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Catherine Il suffit d'un amour Tome 1
  • Текст добавлен: 21 сентября 2016, 17:47

Текст книги "Catherine Il suffit d'un amour Tome 1"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Catherine poussa un sourd gémissement que Garin entendit. Il tourna vers sa femme un regard oblique, mais ne fit aucun commentaire. Dame Ermengarde aussi avait entendu. Elle haussa les épaules.

– Ne soyez pas si sensible, ma chère ! Le jugement de Dieu est une chose passionnante. Et j'espère bien que Dieu rendra justice à ce jeune chevalier. Il est magnifique, sur ma parole !... Comment s'appelle– t-il ? Montsalvy ? Un vieux nom je crois, fort bien porté !

Ces paroles de sympathie réconfortèrent un peu Catherine. Dans le concert de haine qui entourait Arnaud, elles étaient les quelques notes amicales qui rassurent. Une autre voix pourtant, s'élevait pour le jeune homme. Le duc venait de lui demander sèchement s'il avait un second pour la rencontre.

– Par la mordieu, s'écria Arthur de Richemont. S'il n'en a pas, je suis prêt à lui offrir mon épée. C'est un vaillant compagnon que j'ai vu combattre à Azincourt. N'y voyez pas offense, Monseigneur mon frère, mais seulement ancienne fraternité d'armes.

– Et je vous approuverais, Monseigneur, dit Marguerite, sa fiancée, d'une voix émue. Ce chevalier est le jeune frère d'un écuyer que j'ai eu jadis en ma maison de Guyenne, un gentil seigneur qui fut vilainement mis à mal par la populace parisienne, lors de ces affreux jours de la Caboche. J'ai imploré pour sa vie et mon père me l'a refusée. Si vous combattez pour Arnaud de Montsalvy, c'est doublement, mon cher seigneur, que vous porterez mes couleurs. Je n'approuve pas mon frère.

Richemont, attendri, prit la main de sa blonde fiancée et la baisa tendrement.

– Douce dame, en vous choisissant, mon cœur ne s'était pas trompé.

Mais, pendant ce temps, Arnaud, après avoir salué le Breton, avait désigné fièrement un autre chevalier, armé aussi de toutes pièces, qui était apparu au seuil des portes.

– Le sire de Xaintrailles soutiendra ma querelle si besoin est.

L'arrivant, la tête découverte, offrait une tignasse rousse comme une carotte et un sourire moqueur. Il était, lui aussi, grand et solidement charpenté. Nommé, il avança de quelques pas, salua.

Philippe de Bourgogne, avec effort, s'était levé de son siège, gardant cependant une main appuyée à l'accoudoir.

– Messires, dit-il, s'il plaît à Dieu et pour ne point souiller la terre de notre seigneur l'évêque d'Amiens, c'est à Arras, chez moi, et dans trois jours que se déroulera votre rencontre que Dieu jugera. Ma parole vous est donnée que vous y serez reçus courtoisement et en sûreté. Et maintenant, puisque ce soir est soir de fête, oublions la bataille à venir et joignez-vous à mes hôtes...

L'orgueil était enfin venu au secours de Philippe. Il avait repris tout empire sur lui-même et nul ne pouvait plus deviner les sentiments tumultueux qui l'agitaient après cette insulte publique. Au plus haut point il avait le sens de sa dignité et de son rang de prince souverain.

De plus, confiant dans la force formidable du bâtard de Vendôme, il pouvait, à peu de frais, s'offrir le luxe de se montrer magnanime et d'exercer, même envers un ennemi juré, les lois de l'hospitalité.

Mais froidement Arnaud de Montsalvy recoiffait son casque dont, d'un coup de doigt sec, il avait relevé la visière. A nouveau son regard noir défia les yeux gris de Philippe.

– Grand merci seigneur duc ! Mais en ce qui me concerne, mes ennemis demeurent mes ennemis et je compte ceux de mon prince au premier rang de ceux– ci. Je ne bois qu'avec mes amis. Nous nous retrouverons dans trois jours, au champ clos... Pour l'heure, nous rentrons à Guise. Place !

