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Catherine Il suffit d'un amour Tome 1
  • Текст добавлен: 21 сентября 2016, 17:47

Текст книги "Catherine Il suffit d'un amour Tome 1"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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À minuit, elle entendit les trois messes traditionnelles dans la chapelle du château où la veille on l'avait mariée, puis rentra pour le repas qui était servi.

Au bout de cette longue journée, elle se sentait lasse. La chute de la lumière, en ramenant la nuit, avait réveillé du même coup ses inquiétudes. De quoi serait faite cette nouvelle nuit ? Garin se montrerait– il aussi étrange qu'au cours de la précédente ou bien réclamerait-il ses droits d'époux ? Toute la journée, il avait été parfaitement normal, voire aimable. Plusieurs fois, il lui avait souri et, en sortant de table, après le souper de minuit, il lui avait offert deux bracelets de perles en présent de Joyeux Noël. Mais son regard quand il se posait sur Catherine, avait parfois une expression si étrange que la jeune femme se sentait glacée jusqu'à l'âme. Elle aurait juré, à ces moments– là, qu'il luttait contre quelque sombre fureur. Mais pourquoi cette fureur ? Contre qui ? Elle se montrait envers lui aussi douce et soumise que pouvait le souhaiter le plus exigeant des époux.

Le cœur du Grand Argentier de Bourgogne semblait constituer une bien difficile énigme !

Pourtant, les craintes de Catherine se révélèrent sans fondement.

Garin se contenta de la conduire jusqu'à la porte de sa chambre. Il lui souhaita une bonne nuit puis, inclinant légèrement sa haute taille, il posa un baiser rapide sur le front de la jeune femme. Mais si rapide et indifférent qu'eût été ce baiser, les lèvres qui l'avaient donné étaient brûlantes. L'œil inquisiteur de Sara n'avait rien perdu de ces étranges manifestations d'intimité conjugale mais elle s'abstint de tout commentaire.

Le lendemain, le visage sans expression définie, elle apprit à Catherine, au réveil, que son époux avait dû gagner précipitamment Beaune pour le service du duc. Il s'excusait et priait sa femme de vouloir bien rentrer de son côté à Dijon dans la journée, de s'y installer à son hôtel de la rue de la Parcheminerie. Là, elle attendrait le retour de son mari qui, peut-être, se ferait attendre car il avait reçu l'ordre d'accompagner le chancelier Nicolas Rolin chez le duc de Savoie. Garin enverrait, de Beaune, prendre ses équipages à Dijon et ne rentrerait pas avant son départ. Catherine était priée de s'accoutumer seule à sa nouvelle demeure.

Soulagée en un certain sens, et heureuse de cette liberté inespérée, la jeune femme obéit ponctuellement. A la fin de la matinée, elle prit place dans une litière fermée d'épais rideaux de cuir, Sara auprès d'elle, et quitta le petit château de Brazey pour regagner la ville ducale. Le froid était moins vif et le soleil semblait vouloir s'installer pour un moment. Catherine, joyeuse, songea que, dès le lendemain, elle pourrait aller embrasser sa mère. Le jour de la saint Vincent, autrement dit le 22 janvier, Catherine se rendit avec Odette de Champdivers au grand repas de cochon que l'oncle Mathieu donnait traditionnellement, chaque année à la même date, dans son clos de Marsannay. Dans toute la Bourgogne, de semblables festins avaient lieu pour fêter les vignerons dont saint Vincent est le vénéré patron.

Les deux jeunes femmes avaient quitté, tôt le matin, l'hôtel de Brazey où Odette séjournait depuis quelques jours et s'étaient mises en route, alors que la nuit était encore noire. Une forte escorte de serviteurs entourait la litière bien close où elles avaient pris place, joyeuses comme des écolières en vacances. Pour se tenir chaud, elles avaient fait déposer des chauffe– doux, des récipients de fer garnis de braise rouge, dans l'intérieur du véhicule.

