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La livrée du crime (Преступная ливрея)
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Текст книги "La livrée du crime (Преступная ливрея)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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PIERRE SOUVESTRE

ET MARCEL ALLAIN

LA LIVRÉE

DU CRIME

13

Arthème Fayard

1912

Cercle du Bibliophile

1970-1972

1 – LES HABITANTS DE LA VILLA SAÏD

– Qui demande-t-on ? Ah c’est vous, mademoiselle. Donnez-vous donc la peine d’entrer.

– Mais non, madame, je ne veux pas être indiscrète.

– Vous ne le serez pas, ma petite, et puis c’est une façon de faire connaissance, entrez. Vous accepterez bien de prendre le café avec nous ?

La personne ainsi interpellée demeura un instant hésitante sur le pas de la porte d’un élégant petit pavillon tout entouré de lierre situé à l’entrée de la villa Saïd, joli square rempli de maisons élégantes, entouré de jardins à l’anglaise, à l’extrémité de l’avenue du Bois de Boulogne, entre celle-ci et le chemin de fer de ceinture.

De l’intérieur de la maison, la voix aimable reprenait :

– Entrez donc. On sera très heureux de vous faire une place, mademoiselle. Au fait, comment vous appelez-vous donc ?

– Je suis Mlle Adèle.

– C’est cela, je l’avais oublié. Et bien, mademoiselle Adèle, soyez ici comme chez vous.

On ne pouvait résister à tant de prévenance, et Mlle Adèle pénétra dans le petit pavillon, où, devant une table confortablement servie, deux personnes achevaient leur repas.

C’était une femme d’un certain âge qui présenta aussitôt son compagnon :

– M. Casimir, mon seigneur et maître, qui est aussi, comme vous pouvez le voir à son uniforme, fonctionnaire du gouvernement. Il est huissier.

M. Casimir, ainsi désigné, se versait une dernière rasade de vin rouge.

Mlle Adèle, jeune personne de vingt-cinq ans à peine, gentille et délurée, femme de chambre élégante, salua imperceptiblement et, pour dire quelque chose d’aimable, balbutia :

– Alors monsieur appartient à la Justice ?

– Non, ma petite, ne confondez pas. M. Casimir n’est pas un huissier comme ceux qui font les saisies ou qui distribuent des prospectus d’eux, il est huissier dans un ministère. Il travaille aux Travaux publics. Mais vous-même, ma petite, comment vous trouvez-vous dans votre nouvelle place ?

Mme Casimir, majestueuse et robuste quinquagénaire, expliqua à son mari :

– Mlle Adèle entre cet après-midi chez les propriétaires du numéro 4.

– Ah ça va bien. La place est bonne.

Cependant, la femme du fonctionnaire avait offert une chaise à la jeune bonne, plaçait devant elle une tasse de café qu’elle sucrait généreusement :

– Faites comme chez vous.

– Vous êtes vraiment bien aimable, madame la concierge.

– S’il vous plaît, ma petite, ne m’appelez pas comme ça, ici, dans la villa, il n’y a pas de concierges comme dans les maisons à étages, c’est gérante qu’il faut dire, on est tous les deux, M. Casimir et moi, les gérants de la villa Saïd. Songez donc, la villa Saïd, ça n’est pas quelque chose d’ordinaire. C’est tout ce qu’il y a de bien habité, rien que des hôtels particuliers et du monde chic, de la richesse de tous les côtés, et puis c’est grand, on dirait une petite ville. Un quartier comme il y en a dans les bains de mer ou les villes d’eaux, vous ne voudriez tout de même pas qu’on dise des gardiens, que ce sont des concierges.

– C’est joliment vrai ce que vous dites, madame Casimir, je vous demande bien pardon, ça n’était pas pour vous offenser. Mais vous savez ce que c’est, l’habitude.

– Mais c’est une affaire entendue, je suis loin de vous en vouloir, d’ailleurs, vous m’avez l’air d’une jeune fille charmante, et intelligente aussi. Alors, comme ça, vous êtes contente de votre nouvelle place ?

– Ma foi, expliqua la jeune fille, je ne pourrais pas encore vous dire, ça fait à peine quarante-huit heures.

– Vous connaissiez Mme d’Anrémont avant ?

