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Catherine Il suffit d'un amour Tome 1
  • Текст добавлен: 21 сентября 2016, 17:47

Текст книги "Catherine Il suffit d'un amour Tome 1"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Va aider les femmes, mignonne. Je n'en ai pas pour longtemps.

L'idée d'aller chercher un bateau enchantait l'adolescente, mais Barnabé ne voulut rien savoir pour l'emmener.

1. 15 heures.

Le lendemain, l'agitation de la ville fut perceptible, des le matin, jusqu'au fond des ruelles sinistres et silencieuses de la Cour des Miracles. Tout le monde devait être dans la rue, massé près du Grand Châtelet . attendant la sortie du condamné. Les cris de haine, répétés par des milliers de poitrines faisaient comme ii n grondement lointain qui couvrait les cloches des églises sonnant le glas depuis le lever du jour. Dans la maison de Barnabé, l'activité avait été débordante dès l'aurore. Le Coquillart, au moment de quitter sa maison, avait fait de ses affaires les plus précieuses quelques ballots dans lesquels il avait joint les hardes îles femmes. C'était Landry qui était chargé de porter cela à la grève du Fort-l'Evêque où la puissante guilde des marchands de l'eau avait des entrepôts. Barnabé avait retenu des passages sur un chaland remontant la Seine jusqu'à Montereau avec une cargaison de poteries destinées à cette ville. La nature de ce chargement le mettait à l'abri des entreprises îles soldats d'Armagnac qui contrôlaient le fleuve à Corbeil. On s'en tirerait avec un droit de passage. Landry devait conduire Jacquette à l'entrepôt et y attendre avec elle l'arrivée des autres. Malgré sa répugnance, elle avait été obligée de laisser Catherine se joindre à l'expédition contre la maison de la tripière parce que l'adolescente était la seule que Loyse pouvait reconnaître parmi ses sauveurs, et aussi parce qu’elle avait catégoriquement déclaré qu'elle voulait y aller et que ce n'était pas la peine d'essayer de l'en empêcher parce qu'elle se sauverait !

Les nerfs surmenés de Jacquette lui interdisaient de se joindre à •

l'expédition. Ils la rendaient trop émotive donc dangereuse.

– Il n'arrivera rien à la petite, avait promis Barnabé. Mais surtout ne quittez pas l'entrepôt. Si tout va bien, nous y serons vers la seconde heure de none et le bateau part aux cloches de vêpres.

– Soyez tranquille, assura Landry. J'y veillerai.... Elle ne bougera pas !

Le jeune garçon se sentait du vague à l'âme, ce jour-là. Le départ de Catherine pouvait signifier une longue séparation et le cœur lui saignait de quitter sa petite amie qu'il aimait plus qu'il ne voulait se l'avouer à lui-même. Quant à l'avouer à l'intéressée, le garçon eût préféré se couper la langue. Mais c'était vraiment dur et, quand il la regardait, Landry avait de bizarres picotements dans les yeux.

Elle était toute drôle, Catherine, ce jour-là. Barnabé l'avait fait habiller en garçon. Elle portait des chausses collantes, grises, prises dans de fortes chaussures de bon cuir épais, une tunique de futaine verte et, malgré la chaleur, un capuchon qui enserrait étroitement son visage et se continuait par une sorte de petite cape dentelée couvrant ses épaules. Cette coiffure dissimulait totalement sa chevelure. Sara l'avait tressée très serrée pour qu'elle tînt le moins de place possible.

L'ensemble lui allait à merveille et lui donnait l'air d'un farfadet. Elle n'était d'ailleurs pas la seule à avoir modifié son aspect : Barnabé était méconnaissable.