Catherine oubliait presque qu'elle était mariée car il y avait près d'un mois que Garin l'avait quittée. Avec une joie d'enfant, elle avait pris possession du magnifique hôtel de son époux où un fastueux appartement l'attendait. Elle avait passé des jours et des jours à en dénombrer les multiples merveilles, un peu étonnée de se découvrir si riche et si grande dame. Mais elle n'avait pas oublié les siens et, chaque jour, elle s'était rendue rue du Griffon pour embrasser sa mère et l'oncle Mathieu, non sans faire un crochet par la rue Tâtepoire afin de bavarder un moment avec Marie de Champdivers. Chez l'oncle Mathieu, elle était toujours accueillie chaleureusement et d'autant plus que Loyse avait quitté la maison pour le couvent.

Le mariage de sa sœur avait produit un curieux effet sur la fille aînée de Jacquette Legoix. La vue du monde, qu'elle supportait encore tant bien que mal jusque-là, lui était devenue intolérable. Mais, ce qu'elle endurait le plus difficilement c'était la pensée que Catherine, désormais en puissance de mari, était passée de l'autre côté de la barricade, dans cet univers des hommes qu'elle haïssait. Aussi, un mois environ après l'entrée de sa sœur chez les Champdivers, Loyse avait-elle annoncé son désir d'entrer comme novice chez les Bernardines de Tart, un sévère couvent dépendant de l'inflexible règle de Cîteaux. Nul n'avait osé s'opposer à cette décision que l'on sentait sans appel. Au reste, le bon Mathieu aussi bien que sa sœur, étaient-ils vaguement soulagés. Le caractère de Loyse s'aigrissait de jour en jour, son humeur, toujours sombre, était pénible et Jacquette se désolait en songeant à l'avenir sans joie qui s'ouvrait devant sa fille aînée. Le cloître, auquel, depuis son plus jeune âge, elle aspirait, était bien le seul endroit où Loyse pût trouver paix et sérénité. On l'avait donc laissée se joindre au blanc troupeau des futures épouses du Christ.

– Il faut, marmonnait Mathieu, que Notre Seigneur soit l'infinie patience et l'infinie mansuétude... car il aura là une épouse peu commode.

Et, tout au fond de son cœur paisible, le brave homme respira mieux quand la figure glacée de sa nièce cessa de hanter le Grand Saint Bonaventure. Il s'installa avec sa sœur dans une confortable existence à deux et goûta le plaisir de se faire dorloter.

À Marsannay, Catherine et Odette avaient trouvé le village en ébullition. On y préparait la fête depuis plusieurs jours. La neige avait été méthodiquement chassée de la rue, unique et principale. A toutes les façades, même les plus pauvres, pendaient les plus beaux draps et les pièces d'étoffe les plus vivement colorées que l'on avait pu trouver dans les coffres de mariage. Les plantes d'hiver, le gui argenté enlevé de haute lutte aux branches des vieux chênes, et le houx épineux décoraient les portes et les fenêtres. Une puissante odeur de porc rôti embaumait tout le pays car on avait égorgé les cochons les plus gras pour préparer ce repas traditionnel dont le précieux animal faisait seul les frais.

Chez l'oncle Mathieu, le plus riche propriétaire de vignes de Marsannay avec les moines de Saint– Bénigne, une meute de dix cochons avaient payé de leur vie le pantagruélique repas offert par le drapier à tous les bareuzais1 qui, le temps des vendanges venu, viendraient cueillir les grappes violettes dans ses vignes. Car l'oncle Mathieu était un homme fort à son aise, même s'il n'aimait pas étaler sa richesse. Pour arroser le repas, il avait fait mettre en perce six queues de vin de Beaune, de Nuits et de Romanée...

Le festin commença presque vers le milieu du jour. La messe solennelle s'était terminée tard. Tout le monde avait faim et soif, Catherine comme les autres. Avec Odette, elle s'était installée à la table présidée par sa mère. Jacquette éclatait de joie dans une superbe robe de satin cramoisi fourrée de petit-gris, que sa fille lui avait offerte. A l'autre table, Mathieu, tout velours puce et renard noir, le chaperon penché sur une oreille, encourageait les buveurs qui, cependant, n'en avaient guère besoin.