– Non. C’est par le bureau de placement.

– Quel bureau ?

– L’Agence Thorin, rue Perronnet, à Neuilly. Vous savez bien, l’ancien couvent ?

– J’ai entendu parler de ça. Est-ce que c’est une maison sérieuse ?

– Oui, une très bonne maison et on trouve bien des places.

– Dame, c’est leur métier, dit M. Casimir.

– Ce que vous dites est vrai, monsieur, mais les gens du bureau de Neuilly ne se contentent pas de vous procurer une condition, ils s’occupent de vous ensuite. Ainsi, vous ne savez pas pourquoi je sors ce soir, bien qu’il soit déjà neuf heures et demie ?

– Ma foi non.

– Cela ne nous regarde pas.

– Je sors, tout simplement, pour aller rejoindre Mme Thorin à la gare de la porte Maillot. Chaque fois qu’une domestique a été placée par sa maison, elle prend rendez-vous avec la personne, pendant les deux ou trois jours qui suivent son entrée dans la place. Elle lui demande si tout va bien, si les maîtres sont convenables, si le service vous plaît. Elle s’occupe de ses protégées. Ah c’est une bonne agence.

– Et alors ? qu’allez-vous lui dire de votre place ?

– Eh bien, ma foi, je n’y connais pas encore grand-chose. Ce qui me chiffonne, c’est que, dans cette grande maison, je suis toute seule, de domestique. Est-ce que c’est pour durer ?

– Si c’est cela qui vous inquiète, ma petite, vous pouvez vous rassurer. Je parie quelque chose que d’ici quarante-huit heures vous serez au moins trois ou quatre : valet de chambre, cuisinier, fille de cuisine, cocher, garçon d’écurie. Vous ne la connaissez pas, votre patronne. C’est qu’elle s’y entend pour faire danser la galette de ses amis.

– De ses amis ? demanda la camériste. C’est-à-dire ?

Mme Casimir, avant de répondre, s’en fut à la porte du petit pavillon qu’elle ferma, pour que ses paroles ne pussent être entendues du dehors. Puis, elle revint expliquer :

– Ma chère, je dois vous dire, pour commencer, que vos nouveaux patrons ne sont pas mariés.

– Ça, interrompit Adèle, je l’ai bien vu tout de suite. Rien qu’aux toilettes de madame. C’est une demi-mondaine, pas vrai ?

– C’est une femme entretenue, et ça n’est pas tout à fait la même chose. Vous comprendrez cela ma petite, lorsque vous aurez mon expérience. Mme Rita d’Anrémont est connue à Paris, très connue même. Elle appartient au monde élégant que l’on voit aux courses, aux premières représentations. Elle est censément une femme du monde qui n’y serait pas reçue. Mais à part ça, c’est du pareil. Lorsqu’il y a des réceptions chez elle, on y fait autant de chichis et autant de manières que chez des nobles ou des bourgeois. Seulement voilà, il arrive quelquefois que lorsque les invités s’en vont, il y en a un qui reste.

– Oui, on n’invite pas seulement à dîner, il y a aussi des invitations à coucher.

– Tiens, vous m’avez l’air de comprendre à demi-mot. C’est-y que vous seriez par hasard une petite rosse ? En tout cas vous n’êtes pas bête.

Sur ce M. Casimir alla s’étendre sur un canapé dans la pièce voisine, afin d’y fumer tranquillement sa pipe.

– Qu’est-ce que je vous disais donc ? Oui, c’est cela, j’y suis. Donc, il y a un an environ, après un grand dîner que donnait la Rita, votre patronne, un jeune homme est resté, et si bien qu’il y est encore. Vous pensez que la dame n’avait pas choisi au hasard, elle était tombée sur tout ce qu’il y a de meilleur comme pigeon à Paris, le petit Sébastien Marquet-Monnier. Le frère du banquier de la rue Laffitte, jeune, riche, orphelin, entrant dans la vie tout seul à vingt-trois ans, après deux années de régiment, et sans rien connaître de l’existence. La Rita a commencé par faire acheter l’hôtel qu’elle occupait comme locataire et comme de bien entendu, les écritures et les papiers ont été faits à son nom à elle. Puis, ils sont partis faire une espèce de voyage de noce. Dix mois, et les voilà revenus. C’est pour cela que vous êtes encore seule de domestique, dans l’hôtel. Mais comme je vous l’ai dit, on ne tardera pas à vous donner des compagnons. Songez donc, la Rita n’a pas l’habitude de mener une existence modeste et paisible, et d’ailleurs, la maison exige un personnel important. D’autant plus que le service est dur quand on se met à faire la bombe, chez ces gens-là, qu’est-ce que les domestiques prennent.