La houppelande aux coquilles était emballée dans les colis et le Coquillart arborait une robe de petit drap de couleur brune que serrait à la taille une ceinture de cuir supportant une large bourse. Une chaîne avec une médaille de Saint-Jacques pendait à son cou et il portait un chaperon de même couleur que sa robe, drapé si artistement et de manière si compliquée qu'il était impossible de deviner que ledit chaperon contenait les économies du Coquillart tandis que la bourse gonflée ne recelait que de la menue monnaie. Tel quel, avec ses poulaines dépassant sa robe d'un demi-pied, il avait assez l'air d'un marchand, aisé sans être riche, et retiré des affaires. Catherine devait passer pour son petit-fils. Seule Sara avait gardé son étrange costume qui allait avoir son utilité. Tous quittèrent ensemble la Cour Saint-Sauveur puis, à la lisière du domaine des gueux, les deux groupes tirèrent chacun de son côté ; Catherine, Sara et Barnabé par la Monnaie royale, tandis que Jacquette et Landry allaient longer l'hôtel d'Alençon et les tours du Louvre. Mâchefer et ses hommes devaient déjà être disséminés dans la Cité et aux abords du Marché Notre-Dame.

Malgré le danger qu'elle courait avec ses compagnons, Catherine se sentait plus heureuse qu'elle ne l'avait été depuis le drame. C'était bon de retrouver le soleil, la rue libre ! Et aussi, il y avait l'excitation de l'aventure, la chasse au gibier humain. On allait arracher Loyse à la bête féroce qu'était Caboche.

La cloche de Saint-Germain l'Auxerrois sonnait none quand Jacquette et Landry passèrent devant l'église. Us descendirent vers le bord de l'eau dans la chaleur de la journée sans trop rencontrer de monde. Tout le contenu de la ville était sans doute rassemblé sur le passage du condamné. Il devait y avoir, en outre, un peu partout, des baladins et des jongleurs, des montreurs d'animaux savants et des conteurs des rues car rien n'attirait la foule autant qu'une belle exécution et c'était une réjouissance à laquelle participaient tous les éléments d'une vraie fête. La mort comptait si peu !

Pendant ce temps, Catherine et Barnabé, suivis à trois pas par Sara, prenaient à leur tour le chemin du bord de l'eau, mais plus en amont.

Le moment pénible fut, pour le faux garçon, quand il fallut franchir le Pont-au-Change. La maison familiale était toujours là mais les murs éventrés perdaient leur plâtre, les fenêtres béaient, montrant le vide intérieur et la belle enseigne de jadis avait été arrachée. Ce n'était plus qu'une carcasse vide dont l'âme s'était envolée. La gorge serrée, Catherine ferma les yeux de toutes ses forces et souhaita être très loin.

Barnabé pressa le pas en serrant plus fort dans la sienne la main de l'adolescente.

– Courage ! souffla-t-il, tu verras qu'il y a bien des moments où il en faut, et du plus rude ! Tu auras bientôt une autre maison...

– Mais pas un autre Papa... murmura-t-elle, prête à pleurer.

– Moi, j'avais sept ans quand les sergents du guet ont pris le mien.

Et quand je pense à la mort qu'il a eue, je me suis souvent dit que j'aurais donné cher pour qu'il fût seulement pendu.

– Que lui a-t-on fait ?

– Ce que l'on fait aux faux monnayeurs : on l'a fait bouillir au Morimont de Dijon...

Une exclamation d'horreur échappa à Catherine mais ses larmes s'arrêtèrent et elle poursuivit son chemin en silence. Courageusement, elle chassa les souvenirs cruels qui chaviraient son cœur à un moment où il lui fallait se comporter vaillamment. Quand on fut au Marché Notre-Dame, elle put voir que Mâchefer et ses hommes, sous divers déguisements, en soldats, en bourgeois ou même en moines, musaient aux alentours, fidèles au rendez-vous. Seul Mâchefer avait conservé son déguisement de mendiant. Barnabé montra alors discrètement la maison de la tripière, toujours aussi bien fermée.

– À toi Sara !...

Sur un signe de tête, la bohémienne, roulant des hanches et chantonnant, s'avança sans se presser jusque dans la rue. Elle tenait un tambourin à la main sur lequel elle se mit à frapper pour accompagner sa chanson.