1. Vendangeurs.

Les propos fusaient, joyeux, égrillards, enluminés par le bon vin avec, de loin en loin, le refrain d'une vieille chanson de terroir. Tout cela composait une atmosphère de gaieté bon enfant à laquelle Catherine se laissait aller sans arrière-pensée. C'était bon de s'amuser, d'être jeune et belle comme le lui affirmaient les regards hardis de quelques jeunes gars.

Soudain, comme les marmitons, quatre par quatre, apportaient sur la table trois porcs rôtis, tout luisants et dorés dans leur peau craquante, un vacarme assourdissant se fit entendre à la porte de la salle. Une troupe d'hommes, des retardataires sans doute, se bousculait à qui entrerait le premier. On entendait force jurons, braillés à pleins poumons, au milieu desquels perçait une voix haut perchée qui protestait furieusement :

– En voilà un charivari ! s'écria Mathieu en frappant du poing sur la table. Holà ! vous autres ! Ne vous battez pas ! Il y a place pour tout le monde !

Avec la violence d'un bouchon de Champagne qui saute de sa bouteille, le groupe d'hommes explosa et parvint à franchir le seuil de la salle. Catherine, stupéfaite, put voir qu'ils traînaient après eux une forme humaine gigotant qui avait l'air d'une énorme citrouille plantée sur de courtes jambes, à cela près que la citrouille glapissait dans une langue inconnue.

– Regardez, maître Mathieu, ce que nous avons trouvé sur le chemin, s'écria l'un des vignerons, un énorme gaillard à la figure couleur lie-de-vin.

D'un geste qui ne lui coûta aucun effort apparent, le colosse saisit l'étrange bonhomme et le déposa assis sur la table, juste devant Mathieu. Après quoi, il empoigna à deux mains la citrouille qui cachait jusqu'au cou le visage du petit homme. La barbe blanche et le visage de furet d'Abou-al-Khayr, le petit médecin de Cordoue, apparurent. La première toujours aussi blanche mais le second écarlate de fureur et d'étouffement.

– Avez-vous jamais vu plus vilain macaque ?

s'esclaffa le vigneron. Je l'ai trouvé sur la route avec deux grands diables, noirs comme Satan lui-même, perchés tous trois sur des mules, sérieux comme Carême-prenant ! J'ai pensé que vous aimeriez voir ces phénomènes avant qu'on les jette à la rivière. On n'a pas toujours l'occasion de rire un peu, pas vrai ?

– Mais, s'écria Mathieu qui avait reconnu le médecin maure, c'est mon ami du Grand Charlemagne, c'est le seigneur Abou-al-Khayr en personne ! Malheureux ! Tu veux jeter mes amis à la rivière ?

Qu'allais-tu faire, mon Dieu, qu'allais-tu faire !

Il s'empressait de faire descendre Abou-al-Khayr de la table, lui offrait un siège et un verre de vin que, dans son trouble, le petit musulman avala sans sourciller. Il avait eu très peur, mais il reprenait peu à peu ses couleurs habituelles et ne cachait pas son plaisir de retrouver Mathieu, ni son soulagement.

– J'ai cru ma dernière heure venue, mon ami... Allah soit béni de m'avoir conduit entre vos mains. Mais s'il n'est pas trop tard pour sauver mes serviteurs, j'aimerais beaucoup qu'on ne les jetât pas non plus à l'eau !

Un ordre de Mathieu propulsa le vigneron coupable, un peu confus de la tournure prise par les événements, vers la sortie, tandis qu'avec l'aide de Jacquette, étonnée de l'étendue des relations de son frère, le petit médecin remettait de l'ordre dans sa toilette et réinstallait son turban jaune suivant la bonne règle. Mais les yeux vifs d'Abou avaient déjà repéré Catherine qui se tenait un peu à l'écart, n'osant approcher.

L'arrivée soudaine du Cordouan avait fait battre son cœur à un rythme désordonné. Garin n'avait-il pas dit que l'Arabe s'était attaché à la personne d'Arnaud de Montsalvy ? Par lui, elle apprendrait sans doute bien des choses sur celui qui hantait son cœur et son esprit.

