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Catherine Il suffit d'un amour Tome 1
  • Текст добавлен: 21 сентября 2016, 17:47

Текст книги "Catherine Il suffit d'un amour Tome 1"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Donnez-moi ce casque, Madame, et m'attendez ici. Je jure par le sang de mon père que, si vous en avez menti, vous irez vous-même finir la nuit dans une de ces basses-fosses qui vous tiennent si fort à cœur.

Catherine plongea dans une impeccable révérence.

– Allez, Monseigneur. J'attendrai ici... sans crainte.

Saisissant le casque, Philippe sortit à grands pas de la chambre. La visiteuse l'entendit ordonner à l'archer de garde de ne laisser sortir sous aucun prétexte la dame de Brazey.

Très calmement, celle-ci s'installa dans un fauteuil près de la cheminée où l'on avait allumé un grand feu parce que la soirée était fraîche. Elle savait qu'elle n'avait rien à redouter et attendait Philippe sans inquiétude. Il ne tarda d'ailleurs pas à reparaître. Il avait toujours à la main le casque qu'il posa sur une table. Catherine se leva précipitamment et attendit. Le duc resta immobile et silencieux, bras croisés sur la poitrine, tête baissée. Soudain, comme quelqu'un qui prend son parti, il se redressa, vint à la jeune femme. Elle vit que son regard était toujours aussi sévère.

– Vous aviez raison, Madame. Un de mes amis a cru servir ma cause en faisant du zèle intempestif. Les deux chevaliers seront relâchés... demain matin.

– Pourquoi demain ? s'insurgea aussitôt Catherine. Pourquoi leur infliger une nuit pénible, dans un cachot, après un si rude combat ?

– Parce qu'il me plaît ainsi, dit le duc avec hauteur. Et aussi pour vous punir. J'ai appris, en effet, Madame que vous portiez un très vif intérêt à ces messieurs. Saint-Pol1 vous a trouvée dans leur tente, vous, l'une de mes sujettes ? Voulez-vous me dire ce que vous y faisiez ?

Si bonne envie qu'eût Catherine de jeter la vérité au visage de Philippe, car, à cette minute, elle le haïssait de tout son cœur, elle sentit la jalousie latente sous

1. Jean de Luxembourg était comte de Saint-Pol.

les paroles. Elle comprit qu'en avouant son amour pour Arnaud, elle mettrait en danger la vie du jeune homme. Armant son visage d'une expression insouciante, elle haussa les épaules.

– Autrefois, quand j'étais petite fille, à Paris, j'ai connu messire de Montsalvy. Mon père qui était orfèvre travaillait pour sa famille.

Quand je l'ai vu tomber, j'ai eu peur qu'il n'eût été mis à mal et suis allée m'enquérir de sa santé. Voilà tout. Dois-je, pour vous plaire, oublier mes amis d'enfance ?

Au regard de Philippe, elle vit qu'il hésitait à la croire. L'instinctive méfiance envers tous et toutes qu'il tenait de son père le retenait sur la pente menant à cette femme si belle. La tenant sous son regard, il demanda durement :

– Tu es bien sûre qu'il ne s'agit pas d'une histoire d'amour ? Je ne le tolérerais pas, sais-tu bien ?...

D'un geste brusque, il avait passé un bras autour de la taille de Catherine, l'amenait tout contre lui sans que son regard s'adoucit.

– C'est à moi que tu dois appartenir, tu le sais, à moi seul. Songe à la peine que je me suis donnée pour t'élever jusqu'à moi. Tu as épousé l'un de mes dignitaires, tu appartiens à ma Cour, tu es dame de parage de ma mère... Je n'ai pas coutume de me donner tant de mal pour une femme... Il y en a si peu qui en valent la peine ! Mais toi, tu n'es pas comme les autres. Il était injuste de te laisser croupir dans les basses classes, avec cette beauté qui aurait dû te valoir un trône. J'espère que tu apprécies ton sort.

