laisser seul. Et puis, monsieur le Commissaire, songez-y, il y a des choses si inexplicables… Si jamais ce malheureux M. Thorin allait éclater comme sa femme, quel remords pour nous de ne pas y avoir songé. Allons, croyez-moi, monsieur le Commissaire, montez près de lui.

Juve parlait avec une telle autorité, une si tranquille assurance, que cette fois le magistrat se laissa convaincre.

– C’est bon, murmura-t-il, j’y vais. Mais expliquez-moi, Juve…

– Je n’ai rien à vous expliquer, j’ai une simple recommandation à vous faire : ayez donc l’obligeance de ne point perdre de vue le malheureux, je le ferai demander tout à l’heure, nous l’entendrons ensemble.

Le Commissaire, très surpris, s’éloigna.

Juve, immédiatement, quitta ses façons énigmatiques pour prendre avec une cordialité qui n’était point feinte le bras du médecin, de plus en plus troublé, et de moins en moins renseigné.

– Docteur, repartit Juve, nous voici seuls. Et si je dis des bêtises, il n’y aura que vous à les entendre. Voyons, connaissez-vous un seul cas pathologique qui puisse amener un homme à éclater ?

– Ma foi, non. Mais, une bombe ?

– Une bombe, docteur, n’a jamais réduit un cadavre en mille morceaux. Si c’était une bombe, qui avait fait explosion sur Mme Thorin, il est absolument sûr que nous retrouverions au moins quelques os intacts, des fragments du crâne, un membre, peut-être. Or, dans le cas présent, veuillez le remarquer, Docteur, non seulement nous ne retrouvons rien ayant un aspect caractéristique, mais encore, et c’est là le plus curieux, je vous prie d’observer que rien n’a été cassé dans cette pièce. Ni l’encrier de porcelaine, très fragile, ni la glace, ni les vitres de la fenêtre, ni le bureau, ni la chaise, sur laquelle était assise Mme Thorin. Concevez-vous cela, Docteur ? Une bombe qui aveugle avec de l’eau et du poivre une première personne, et qui, cependant, a l’intelligence de ne point abîmer un seul meuble. Enfin, Docteur, il y a quelque chose que je ne m’explique pas non plus, c’est qu’en réalité, si le sol, les murs, le plafond sont couverts de sang, on peut se pencher sous les chaises, sous la table, sous le bureau, là, à l’envers, il n’y a aucune trace de sang. C’est vraiment bizarre.

– Monsieur, qui êtes-vous donc pour voir ce que personne n’avait vu ? Et où voulez-vous en venir ?

– Mon nom ne vous apprendrait rien, vous ne me connaissez probablement pas. Je suis Juve. Mais si vous vous intéressez à savoir où je veux en venir, je m’en vais vous l’expliquer. Une vessie remplie de débris de chair, remplie de sang, jetée au plafond où elle crève, peut très bien transformer une pièce en charnier et donner l’impression qu’un être humain vient d’éclater. On aveugle le seul témoin et le tour est joué. Mais l’idée d’un truc de ce genre ne peut venir qu’à une personne…

Modeste avant tout, Juve n’ajoutait pas que si le génie Fantômas était seul capable d’inventer une ruse pareille pour faire croire à un crime inexistant, le génie de Juve était seul de taille à démasquer la fraude, à en trouver l’explication.

– Docteur, ajouta Juve, vous allez me rendre un service inestimable. Prenez quelques fragments de cette chair éparpillée, recueillez une gouttelette de ce sang et courez au bout de la rue Perronet. Il y a là un pharmacien. Vous lui emprunterez son microscope et j’imagine que vous n’aurez pas grande difficulté à reconnaître que ces débris n’ont rien d’humain.

Et sur ce, Juve tourna le dos au médecin. Dans le petit corridor, il rencontra Fandor :

– Fandor, tout s’explique.

– Bougre, et comment ?

– Une vessie remplie de sang.

Tout autre que Fandor eût sursauté, n’eût pas compris :

– Hé, hé, ça n’est pas mal. Vous êtes certain, Juve ?

– Absolument certain.

– Alors, où est passée Mme Thorin ? Ce n’est pas elle qui a éclaté ?

– Laisse Mme Thorin où elle est, faisait-il, tu as vu Léon et Michel ?

– Bien entendu.

– Tu leur as donné mes ordres ?

– Oui.

– Où sont-ils ?

– Ils suivent quelqu’un.

– Qui ?

– Bébé.

– Allons, c’est parfait. Je crois que cette fois, non seulement la bande des Ventres-Blancs aura vécu, mais encore…

– Que quoi ?

– Que Fantômas paiera sa dette à la société.

Juve, en cet instant, semblait véritablement quelque général en chef établissant un plan de bataille.

– Toi, Fandor, commanda-t-il, tu vas rester dans ce couloir, tu entreras dans le cabinet fatal, derrière M. Thorin. Pas avant.

– Vous allez interroger M. Thorin ?

– Naturellement, répliquait Juve.

Et comme Fandor étonné du ton dont Juve venait de lui parler allait insister, le policier répéta :

– Naturellement Fandor, je vais interroger M. Thorin. Quand ce ne serait que pour savoir exactement qui était Mme Thorin. Tout s’explique, tout s’explique, faisait-il, Tu avais raison, Fandor, quand tu accusais les Ventres-Blancs d’être les auteurs de toutes les affaires qui nous ont intrigués ces temps derniers. Les Ventres-Blancs, oui, voilà les coupables, mais ils n’agissaient pas seuls en vérité, ils avaient un chef redoutable.

– Fantômas ?

– Je vais interroger M. Thorin.

Il appela un gardien, demanda que l’on aille immédiatement chercher le directeur du bureau de placement.

– Dites au Commissaire, pendant ce temps, de faire cerner la maison, je l’appellerai dans quelques instants.


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