Inclinant brièvement la tête, le chevalier tourna les talons et marcha lentement vers la porte. Mais avant qu'il ne se fût retourné, son regard avait glissé. Un instant il s'était fixé sur Catherine et la jeune femme, au bord des larmes, avait vu un éclair traverser leurs noires prunelles.

Elle avait eu un geste instinctif, à peine ébauché, des deux mains tendues vers lui, mais déjà Arnaud de Montsalvy était loin. Bientôt, les portes se refermaient sur les deux compagnons. Et, quand, la silhouette du noir chevalier fut évanouie, Catherine eut la sensation que toutes les lumières s'étaient éteintes à la fois et que la vaste salle était devenue sombre et froide.

Les trompettes alors sonnèrent pour annoncer le souper.

Le festin avait été un véritable supplice pour Catherine. Elle eût aimé demeurer seule, dans le silence de sa chambre, afin de pouvoir évoquer à loisir celui qui venait de réapparaître si brusquement dans sa vie. La vue d'Arnaud avait fait défaillir son cœur, mais ce cœur s'était ranimé avec le départ du chevalier, pour n'en battre que plus fort et plus obstinément. Lorsque la silhouette noire avait franchi la porte de chêne, Catherine avait dû faire appel à tout son bon sens et à tout son contrôle d'elle-même pour ne pas courir derrière lui, tant avait été violente l'impulsion qui la jetait vers le jeune homme. Elle ignorait quel accueil il lui eût réservé, mais pouvoir seulement lui parler, le toucher, sentir sur elle le poids sans douceur de son regard noir... pour ces humbles joies, la jeune femme eût donné tous les princes de la terre. Et pour se retrouver, ne fût-ce qu'une fugitive seconde, entre ses bras, elle eût joyeusement vendu son âme au Diable.

Durant toute la soirée, elle parla, sourit, accueillit les hommages qu'attirait sa beauté, mais ses lèvres et ses yeux agissaient machinalement. En réalité, Catherine n'était plus dans ce palais d'Amiens. A la suite de Montsalvy et de Xaintrailles, elle galopait sur la route de Guise où les gens du roi Charles avaient leur camp. Elle voyait, avec cette double vue de l'amour qui se trompe si rarement, la silhouette d'acier noir penchée sur l'encolure du cheval, le profil dur, les lèvres serrées dans l'ombre du casque, elle entendait le galop lourd des chevaux, le cliquetis des armes et jusqu'au battement du cœur d'Arnaud sous sa carapace de fer... Elle était avec lui, près de lui, contre lui, si proche que le cavalier lui semblait taillé dans la même chair que son propre corps... Elle ne prit pas garde à la sécheresse du ton de Garin quand il lui dit :

– Rentrons !...

Parce que plus rien n'avait d'importance, ni Garin et sa richesse, ni Philippe et son amour, du moment qu'Arnaud s'était rapproché d'elle !

Le regard qu'il lui avait jeté, en quittant la salle, n'avait pourtant rien d'encourageant, si ce n'est peut-être qu'au milieu de la colère et du mépris, la jeune femme avait cru y lire une sorte d'admiration. Et c'est de cette faible lueur qu'elle éclairait son rêve. Il la haïssait sans doute, la méprisait plus que certainement, mais Abou– al-Khayr avait dit qu'il la désirait et, tandis qu'aux côtés de Garin, elle regagnait la maison sur le canal vert, Catherine sentait revenir en elle ses forces combatives.

Le but de sa vie, elle venait de le voir là, tout près d'elle, un but qui n'avait plus rien d'inaccessibles car, si l'orgueilleux comte de Montsalvy pouvait regarder dédaigneusement la nièce d'un drapier, par contre la dame de Brazey devenait digne de lui. Catherine comprenait que son mariage l'avait mise presque sur le même plan qu'Arnaud. Elle était partie intégrante de son univers d'orgueil et de splendeur, qu'il le voulût ou non et, ce soir, elle avait pu mesurer l'éclat et la puissance de sa beauté. Combien de fois le regard de Philippe ne s'était-il pas posé sur elle... et tant d'autres avec lui ? Tous étrangement semblables avec leur expression avide... Ce soir, Catherine se sentait de taille à balayer les autres obstacles dressés entre elle et son amour, jusque et y compris cette haine d'Arnaud pour les Legoix et qu'elle se jurait de lui arracher. Pourrait-il lui reprocher la mort de Michel quand il saurait qu'elle avait failli en mourir, que Gaucher son père avait été pendu, sa maison détruite ? Cet homme, jusque-là si lointain, Catherine savait maintenant qu'elle le voulait, de toutes les forces tendues de son âme et quelle n'aurait de cesse ni de repos tant qu'il ne l'aurait pas faite sienne sans retour possible.