Catherine se penchait en arrière sur le bras de Philippe pour éviter le contact de sa bouche qui, subitement, lui faisait horreur. Mais elle n'osait pas le repousser catégoriquement à cause de ce regard immobile qu'il avait et qui lui faisait peur, moins pour elle que pour Arnaud. Il se penchait, plus bas, encore plus bas sur sa bouche. Elle ferma les yeux pour ne plus

le voir. Pourtant, il ne l'embrassa pas. Ce fut contre son oreille qu'elle sentit les lèvres de Philippe qui chuchotaient :

– Dans le petit cabinet voisin, tu trouveras tout ce qu'il te faut. Va ôter cette robe et reviens... Je ne veux plus attendre.

Un affolement la prit. Elle ne s'attendait pas à cette brutale exigence. Voyons, il était tard, il y avait fête au palais... il y avait aussi Garin qui devait la chercher ! Philippe ne pouvait la garder, pas ce soir !...

– Monseigneur, fit-elle d'une voix dont elle s'efforçait de masquer le tremblement, songez qu'il est tard... que mon époux m'attend...

– Garin travaillera toute la nuit avec Nicolas Rolin. Il ne s'inquiétera pas de toi. Et puisque tu es venue à moi, je te garde...

Il la lâchait, la conduisait vers la petite porte auprès de la cheminée.

Plus morte que vive, Catherine cherchait désespérément un biais pour s'échapper.

– L'on m'avait dit que vous aviez peu de temps...

– Pour toi, j'ai tout le temps !... Va vite !... Sinon je pourrais croire qu'en venant ici tu avais en vue tout autre chose que le souci de mon honneur... et que le chevalier t'est plus cher que tu ne veux bien l'avouer.

La jeune femme se sentit frissonner. Elle était prise au piège. Le moment qu'elle avait redouté depuis ses fiançailles était venu et dans les pires circonstances. Alors qu'elle eût tant aimé demeurer seule, enfermée chez elle, pour retrouver un peu de calme et pleurer tout à son aise la terrible scène du pavillon bleu, il lui fallait se donner à un homme qu'elle n'aimait pas, qu'elle détestait même. La vie aventurée d'Arnaud lui en faisait un devoir. 11 fallait payer sa liberté au prix le plus élevé et elle comprenait maintenant pourquoi Philippe refusait de délivrer ses prisonniers avant le matin. Il voulait cette nuit en gage.

Le duc referma la petite porte et elle se trouva dans un réduit sans fenêtre qu'éclairaient deux bouquets de bougies dans des candélabres d'or. Sur une sorte de dressoir bas étaient disposés des flacons de parfum, des boîtes d'onguents, le tout en or émaillé de vives couleurs-Un grand miroir carré trônait au milieu, reflétant la douce lumière des chandelles et la petite pièce, toute tendue de velours pourpre, avait l'air d'un écrin. Sur un tabouret couvert de même tissu, attendait une robe faite de voiles azurés assortie à de petites pantoufles de satin de même couleur posées devant.

Catherine embrassa tout cela d'un regard morne et soupira. Il n'y avait à cette pièce d'autre accès que la porte par laquelle elle était entrée et puis, si même il y en avait eu, cela n'aurait guère changé les choses. À quoi bon ? Puisque c'était là son destin, il était inutile de tenter d'échapper. Tôt ou tard, Philippe aurait le dernier mot. D'un geste las, elle ôta le tambourin de velours de sa tête, le lança dans un coin, bientôt suivi de la résille. Quand ses cheveux tombèrent sur son dos, elle se mordit les lèvres pour ne pas pleurer. Il y avait si peu d'heures qu'Arnaud avait fait le même geste, avec quelle tendre impatience. De toutes ses forces, Catherine essaya de rejeter loin d'elle ce souvenir trop précis et trop proche. Elle se mit à se dévêtir avec une colère hâtive. La robe chut à ses pieds, puis la fine chemise de dessous. Nerveuse elle saisit la robe de voile, la fit passer par-dessus sa tête, ôta ses bas, ses escarpins de velours et glissa ses pieds nus dans les petites pantoufles. Le regard indifférent qu'elle jeta au miroir lui révéla que la toilette de nuit enveloppait son corps d'une brume assez épaisse qui en laissait entrevoir les contours, mais masquait les détails trop précis. Puis, rejetant ses cheveux en arrière d'un mouvement de tête où entrait du défi, elle avala sa salive et se dirigea résolument vers la porte qu'elle ouvrit.