Autour de la table l'agitation créée par l'entrée sensationnelle du petit médecin se calmait. Installé dans un fauteuil bourré de coussins, nanti d'une écuelle d'étain et d'un gobelet, Abou-al-Khayr achevait de reprendre ses esprits. Son regard, fixé sur Catherine avec une insistance presque gênante, revint vers la table servie, s'arrêta sur les vastes plats dont Mathieu s'apprêtait à lui faire les honneurs...

Le drapier resta en arrêt, couteau en l'air, au moment précis où il allait attaquer le plus gras des cochons rôtis. Avec un cri d'horreur, Abou-al-Khayr venait de bondir sur ses pieds et, repoussant son fauteuil qui chut à terre avec un bruit de tonnerre, s'enfuyait à toutes jambes jusqu'à la cheminée où il restait tapi, plus blanc que sa barbe, tremblant de tous ses membres et glapissant sur le mode suraigu.

– Allons bon ! fit Mathieu, que lui arrive-t-il encore ? Eh, mon compère, ne vous sauvez pas ! Venez plutôt que nous goûtions ensemble à ce rôti. Qu'est-ce donc qui vous fait peur séant ?

– Du porc !... fit Abou d'une voix grelottante, du porc !... animal impur !... chair maudite et défendue !... Un vrai croyant ne peut s'approcher d'une table où l'animal immonde est servi...

Interdit, les yeux ronds, Mathieu regardait tour à tour le petit médecin tremblant de frayeur et le cochon innocent, si appétissant sur son plat.

– Qu'est-ce donc qu'il veut dire là ? Impurs, mes cochons ?

grogna-t-il vexé.

Ce fut Odette qui le tira d'embarras. Quittant sa place elle vint se placer près de Mathieu. Catherine vit qu'elle avait bien du mal à garder son sérieux.

– A la cour du roi Charles, j'ai vu venir une fois un mage infidèle de la race de cet homme. Madame la duchesse d'Orléans, bonne chrétienne cependant, espérait en sa magie pour guérir le roi. Cet homme refusait toujours qu'on lui servit du porc que sa religion considère comme impur.

Le Prophète a dit : « Tu ne mangeras pas la chair de l'animal immonde

», renchérit Abou, de son coin.

Mathieu poussa un profond soupir, rejeta couteau et fourche et se leva.

– C'est bon, fit-il à l'adresse de sa sœur. Ordonne que l'on mette des chapons à la broche et que l'on prépare quelque poisson de haut goût. Nous allons boire, mon ami et moi, dans mon cabinet, en attendant que tout soit prêt. Continuez sans nous votre repas.

Au grand désappointement de Catherine, Mathieu et Abou s'éloignèrent ensemble. Ainsi c'était l'oncle qui entendrait les confidences du petit médecin alors qu'elle-même brûlait de l'interroger

? Elle se promit bien de ne pas repartir sans avoir eu avec lui un entretien même s'il fallait pour cela mécontenter l'oncle Mathieu.

Elle n'eut pas besoin d'en arriver là. Tandis que, le repas terminé, elle regardait danser les vignerons dans la grande salle débarrassée des tables, elle sentit qu'on la tirait par sa manche. Le médecin était auprès d'elle.

– C'est toi que je cherchais en prenant cette maudite route ! dit-il à mi-voix.

– Je regagne ma maison de Dijon demain matin, répondit-elle.

Venez avec moi si l'hospitalité d'une femme ne vous fait peur...

Abou-al-Khayr sourit puis s'inclina profondément en murmurant :

– Permets-moi de baiser, Ô Reine, comme fait le ciel, la poussière qui dort au seuil de ta porte... dirait le poète. Moi je dirai seulement que je serai heureux de te suivre pourvu que tu accueilles aussi mes serviteurs et que tu ne me serves pas de porc !

Le lendemain à l'aube, la litière de Catherine reprenait le chemin de Dijon, emmenant le médecin et les deux jeunes femmes. Presque tout le pays ronflait !