Le visage de Mlle Adèle s’obscurcit :

– La place est-elle bonne au moins ?

– Si elle est bonne, s’exclama Mme Casimir, ah je comprends, ma petite. Du coulage de tous les côtés. L’anse du panier qui n’arrête pas de danser. Pour vous qui êtes femme de chambre, ce sera les toilettes, un chapeau par-ci, une fourrure par-là, pour peu que vous sachiez vous débrouiller.

– J’y tâcherai, madame. Vous pouvez vous en rapporter à mon savoir-faire. Excusez-moi de me sauver, mais je ne veux pas faire attendre Mme Thorin avec laquelle j’ai rendez-vous à la gare. Ce que vous venez de me dire me rassure bien sur la place.

– Allons, mon enfant, au plaisir.

– Bonsoir, mademoiselle Adèle.

Déjà la jeune fille s’engageait dans l’avenue déserte, et de son pas menu, gagnait la gare de la Porte-Maillot.

***

– Comment te sens-tu, mon petit Seb ?

Une petite lampe électrique, dont l’éclat était délicatement tamisé par un abat-jour rose projetait une lueur douce et discrète dans le boudoir du plus pur Louis XV où les laques blanches alternaient avec les reflets fauves des dorures éteintes.

Le boudoir était au premier étage de l’hôtel particulier appartenant, ainsi qu’avait annoncé Mme Casimir, gérante de la villa Saïd, en propriété bonne et régulière à Mme Rita d’Anrémont, la demi-mondaine dont les gazettes accusaient la présence au pesage d’Auteuil ou de Longchamp, dont les journaux de mode montraient les nouvelles toilettes.

Rita portait ce soir-là un déshabillé recouvert de point d’Alençon. Elle avait la chevelure en turban autour du visage à l’ovale régulier ; ses yeux noirs brûlaient d’un feu troublant, et sous le jupon court qui cachait mal une cheville élégante et une jambe faite au moule, son petit pied battait dans la mule de satin.

S’étant rapprochée de son compagnon, qui demeurait à demi étendu au fond d’une bergère, la jolie femme lui posa sa douce main sur le front, répéta :

– Comment te sens-tu mon petit Seb ? Est-ce que ta potion t’a fait du bien ?

– Mais oui ma chérie, je vais bien, ne me demande donc pas toutes les cinq minutes des nouvelles de ma santé.

– Seb, mon petit, dit Rita, en posant la tête sur les genoux du jeune homme, tu n’es plus le même avec moi, tu n’es pas gentil. Je te demande de tes nouvelles, parce que tu sais combien j’ai souci de toi, combien je t’aime, et voilà que tu me réponds durement. Seb, ce n’est pas bien.

– Je te demande pardon ma petite Riri, dit Seb, c’est vrai je suis nerveux, maussade et je te bouscule, je te maltraite, ça n’est pas de ma faute, il ne faut pas m’en vouloir.

La jeune femme parut consolée. Elle se leva :

– Viens, dit-elle, viens mon Seb, que je te montre le nouveau vase de Chine que j’ai fait apporter ce matin.

Les deux amants s’apprêtaient à sortir du boudoir, mais soudain, Rita s’arrêta et poussant un profond soupir, elle se laissa choir sur un vaste canapé d’angle qui ornait l’un des coins de la pièce :

– Puis, non dit-elle, cela ne m’intéresse plus, je suis ennuyée de te voir si triste. Quel dommage, que nous n’ayons pu rester plus longtemps, toujours là-bas en Suisse, où nous étions si bien, si tranquilles.

– Ah, ça c’est joliment vrai.