Or, quand elle entra dans la chambre de Philippe, cette chambre était vide.

Le premier mouvement de Catherine en se voyant seule dans la chambre fut de courir à la porte par laquelle elle était entrée. Mais, sous sa main, la porte résista. Elle était fermée à clef. Avec un soupir résigné, la jeune femme revint vers la cheminée. Malgré le feu flambant, elle frissonnait un peu dans le vêtement trop léger. La chaleur brûlante l'enveloppa bientôt tout entière, lui communiquant une sorte de réconfort. Au bout de cinq minutes, elle se sentait mieux, plus vaillante pour subir ce qui l'attendait. Philippe avait dû s'absenter mais, sans doute, ne tarde– rait-il pas à revenir.

Comme pour lui donner raison, une clef tourna dans la serrure. La porte en s'ouvrant fit entendre un petit grincement. Catherine serra les dents, se retourna... et se trouva en face d'une chambrière en bonnet et tablier de lin blanc qui lui faisait la révérence.

– Je viens faire la couverture, dit la nouvelle venue en désignant le lit.

Catherine, dès lors, se désintéressa d'elle jusqu'à ce que la jeune fille reprît la parole :

– Monseigneur le Duc prie Madame de bien vouloir souper et se coucher sans l'attendre. Monseigneur sera probablement retenu et implore le pardon de Madame... Je vais apporter le souper dans l'instant.

Debout sur la dernière marche du lit, la chambrière tenait le coin des draps rabattu comme pour engager Catherine à s'y glisser. Celle-ci accepta l'invitation muette. Elle ôta ses pantoufles et se coucha. Cette journée l'avait épuisée et, puisque le fameux souper des échevins lui accordait un répit, autant en profiter pour se reposer. La nuit était tout à fait venue au-dehors et le vent se levait. On l'entendait gémir dans la cheminée où les flammes, par instant, se couchaient.

Confortablement calée dans les multiples oreillers de soie, Catherine se trouva bien. Au fond, la chambre de Philippe lui procurait cette solitude tant désirée qui eût été impossible dans l'espace réduit des deux pièces partagées avec Ermengarde et les trois autres filles. En pensant à son amie, la jeune femme sourit. Dieu sait ce que la grosse comtesse allait imaginer ? Peut– être que Catherine s'était fait enlever par Arnaud et galopait maintenant vers Guise en croupe du chevalier

? Cette image évoquée faillit bien balayer d'un seul coup tout le courage si péniblement accumulé depuis quelques heures. Il ne fallait surtout pas penser à Arnaud si elle voulait garder la tête froide. Plus tard, oui, quand l'épreuve qui se préparait serait passée. Elle aurait alors tout le temps d'examiner ce qu'il y avait à faire.

Quand la jeune camériste revint avec le plateau du souper, Catherine fit honneur à ce qu'on lui servait. Elle n'avait rien mangé depuis la veille. En quittant son logis, à la fin de la matinée, elle avait été incapable de prendre quoi que ce fût, malgré les objurgations d'Ermengarde. Cela ne passait pas. Maintenant son corps jeune et sain réclamait. Elle avala un bol de bouillon aux œufs, la moitié d'un poulet rôti, une tranche de pâté de lièvre et quelques prunes confites, le tout arrosé d'un gobelet de vin de Sancerre. Puis, repoussant le plateau dont la chambrière, réapparue, la débarrassa, elle se laissa aller de nouveau dans ses oreillers. Elle se sentait mieux. Comme la jeune fille demandait respectueusement si elle désirait encore quelque chose, Catherine s'inquiéta de savoir où était le duc. On lui répondit qu'il venait tout juste d'entrer dans la salle des banquets et que le festin était en son début.

