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Catherine Il suffit d'un amour Tome 1
  • Текст добавлен: 21 сентября 2016, 17:47

Текст книги "Catherine Il suffit d'un amour Tome 1"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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À l'aide d'un petit carré de toile fine, il écrasa le baume sur la blessure puis, maintenant la compresse, il se mit à confectionner avec une diabolique habileté un vertigineux pansement qui escamota bientôt les cheveux noirs du jeune homme et enserra étroitement ses mâchoires comme une coiffe de femme. Catherine le regardait faire avec un intérêt passionné. Le blessé ne gémissait plus depuis que le baume avait touché sa chair meurtrie. Une odeur piquante, puissante et cependant agréable, emplissait la pièce.

– Qu'est-ce que ce baume ? demanda-t-elle.

– Nous l'appelons baume de Matarea, répondit négligemment le petit homme sans daigner s'expliquer davantage. Il vient d'Égypte.

Est-ce que ce jeune homme a d'autres blessures ?

– Une jambe cassée, je crains bien, dit Mathieu qui s'était tenu coi tout ce temps.

– Voyons ça !

Sans se soucier aucunement de la présence de la jeune fille, il empoignait drap et couvertures, les rejetait vers le pied du lit, découvrant le corps du jeune homme que Mathieu et Pierre avaient complètement déshabillé avant de le coucher. La subite apparition de cette totale nudité masculine fit rougir le drapier jusqu'aux oreilles.

– Sors d'ici, Catherine, ordonna-t-il brusquement en attrapant sa nièce par le bras pour l'entraîner hors de la pièce.

Le petit médecin l'arrêta d'un regard sévère.

– Voilà bien les ridicules pudibonderies des chrétiens ! Le corps de l'homme est la plus belle création d'Allah, avec celui du cheval.

Cette femme donnera un jour la vie à des hommes semblables à celui-ci. Pourquoi donc la vue de ce corps offenserait-elle ses yeux ? Les anciens Grecs en faisaient des statues qui ornaient les temples de leurs dieux.

– Ma nièce est fille, protesta Mathieu qui n'avait pas lâché le poignet de Catherine.

– Elle ne le sera pas longtemps. Elle est bien trop belle pour cela !

Je n'aime pas les femmes. Elles sont sottes, bruyantes et puériles, mais je sais reconnaître la beauté lorsque je la rencontre. Cette jeune fille est un chef-d'œuvre dans son genre... tout comme le blessé. Avez-vous jamais rien vu de plus parfait que la forme de ce guerrier abattu ?

L'enthousiasme esthétique d'Abou-al-Khayr, que Mathieu ne semblait guère disposé à partager, ne l'empêchait pas de travailler tout en parlant et il palpait la jambe brisée avec une extrême délicatesse.

Mathieu, malgré lui, avait lâché Catherine, fasciné qu'il était par le corps brun dont la peau luisante brillait doucement sous la lumière des chandelles. Catherine avait repris sa place à la tête du lit et regardait elle aussi. Le petit médecin, tout en faisant son travail, continuait à chanter les louanges de la beauté humaine sur le mode, à la fois fleuri et lyrique qui lui était cher. Mais il avait dit vrai : le chevalier blessé était magnifiquement bâti. Sous sa peau bronzée, les muscles longs, étirés, se dessinaient avec une précision anatomique et, sur le drap blanc, les larges épaules, les flancs étroits et durs, le ventre plat, fermement attaché aux cuisses gonflées de muscles, prenaient un relief saisissant. Troublée au fond d'elle– même, Catherine sentait ses mains se glacer tandis qu'une légère rougeur s'étendait sur ses joues.

Abou-al-Khayr, aidé de ses esclaves, étirait maintenant la jambe pour réduire la fracture. Le blessé gémit. Puis, soudain, Catherine entendit :

– Si cette brute ne me faisait aussi mal, je me croirais en Paradis, car vous êtes sûrement un ange !... À moins que vous ne soyez la Rose sortie du roman du vieux Lorris.