En arrivant à Dijon, Odette quitta son amie pour se rendre chez sa mère où elle voulait passer deux jours avant de rentrer à Saint-Jean-de-Losne. Catherine ne la retint pas. L'ancienne favorite semblait préoccupée et, de plus, la jeune femme sentait bien qu'Abou-al-Khayr ne parlerait pas tant qu'une inconnue serait là. Tout au long du trajet, il n'avait pas dit trois mots. À l'hôtel de la rue de la Parcheminerie, son entrée flanquée de ses deux esclaves noirs fit quelque peu sensation. D'un même mouvement, les servantes de Catherine ramassèrent leurs jupes pour s'enfuir, tandis que les valets reculaient en se signant. Un regard autoritaire de la jeune femme les arrêta net.

En un seul mois elle avait su s'imposer et se faire respecter presque autant que Garin lui-même. Sèchement, elle ordonna au majordome Tiercelin de faire préparer pour l'hôte distingué la chambre aux griffons et d'y faire porter deux paillasses pour les serviteurs de l'Arabe. Après quoi elle conduisit elle-même, en cérémonie et précédée de porte-flambeau, pour bien montrer le cas qu'elle en faisait, son visiteur jusqu'à ses appartements. Pendant tout ce temps, Abou– al-Khayr s'était tu, se contentant d'examiner choses et gens autour de lui.

Lorsque Catherine le quitta au seuil de sa chambre en lui indiquant l'heure du repas, il poussa un profond soupir et la retint par le bras.

– Si je comprends bien, ta situation a beaucoup changé ?

demanda-t-il doucement, tu es mariée ?

– Mais... oui, depuis un mois.

Le petit médecin secoua tristement sa tête enrubannée. Il semblait tout à coup accablé de douleur.

En arrivant à Dijon, Odette quitta son amie pour se rendre chez sa mère où elle voulait passer deux jours avant de rentrer à Saint-Jean-de-Losne. Catherine ne la retint pas. L'ancienne favorite semblait préoccupée et, de plus, la jeune femme sentait bien qu'Abou-al-Khayr ne parlerait pas tant qu'une inconnue serait là. Tout au long du trajet, il n'avait pas dit trois mots. À l'hôtel de la rue de la Parcheminerie, son entrée flanquée de ses deux esclaves noirs fit quelque peu sensation. D'un même mouvement, les servantes de Catherine ramassèrent leurs jupes pour s'enfuir, tandis que les valets reculaient en se signant. Un regard autoritaire de la jeune femme les arrêta net.

En un seul mois elle avait su s'imposer et se faire respecter presque autant que Garin lui-même. Sèchement, elle ordonna au majordome Tiercelin de faire préparer pour l'hôte distingué la chambre aux griffons et d'y faire porter deux paillasses pour les serviteurs de l'Arabe. Après quoi elle conduisit elle-même, en cérémonie et précédée de porte-flambeau, pour bien montrer le cas qu'elle en faisait, son visiteur jusqu'à ses appartements. Pendant tout ce temps, Abou– al-Khayr s'était tu, se contentant d'examiner choses et gens autour de lui.

Lorsque Catherine le quitta au seuil de sa chambre en lui indiquant l'heure du repas, il poussa un profond soupir et la retint par le bras.

– Si je comprends bien, ta situation a beaucoup changé ?

demanda-t-il doucement, tu es mariée ?

– Mais... oui, depuis un mois.

Le petit médecin secoua tristement sa tête enrubannée. Il semblait tout à coup accablé de douleur. Il était tard dans l'après-midi quand, enfin, ils se trouvèrent face à face. Catherine n'en pouvait plus d'attendre. Elle avait dû déjeuner seule parce que son hôte, alléguant la fatigue du voyage avait demandé qu'on le servît chez lui. En réalité, Abou-al-Khayr voulait se donner le temps de réfléchir avant d'aborder la jeune femme.

Lorsque enfin il se rendit à l'invitation qu'elle lui avait fait tenir de la rejoindre dans sa chambre, il resta un moment à regarder les flammes danser dans la haute cheminée de pierre blanche, ciselée comme un joyau. À bout d'impatience, Catherine pria :

– Parlez maintenant, je vous en supplie. Votre silence me met au supplice. Par pitié... parlez-moi de lui.

L'Arabe haussa les épaules avec découragement. Entre eux les noms n'avaient aucune utilité, mais il se demandait si les faits pouvaient en avoir.