– Alors, fermez les rideaux et laissez-moi, dit la jeune femme, je n'ai besoin de rien.

La chambrière tira les rideaux du lit, salua à nouveau et se retira sur la pointe des pieds. Au fond de son lit, Catherine tenta de faire le point de sa situation actuelle et aussi de préparer son attitude, tout à l'heure, quand le duc reviendrait et qu'il exigerait le paiement de ce qu'il semblait considérer comme une créance. Mais la fatigue et la légère lourdeur née de la digestion s'unissant à la douce chaleur et au confort du lit, Catherine ne tarda pas à s'endormir d'un profond sommeil.

Quand elle rouvrit les yeux, elle constata avec stupeur que les rideaux du lit étaient ouverts, qu'il faisait grand jour et que, si Philippe était bien dans la chambre, il n'était pas à côté d'elle. Debout auprès d'une fenêtre, vêtu de la même robe de chambre que la veille, il écrivait sur un grand lutrin de fer forgé chargé de plusieurs rouleaux de parchemin. Le grincement de la longue plume d'oie et le chant lointain d'un coq emplissaient seuls le silence de la pièce. Au mouvement que fit Catherine en s'asseyant dans le lit, il tourna la tête vers elle et lui sourit :

– Vous avez bien dormi ?

Jetant sa plume, il s'avança vers le lit, monta les deux marches et s'appuya d'un coude à l'une des colonnes, la dominant ainsi de toute sa haute taille. Catherine regardait tour à tour le duc et le lit dans lequel elle se trouvait et qui était aussi ordonné que si elle ne faisait que s'y glisser à la minute. Son expression fit rire Philippe.

Non... je ne vous ai pas touchée. Lorsque je suis revenu, au petit matin, car la fête s'est prolongée fort tard, vous dormiez si bien que je n'ai pas eu le courage de vous réveiller... quelque envie que j'en ai eue.

Et je n'aime pas l'amour avec une partenaire inconsciente. Mais que vous voilà belle et fraîche ce matin, mon cœur ! Vos yeux brillent comme des escarboucles et vos lèvres...

Quittant sa pose nonchalante, il s'était assis sur le bord du lit, l'enfermait dans ses bras avec une grande douceur, sans la serrer le moins du monde. Lentement, avec une sorte de recueillement, il l'embrassa, fermant à demi les yeux. Une pensée absurde et saugrenue traversa l'esprit de Catherine. Il lui rappelait exactement l'oncle Mathieu dans sa cave de Marsannay, quand il goûtait le vin précieux d'un tonneau ! Par contre, les lèvres de Philippe avaient une étrange habileté qui ne rappelait en rien la brutalité un peu vorace d'Arnaud.

Son baiser était une véritable caresse, contrôlée, pensée et tendant uniquement à éveiller le plaisir dans un corps de femme. Son contact était léger, léger... mais Catherine se sentit défaillir. Elle avait l'impression d'être sur une pente glissante qui l'entraînait, de plus en plus vite, vers quelque chose qu'elle ne discernait pas. Il n'y avait rien à quoi elle pût se raccrocher... C'était un vertige délicieux et terrible où le cœur n'entrait en rien. Mais le corps, lui, s'en grisait sournoisement.

Lorsque, sans quitter sa bouche, Philippe la recoucha, elle eut un petit soupir et demeura immobile, attendant ce qui allait suivre. Or, il ne se passa rien. Avec un autre soupir, énorme celui-là, Philippe la lâchait, se redressait :

– Quel dommage que j'aie à faire pour l'heure, ma mie ! En vérité, c'est la chose la plus aisée du monde qu'oublier tout auprès de vous.

Malgré ses paroles, il paraissait étrangement maître de lui. Il souriait mais ses yeux gris demeuraient froids. Catherine, mal à l'aise, eut la sensation qu'il l'observait. Sans cesser de la regarder, il retourna auprès du lutrin, prit une petite cloche posée dessus et sonna. Un page parut, salua.