Elle vit alors que deux yeux noirs, d'un noir d'enfer que la fièvre faisait briller d'inquiétante façon, la regardaient. Maintenant qu'il avait repris connaissance et que ses yeux étaient ouverts, la ressemblance avec Michel était criante, hallucinante. Tellement que la jeune fille, la voix soudain tremblante, ne put s'empêcher de prier :

– Par grâce, messire... dites-moi votre nom !

Le visage contracté où perlait une sueur de souffrance ébaucha quelque chose qui voulait être un sourire. Ce fut une affreuse grimace, mais qui fit étinceler brièvement une éclatante dentition.

– J'aimerais mieux savoir d'abord le vôtre, mais j'aurais mauvaise grâce à laisser si belle demoiselle poser deux fois la même question.

Je me nomme Arnaud de Montsalvy, seigneur de la Châtaigneraie en pays Auvergnat, et je suis capitaine de Monseigneur le dauphin Charles.

Pour mieux voir la jeune fille, le blessé avait tenté de se relever sur un coude et s'attirait une protestation furieuse du petit médecin.

– Si vous ne vous tenez en repos, mon jeune seigneur, vous resterez boiteux toute votre vie.

Les yeux noirs d'Arnaud, attachés à Catherine, se portèrent avec stupéfaction sur le turban du médecin et sur ses étranges acolytes. Il se signa précipitamment, tenta d'arracher sa jambe aux mains qui la retenaient.

– Qu'est celui-là ? s'écria-t-il furieux. Un chien d'infidèle, un Maure ? Comment ose-t-il seulement toucher un chevalier chrétien sans craindre de se faire arracher la peau ?

Abou-al-Khayr poussa un soupir de lassitude. Il glissa ses mains au fond de ses manches, s'inclina poliment :

– Le noble chevalier préfère sans doute perdre sa jambe à brève échéance ? Je ne crois pas qu'il y ait d'autres médecins dans cet endroit. Au surplus, je regrette profondément d'avoir osé arrêter tout à l'heure son précieux sang qui coulait si vite. Indigne que je suis !

J'aurais dû le laisser s'écouler jusqu'à la dernière goutte !

Le ton mi-rageur, mi-ironique du petit médecin calma tout net la colère du jeune homme. Brusquement, il se mit à rire :

– Tes pareils sont habiles, à ce que l'on assure. Et puis, tu as raison, je n'ai pas le choix. Poursuis ton ouvrage, je te récompenserai royalement.

– Avec quoi ? marmonna Abou en retroussant à nouveau ses manches. Vous aviez tout juste votre armure quand l'honorable drapier vous a trouvé.

Mathieu, quant à lui, commençait à penser que le blessé regardait trop sa nièce. Il se glissa entre eux deux et se mit en devoir de raconter au chevalier comment on l'avait récupéré sur le bord de l'Escaut, délivré de son armure et amené jusqu'au Grand Charlemagne. De son côté, le jeune homme, devenu soudain très grave et soucieux, raconta son histoire. Envoyé par le Dauphin au duc de Bourgogne, en tant qu'ambassadeur et parcourant le pays accompagné d'un seul écuyer, il avait été sauvagement attaqué, sur l'autre rive du fleuve, par un parti de routiers, mi-bourguignons, mi-anglais qui l'avaient démonté, dévalisé et assommé avant de le jeter à l'eau où il avait bien pensé se noyer. Par miracle et malgré le poids de son armure il avait réussi à nager et à gagner la rive opposée, grâce surtout à un banc de sable opportun.

Il s'était hissé sur la rive avec une peine infinie et là, il avait perdu connaissance. Quant à son écuyer, il ignorait totalement ce qu'il était devenu.

– Ces bandits ont dû le tuer, conclut tristement le jeune homme ; je le regretterai, car c'était un brave garçon.

Tandis qu'il parlait, Abou-al-Khayr avait achevé son ouvrage non sans arracher de temps en temps à son patient des gémissements et des imprécations. La patience n'était visiblement pas la qualité dominante d'Arnaud de Montsalvy.