Puis, s’animant à la pensée des bonnes heures passées pendant leur voyage en tête à tête qui avait duré près d’un an, il évoqua des souvenirs :

– Te rappelles-tu Riri, fit-il, notre promenade en traîneau ? crois-tu qu’il faisait froid, et malgré tout, comme l’air, était bon à respirer.

– Et le déjeuner, continua Rita, que nous avons fait dans cette chaumière ? là-bas tu sais, au bord d’un lac, dans la forêt. Il n’y avait que des œufs et du fromage, mais c’était plus amusant qu’au Café de Paris.

– Te souviens-tu, poursuivit le jeune homme, de l’ascension en funiculaire et de ce magnifique panorama que l’on découvrait au sommet du village ?

– Oui, poursuivit pensivement Rita, pourquoi donc a-t-il fallu que nous revenions ?

– Çà, par exemple, s’écria-t-il, c’est bien féminin. Mais souviens-toi donc encore, que si nous sommes revenus, c’est sur ton désir, sur ta demande. Tu ne pouvais plus rester en Suisse. Tu en avais par-dessus la tête de la neige, des grands hôtels, de la musique des tziganes, et tout le tremblement.

– Mon chéri, dit doucement Rita, tu sais bien que cela ne pouvait pas durer éternellement, il fallait bien revenir ici, reprendre nos occupations, nos relations, toi-même tu as des affaires qui t’appellent à Paris.

– Oui, fit-il, et des affaires qui ne vont pas être commodes à arranger.

– C’est encore au sujet de ton frère ?

– Oui, au sujet de mon frère, et à cause de toi, à cause de nous.

Sébastien Marquet-Monnier, Seb, comme disait sa maîtresse, était, en effet, le tout jeune homme de vingt-trois ans à peine, nerveux, naïf tel que l’avait décrit Mme Casimir à Adèle, la nouvelle femme de chambre.

Il était depuis un an déjà, terriblement épris de la demi-mondaine et n’avait pas hésité au risque de faire scandale dans le milieu rigide et collet monté de la société protestante dont il faisait partie, à partir avec elle, pour la Suisse.

Les deux amants s’étaient donnés comme mari et femme pendant leurs divers séjours dans les stations élégantes de la montagne. On avait lu sur les livres d’hôtel : M. et Mme Sébastien Marquet-Monnier, et ces imprudences avaient déterminé de graves observations de la part du frère aîné de Sébastien, M. Nathaniel Marquet-Monnier, homme d’une quarantaine d’années déjà, rigide protestant, marié et père de famille, directeur de la Banque Marquet-Monnier et Cie dont les bureaux rue Laffitte sont connus de tout le monde.

Avec la fougue et l’imprévoyance du jeune âge, Sébastien avait vertement répondu à son frère qu’il était majeur, libre de ses actes, maître de sa fortune, qu’il pouvait donner son nom à qui il voulait.

M. Nathaniel Marquet-Monnier avait alors engagé avec son frère une longue correspondance, où ce protestant rigide avait mis toute la douceur sévère et toute la tendresse dont il était capable pour démontrer à son cadet que si les frasques et les fugues naturelles à son âge, n’avaient rien de particulièrement déshonorant, il importait toutefois qu’elles demeurassent ignorées dans le monde et que le fait de s’afficher avec une personne comme la demoiselle qui partageait son existence était beaucoup plus répréhensible que le fait de vivre avec elle pendant une période donnée.

Sébastien n’avait pas tenu compte des observations de son frère, et pendant tout le temps qu’il s’était trouvé ensuite avec sa maîtresse, il n’avait pas hésité à la faire passer pour sa femme légitime.

Toutefois, lorsque, sur le désir de Rita, Sébastien était revenu avec elle à Paris, il avait envisagé l’avenir avec plus de circonspection.

Malgré l’amour aveugle qu’il éprouvait pour la demi-mondaine, Sébastien se rendait parfaitement compte qu’il avait des devoirs sociaux à remplir, des relations qu’il convenait de ne pas négliger. Comment concilier cela et l’amour de Rita ?

Sébastien s’était ouvert de ses difficultés à sa maîtresse. Elle avait très mal pris la chose :

– Si Seb, son petit Seb, avait-elle dit, se posait de semblables questions, c’est qu’il songeait à la quitter, qu’il ne l’aimait plus et rien que d’effleurer cette pensée lui était insupportable.