Elle chantait ou plutôt elle fredonnait sur un rythme nonchalant, frappant de temps en temps son tambourin de son poing fermé. Mais peu à peu, le chant se fit plus fort, plus distinct encore que les paroles barbares fussent incompréhensibles. La mélodie était bizarre, coupée de silences et de notes aiguës pareilles à des cris et la voix un peu rauque de Sara lui donnait une profondeur mystérieuse, une puissance d'incantation. Catherine écoutait de toutes ses oreilles, subjuguée. Un ou deux visages apparurent aux fenêtres tandis que les rares passants s'arrêtaient : en tout, cela ne devait guère faire plus d'une dizaine de personnes. Mâchefer s'approcha de Barnabé sous couleur de demander l'aumône.

– Si la vieille n'ouvre pas sa porte, il faudra l'enfoncer, hé ?

Barnabé fouilla dans sa bourse, en tira un sol qu'il fourra dans la main crasseuse :

– Bien entendu. Mais j'aimerais autant l'éviter. Casser les portes, cela fait toujours du bruit même s'il n'y a personne.

Aucun visage n'apparaissait derrière les carreaux de la tripière. La maison eût paru morte si des bruits ne s'étaient fait entendre à l'intérieur. Soudain, Catherine blêmit et s'agrippa à Barnabé.

– Mon Dieu !... Voilà Marion !... fit-elle en désignant discrètement une forte commère qui venait d'apparaître au bout de la rue.

Le Coquillart leva les sourcils :

– Qui ? Votre ancienne servante ? Celle qui...

– Oui, qui a jeté la foule sur notre maison, causé la mort de Michel et de Papa. Oh, je ne veux pas la voir !

Soulevée de dégoût, l'adolescente allait s'enfuir. Barnabé la retint d'une main ferme.

– Hé là !... Un bon soldat ne déserte pas devant l'ennemi, mauviette ! Je comprends bien que tu n'aies pas envie de revoir cette femme... qui d'ailleurs n'a rien d'appétissant. Mais il faut tout de même rester là.

– Et si elle me reconnaît ?

Sous cette défroque ? Cela m'étonnerait. Et bizarre, coupée de silences et de notes aiguës pareilles à des cris et la voix un peu rauque de Sara lui donnait une profondeur mystérieuse, une puissance d'incantation.

Catherine écoutait de toutes ses oreilles, subjuguée. Un ou deux visages apparurent aux fenêtres tandis que les rares passants s'arrêtaient : en tout, cela ne devait guère faire plus d'une dizaine de personnes. Mâchefer s'approcha de Barnabé sous couleur de demander l'aumône.

– Si la vieille n'ouvre pas sa porte, il faudra l'enfoncer, hé ?

Barnabé fouilla dans sa bourse, en tira un sol qu'il fourra dans la main crasseuse :

– Bien entendu. Mais j'aimerais autant l'éviter. Casser les portes, cela fait toujours du bruit même s'il n'y a personne.

Aucun visage n'apparaissait derrière les carreaux de la tripière. La maison eût paru morte si des bruits ne s'étaient fait entendre à l'intérieur. Soudain, Catherine blêmit et s'agrippa à Barnabé.

– Mon Dieu !... Voilà Marion !... fit-elle en désignant discrètement une forte commère qui venait d'apparaître au bout de la rue.

Le Coquillart leva les sourcils :

– Qui ? Votre ancienne servante ? Celle qui...

– Oui, qui a jeté la foule sur notre maison, causé la mort de Michel et de Papa. Oh, je ne veux pas la voir !

Soulevée de dégoût, l'adolescente allait s'enfuir. Barnabé la retint d'une main ferme.

– Hé là !... Un bon soldat ne déserte pas devant l'ennemi, mauviette ! Je comprends bien que tu n'aies pas envie de revoir cette femme... qui d'ailleurs n'a rien d'appétissant. Mais il faut tout de même rester là.

– Et si elle me reconnaît ?

Sous cette défroque ? Cela m'étonnerait. Et sortes de considérations peu flatteuses sur les parents de Sara et sur Sara elle-même. Mais cette courte joute oratoire avait permis aux hommes de Mâchefer de se grouper.

– Allons-y ! fit le roi des truands... En avant !...