Catherine, elle, le buvait des yeux. C'était comme si le ciel avait fait pour elle un miracle en lui rendant celui qu'elle n'avait jamais cessé d'aimer, qu'elle ne pouvait oublier. Entre elle et Arnaud, un lien spontané s'était tissé, que chaque instant, chaque regard rendaient plus fort et plus intime. Toutes les fois que les yeux fiévreux du blessé se posaient sur elle, et c'était très souvent, elle éprouvait un choc intérieur. Une bouffée chaude montait à ses joues. Visiblement, le chevalier ne souhaitait qu'une chose : demeurer seul un moment avec cette jeune fille dont la beauté l'éblouissait sans qu'il songeât, même un seul instant, à s'en cacher. Aussi protesta-t-il de toutes ses forces quand le petit médecin approcha de ses lèvres une petite coupe d'or dans laquelle il venait d'opérer un mystérieux mélange. Il voulut la repousser.

– Mon jeune seigneur, fit sévèrement le Maure, si vous voulez retrouver bien vite vos forces, il faut dormir ; ceci vous y aidera.

– Mes forces ? Mais je dois repartir et dès demain.

Il y a le message du Dauphin... Il faut que j'aille à Bruges !

– Vous avez la jambe brisée, vous resterez au lit, s'écria Abou-al-Khayr.

– D'ailleurs, intervint doucement Catherine, il est possible que vous ne trouviez plus le duc à Bruges. Il ne devait pas s'attarder mais bien regagner Dijon où l'attendent maintes affaires. À Dijon... où nous allons nous-mêmes.

A mesure qu'elle parlait, les yeux sombres d'Arnaud s'éclairaient.

Quand elle se tut, il voulut tendre la main pour saisir celle de la jeune fille, ne trouva que la robe de Mathieu et fronça les sourcils. Mais il se calma aussitôt, sourit et déclara que rien ne le rendrait plus heureux que cheminer avec elle.

– Je pense, ajouta-t-il, qu'il sera possible de trouver une litière.

– Nous verrons ça demain, coupa Abou. Buvez !

Quelques instants plus tard, sous l'effet de la puissante drogue opiacée, les yeux du chevalier se refermaient et il s'endormit d'un sommeil paisible. Tous les assistants se retirèrent à l'exception de l'un des Noirs à qui le médecin avait confié la surveillance de son patient.

Les deux serviteurs du petit Arabe étaient muets tous deux, ce qui, confia leur maître à Mathieu, diminuait les risques de dispute avec le blessé. Celui– ci paraissait avoir le « caractère impatient du scorpion dérangé dans son trou... ».

Catherine sortit la dernière, avec un soupir de regret.

La compagnie d'Abou-al-Khayr se révéla beaucoup plus amusante que ne l'avait supposé Catherine malgré l'obstination qu'il mettait à l'ignorer. Il était réellement jeune en dépit de sa barbe blanche qui n'était, expliqua-t-il à Mathieu, que le signe distinctif des médecins, des gens exerçant des professions libérales et des notables de l'Islam.

En pays coranique, les bourgeois avaient droit, eux, à une barbe plus courte et teinte en bleu ou en vert. La blancheur de cette belle barbe et son entretien étaient un constant sujet de soucis pour le médecin cordouan qui en prenait grand soin, comme d'ailleurs de toute sa personne d'une absolue propreté. Il se plaignait assez amèrement du manque de confort des installations sanitaires en pays chrétiens.

– Vos hammams que vous nommez étuves, disait– il d'un ton méprisant, seraient tout juste bons pour des esclaves, à Cordoue !

Mais, hormis cet inconvénient, il reconnaissait que la Chrétienté avait du bon, qu'elle présentait un grand intérêt et un très vaste champ d'expériences pour un médecin parce que l'on s'y étripait beaucoup plus qu'en terre d'Islam. Et surtout au royaume de Cordoue où régnait une paix très regrettable pour les progrès de l'art médical.

– Ici, l'on trouve des cadavres à toutes les croisées de routes, conclut-il avec une profonde satisfaction.

Malgré son âge, il avait beaucoup voyagé, de Bagdad à Kairouan et des sources du Nil à Alexandrie, toujours à la recherche du savoir. Ce qu'il souhaitait maintenant, c'était se rendre à la cour du puissant duc de Bourgogne, du Grand Duc d'Occident, dont la réputation passait déjà les monts et les mers.