– A quoi bon, puisque tu es mariée ? Que t'importe désormais celui qui est devenu mon ami ? Pourtant, lorsque je vous avais vus ensemble, j'avais eu la prescience que vous étiez réunis par un lien invisible et fort. Je crois savoir lire dans les yeux des hommes et dans les tiens j'avais lu un amour immense. Je devrais pourtant savoir que le regard d'une femme est trompeur, ajouta-t-il avec amertume. J'avais mal lu.

– Non, vous aviez bien lu. Je l'aimais et je l'aime toujours, plus que tout, plus que moi-même, alors qu'il me méprise et me hait.

Ceci est une autre affaire, sourit Abou. Il y aurait beaucoup à dire sur le mépris du seigneur de Montsalvy. Lorsqu'une brûlure a creusé bien profondément la chair, la plaie se referme mais la cicatrice demeure et aucune puissance au monde ne peut l'effacer. Crois-en un médecin et crois aussi que je le regrette puisque tu as pris époux. Vous autres femmes êtes bien étranges créatures ! Vous prenez l'univers à témoin du grand amour qui vous ravage, mais vous allez sereinement offrir votre corps à un autre homme !

La patience commençait à abandonner Catherine. Qu'avait-il besoin de se perdre en considérations sur l'âme féminine quand elle brûlait de l'entendre parler d'Arnaud.

– Les femmes de votre pays sont-elles donc libres de choisir l'homme au lit duquel on les pousse ? Pas ici ! Si je me suis mariée c'est pour obéir à un ordre.

Brièvement elle retraça pour son hôte l'histoire de son mariage, l'ordre formel de Philippe et l'esprit dans lequel cet ordre avait été donné. Mais elle n'eut pas le courage de lui dire que son époux ne l'avait pas encore touchée. A quoi bon ? Tôt ou tard, lorsque Garin reviendrait, il réclamerait ses droits.

– Ainsi, fit le médecin lorsqu'elle eut terminé son récit, ton maître est ce Garin de Brazey qui accompagnait à Bourg le chancelier de Bourgogne ? Étrange, en vérité, que le choix du duc se soit porté sur lui. Il est sombre comme la nuit, dur comme le silex et son caractère semble aussi raide que son échine. Il n'a vraiment rien du mari complaisant.

Catherine balaya d'un geste cette réflexion que Barnabé déjà, avait faite autrefois. Ce n'était pas pour parler de Garin qu'elle l'avait fait venir. A sa demande instante, Abou-al-Khayr consentit enfin à s'expliquer.

Depuis l'auberge flamande il n'avait pas quitté Arnaud de Montsalvy. Ensemble, ils étaient demeurés au Grand Charlemagne le temps nécessaire à la guérison d'Arnaud.

Après ton départ, il a eu une forte fièvre. Il délirait... Un délire bien instructif d'ailleurs, mais tu ne me pardonnerais sûrement pas de me perdre en digressions. Quand nous avons pu reprendre la route, le duc de Bourgogne avait quitté les Flandres et s'était rendu à Paris. Il ne pouvait être question de l'y suivre. Nous n'en serions pas sortis vivants.

Par la voix flûtée, zézayante du petit médecin, Catherine suivait pas à pas le retour d'Arnaud, convalescent hargneux et difficile, vers son maître. Abou disait l'accueil du Dauphin, les merveilles du château de Mehun-sur-Yèvre, la plus aérienne, la plus fantastique des demeures féodales, véritable dentelle de pierre et d'or que le dauphin Charles avait héritée de son oncle Jean de Berry, le plus fastueux mécène du temps. II disait aussi la chaleur du compagnonnage, la fraternité d'armes qui unissait Arnaud de Montsalvy aux autres capitaines du Dauphin. Si évocatrice était la parole de l'Arabe que Catherine croyait voir s'avancer sur le précieux tapis de sa chambre, le jeune Jean d'Orléans, le plus séduisant, le plus chevaleresque aussi des bâtards1, uni au Dauphin par une fraternelle amitié d'enfance, puis la silhouette carrée, brutale du terrible Etienne de Vignolles, si ardent au combat que le surnom de la Hire (la colère) lui allait comme une seconde peau, une âme de bronze dans un corps de fer et avec lui son alter ego, un auvergnat joyeux et féroce, roux comme une châtaigne, nommé Jean de Xaintrailles. Un autre Auvergnat, Pierre de Giac, inquiétant et rusé dont on chuchotait qu'il devait sa faveur à un pacte avec le Diable auquel il avait vendu sa main droite, venait ensuite, puis d'autres encore seigneurs de la tendre Touraine, ou de la redoutable Auvergne, de l'insondable Languedoc ou de la joyeuse Provence, tous ceux qui, fidèles à l'adversité se contentaient d'un roi, une foi, une loi...