En vain, Sébastien avait-il protesté que s’il se préoccupait de l’existence à venir, c’est précisément parce qu’il prévoyait qu’il allait désormais faire sa vie avec elle. Mais Rita n’en était pas moins demeurée inquiète et perplexe. Elle connaissait hélas, ces situations irrégulières, pour les avoir vécues avec deux ou trois des amants qui avaient précédés dans son cœur le jeune Sébastien.

Et, deux ou trois fois déjà, le monde de ses obligations, la rigueur des usages, avaient triomphé de sa beauté et de ses charmes. La jolie femme s’était laissée tomber sur le canapé d’angle, en poussant un profond soupir.

– Qu’as-tu donc, fit-il, ma petite Riri, serais-tu souffrante ?

– Non, répliqua la jeune femme, mais je suis inquiète, j’ai peur de te perdre. N’est-ce pas demain que tu vas voir ton frère ?

– Oui. Et alors ?

– Alors, j’ai peur, j’ai peur que tu me quittes, j’ai peur que tu ne lui donnes raison, j’ai peur qu’il ne te répète toutes ces choses vilaines qu’il a dites sur moi, sur nous, dans les lettres que tu as reçues en Suisse. Tu sais combien je t’aime, mon petit Seb, ce serait épouvantable, affreux, si tu t’en allais, si tu m’abandonnais. J’aimerais mieux mourir cent fois.

– Tu sais bien que je t’aime plus que tout, que je n’aime que toi. Rien au monde ne pourra nous séparer. Sois tranquille ma petite Riri, il ne faut pas te faire des idées comme ça.

Le jeune homme s’arrêta :

– Que fais-tu ? interrogea Rita d’Anrémont, qui suivait son amant d’un regard inquiet.

Le jeune homme était allé à la porte du boudoir qui donnait sur le palier, il écoutait. Au bout d’un instant, le jeune homme revint :

– C’est drôle, fit-il, j’avais cru entendre marcher.

– Marcher, dit-elle, tu es fou, à moins qu’il ne s’agisse de la femme de chambre qui doit être sur le point de rentrer. Écoute, mon petit Seb, parle-moi encore un peu de ta visite de demain. Qu’est-ce que tu vas lui dire à ton frère ? Lui dire exactement ? à notre sujet. Sur toi, sur moi, sur lui ?

Sébastien ne répondit pas tout de suite. Sa main caressait lentement le cou de sa maîtresse, et son doigt, machinalement, s’était arrêté sous le menton, il allait et venait :

– Qu’est-ce que tu as donc sur la gorge, en haut, sous la mâchoire ? On dirait une tache, un coup de crayon.

Intriguée, Rita d’Anrémont se leva, alla vers un miroir, s’examina minutieusement, puis soudain, elle pâlit. En hâte, la jolie femme prit dans le sac à main dont elle ne se séparait jamais un peu de poudre de riz dont elle se saupoudra le cou.

– Ce n’est rien, fit-elle, cependant qu’en souriant elle se retournait vers son amant. Une tache, un coup de crayon, en effet, comme tu disais.

Rita d’Anrémont, cependant, était affreusement troublée.

Ce que son amant avait remarqué, ce qu’elle venait d’apercevoir à la lumière crue de l’électricité, c’était net, catégorique, terrible : la tache, le trait de crayon remarqué par Sébastien, n’était, en réalité, qu’une ride, une de ces rides implacables qui viennent peu à peu les unes après les autres strier le cou des femmes et faire autour de leur gorge, un effroyable collier que les plus belles parures ne peuvent dissimuler.

Cette fois, Rita d’Anrémont avait éprouvé un choc au cœur, violent. C’était l’âge qui se révélait, sa jeunesse qui se transformait en une maturité encore séduisante, mais la malheureuse entrevoyait l’avenir, sentait l’inquiétude grossir dans son cœur.

– Il a vu, songeait-elle, que ne verra-t-il pas encore ?

Mais, faisant un effort suprême sur elle-même, et rendant un air jeune à sa physionomie, affectant une extrême gaîté, Rita d’Anrémont se blotti dans les bras de son amant :

– Raconte-moi, dit-elle, des choses d’amour…

Puis, désignant un commutateur :

– Éteins, dit-elle, ces lampes, il y en a trop.