– Notre rencontre m'évite d'aller jusqu'à la ville sur l'eau, dit-il à Mathieu. Je ferai route avec le blessé et, ainsi, je pourrai le surveiller jusqu'en Bourgogne. Il en a besoin. Mais nous ne partirons que dans deux ou trois jours. Cette hôtellerie, après tout, n'est pas mauvaise.

Le petit médecin semblait, en effet, apprécier la cuisine. Il attaquait justement avec vigueur une poularde aux herbes qu'il arrosait de généreuses rasades de vin gris, oubliant les préceptes du Coran au profit des célèbres vignes de Sancerre.

– Alors nous nous retrouverons à Dijon, fit Mathieu qui, lui non plus, ne perdait pas un coup de dent, car nous reprendrons la route demain matin, ma nièce, mes gens et moi-même. Nous sommes déjà en retard...

Catherine, elle, ne mangeait pas. Elle s'était contentée de boire un bol de lait et grignotait distraitement une tartine de miel. Les derniers mots la tirèrent de sa songerie.

– Ce serait plus amusant de faire route tous ensemble, dit-elle.

Mathieu, alors, se mit en colère de la plus imprévisible façon.

– Non ! s'écria-t-il en tapant sur la table. Nous repartons ! Déjà, je n'ai pas beaucoup aimé la façon qu'avait ce seigneur de te regarder. Et toi, tu lui souriais, tu lui faisais presque des avances, ma parole !

D'ailleurs, il est temps que tu m'expliques où tu l'as déjà rencontré.

– N'y compte pas ! coupa Catherine froidement. Je n'ai rien à dire, si ce n'est que je n'avais jamais vu ce chevalier. Seulement il ressemble à quelqu'un que j'ai connu autrefois. Voilà tout ! Et maintenant, bonne nuit, oncle Mathieu !

Saluant brièvement le drapier et son nouvel ami, elle se hâta de traverser la salle pour que Mathieu n'eût pas le temps de la rattraper, gravit l'escalier de bois et s'engagea dans l'étroit passage qui menait aux chambres ; les portes donnaient toutes sur une galerie extérieure.

Devant celle d'Arnaud, sous laquelle filtrait un mince rai de lumière, elle hésita, prise d'une irrésistible envie d'entrer, de le regarder dormir. Le petit cabinet où elle devait passer la nuit était tout au bout de cette galerie, à l'opposé de la chambre de ce blessé si intéressant...

Un moment, elle resta là, debout dans le vent et la bourrasque. La pluie rejaillissait jusque sous l'auvent de la galerie. L'orage était déchaîné maintenant ! Le vent soufflait avec violence, chassant des paquets d'eau. Cela faisait comme des nuages qui se déplaçaient à ras de terre ! Les silhouettes torturées des arbres se balançaient de côté et d'autre. Catherine frissonna sous le manteau qu'elle avait jeté sur ses épaules.

Mais elle aimait ce soir, le temps affreux, les éléments déchaînés, si bien accordés avec sa propre tempête intérieure. La violence des sentiments nés si spontanément en elle l'effrayait un peu. Jamais elle n'avait connu ce besoin impérieux d'une autre présence, ce désir d'atteindre, de toucher, d'étreindre un être de chair. En quelques instants, l'ancienne Catherine si calme, si tranquille en face des aveux passionnés des garçons de sa ville, ces aveux dont elle riait avec une inconsciente cruauté, s'était muée en une femme éprise pour qui l'image d'un Homme était devenue la seule raison de vivre. Même la Catherine qui avait frissonné d'un trouble plaisir sous les lèvres de Philippe de Bourgogne s'était éloignée...

Que dirait Mathieu s'il la surprenait dans la chambre du blessé ?

Pour éviter de répondre à cette question, la jeune fille songea qu'il devait dormir à l'écurie et ne remonterait sûrement pas. Pourquoi faire

? Alors, incapable de résister plus longtemps au désir qui la poussait en avant, elle posa la main sur le loquet de la porte et entra.