I. Le futur Dunois.

Avec quelque perfidie, Abou-al-Khayr décrivait aussi, non sans une ironique complaisance, les dames ravissantes, les fraîches jouvencelles dont Charles VII, qui aimait les femmes presque autant que son cousin de Bourgogne, se plaisait à peupler sa cour. À

l'entendre, la plupart de ces séduisantes créatures n'attendaient qu'un signe du seigneur de Montsalvy pour tomber dans ses bras et singulièrement l'éclatante fille du maréchal de Séverac, une adorable brune aux yeux « longs comme une nuit de rêve »...

– Passons, passons ! coupa Catherine exaspérée par l'enthousiasme machiavélique déployé devant elle.

– Pourquoi donc ? s'étonna Abou-al-Khayr avec une naïveté bien jouée. Il est bon qu'un homme jeune et sain dépense ses forces et prenne du plaisir car le poète a dit : « De ce qui n'est plus et de ce qui sera ne t'occupe pas. Réjouis-toi dans le présent, c'est là le but de la vie... »

– Et mon but à moi n'est pas d'entendre le récit des bonnes fortunes de messire de Montsalvy. Que s'est-il passé ensuite ? s'écria la jeune femme furieuse.

Abou-al-Khayr lui dédia un gracieux sourire et caressa sa barbe de neige.

– Ensuite le Dauphin est devenu le Roi et nous avons eu un couronnement, des fêtes, des joutes que j'ai pu voir de loin, du logis où mon ami m'avait installé et où, d'ailleurs, je recevais force visites.

Le sire de Giac en particulier...

Catherine était à bout de forces. Ses nerfs tendus la torturaient tant qu'elle sentit les larmes lui monter aux yeux.

– Par grâce !! implora-t-elle d'une voix si brisée que le petit médecin en eut pitié.

Il retraça rapidement la vie des derniers mois, les quelques combats auxquels Arnaud avait participé avec la Hire, puis sa désignation pour escorter à Bourg-en-Bresse l'ambassade du roi Charles que menait le chancelier de France, l'évêque de Clermont, Martin Gouge de Charpaignes, un parent d'Arnaud, enfin le départ de l'ambassade que le Cordouan avait suivie.

Bien entendu, il n'avait pas eu la possibilité d'assister aux difficiles négociations que présidait le duc de Savoie, mais, chaque soir, il voyait revenir Arnaud un peu plus furieux. A mesure que, par la bouche de Nicolas Rolin se développait la longue liste des exigences bourguignonnes, croissait la rage du jeune homme. Les conditions de paix, selon lui, étaient inacceptables et, jour après jour, il se retenait de sauter à la gorge de l'insolent Bourguignon qui osait réclamer du roi Charles une amende honorable pour le meurtre de Jean-sans-Peur, la dispense pour Philippe de l'hommage royal dû par tout grand vassal, fût-il duc de Bourgogne, la livraison d'une bonne moitié des terres que l'Anglais n'avait pas encore prises. Les faux– fuyants, les réserves blessantes de maître Nicolas portaient au paroxysme la fureur du bouillant capitaine... et sa haine du duc Philippe.

– Car il le hait, ajouta Abou pensif, comme jamais je n'ai vu homme haïr son semblable... et je ne suis pas sûr que tu n'y sois pas pour quelque chose. Pour l'heure, Monseigneur de Savoie a obtenu une trêve des adversaires et la promesse de négociations ultérieures qui doivent s'ouvrir le 1er mai. Cette trêve, en tout cas, j'en sais un qui est bien résolu à n'en pas tenir compte.