2 – L’INCOMPRÉHENSIBLE

– De sorte que c’est vous, mon cher Juve, qui allez avoir à éclaircir ce nouveau mystère ?

– Moi-même, monsieur le commissaire, et je ne vous cache pas que je n’en suis que très médiocrement flatté.

– Allons donc ? Vous plaisantez ? Juve, peu satisfait d’avoir une enquête difficile à mener ? cela ne se serait jamais vu.

– Eh bien, c’est tout vu.

Dans le vestibule du petit hôtel qu’habitait Rita d’Anrémont, Juve causait avec un interlocuteur qui affectait de le traiter sur un pied d’intimité, encore que Juve lui opposât un ton de respect.

Juve n’avait pas changé. Peut-être avait-il l’air un peu plus grave que d’habitude, peut-être penchait-il la tête un peu plus, peut-être semblait-il quelque peu fatigué, découragé ? En réalité, il n’en était rien.

Juve venait de vivre d’extraordinaires heures de détresse morale. Sur le point de mener à bien la plus merveilleuse ruse policière qu’il eût jamais inventée, après avoir cru que l’arrestation de Fantômas ne pouvait manquer, le terrible bandit lui avait filé entre les doigts, et le policier ne s’en faisait pas une raison.

Juve avait repris son service à la préfecture de police. Il y faisait sa besogne, tranquillement, mécaniquement.

Jamais il ne parlait de Fantômas. Ses collègues eux-mêmes évitaient d’y faire allusion.

Juve, pourtant n’avait pas renoncé. S’il semblait mettre moins de fougue à ses besognes, il n’en était pas pour cela moins prêt à la lutte. Il se réservait, il se reposait, il amassait en lui des trésors d’ingéniosité, des richesses de volonté. Il attendait l’occasion, l’indice.

Or, justement, alors que Juve jurait, d’un ton lassé, qu’il n’était pas satisfait d’être chargé d’un nouveau dossier, son air démentait ses paroles. Ses yeux brillaient, une nervosité toute spéciale se devinait dans sa voix.

– Enfin, commença le policier, se croisant les bras sur la poitrine et regardant bien en face le commissaire de police, qu’est-ce qui s’est passé au juste ?

Le commissaire, d’abord, haussa les épaules, puis déclara :

– Vous m’en demandez trop. Ce qui s’est passé, je vous avoue que je n’en n’ai pas la moindre idée. D’abord, vous, Juve, que savez-vous ?

– Moi ? faisait-il, mais je ne sais rien, absolument rien. J’entends parler des gens qui me racontent des histoires invraisemblables et voilà tout. Oui, j’étais ce matin bien en train de faire ma toilette, ne songeant à rien de particulier, lorsque mon téléphone a sonné. De la préfecture, on me prévenait qu’il y avait eu un crime ici, villa Saïd et qu’il fallait que je m’y rende tout de suite pour suivre l’enquête. Je me suis habillé en toute hâte, mon cher commissaire, j’ai sauté dans un fiacre et je montais l’escalier quand je vous ai rencontré. Je ne sais rien de plus, si ce n’est que la concierge m’a parlé de vitriol.

Juve, évidemment, n’était pas renseigné. Le commissaire pouvait donc parler en toute tranquille d’esprit sans s’exposer à être ridicule aux yeux de Juve.

– Vous ne savez pas ce qui s’est passé, mon bon Juve ? et bien, moi non plus. Et je crois que personne ne le saura jamais. En tout cas, voici les faits. Ce matin, j’étais en train de dépouiller mon courrier au commissariat lorsqu’on est venu me chercher. Des voisins avaient entendu, ce matin, des cris horribles semblant provenir de cet hôtel où nous nous trouvons. Un attroupement s’était formé. Bref, l’émotion grandissait. Quelqu’un a été cherché un gardien de la paix, lequel est venu me trouver. Naturellement, je me suis immédiatement transporté ici.

– Et vous y avez découvert ?

– Voilà.

Le commissaire, en peu de mots, mais assez clairement, expliqua quels étaient exactement les habitants du petit hôtel où tous deux se trouvaient.