Barnabé se gara avec Catherine sous l'auvent d'un

talmelier1 qui devait être à l'exécution car ses volets étaient mis. Les deux douzaines d'hommes de main de Mâchefer s'étaient précipités sur la porte. En un clin d'œil, la mère Caboche fut balayée par la vague d'assaut jusqu'au fond de son échoppe tandis que Sara, déséquilibrée par la violence du choc, roulait jusqu'au milieu de la ruelle où Barnabé la ramassa. Elle riait de bon cœur.

– Pas de mal ? demanda le Coquillart.

– Non. Sauf que le poing de Mâchefer dirigé vers la mère Caboche s'est trompé d'adresse et m'est arrivé dans l'œil. Je vais avoir un beau coquart. Il tape comme un sourd ! La brute ! J'ai cru qu'il m'enlevait la tête.

En effet, le tour de l'œil gauche de Sara commençait à bleuir d'inquiétante façon, mais elle n'avait rien perdu de sa bonne humeur.

Pendant ce temps, les truands avaient envahi la maison de la tripière et menaient là-dedans un grand vacarme dominé par les hurlements de la victime. Il est probable que les envahisseurs ne devaient pas se contenter de chercher Loyse.

Au bout de quelques instants, Mâchefer reparut portant dans ses bras une jeune femme seulement vêtue d'une longue chemise de toile blanche et dont les cheveux blonds couvraient son épaule.

– C'est bien ça ? demanda-t-il.

Loyse, Loyse !... cria Catherine en se pendant à la main inerte de la prisonnière. Mon Dieu !... Elle est morte !

1. Boulanger.

Un flot de larmes monta aussitôt à ses yeux. Barnabé se mit à rire.

– Mais non, gamine, seulement évanouie, mais il faut faire vite.

On la ranimera à l'entrepôt.

La jeune fille, en effet, était inerte, les yeux clos et les narines pincées. Elle était extrêmement pâle avec de grands cernes violets autour des yeux et sa respiration était imperceptible. Sara fronça les sourcils.

– Courez alors, car elle est bien pâle... Je n'aime pas ça.

Mâchefer ne se le fit pas dire deux fois et prit sa course à travers les rues de la Cité, laissant ses hommes piller à leur guise la maison de la tripière. Les trois autres se lancèrent dans son sillage. Ce fut une course éperdue, mais Catherine qui avait si longtemps rêvé de courir dans les rues au fond du caveau de Barnabé, y prit un vif plaisir.

Loyse était sauvée, on allait partir tous ensemble sur un bateau, voir du pays, faire d'autres connaissances... C'était comme une magnifique aventure qui s'ouvrait devant elle, effaçant un peu les traces profondes des douleurs récentes. Les maisons, les carrefours avec leurs fontaines et leurs croix votives défilaient de part et d'autre de ses pieds rapides.

La Seine fut traversée presque d'un seul bond. Mâchefer, malgré le poids de Loyse, bien léger mais réel, semblait voler et les trois autres avaient du mal à le suivre. Enfin ils atteignirent les grèves de sable jaune que le soleil incendiait. Les portes de l'entrepôt des Marchands de l'eau se refermèrent sur eux et les engloutirent dans l'ombre chaude de l'intérieur. Jacquette les guettait. Elle se jeta avec des sanglots sur Loyse toujours évanouie, mais Sara l'écarta assez rudement.

– Elle a besoin de soins, pas de larmes. Laissez– moi faire...

Catherine, hors d'haleine et pleine d'un profond sentiment de satisfaction, se laissa tomber dans la poussière pour reprendre souffle.

Une heure plus tard, assise auprès de Barnabé, à l'avant du chaland, elle regardait défiler Paris. Des larmes roulaient encore sur ses joues et c'était l'adieu à Landry qui les avait fait couler. Cela avait été un moment plus dur que l'adolescente n'aurait cru. Elle avait pris conscience, à ce moment, de la place que le jeune garçon tenait dans sa vie. Quant à lui, il était si ému qu'il n'avait pu retenir une grosse larme qui avait mouillé la joue de Catherine. En l'embrassant pour la première et la dernière fois, elle avait senti sa gorge s'étrangler. Aucun mot n'était parvenu à en sortir. Alors Landry avait promis :

– J'irai te voir un jour, je te le jure. Je veux être soldat et j'irai prendre du service chez Monseigneur de Bourgogne. On se reverra, j'en suis sûr...