Perdue dans son rêve, Catherine rentra chez elle, regagna sa chambre et se souvint alors de son mari, car elle s'aperçut que, pour une fois, il l'avait suivie jusque dans ses appartements. Appuyé d'un coude à la cheminée, il la regardait curieusement mais, sur son visage immobile, Catherine ne put rien déchiffrer. Elle lui adressa un vague sourire, tandis qu'elle abandonnait aux mains de Sara le long manteau de velours noir jeté sur sa robe.

– Vous ne vous sentez pas fatigué ? demanda– t-elle. Moi, je suis recrue. Ce monde, cette chaleur !...

Tout en parlant, elle se dirigeait vers sa table à coiffer. Le miroir lui renvoya son image resplendissante, avivée encore par l'éclat sombre du diamant sur son front. Pensant que Garin ne l'avait suivie que pour récupérer la précieuse pierre, elle se hâta de dégrafer la chaîne d'or, tendit le joyau.

– Voilà ! je vous rends votre précieux trésor ! Je conçois que vous ayez hâte de le remettre en lieu sûr...

Mais, d'un geste, Garin repoussa la main tendue. Sur ses lèvres minces passa un sourire de dédain.

– Gardez-le ! fit-il. Si je vous ai suivie chez vous, ce soir, ce n'est certes pas à son propos, mais bien pour vous poser une question : depuis combien de temps connaissez-vous messire de Montsalvy ?

La question désarçonna Catherine qui, par habitude, chercha le regard de Sara. Mais voyant que son maître souhaitait demeurer chez sa femme, la tzingara s'était éclipsée, à sa manière silencieuse, les laissant seuls. La jeune femme détourna la tête, prit un peigne d'ivoire et commença à le passer doucement dans ses cheveux.

– Qui vous fait supposer que je le connaisse ?

– Votre émotion trop visible tout à l'heure. Vous n'auriez pas frémi ainsi pour un inconnu. Aussi souffrez que je réitère ma question

: d'où le connaissez– vous ?

Le ton de Garin était parfaitement courtois et sa voix ne s'était pas élevée au-delà de ses habituelles notes basses, mais Catherine ne s'y trompa cependant pas. Il voulait une réponse et l'obtiendrait. Le mieux était, sans doute, de lui dire la vérité, tout au moins une partie de la vérité, celle qu'il pouvait entendre. En quelques phrases, elle retraça la scène de la route de Tournai, quand Mathieu et elle-même avaient trouvé le chevalier blessé. Elle dit comment ils l'avaient transporté jusqu'à l'auberge et comme Abou– al-Khayr l'avait pansé et avait, ensuite, pris soin de lui.

– Comme vous pouvez en juger, fit-elle avec un sourire, c'est à la fois une vieille connaissance et une vague relation. Mais il était normal que je montrasse quelque émotion en le voyant reparaître aussi inopinément devant moi ce soir et dans de si tragiques circonstances.

– Tragiques est le mot, en effet. Il est probable, ma chère, que vous ne tarderez guère à pleurer cette « ancienne connaissance ». Le bâtard de Vendôme est un redoutable adversaire qui joint l'astuce et la souplesse du serpent à la force du taureau... Et le combat sera à outrance. Peut-être préférerez-vous n'y point assister, si vous êtes tellement sensible ?

Quelle idée ? Je tiens au contraire à voir le combat. Monseigneur Philippe, d'ailleurs, ne nous y a-t-il pas conviés ?