– Or, continua le commissaire, à peine avais-je pénétré dans le jardinet, à peine étais-je entré dans ce vestibule que j’ai entendu, tout comme les voisins, des cris, des gémissements, paraissant provenir du premier étage de l’hôtel. Bien entendu je suis monté quatre à quatre, j’ai enfoncé la porte de la chambre, « enfoncé » est un gros mot, car elle n’était pas fermée, ni la porte d’entrée du petit hôtel, et une fois dans la pièce dont les rideaux étaient encore tirés, je distingue dans la pénombre le corps d’un homme qui se débattait sur le sol, en proie à d’horribles souffrances semblait-il, gémissant, hurlant, et cela à tel point qu’il ne s’est même pas aperçu de mon arrivée.

– C’était Sébastien ?

– Oui, et quand je l’ai eu relevé, quand, aidé de quelques voisins et de deux de mes agents qui m’avaient suivi, je l’ai eu porté sur son lit, j’ai compris pourquoi il souffrait comme ça : il avait en effet le visage horriblement brûlé, tailladé, rongé par le vitriol.

– Hé, hé, drame de jalousie, probablement. Vous avez interrogé la maîtresse ? où était-elle, elle ?

– Madame Rita d’Anrémont a disparu.

Juve, cette fois, ne répondit rien. Il eut une sorte de petit sourire énigmatique, il réfléchissait, puis enfin :

– Vraiment, Mme Rita d’Anrémont avait disparu, et alors, mon cher commissaire, que vous a dit le blessé ?

– Le blessé ne m’a rien dit du tout. Interrogatoire impossible. À cause des souffrances. Le médecin est arrivé.

– Alors, vous ne savez rien de plus ?

– Rien de plus.

– Eh bien, nous allons voir, j’imagine que maintenant ce garçon est en état de répondre, nous allons pouvoir l’interroger.

– Ma foi, puisque vous êtes là, monsieur Juve, je m’en vais vous passer la consigne. Vous chercherez tout cela vous-même, on doit avoir besoin de moi au commissariat et je ne vois pas à quoi je pourrais vous être utile.

– Alors vous me quittez ?

– Je vous quitte.

Dix minutes plus tard, le commissaire parti, Juve en savait déjà beaucoup plus long que l’honorable fonctionnaire. Au lieu de monter voir le blessé, de se rendre compte par lui-même de ce que pouvait savoir la victime du crime sur le crime lui-même, Juve était resté au rez-de-chaussée de l’hôtel. Il avait minutieusement fait le tour de toutes les pièces le composant, il avait examiné de son œil perçant la disposition des meubles, l’ordonnance des bibelots sur les étagères, et même, à deux reprises, il s’était agenouillé pour examiner de très près la moquette rouge uni garnissant le sol et sur laquelle étaient jeté des tapis d’Orient. Étrange enquête, en vérité, que pouvait bien chercher Juve ?

Pourtant, de temps à autre, Juve faisait claquer sa langue, ce qui était bon signe :

– Hé, hé, murmurait-il enfin, ayant achevé de visiter le rez-de-chaussée, les gaillards avaient du goût. Ils ont dédaigné les bronzes sans valeur artistique et gênants à emporter, en revanche, ou je me trompe fort, ils ont dévalisé le petit secrétaire qui a dû être ouvert à l’aide d’un rossignol et qui contenait l’argent sans doute. Mieux, ils ont choisi dans la vitrine sept ou huit bibelots qui devaient être de grand prix. On a visiblement volé ces bibelots, car je ne vois pas pourquoi, au cas contraire, il y aurait sur les velours des tablettes des traces d’objets qui n’y sont pas.

Juve montait lentement, de plus en plus lentement ; parvenu au milieu de l’étage il s’arrêta, puis redescendit.

Juve, très tranquillement, sortit alors du petit hôtel et n’ayant toujours pas vu le blessé, traversa le jardin, gagna la chaussée de la villa Saïd. Devant la grille de la villa tragique une foule de badauds stationnait, commentant les événements et regardant, les yeux avides, la maison où « il s’était passé quelque chose ».

Juve longea la petite avenue, parvint jusqu’à la loge du concierge :

M. et Mme Casimir, devenus les héros de l’heure, y étaient, entourés des domestiques du voisinage.

– Monsieur Casimir, appela Juve.