Il souriait, essayait de faire le brave mais le cœur n'y était pas. Les coins de la bouche de Landry, qu'il faisait de si vaillants efforts pour relever, retombaient toujours. Barnabé, alors, avait brusqué les adieux, embarqué Catherine presque de force en la prenant sous son bras.

Ainsi portée comme un paquet, elle pleurait comme une fontaine et criait des « au revoir » coupés de sanglots. Les mariniers avaient poussé sur leurs longues perches qui allaient chercher appui sur le fond vaseux de la rivière. Le chaland s'était écarté lentement de la rive, avait glissé sur l'eau jaune, chargée de limon et de sable. Mais les mariniers avaient à fournir un rude effort pour remonter le courant. Ils n'avaient pas pris le milieu où ce courant était plus fort. Ils se tenaient tout près des rives.

Une autre peine pesait sur le cœur de Catherine et c'était l'étrange attitude de Loyse. Lorsqu'elle avait repris conscience, la jeune fille avait d'abord regardé avec étonnement les visages, connus ou inconnus, qui se penchaient sur elle. Elle avait vu sa mère en larmes, sa sœur souriante mais, au lieu de se laisser aller à la joie des retrouvailles et de se jeter au cou de celles qu'elle aimait, elle s'était au contraire arrachée des bras de Jacquette pour aller se tapir dans un coin de l'entrepôt où s'empilaient barriques, balles de cuir, poteries, mesures de bois ou de grains.

– Ne me touchez pas... avait-elle crié si sauvagement que ce cri avait résonné jusqu'au fond du cœur de sa sœur.

Jacquette avait tendu les bras, désespérée.

– Ma petite... ma Loyse ! C'est moi, ta mère... Est-ce que tu ne reconnais plus ta mère ? Est-ce que tu ne m'aimes plus?

Dans son coin, repliée sur elle-même, Loyse avait l'air d'un petit animal pris au piège. On ne voyait dans son visage maigre que ses yeux pâles, agrandis d'horreur. Ses mains étaient crispées sur sa poitrine, si fort que les jointures en étaient toutes blanches, mais un sanglot avait fêlé sa voix.

– Ne me touchez pas. Je suis souillée, impure !... Je ne suis plus que boue et immondices. Je ne peux plus que faire horreur à n'importe quelle honnête femme. Je ne suis plus votre fille, mère, je suis une ribaude, une fille folle, la maîtresse de Caboche l'écorcheur... Allez-vous-en, laissez-moi...

Jacquette ayant voulu s'approcher d'elle, Loyse avait reculé plus loin, se traînant dans la poussière grise du sol comme si la main de sa mère eût été un fer rouge. Sara s'était interposée. D'un bond de chatte, elle avait littéralement sauté sur Loyse, l'avait immobilisée entre ses bras souples et forts. Il n'y avait pas de temps à perdre.

Moi je peux te toucher, fillette. Il y a longtemps que j'ai connu cette souillure dont tu parles, mais tu ne dois pas t'en torturer ni en tourmenter ta pauvre mère, parce qu'elle n'a marqué que ton corps.

Ton âme, elle, est demeurée pure puisque tu n'avais pas voulu cela.

– Non, hurla Loyse, je ne l'ai pas voulu, mais parfois j'ai trouvé du plaisir à ses caresses. Quand ses mains parcouraient mon corps, quand il me possédait, il m'est arrivé de crier dans l'intensité du plaisir... et aussi de le désirer. Moi qui ne vivais que pour Dieu, qui ne voulais que Dieu...

– Comment peut-on savoir qu'on ne veut que Dieu tant qu'on n'a pas goûté à l'amour, fillette ? avait dit Barnabé en haussant les épaules

; maintenant nous t'avons tirée de là et nous voulons t'emmener avec nous. Le bateau va partir. A moins que tu ne veuilles que nous te ramenions chez Caboche ?

Loyse eut un geste d'horreur qui repoussait au loin les images maudites de son péché.

– Non, oh non, je veux seulement mourir !