– En effet ! Eh bien donc, nous nous y rendrons puisque vous pensez pouvoir supporter ce spectacle. Je vous souhaite le bonsoir, Catherine...

Un instant, la jeune femme eut envie de le retenir. Son attitude lui semblait bizarre. Elle souhaitait le faire parler afin de se rendre compte du crédit exact attaché par lui à ses explications, mais le désir d'être seule avec le souvenir d'Arnaud fut le plus fort. Elle laissa Garin s'éloigner, renvoya même Sara quand elle réapparut pour l'aider à se déshabiller. Elle n'avait envie de partager avec personne l'espoir qui la gonflait, chaud et secret comme une promesse de maternité, et quelle voulait porter jusqu'à ce qu'il répandit sur elle une pleine moisson de bonheur.

Pour le moment, un but unique, renfermé dans le mot : Arras. Elle voulait oublier qu'Arnaud y aventurerait dangereusement sa vie. Dans deux jours, les mêmes murs de la même cité les enfermeraient tous deux, sous le même ciel. Et Catherine se jurait de ne pas laisser Arnaud s'éloigner d'elle sans avoir tenté de le reprendre, quelles qu'en puissent être les conséquences.

Se loger dans Arras fut moins aisé pour les Brazey qu'à Amiens.

Philippe de Bourgogne ménageait trop ses bons bourgeois artésiens pour les obliger à faire place à ses hôtes comme l'avait fait cavalièrement l'évêque d'Amiens. Aussi Catherine dut-elle s'empiler, avec Ermengarde de Châteauvillain, Marie de Vaugrigneuse et deux autres dames de parage des princesses, dans deux chambres que leur céda d'assez bonne grâce un lainier de la ville haute, tandis que Garin s'en allait rejoindre Nicolas Rolin et Lambert

de Saulx dans une simple auberge. Cet arrangement ne déplaisait pas à Catherine qui voyait dans cette séparation momentanée un présage favorable à la réussite de ses projets.

L'annonce du combat du lendemain avait empli la ville à éclater. De partout, de tous les châteaux voisins et même de villes éloignées, on accourait. Des tentes se gonflaient, l'une après l'autre, jusque sous les murs de la ville. Arras paraissait jaillir d'un parterre d'énormes fleurs.

On ne parlait que de la joute sur les places et dans les carrefours où des paris s'engageaient. Catherine enrageait de constater que, partout, on donnait le bâtard de Vendôme gagnant. Personne n'offrait cher de la peau d'Arnaud de Montsalvy et, comme, par-dessus le marché, nul ne se gênait pour proclamer hautement qu'il n'aurait pas volé son sort, si définitif fût-il, Catherine s'indignait de tout son cœur.

– Depuis quand la force brutale prime-t-elle la valeur ? s'écria-t-elle tandis qu'elle aidait dame Ermengarde à défaire ses coffres et à défroisser ses robes en vue du banquet du soir et de la joute du lendemain. Ce bâtard est fort comme un ours, mais cela ne signifie nullement qu'il doive vaincre...

– Peste ! ma chère, fit Ermengarde en lui enlevant prestement des mains la précieuse robe de velours de Gênes que, dans sa fureur, Catherine malmenait quelque peu, ce jeune présomptueux semble avoir en vous un chaud défenseur ! Pourtant vous devriez, ce me semble, porter tous vos vœux au bâtard qui va combattre pour l'honneur de notre Duc. Est-ce que, par hasard, vous ne seriez pas aussi bonne Bourguignonne que vous devriez ?

Sous l'œil inquisiteur de la grosse dame, Catherine se sentit rougir et ne répondit pas. Elle se rendait bien compte qu'elle avait fait une faute, mais elle eût préféré se couper la langue plutôt que de revenir sur ses paroles. Ermengarde ne parut pas s'en formaliser. Elle éclata de rire et assena, sur le dos de la jeune femme, une claque si vigoureuse qu'elle faillit la précipiter tête première dans le coffre ouvert.