Arnaud dormait, le Noir aussi. Le grand corps de l'esclave soudanais barrait l'âtre de la cheminée, roulé sur lui-même à la manière d'un gros chien. Le blessé reposait dans son lit, rigide, la tête disparaissant dans le gros pansement qui lui restituait un heaume tout de blancheur. L'étrange appareil, fait de morceaux de bois et d'une bande de toile trempée dans la bouillie de farine, que le médecin cordouan avait posé à sa jambe brisée, l'obligeait à rester étendu sur le dos et donnait à son immobilité une allure tragique. Impressionnée, Catherine demeura un moment, appuyée d'un bras au chevet du lit, regardant le visage aux yeux clos. Un banc de bois, garni de coussins rouges, était rangé le long du mur. Elle essaya de le tirer vers le lit mais il était trop lourd. Elle renonça, se contenta de se laisser tomber dessus, les mains jointes au creux de ses genoux.

La respiration du blessé, un peu haletante, emplissait toute la pièce avec un léger ronflement. Il ne semblait pas souffrir. Et, tandis qu'elle le regardait silencieusement, Catherine se dit qu'il était vraiment plus beau que Michel. Peut-être parce qu'il était plus viril, plus homme, alors que son frère sortait à peine de l'adolescence. Il pouvait avoir vingt-trois ou vingt-quatre ans et, sous l'insolite coiffure confectionnée par le Maure, la netteté un peu rude mais infiniment pure du visage ressortait comme une ciselure sur un écrin. Nez fier, menton énergique et carré où la barbe non rasée mettait une ombre bleue, ce visage était sans douceur à l'exception de l'ombre des cils, longs comme ceux d'une femme, mais non sans charme. Ce charme, Catherine le subissait avec une intensité qui l'étonnait. Elle ne comprenait rien à ce trouble, né des profondeurs de son être. Il la ravageait et faisait monter à ses joues d'aussi soudaines qu'incompréhensibles rougeurs.

Dans la cheminée, une bûche s'écroula dans une gerbe d'étincelles, roula devant l'âtre. Catherine se leva, prit les pincettes et replaça la bûche dans le brasier. Puis revint à son banc. Le Noir avait remué un peu, grognant vaguement dans son sommeil, mais Arnaud n'avait pas bougé. Avec un soupir, la jeune fille se laissa aller contre le dossier de son siège. Le vacarme de l'orage s'éloignait. Seule, la pluie crépitait encore sur le toit mais, dans la chambre bien close, il faisait bon et l'on se sentait à l'abri.

Peu à peu, le bruit monotone des gouttes d'eau agit sur Catherine dont la tête s'alourdit. Elle finit par s'endormir, à demi couchée sur le banc. Elle ne vit pas la porte s'ouvrir et le volumineux turban du petit médecin maure apparaître dans l'embrasure. Les yeux vifs parcoururent la chambre, s'arrêtèrent d'abord sur le blessé mais, constatant qu'il dormait paisiblement, ne s'y attardèrent pas. Par contre, une étrange expression se peignit sur le visage cuivré en découvrant Catherine endormie sur son banc. Le premier mouvement d'Abou-al-Khayr fut d'aller vers elle pour l'éveiller, mais il s'arrêta en chemin, haussa les. épaules. Un sourire ironique retroussa ses lèvres et, aussi doucement qu'il était entré, il quitta la chambre, refermant sans bruit la porte derrière lui.

Catherine ne sut pas que le petit médecin, rencontrant Mathieu dans la galerie, lui avait formellement déconseillé d'entrer chez le blessé, alléguant la légèreté de son sommeil fébrile. Et le drapier s'en était allé coucher à l'écurie sans se douter que sa nièce dormait dans la chambre du chevalier.

Vers quatre heures et demie du matin, Catherine ouvrit ses paupières qui lui parurent pesantes. Le jour commençait à poindre et, dans la basse-cour de l'auberge, un coq enroué essayait de faire croire qu'il chantait le nouveau soleil. Arnaud ne semblait pas avoir bougé d'une ligne et, devant l'âtre éteint et froid, le Nubien dormait toujours, ronflant avec obstination. Avec quelque peine, et non sans grimacer de douleur, Catherine se redressa. Son dos et ses reins lui faisaient mal. Sans faire de bruit, elle alla à la fenêtre, l'ouvrit pour regarder au-dehors.