– Se donner volontairement la mort est, aux yeux de Dieu, un plus grave péché que de subir un homme... même s'il t'est arrivé d'y prendre plaisir.

– Je veux détruire ce corps de honte et de boue...

– Tu vas surtout nous faire manquer le bateau...

Et, tranquillement, Barnabé avait fermé son poing.

11 en avait frappé Loyse à la pointe du menton, pas trop fort, juste ce qu'il fallait pour lui faire perdre conscience. Le cri de Jacquette indignée ne l'avait même pas ému.

– Nous avons trop perdu de temps ! Habillez-la vivement et transportons-la sur le bateau. Une fois en route, nous aurons tout le loisir de la raisonner. Il faudra seulement la surveiller étroitement pour qu'elle n'ait pas idée de passer par-dessus bord...

Ces directives avaient été suivies point par point. Loyse, évanouie à nouveau avait été déposée, rhabillée convenablement, dans l'espèce de cabine ménagée à l'arrière du chaland et qui servait au marinier à s'abriter. Sara lui prodiguait ses soins avec l'aide de Jacquette.

Maintenant le voyage pouvait commencer.

Assis sur un tas de cordages, ses longues jambes étendues devant lui, Barnabé observait Catherine. Les mains nouées autour de ses genoux minces, l'adolescente regardait droit devant elle tandis que les larmes roulaient encore sur ses joues. Ce qu'elle venait d'entendre l'avait profondément troublée, car cela rejoignait les images entrevues dans la Cour des Miracles. Mais Barnabé avait prononcé le mot «

Amour », cette chose dont Loyse avait parlé avec horreur. Ce qu'elle avait vu ne pouvait être l'amour. L'amour, c'était ce qu'elle avait éprouvé tout de suite en voyant Michel. Ce délicieux serrement de cœur, cette envie d'être doux et tendre et de dire des choses caressantes. Et Loyse criait comme si elle avait enduré la torture. Elle semblait folle.

Barnabé entoura ses épaules de son bras.

– Loyse guérira, petite. Elle n'est pas la seule, depuis que Dieu a créé le monde, qui ait subi ce genre d'épreuve. Seulement, pour elle, ce sera long parce qu'elle est d'esprit rigide et de piété étroite. Il faudra être très patiente avec elle, mais, un jour, elle retrouvera le goût de la vie. Quant à Landry, cela m'étonnerait que tu ne le revoies pas un jour. Il sait ce qu'il veut et il est de ceux qui forcent leur chemin, droit devant eux, sans s'arrêter aux obstacles de la route. S'il veut être soldat de Bourgogne, il le sera, crois– moi !...

Catherine tourna vers lui un regard brillant de gratitude. L'amitié du Coquillart répondait d'elle-même aux questions qu'on ne lui posait pas. La jeune fille éprouva soudain une grande sensation de sécurité.

Barnabé se pencha un doigt en avant.

Regarde comme c'est beau, Paris. La plus grande et la plus belle ville du monde. Mais Dijon n'est pas mal non plus, tu verras...

Le chaland avait franchi le pont aux Moulins puis les grandes arches de son voisin immédiat, le Pont– au-Change, juste sous la maison des Legoix. Catherine avait jeté un dernier regard à la lucarne par laquelle Michel devait s'évader puis avait détourné la tête. Un peu plus loin, une plantation de pieux hérissait l'eau de la rivière. C'étaient les bases du futur pont Notre-Dame. Trois semaines plus tôt, le Roi en personne, alors dans une période de lucidité mentale, avait frappé de la hie sur le premier pieu, et les princes après lui. Quelques guirlandes fanées s'accrochaient encore à ce pieu...