– Que veut-il faire ?

– Venir, jusqu'en la cour du duc Philippe, lui lancer un défi.

Exiger de lui un combat à outrance.

Un cri de terreur échappa à Catherine. Si Arnaud osait seulement défier le duc, il ne sortirait pas vivant de la ville. Qui avait jamais entendu parler d'un prince régnant se mesurant en champ clos avec un simple chevalier... surtout pour un combat à outrance ! Violemment, elle reprocha au médecin d'avoir abandonné son ami dans une pareille crise de folie. Il fallait le raisonner, lui faire voir qu'il courait au suicide s'il tentait de mettre son projet à exécution, le retenir de force au besoin... Abou-al-Khayr hocha la tête :

– On n'arrête pas plus messire Arnaud qu'un torrent qui dévale la montagne. Il fera comme il l'a dit et si je suis venu ici, prétextant le désir que j'avais de voir un vieux juif fort savant qui réside secrètement non loin de cette ville, c'est parce que toi seule peu quelque chose pour lui.

– Que puis-je faire ? Je suis seule, sans forces, sans puissance.

– Tu as l'amour de Philippe... du moins Arnaud le croit et, si j'ai bien compris, il ne se trompe guère, à cela près qu'il te croit depuis longtemps la maîtresse de son ennemi. Quand il aura lancé son défi démentiel, ta main seule, sans doute, sera assez forte pour détourner de lui la fureur des Bourguignons. On ne refuse rien à la femme que l'on aime... surtout lorsqu'elle n'est pas encore vôtre.

– Où est Arnaud pour le moment ?

C'était la première fois qu'elle se servait à haute voix de ce prénom que, si souvent, elle prononçait tout bas, pour le seul plaisir d'en sentir les deux syllabes rouler entre ses lèvres.

– Toujours à Bourg. Les ambassadeurs vont bientôt se séparer.

Ton mari va rentrer prochainement et Arnaud ramènera l'évêque de Clermont auprès du roi Charles qui l'attend à Bourges. Ensuite...

Le temps pressait. Le tempérament irascible d'Arnaud ne lui laissait qu'une très courte patience. Il était de ces gens qui, une fois leur décision prise, foncent droit devant eux pour la mettre à exécution sans se préoccuper des conséquences. La nouvelle du prochain retour de Garin satisfit Catherine en ce qu'elle lui faisait espérer pour assez prochaine sa pré sensation à la Cour. Il fallait qu'elle pût approcher le duc et le plus tôt serait le mieux...

La porte, s'ouvrant sous la main de Sara qui apportait Gédéon dont elle venait de nettoyer le perchoir, lira Catherine de sa méditation.

Avec un cri de joie, Abou-al-Khayr bondit sur ses pieds et se précipita vers l'oiseau. Il se mit à le caresser en déversant sur lui une pluie de mots brefs, à la fois doux et rauques, dans sa langue natale. Catherine allait le mettre en garde contre le redoutable bec de l'oiseau, car Gédéon n'était rien moins que patient, mais, à sa grande surprise, elle vit que l'oiseau se tortillait sur son perchoir comme une jeune fille courtisée. Il dodelinait de la tête, se dandinait et roucoulait aussi tendrement qu'une tourterelle, exécutant avec le petit médecin un étrange duo d'amour. Désireux de montrer l'étendue de ses connaissances, Gédéon interrompit soudain ses roulades énamourées pour claironner :

– Gloirrrrrre... au duc !

Puis, dardant son œil rond sur sa maîtresse, il se mit à vociférer avec une nuance de défi :

– Garrrrrrin !... Affrrrrrrreux... Garrrrrin ! Affrrr– reux...

– Miséricorde, gémit Catherine. Qui a pu lui apprendre ça ? Si mon époux l'entend, il lui fera tordre le cou !

Abou-al-Khayr riait de bon cœur. Il tendit le poing et l'oiseau, docilement, vint s'y percher.

– Confie-le-moi ! Nous sommes si bons amis ! Et, dans ma chambre, personne ne l'entendra. Je lui apprendrai à jurer en arabe !


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