La pluie avait cessé, encore qu'elle demeurât à terre sous forme de grandes flaques où se reflétait la lumière rose du ciel. Les arbres, les feuilles étaient vernis de neuf. Cela sentait l'étable chaude et la terre mouillée, une bonne odeur de campagne que la jeune fille respira avec délices. Elle s'étira comme une chatte avec des mouvements lents et gracieux, bâilla puis, posément, défit ses nattes emmêlées pour donner de l'air à ses cheveux. À pleines mains elle les gonfla, les fit mousser, heureuse de sentir leur soie vivante sur son dos. Puis, refermant la fenêtre, elle revint vers le lit.

Les yeux fermés, le blessé dormait avec application, une moue légère à ses lèvres dures, un pli creusé à la racine du nez. Il semblait si jeune, ainsi, tellement désarmé et attendrissant que Catherine ne résista pas à l'impulsion qui lui vint. Se laissant glisser à genoux auprès du lit, elle appuya sa joue à la main brune, abandonnée, paume en dehors, sur la couverture. Elle était chaude, cette main, mais la peau, durcie par le maniement quotidien des armes, râpait un peu. Catherine y colla ses lèvres avec une ferveur qui la surprit. Une boule se gonflait dans sa gorge. Elle avait à la fois envie de pleurer et de rire. Mais, surtout, elle souhaitait inconsciemment que cette minute de douceur durât une éternité. Le monde, autour d'elle, s'était évanoui. Il n'y avait qu'elle et Arnaud, enfermés dans un cercle magique, aux invisibles murs duquel se brisait la réalité. Pour un instant, il était à elle, à elle seule...

Prisonnière d'un charme tout-puissant, Catherine ne se rendit pas compte que, sous ses lèvres, la main bougeait, qu'une autre main se glissait dans le flot de ses cheveux répandus sur le lit. Mais, quand les deux mains réunies emprisonnèrent son visage et le soulevèrent, elle comprit que le blessé était réveillé. Tourné sur le côté, à demi soulevé sur un coude, il la regardait et, lentement, l'attirait à lui. Elle poussa un petit cri, voulut dégager sa tête.

– Messire... laissez-moi. Je...

– Chut ! fit-il seulement. Tais-toi !

Subjuguée par l'autorité du ton, elle se tut, cessa de se défendre.

Elle n'en sentait ni l'envie ni la force. Dans sa poitrine, son cœur cognait si fort qu'il l'étouffait presque. Elle était fascinée par la passion de ces yeux noirs, à chaque instant plus proches. Les mains du jeune homme avaient quitté son visage. Il l'enfermait maintenant dans ses bras, l'attirant auprès de lui sur le lit irrésistiblement, avidement...

Quand il la coucha contre lui, coincée par les muscles durs de sa poitrine, Catherine frissonna de tout son corps. Une sueur légère mouillait la peau brune du jeune homme. Il sentait le lit chaud, la fièvre et une autre odeur qu'elle ne pouvait définir, peut-être le baume dont sa blessure à la tempe avait été enduite ? Arnaud respirait fort et son souffle emplissait les oreilles de sa prisonnière consentante. Elle l'entendit jurer entre ses dents parce que sa jambe immobilisée le gênait. Mais elle ne chercha pas même à se défendre.

Inconsciemment, elle avait attendu depuis toujours un moment comme celui-là...

Elle gémit pourtant quand la bouche dure s'abattit sur la sienne, la violentant avec une ardeur d'affamé. Des bruits de cloches éclataient dans sa tête, un carillon de joie aussi primitive que la terre elle-même.

Sans même s'en rendre compte, elle se tendit sous les mains qui la parcouraient, cherchant à deviner la vérité de son corps de jeune fille.