Le concierge s’avança.

Juve l’attira un peu à l’écart :

– Je suis inspecteur de la Sûreté, déclara-t-il, en faisant voir au concierge sa carte de la Préfecture, veuillez me répondre. Cette nuit, n’avez-vous rien entendu dans la villa ?

– Rien, monsieur.

– Il n’est pas entré de voiture qui ait longtemps stationné à la hauteur du petit hôtel ?

– Non, monsieur.

– Vous n’avez remarqué aucune allée et venue insolite ?

– Absolument aucune, monsieur.

Juve se tut quelques instants, il posa enfin brutalement une question très nette :

– Dites-moi, Mme Rita d’Anrémont avait plusieurs amants ?

– Mais jamais de la vie, monsieur, jamais de la vie, Mme Rita d’Anrémont aimait beaucoup ce pauvre M. Sébastien, nous n’avons jamais rien vu, ma femme et moi, pour nous permettre de croire…

– Quand est-elle partie, Mme Rita d’Anrémont ?

– Quand Mme Rita d’Anrémont est partie ? Mais, Mme d’Anrémont n’est pas partie, ou elle est partie sans que personne l’ait vue, non, non, monsieur, vous vous trompez. Si elle n’est pas là c’est qu’elle a été victime, elle aussi, des assassins, et même je m’attends continuellement, monsieur l’inspecteur, à ce que l’on retrouve son corps quelque part. Pauvre chère madame, j’ai une terrible peur qu’elle n’ait été assassinée.

Juve avait peut-être une autre opinion.

Tout le temps que le concierge parlait, il souriait, tapotant du bout de ses doigts une feuille de papier blanc qu’il tenait entre le pouce et l’index, et sur laquelle, quelques minutes avant, il avait sommairement relevé le plan du rez-de-chaussée de l’hôtel.

– Monsieur Casimir, suivez-moi.

– Où ça ?

– À l’hôtel, parbleu, chez Mme d’Anrémont.

Quelques minutes plus tard, Juve, en compagnie du concierge, recommençait la visite de la demeure du crime.

Et ce n’était pas en vain que Juve avait été chercher le concierge. Celui-ci, qui avait eu souvent l’occasion d’être introduit dans les pièces du rez-de-chaussée, certifiait à Juve qu’à coup sûr il y avait eu cambriolage et même cambriolage important car il pouvait certifier que de nombreux bibelots manquaient, notamment dans la vitrine qu’il avait eu bien souvent l’occasion de regarder, alors qu’il venait battre les tapis.

– C’est invraisemblable, s’exclama le brave homme, un vol, un vol comme cela, ici, dans la villa, une villa si tranquille.

Il aurait poursuivi, mais déjà Juve estimait qu’il n’avait plus rien à apprendre de la complaisance du portier :

– Restez-là, dit-il à M. Casimir en lui désignant le vestibule de l’hôtel, ne laissez monter personne, appelez-moi si on insiste pour entrer.

Ayant ainsi pris une précaution élémentaire, sauvegardant par avance les traces que les coupables pouvaient avoir laissées, Juve se décida enfin à monter au premier étage.

Interroger le blessé, lui demander des renseignements sur l’attentat dont il avait été victime, étaient sans nul doute les opérations par lesquelles aurait commencé tout autre que Juve.

Mais le policier en se documentant par lui-même, en étudiant par lui-même les détails d’ameublement, de disposition des lieux de la maison du crime, en faisant parler les témoins, avait été en réalité très fidèle à sa ligne de conduite ordinaire.

Selon Juve en effet, les témoins directement intéressés aux affaires criminelles fournissent toujours de faux renseignements à la police.

– Ils nous trompent, disait Juve, de bonne foi ou de parti pris, mais en fin de compte, ils nous trompent. Parbleu. Quiconque est victime d’une tentative d’assassinat est si directement intéressé à la chose qu’il ne voit plus rien et se trouve incapable d’apporter la moindre lumière à l’enquêteur. Il faut se rendre compte par soi-même et après, après seulement, écouter ce que l’on vous dit et tâcher d’en tirer les conséquences utiles.


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