– Ne faites pas cette tête-là, dame Catherine ! Nous sommes seules, vous et moi, et je peux bien vous avouer que je fais, moi aussi, des vœux pour ce jeune insolent. Car, outre que je considère le roi Charles comme notre très légitime souverain, j'ai toujours aimé les beaux garçons, surtout quand ils sont assez braves pour être un peu fous. Et sacrebleu, il est beau le mâtin ! Je sais bien que si j'avais vingt ans de moins...

– Que feriez-vous ? demanda Catherine amusée.

– Je ne peux vous dire exactement comment je m'y prendrais, mais il ne pourrait plus entrer dans son lit sans m'y trouver ! Et, morbleu, pour m'en tirer, il faudrait autre chose que sa grande épée...

car, ou bien je me trompe fort ou bien ce garçon n'a pas seulement l'aspect d'un homme, il en a l'âme, cela se voit dans ses yeux. De plus, je jurerais qu'en amour c'est un maître. Cela aussi se sent quand on s'y connaît.

Catherine fit toute une affaire de brosser la robe écarlate et de l'étendre sur l'immense lit qu'elle devait partager avec la Grande Maîtresse. Cela lui permettait de cacher la rougeur que les paroles un peu trop directes d'Ermengarde avaient fait monter à son front. Mais la comtesse avait des yeux particulièrement perçants.

– Laissez donc cette robe, s'écria-t-elle gaiement. Ne jouez pas les prudes et les sottes avec moi et ne vous cachez pas pour rougir à l'aise afin de me faire croire que mes paroles vous choquent. Je vous ai dit ce que je ferais si j'avais vingt ans de moins... si j'étais vous, par exemple.

– Oh ! s'écria Catherine scandalisée.

Je vous ai déjà dit de ne pas faire la prude et j'ajoute : ne me prenez pas pour une sotte, Catherine de Brazey. Je suis une vieille bête, mais je sais lire sur un visage quand s'y peignent l'amour et le désir. Et il était fort heureux pour vous que votre époux n'y vît que d'un œil, au bal de l'autre soir. Il n'était pas un trait de votre visage qui ne proclamât votre amour pour cet homme.

Ainsi, le secret que Catherine avait cru si bien enfoui au fond de son cœur pouvait se lire sans peine sur sa figure ? Qui d'autre, en ce cas, avait su s'en rendre maître et, parmi tous ceux qui assistaient à la fête de fiançailles, combien avaient compris le lien invisible et mystérieux tendu entre le chevalier noir et la dame au diamant nocturne ? Garin peut-être, qui s'était montré si taciturne depuis, ou encore le duc Philippe. D'autres femmes, sans doute, avec leurs yeux toujours à l'affût des faiblesses de leurs rivales pour s'en faire des armes mortelles...

– Ne vous tourmentez donc pas, poursuivit dame Ermengarde pour qui, décidément, le visage mobile de Catherine n'avait pas de secrets. Votre mari est borgne et quant à Monseigneur, il avait bien trop à faire avec votre beau chevalier pour s'occuper de vous à cet instant. Et, ne vous déplaise, quand il y a au milieu d'elles un gaillard comme cet Arnaud, les femmes ne voient que lui et ne perdent pas leur temps à s'observer entre elles. Chacune pour soi !... Allons, ne vous torturez pas ainsi ! Tout le monde ne pratique pas la physionomie comme je le fais... et tout le monde n'est pas votre amie comme je le suis ! Votre secret sera bien gardé.

A mesure qu'elle parlait, Catherine sentait sa gorge se détendre et l'inquiétude d'un instant fit place à un vif soulagement. Elle était heureuse aussi de découvrir auprès d'elle cette amitié inattendue et sûrement sincère. Ermengarde de Châteauvillain était célèbre pour la liberté avec laquelle elle affichait ses sentiments et, jamais au grand jamais, elle ne se fût abaissée à simuler quoi que ce fût, dût sa vie en dépendre. Elle avait bien trop le sentiment de sa noblesse pour cela.

Mais la hauteur du rang ne l'empêchait pas d'être aussi curieuse que n'importe quelle autre femme. D'un geste sans réplique, elle prit Catherine par le bras, la fit asseoir auprès d'elle sur le grand lit et lui adressa un sourire rayonnant.