Pour un blessé de la veille, Arnaud de Montsalvy faisait preuve d'une singulière vigueur. Il ne s'encombrait pas de délicatesses et ses gestes, autoritaires, rapides, étaient ceux d'un soldat pour qui chaque minute compte. Et pourtant, dans cette violence qui lui ôtait jusqu'à la moindre envie de résister, Catherine trouvait une extraordinaire douceur. Elle s'abandonnait, offerte, déjà heureuse. Le baiser s'éternisait, se faisait plus profond, éveillant la folie dans le sang de la jeune fille. Elle ne se rendit pas compte de ce que faisait Arnaud. Il ouvrait sa gorgerette, délaçait sa robe. Ce fut seulement quand il quitta ses lèvres pour enfouir la tête entre ses seins qu'elle se vit à demi nue dans ses bras. Mais la vue même de sa propre chair, si rose dans la lumière naissante, plus rose encore au contraste des courts cheveux noirs d'Arnaud dépassant le turban, ne lui causa aucune gêne.

C'était comme si, de tout temps, elle avait été créée pour se donner à cet homme, comme si elle n'avait été faite que pour lui, pour son plaisir et son bonheur.

Plus doucement maintenant, il continuait à la dévêtir d'une main, à la caresser de l'autre. Ses doigts semblaient hésiter devant chaque nouvelle découverte. Puis s'émerveillaient et s'emparaient de leur conquête avec une joie violente. Il murmurait des mots sans suite que Catherine ne comprenait pas. Un instant, il revint vers son visage. Elle vit ses traits, durcis par le désir, le flamboiement des noires prunelles qui cherchaient son regard.

– Comme tu es belle ! haleta-t-il, la voix rauque. Comme tu es douce... et rose, et tendre !

Avec passion, il reprit sa bouche, renversa sous lui le corps souple, ployant en arrière la taille ronde. A nouveau Catherine gémit. Un tout petit gémissement qui était presque un appel.

Soudain, dans la cour de l'auberge, un cri éclata :

– Catherine ! Catherine ! Où es-tu ?

– Mon Dieu, mon oncle !

Brusquement dégrisée, Catherine se dressa, repoussant le jeune homme. Elle prit alors pleine conscience de sa nudité, de cette porte qui pouvait s'ouvrir, de ce Noir qui remuait et allait s'éveiller. Rouge de honte elle chercha à rajuster ses vêtements, à se dégager de l'étreinte d'Arnaud qui, un instant surpris, la reprenait contre lui avec une plainte douloureuse.

– Reste encore... Je te veux ! Je tuerai quiconque osera entrer !

– C'est impossible !... Oh, mon Dieu, laissez– moi !

Souple comme une anguille, elle avait réussi à glisser du lit. Tout en se rhabillant hâtivement, avec des mains tremblantes et maladroites, elle le regarda, le vit si pâle ! Son visage crispé était celui d'un loup affamé et ses mains, presque inconsciemment, se tendaient vers elle dans un geste d'imploration pathétique. Toute sa force, toute sa violence l'avaient abandonné. Il n'était plus qu'un homme frustré d'un bonheur que ses mains, trop faibles, n'avaient pas su

retenir. Puis, brusquement, de la plus imprévisible façon, il se mit à rire joyeusement.

– Je ne serai pas toujours invalide, ma belle ! Je saurai bien te rattraper ! Par saint Michel, je crois bien que tu m'as rendu fou...

– Oubliez tout ceci, messire, je vous en conjure, supplia Catherine en achevant de lacer sa robe. C'est vous qui, bien plutôt, m'avez fait perdre la tête...

A nouveau, il se mit à rire. Un beau rire jeune et clair qui le fit se recoucher de tout son long et le détendit. Mais qui cessa aussi soudainement qu'il avait commencé. Une fois encore il regarda Catherine avec un sérieux où entraient du défi, et de la passion.

– Oublier que j'ai vu pâlir tes yeux, que je t'ai senti frémir dans mes mains ? Oublier la beauté de ton corps, le goût de tes lèvres ?

Dussè-je vivre cent ans que ce serait me demander l'impossible.

Catherine... ton nom est doux et toi tu es la femme la plus merveilleuse jamais née d'une autre femme. La seule que je veuille...

Partagée entre l'envie qu'elle avait de l'entendre encore et la crainte de mécontenter Mathieu, Catherine hésitait à quitter la chambre.

Pourtant, elle fit un pas vers la porte. Alors, lui, suppliant :

– Pars si tu veux... mais, avant, donne-moi encore un baiser, un seul !