– Va dire au capitaine de Roussay que je l'attends, avec qui il sait.

Puis quand le jeune garçon, sur un nouveau salut, se fut éclipsé, il revint à Catherine, expliqua :

– Pardonnez-moi de me livrer en votre présence aux affaires de l'État, fit-il avec un sourire courtois qui n'atteignait pas ses yeux. Mais je désire en terminer devant vous avec celle-ci, afin que vous soyez pleinement satisfaite et rassurée. J'espère que vous serez heureuse...

Avant que Catherine, qui n'avait rien compris à ce petit discours, ait pu répondre, la porte de la chambre s'était ouverte sous la main du page. Trois hommes entrèrent. Le premier était Jacques de Roussay mais, en reconnaissant les deux autres, Catherine se mordit les lèvres pour ne pas crier : c'étaient Arnaud et son ami Xaintrailles.

Étranglée par une douleur aussi fulgurante qu'un coup de dague, elle sentit la vie l'abandonner. Le sang quittait son visage, ses mains, pour refluer tumultueusement à son cœur qui parut s'arrêter. Elle comprenait maintenant le piège auquel l'avait prise Philippe afin de s'assurer qu'elle ne lui avait pas menti en prétendant qu'une simple amitié d'enfance la liait à Montsalvy. Dans ce lit que le soleil éclairait en plein et dans ce vêtement diaphane qui laissait deviner son corps, auprès de Philippe en robe de chambre, elle était clouée au pilori.

Comment Arnaud pourrait-il douter encore de ses relations avec le duc ? Elle ne voyait de lui qu'un profil figé. Il ne la regardait pas mais, lorsqu'il était entré, elle avait reçu en pleine figure son regard chargé de mépris.

Catherine souffrait comme jamais elle n'avait souffert, cherchant désespérément quelque chose à quoi se raccrocher, une aide quelconque. Sentant le regard aigu de Philippe sur elle, elle faisait des efforts surhumains pour cacher sa détresse, pour retenir les larmes qui montaient. Comme elle eût aimé se jeter hors de ce lit, courir vers Arnaud, lui crier que rien n'était vrai, qu'il ne devait pas croire cette odieuse mise en scène préparée pour lui seul, qu'elle était toujours digne de lui, toujours à lui. Mais elle n'avait même pas le droit de baisser les yeux, de laisser couler les larmes qui montaient, montaient, et encombraient sa gorge serrée. Montrer, si peu que ce soit, la torture endurée et la colère de Philippe se déchaînerait contre le jeune homme. Qui pouvait savoir jusqu'où irait la fureur jalouse de ce prince que l'on appelait déjà un peu partout le grand Duc d'Occident ? La mort pour Arnaud, pour Xaintrailles aussi peut– être... alors que Catherine n'aurait sans doute pas la suprême joie de mourir avec eux...

Figée, les mains nouées au creux de ses genoux, elle resta immobile, résignée tout à coup mais implorant intérieurement le ciel que tout allât vite, très vite...

Le silence qui lui avait paru si mortellement long n'avait, en fait, duré que quelques secondes. La voix de Philippe s'élevait, nonchalante, aimable... Sans doute était-il satisfait du peu de réaction des acteurs réunis par lui.

– Des excuses vous sont dues, Messires, et je vous ai fait venir ici pour vous les offrir, bien sincèrement ! Je crains que messire de Luxembourg ne se soit laissé entraîner par une affection, un peu trop chaude peut– être, pour notre couronne. Il a oublié que vous étiez mes hôtes et, comme tels, sacrés. Veuillez donc me pardonner cette nuit inconfortable que vous venez de passer. Vos équipages vous attendent et vous êtes libres...

S'interrompant, il se dirigea vers le lutrin, y prit le parchemin qu'il écrivait tout à l'heure et le tendit à Xaintrailles.

– Ce sauf-conduit vous permettra de regagner Guise en toute sûreté. Quant à vous, messire...