– Maintenant que j'ai deviné la moitié de l'affaire, contez-moi donc le reste, ma chère. Outre que je brûle de vous aider dans cette aventure, rien ne me plaît autant qu'une belle histoire d'amour...

– Je crains que vous ne soyez déçue, soupira Catherine... Il n'y a pas grand-chose à raconter.

Il y avait longtemps qu'elle n'avait éprouvé pareil sentiment de sécurité. Dans cette grande chambre au plafond bas, éclairée seulement par les flammes de la cheminée, assise auprès de cette femme solide et sûre, elle vivait là une halte nécessaire, un précieux moment de confiance qui allait lui permettre, en se racontant, de faire le point de son propre cœur. Au-delà des murs, il y avait la ville agitée, la foule des hommes qui, demain, regarderaient deux de leurs semblables s'entr'égorger. Confusément, Catherine sentait qu'ensuite le temps du repos serait révolu, que la route ouverte devant elle serait difficile, qu'elle s'écorche– rait les genoux et les mains aux pierres cruelles d'une voie douloureuse dont elle ne voyait encore que le premier méandre. Quel était donc ce vers qu'un jour Abou-al-Khayr lui avait murmuré ? « Le chemin de l'amour est pavé de chair et de sang. » Mais elle était prête à laisser sa chair lambeau par lambeau, son sang goutte à goutte aux épines du chemin, pour vivre son amour, ne fût-ce qu'une heure, parce qu'en cette heure unique elle saurait enfermer tout le souffle de sa vie et tout ce qu'elle avait d'amour à donner. Une remarque d'Ermengarde la ramena brutalement sur terre.

– Et si demain le bâtard de Vendôme le tue ?

Une écœurante vague de peur monta des entrailles

de Catherine, emplit sa bouche d'amertume, déborda de son regard affolé. La pensée qu'Arnaud pouvait mourir ne l'avait même pas effleuré. Il y avait en lui quelque chose d'indestructible. Il était la vie même et son corps paraissait fait d'une matière aussi solide que l'acier de son armure. Catherine rejetait de toutes ses forces l'image d'un Arnaud couché dans le sable de l'arène sous son armure défoncée que le sang doublait d'écarlate. Il ne pouvait pas mourir. La mort ne pouvait pas le prendre puisqu'il lui appartenait, à elle, Catherine !...

Mais les mots d'Ermengarde traçaient dans la muraille de sa certitude une mince lézarde par laquelle s'infiltrait l'angoisse. D'un bond, elle fut debout, d'un geste elle atteignit sa cape, s'en enveloppa.

– Où allez-vous ? s'étonna Ermengarde.

– Je vais le voir !... Il faut que je lui parle, que je lui dise...

– Quoi?

– Je ne sais pas ! Que je l'aime ! Je ne peux pas le laisser mourir au combat sans qu'il sache ce qu'il est pour moi...

A demi folle, elle se précipitait vers la porte. Ermengarde l'attrapa au vol par un pan de son long manteau, l'empoigna aux épaules et l'obligea à s'asseoir sur un coffre.

Etes-vous folle ? Les gens du roi ont dressé leur camp hors de la ville, près des lices, et le bâtard de Vendôme a élevé son tref de l'autre côté.

Les gardes du duc Philippe entourent camps et lices, de concert pour une fois avec les Écossais du roi de France que commande Buchan1.

Non, seulement vous ne pourrez pas franchir les portes de la ville, à moins de vous faire descendre par une corde le long des murailles, mais encore il vous sera impossible d'atteindre le camp. Et, en admettant même que vous le puissiez, je vous empêcherais, moi, d'y aller.

– Et pourquoi donc ? s'écria Catherine prête à pleurer.

Les doigts vigoureux d'Ermengarde meurtrissaient ses clavicules.

Pourtant elle ne parvenait pas à lui en vouloir parce que, sous la rudesse de la Bourguignonne, elle sentait une tendresse bourrue. Sa large face rouge revêtit soudain une extraordinaire expression de majesté.