Elle faillit revenir mais l'esclave du petit médecin, bien éveillé maintenant, s'était levé et fourrageait dans les cendres pour tenter de rallumer le feu. Il ne leur prêtait aucune attention, ne les regardait même pas. Catherine allait s'élancer vers le blessé quand le claquement de nombreux sabots de chevaux résonna au-dehors. On entendait aussi le cliquetis des armes. Instantanément sur le qui-vive, Arnaud se détourna de Catherine.

– Qu'est-ce que c'est ? Il y a en bas des hommes d'armes...

Elle courut à la fenêtre, l'ouvrit. Dans la cour, en effet, un détachement de soldats venait d'entrer. Ils étaient une dizaine et, sur les armures, Catherine put reconnaître les tabards moitié noirs, moitié gris, brodés d'argent, des hommes de la garde personnelle de Philippe de Bourgogne. Sur leurs poitrines s'étalaient le briquet et la devise du duc...

– Ce sont des soldats de la garde du duc de Bourgogne, dit-elle.

Un officier les mène...

En effet, un grand chevalier empanaché de blanc descendait tout juste de cheval et s'avançait vers Mathieu Gautherin qui arpentait nerveusement la cour en compagnie d'Abou-al-Khayr. La jeune fille reconnut l'allure un peu gauche et la voix sonore du nouvel arrivant.

– Je crois que c'est messire de Roussay, continua Catherine.

Arnaud fit la grimace.

– Peste, ma chère ! Vous êtes bien renseignée sur ces maudits Bourguignons. Ma parole, vous les connaissez tous.

– Vous oubliez que j'habite Dijon et suis sujette de Monseigneur Philippe.

Pendant ce temps, dans la cour, Jacques de Roussay abordait le drapier et sa voix forte montait aisément jusqu'à l'étage.

– Je suis aise de vous rencontrer, maître Gautherin. En fait, je vous cherchais.

Mathieu se confondait en révérences, oubliant momentanément sa nièce dont il ne s'expliquait pas l'absence.

– Moi ? Mais que d'honneur...

Vous et votre ravissante nièce ! Monseigneur Philippe a craint, par la suite, les mauvaises rencontres que vous pouviez faire en chemin, surtout en traversant certaines régions où court l'Anglais et qui ne sont point domaine de Bourgogne. Il m'envoie afin de vous escorter jusqu'à Dijon, ainsi que la demoiselle Legoix.

Catherine n'en entendit pas davantage. Derrière son dos, une voix tonnante venait d'éclater :

– Legoix... Qui s'appelle Legoix ici ?

Se retournant vivement, elle vit Arnaud dressé sur son lit, plus blanc que ses draps. Ses yeux flambaient de rage et il rejetait déjà d'une main nerveuse, ses couvertures, prêt à bondir. Ce que voyant, l'esclave noir avait couru à lui et l'avait entouré de ses bras pour l'obliger à rester tranquille. Mais dans l'étau des bras noirs, Arnaud se débattait comme un démon.

– Qui, hurla-t-il, qui porte ce nom maudit ? Qui s'appelle Legoix ?

Stupéfaite par cette soudaine poussée de fureur, Catherine était restée pétrifiée, sans plus songer à fermer la fenêtre.

– Mais... moi, messire. C'est mon nom ! Je me nomme Catherine Legoix.

– Toi !...

De seconde en seconde l'expression du visage du chevalier se transformait. La stupeur d'abord, puis la colère, maintenant une haine aveugle l'envahissait, durcissant les mâchoires, retroussant les lèvres sur les dents blanches, comme un animal prêt à mordre. Il la regardait comme s'il la voyait pour la première fois et il n'y avait plus trace, dans ses yeux noirs, de la passion de tout à l'heure.

– Tu t'appelles Legoix, fit-il d'une voix sourde, où vibrait une colère retenue à peine. Et, dis-moi... es-tu parente de ces bouchers parisiens qui firent... tant de bruit voici quelques années ?

– Ils étaient mes cousins mais...

– Tais-toi !... Plus un mot ! Va-t'en !...


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