Tout autour, c'était le hérissement des tours et des clochers de Paris, la dentelle des campaniles, la flèche hardie des églises, le grand toit de la Maison– aux-Piliers et les beaux hôtels des seigneurs avec leurs jardins descendant jusqu'à l'eau, les tours carrées de Notre-Dame découpées sur le ciel d'or liquide face à la Grève où le gibet et la roue demeuraient vides d'occupants. Plus loin, c'était le port Saint-Pol, le port au foin, avec ses bateaux plats, précédant l'hôtel et les jardins du Roi et aussi les fines tourelles de l'hôtel des archevêques de Sens. De l'autre côté, les îles, l'île aux Vaches et l'île Notre-Dame, plates et herbues avec leurs pâturages et leurs saules argentés. Le regard de Catherine revint alors aux murs épais du puissant couvent des Célestins, séparés par un étroit canal d'une petite île sableuse, l'île Louviaux. Là se terminait Paris avec la masse trapue de la Tour Barbeau, grise et menaçante sous son toit conique, jadis bâtie par ce roi Philippe II que l'on nommait l'Auguste. À cette tour s'accrochaient à la fois le rempart filant vers la Bastille et l'énorme chaîne qui, la nuit, barrait la Seine... Mais, dans le soleil de juin avec la verdure des grands arbres et la gaieté du ciel, tout cet appareil militaire perdait de sa rudesse. Même les pierres semblaient douces et amicales. La voix de Barnabé se mit à murmurer :

C'est la cité sur toutes couronnée Fontaine et puits de science et de clergie Sur le fleuve de Seine située Vignes, bois, terres et prairies De tous les biens de cette mortelle vie A plus qu'autres cités n'ont Tous étrangers l'aiment et l'aimeront Car pour déduit et pour être jolie Jamais cité telle ne trouveront Rien ne se peut comparer à Paris...1

– C'est joli ! fit Catherine dont la tête alourdie s'appuyait sur l'épaule du Coquillart.

Derrière son dos, les bateliers entonnaient une chanson pour rythmer leur effort. Il n'y avait plus rien à faire qu'à se laisser emporter vers un destin nouveau en laissant derrière soi les anciens souvenirs, les anciens regrets. De son passé, Catherine ne voulait emporter que l'image de Michel de Montsalvy, gravée à jamais au fond de son cœur et qui, elle le savait, ne pourrait s'effacer, même avec le temps.

Les rives vertes de la Seine continuaient de défiler lentement.

Catherine sentit qu'elle avait sommeil...

1 Poème sur Paris d'Eustache Deschamps.

L'hôtellerie de la Ronce Couronnée était l'une des plus achalandées et des mieux fréquentées de Bruges. elle était située sur la Wollestraat, la rue aux Laines, entre la Grand'Place et le quai du Rosaire et, comme telle, recevait une abondante clientèle de drapiers, lainiers et marchands de toutes sortes venus de tous les pays. Sa prospérité se lisait dans son haut pignon crénelé et sculpté, dans l'éclat de ses fenêtres aux petits carreaux en cul de bouteille sertis de plomb, dans les odeurs somptueuses qui s'échappaient de sa vaste cuisine toute flamboyante de cuivres, d'étains et de faïences, dans la fraîcheur des robes et des coiffes ailées de ses servantes et surtout dans le ventre rebondi de maître Gaspard Cornelis, son joyeux propriétaire.

Pourtant, Catherine, habituée par des voyages précédents aux fastes de la Ronce Couronnée, donnait ce jour-là toute son attention à l'intense mouvement de la rue. Depuis le petit matin, la ville entière y défilait dans ses plus beaux atours.

À demi habillée, ses cheveux tombant en désordre sur son dos, la jeune fille, un peigne à la main, se penchait tant qu'elle pouvait à la fenêtre de sa chambre, sourde aux récriminations de l'oncle Mathieu qui, dans la pièce voisine, maugréait depuis son réveil. Le drapier, ses affaires faites, aurait voulu repartir dès l'aube pour Dijon, mais Catherine, après une dure bataille, avait arraché la promesse que l'on ne partirait que le soir, afin d'assister à la célèbre procession du Saint-Sang, la plus grande fête de la ville.

Elle était parvenue sans trop de peine à faire admettre son point de vue à Mathieu Gautherin. Il avait bougonné un long moment, répété que les fêtes étaient tout juste des occasions de dépenser de l'or à la pelle, rappelé qu'on l'attendait en Bourgogne pour des choses qui ne souffraient aucun retard, mais finalement, s'était laissé convaincre...

comme d'ailleurs il le faisait toujours parce qu'il était parfaitement incapable de refuser quoi que ce soit à sa ravissante nièce. Et le brave homme avait galamment souligné sa défaite en offrant à son gentil vainqueur une merveilleuse coiffure de dentelles blanches et des épingles d'or pour la fixer.