– Parce qu'un homme qui va se battre n'a aucun besoin que les baisers, les larmes d'une femme viennent amollir son courage, détremper sa résolution. Arnaud de Montsalvy vous croit la maîtresse du duc Philippe. Il ne s'en battra qu'avec plus de rage et plus d'ardeur.

Il sera bien temps, s'il s'en sort vivant, de le détromper et de le tenter avec les douceurs de l'amour.

Mais Catherine, d'une secousse sauvage, s'arracha des mains de son amie.

– Et s'il meurt ? Et si demain on me le tue...

– Alors, hurla Ermengarde, il vous restera à vous comporter en femme de cœur, à montrer que, née bourgeoise, vous méritez réellement votre rang ! Vous aurez le choix entre la mort à vous-même donnée, si vous ne craignez point Dieu, et le moutier où s'ensevelissent vivantes celles dont les blessures d'amour ne se peuvent guérir. Tout ce que vous pouvez faire pour l'homme que vous aimez, Catherine de Brazey, c'est vous agenouiller ici, auprès de moi, et prier, prier

1. John Stuart, comte de Buchan, connétable de France. On ignore trop généralement que, durant la guerre de Cent Ans, l'Ecosse combattit aux côtés de la France.

et encore prier ! Monseigneur Jésus et Madame la Vierge, peut-être, protégeront ses armes et vous le rendront vivant...

Le champ clos avait été tracé hors des murs de la ville, dans un vaste terrain nu que la Scarpe bordait sur sa plus grande largeur. Des hourds, ou échafauds de bois, imitant des tours et abondamment ornés de tapis, d'écussons, de banderoles et de bannières de soie, avaient été construits face à la rivière, en deux tribunes encadrant une grande loge dans laquelle le Duc devait prendre place avec ses sœurs et ses hôtes princiers. A chaque extrémité de la longue lice, autour de laquelle le peuple s'entassait déjà, une grande tente avait été dressée pour chacun des adversaires, toutes deux gardées militairement. Lorsque Catherine arriva au champ clos en compagnie d'Ermengarde, elle enveloppa d'un coup d'œil rapide l'ensemble du décor, effleura d'un regard indifférent le grand tref de soie pourpre où flottait la bannière du bâtard de Vendôme et ses armes, le lion hissant rayé de la rouge barre sénestre de bâtardise.

Ses grands yeux violets s'attachèrent à l'autre tente autour de laquelle on pouvait voir les armures d'argent et les plumails de héron blanc des Écossais du Connétable, tandis que les cottes noires et argent des gardes de Philippe entouraient la tente du bâtard. Derrière les murs fragiles, faits de soie bleu France, Catherine bouleversée devinait la présence d'Arnaud plus sûrement qu'en regardant l'écu d'argent à l'épervier noir pendu à la porte. Les fibres de son cœur la tiraient impérieusement vers lui et leur tension se faisait douloureuse quand elle imaginait la solitude morale de l'homme qui, là-bas, se préparait à la mort. Alors qu'il y avait grand mouvement de foule autour du pavillon de Vendôme dans lequel pages et seigneurs entraient et sortaient sans arrêt en flot mouvant et bariolé, les draperies bleues d'Arnaud ne bougeaient pas. Seul un prêtre était entré !

– Si je n'étais sûr que notre jeune présomptueux est bien là, fit derrière Catherine une voix élégamment nasillarde, je supposerais que ce tref est vide !

Ermengarde de Châteauvillain, qui faisait toute une affaire du choix d'un coussin pour y établir son vaste séant, leva les yeux en même temps que son amie, découvrit un homme de vingt-sept ou vingt-huit ans, blond, mince et élégant, mais dont toute la personne dégageait un léger parfum de fatuité. Ce jeune homme était beau, très certainement, mais, selon le sentiment immédiat de Catherine, il le savait un peu trop. Ermengarde, cependant, haussait les épaules et ronchonnait, tout de suite bourrue :

– N'essayez donc pas d'être mauvaise langue, Saint-Rémy. Le jeune Montsalvy n'appartient certainement pas à la catégorie de ceux qui se dérobent au dernier moment...

Jean de Saint-Rémy lui adressa un sourire narquois, enjamba sans cérémonie le gradin sur lequel les deux dames s'apprêtaient à prendre place et se retrouva à leur hauteur.