Il se tournait maintenant vers Arnaud, tirait d'un coffre le casque à la fleur de lys et le lui tendait :

– ... quant à vous, c'est avec joie que je vous rends ce heaume que vous avez porté avec tant de gloire et de vaillance. D'honneur, messire, j'ai grand regret que vous fussiez si fidèlement attaché à mon cousin Charles, car j'eusse aimé faire votre fortune...

– Elle est faite, Monseigneur, répliqua Arnaud froidement... et tout entière au service de mon maître, le roi de France. Mais je n'en remercie pas moins Votre Grandeur de sa courtoisie. Je la prie également d'oublier certains termes... un peu vifs, peut-être, employés par moi à son endroit...

Il s'inclinait maintenant, courtois mais raidi dans son orgueil, tandis que Xaintrailles, à son tour, remerciait le duc. Celui-ci leur adressa encore quelques paroles gracieuses puis leur accorda permission de se retirer. Saluant avec ensemble, ils se dirigeaient vers la porte quand Philippe les retint.

– Remerciez aussi ma douce amie que voici. C'est à dame Catherine que vous devez d'être libres, car c'est elle qui, tout agitée, est venue cette nuit me dire l'état où l'on vous avait réduits. Vous vous connaissez, je crois, de longue date...

Cette fois, il fallait bien qu'elle les regardât. Ses yeux craintifs, incertains se posèrent sur Arnaud, mais elle se sentit tellement misérable qu'elle préféra regarder Xaintrailles. Celui-ci, un sourire goguenard aux lèvres, la contemplait d'un air connaisseur qui rendait pleine justice à sa beauté, mais n'en contenait pas moins une forte dose d'insolence.

– De longue date, en effet... fit Arnaud sans la regarder.

Son visage fermé évoquait un mur sans porte ni fenêtre. Jamais encore Catherine ne l'avait senti si loin d'elle. Il n'ajouta rien. Ce fut Xaintrailles qui présenta à « dame Catherine » les remerciements des deux amis. Elle s'entendit lui répondre aimablement. Elle sentit que ses lèvres ébauchaient mécaniquement un sourire...

Les deux chevaliers sortirent et la jeune femme, brisée, retomba sur ses oreillers. Il était temps que l'abominable scène prît fin. Elle était à bout. Et pourtant, la comédie n'était pas encore terminée. Philippe revenait vers elle, se penchait sur le lit et couvrait de baisers ses deux mains glacées.

– Vous êtes heureuse ? J'ai fait ce que vous vouliez ?

– Tout ce que je voulais, Monseigneur... fit-elle d'une voix éteinte. Vous avez été... très généreux.

– C'est vous qui l'êtes. Car vous me pardonnez, n'est-ce pas, d'avoir douté de vous ? Hier, lorsque vous êtes venue prier pour ces hommes et surtout quand Luxembourg m'a dit qu'il vous avait trouvée dans leur tref, j'ai été jaloux comme jamais, encore, je ne l'avais été.

– Et maintenant, fit Catherine avec un pauvre sourire, vous êtes rassuré ?

– Tout à fait, mon ange...

Le page de tout à l'heure, en réapparaissant, interrompit Philippe. Il venait rappeler timidement à son maître que le Conseil allait se réunir et que le chancelier Rolin le réclamait. Philippe jura entre ses dents...

– Il me faut vous laisser partir, adorable Catherine... une fois encore, car j'en sais qui jaseraient si vous ne rentriez pas à votre logis.

Mais c'est la dernière fois, j'en jure mon honneur, que vous me quittez ainsi. Ce soir, je vous ferai chercher... et rien ni personne ne viendra nous déranger.

L'embrassant légèrement sur les lèvres, il s'éloigna à regret en l'avertissant qu'il allait lui envoyer des femmes pour l'aider à sa toilette.

Catherine demeura seule. Et cette solitude était celle du prisonnier sur lequel se referment les portes de la geôle, claquent les verrous, tintent les chaînes ! Arnaud devait galoper sur la route de Guise, libre

! Elle restait...


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