Las de parler aux murs de sa chambre ou de se pencher à la fenêtre pour morigéner ses valets occupés à charger des mules avec ses dernières acquisitions, Mathieu Gautherin entra chez sa nièce. La trouvant si peu avancée dans sa toilette, et à demi passée par la fenêtre, il éclata :

– Comment ! Tu n'en es que là ? La procession va quitter la basilique dans quelques minutes et toi tu n'es même pas coiffée.

Catherine se retourna vers son oncle, le vit planté au milieu de la pièce, bras croisés, jambes écartées et le chaperon de travers sur sa grosse figure rouge d'indignation, elle courut se pendre à son cou, lui planta sur les joues une foule de petits baisers, traitement que Maître Mathieu appréciait infiniment, même s'il se fût fait couper un bras plutôt que de l'avouer.

– J'en ai pour une minute, mon oncle. Mais tout est si beau ce matin !

– Peuh ! On dirait que tu n'as jamais vu une procession.

– Je n'ai pas encore vu celle-là. Et je n'ai surtout jamais vu autant de beaux atours dans une seule rue. Il n'y a pas une femme qui ne porte velours, satin ou cendal1, voire brocart. Toutes ont des dentelles, des bijoux, même celles qui criaient hier encore le poisson sous la Water-Halle !

Tout en parlant, Catherine activait sa toilette. Elle enfila vivement une longue robe de cendal bleu pâle qui se relevait légèrement devant pour laisser voir une jupe blanche finement rayée d'argent, assortie à la gorgerette que montrait la profonde échancrure pointue de la robe.

Puis, vivement, elle natta et releva ses cheveux, ajusta dessus l'escoffion de dentelle en forme de croissant dont une barbe passait sous son menton, soulignant l'ovale du visage. Après quoi, elle se tourna vers son oncle.

– Comment suis-je ?

La question était superflue. Le regard plein d'affection de Mathieu reflétait la beauté de Catherine aussi bien qu'un miroir. Car, la prédiction de Sara s'était réalisée. À vingt et un ans, la jeune fille était la plus ravissante créature qui se puisse voir. Ses yeux, immenses et changeants, éclairaient son visage où les taches de rousseur avaient fait place à un joli teint velouté, rose et doré évoquant irrésistiblement les pétales d'une rose thé. Quant aux longs cheveux d'or de la jeune fille, ils faisaient toujours l'admiration de tous. Pas très grande, Catherine avait un corps parlait. Ses proportions, sa grâce et ses formes à la fois pleines et délicates, avaient de quoi ravir le peintre le plus exigeant. Et c'était le grand désespoir de Mathieu Gautherin, de sa sœur Jacquette et de tous les membres de la famille que Catherine qui traînait

I. Sorte de taffetas léger.

après elle, depuis l'âge de seize ans, une longue file de cœurs masculins, refusât toujours aussi énergiquement de se marier. Il semblait que son pouvoir sur les hommes l'amusât seulement, et même l'irritât un peu.

– Tu es la jeunesse et le printemps en personne, fit Mathieu sincère, il est seulement dommage qu'aucun gentil garçon n'ait le droit d'espérer en être un jour le maître...

– Je ne vois pas en quoi j'y gagnerais. Après le mariage, la beauté des femmes se fane et perd de son éclat.

Mathieu leva les bras au ciel.

– Quel raisonnement ! Mais, malheureuse...

– Mon oncle, coupa gentiment Catherine, nous allons être en retard.

Tous deux sortirent de la chambre. Dans la cour de l'auberge où les servantes chargées de plats et de volailles couraient de côté et d'autre en faisant voler leur coiffe, Mathieu fit encore quelques recommandations à ses valets, leur intima l'ordre de rester veiller sur les chargements, de ne pas aller boire au cabaret et leur promit les pires châtiments s'ils enfreignaient ses ordres. Puis, salués bien bas par Maître Cornélis, l'oncle et la nièce se retrouvèrent dans la rue.


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