– Je le sais mieux que vous, dame Ermengarde. N'oubliez pas que j'étais à Azincourt. J'ai pu y voir les prodiges de valeur accomplis par un gamin qui ne devait pas avoir beaucoup plus de quinze ou seize ans ! Tudieu, quel lion ! Il vous maniait le fléau d'armes dans la mêlée avec l'aisance d'un paysan dans un champ de blé. En fait, si j'ai dit cela, c'était uniquement pour avoir une entrée en matière... afin d'être présenté à cette éblouissante dame que j'admire de loin depuis trois jours : la belle au diamant noir !

Il adressait à Catherine un si rayonnant sourire qu'elle acheva de lui pardonner sa fatuité. Acheva, car elle avait largement commencé lorsqu'il avait fait d'Arnaud un éloge si chaleureux. Le jeune homme lui parut infiniment plus sympathique, moins enluminure de missel sous son magnifique pourpoint vert, si cousu de minces rubans d'or qu'il avait l'air d'une chevelure blonde sous le vent. Une plume arrogante surmontait, sur sa tête, une sorte de toquet en forme de pot de fleurs, comme aucun homme n'en portait sur la lice. Ermengarde se mit à rire.

– Que ne le disiez-vous plus tôt sans chercher midi à quatorze heures ! Ma chère Catherine, vous voyez devant vous messire Jean Lefebvre de Saint– Rémy, natif d'Abbeville, conseiller privé de Monseigneur le Duc, grand spécialiste ès blasons, lambels, armoiries de tout poil, et arbitre incontesté des élégances de la Cour. Quant à vous, mon cher ami, vous pouvez saluer dame Catherine de Brazey, épouse de notre Grand Argentier et dame de parage de la duchesse-douairière.

Saint-Rémy salua Catherine avec toutes les marques d'une vive admiration détaillant d'un œil connaisseur sa toilette et sa parure.

– On ne peut voir Madame et ne pas tressaillir d'aise, fit-il avec enthousiasme. Rien de plus élégant que cette toilette dont la simplicité voulue met si heureusement en valeur ces magnifiques améthystes.

Dès mon arrivée dans ce hourd, je n'ai vu qu'elle et, si vous le permettez, je m'en délecte. Oui, c'est le mot, je m'en délecte !

Catherine, en effet, portait ce jour-là les améthystes que Garin lui avait offertes pour leurs fiançailles et, afin que rien ne vint détourner l'attention de la splendeur des pierreries, sa robe était de simple satin blanc à reflets mauves, mais un merveilleux satin souple qui épousait les courbes de son corps jusqu'aux hanches, comme un drap mouillé.

Le hennin était fait du même satin, recouvert d'une fine dentelle blanche qui retombait en nuage sur les épaules découvertes de la jeune femme. Elle s'était parée avec un soin tout particulier et quasi désespéré. Pour regarder Arnaud risquer sa vie, elle s'était voulue plus belle que jamais. Il fallait qu'il la vît, qu'il pût la distinguer parmi tous les autres spectateurs.

Elle et Ermengarde étaient arrivées de bonne heure afin d'être bien placées dans la tribune réservée à la maison des princesses mais, depuis quelques instants, le fragile et brillant édifice s'emplissait d'une foule de nobles spectateurs : dames et damoiselles en atours brillants, jeunes seigneurs bavards et excités, graves conseillers et aussi quelques vieux chevaliers qui venaient réchauffer leurs souvenirs à la vue des exploits d'autrui. Catherine vit arriver Marie de Vaugrigneuse et remarqua le pincement des lèvres de la jeune fille en constatant que la dame de Brazey avait place au premier rang.

Pendant ce temps, Jean de Saint-Rémy s'était installé auprès d'elle et bavardait sans arrêt, commentant telle ou telle toilette, nommant les arrivants avec une verve et un esprit, souvent acérés, mais amusants, Par-dessus Catherine placée entre eux deux, Ermengarde lui donnait la réplique et leurs propos distrayaient la jeune femme de son angoisse. Pourtant, elle ne put se retenir de demander :


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