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Catherine Il suffit d'un amour Tome 1
  • Текст добавлен: 21 сентября 2016, 17:47

Текст книги "Catherine Il suffit d'un amour Tome 1"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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Juliette Benzoni
Catherine Il suffit d'un amour Tome 1

Vingt hommes vigoureux s'était attelés au bélier, une énorme poutre de chêne prise à un chantier voisin. Ils reculaient de quelques pas puis, avec ensemble, se ruaient de toute leur vitesse sur les vantaux armés de fer qui résonnaient comme un gigantesque tambour, rythmant leur effort de « Han... » durement scandés. Sous les coups redoublés dont la fureur populaire augmentait la cadence, les portes de l'hôtel royal gémissaient. Un craquement, déjà, s'était produit malgré les peintures de fer aux immenses volutes qui renforçaient les battants.

C'était une haute et double porte de chêne épais sous une ogive de pierre que gardaient deux anges agenouillés, mains jointes, de chaque côté des armes royales de France dont l'azur fleurdelisé d'or brillait doucement sous le soleil d'avril. Plus haut, au-dessus des créneaux d'où les archers de garde tiraient sur la foule, c'était l'envol des toits, la dentelle flamboyante et fantastique des hautes lucarnes de l'hôtel Saint-Pol, la cime des arbres, le ciel sur lequel flottaient les grandes bannières de soie brodée. Là-haut, c'était la douceur d'un jour de printemps, le chaud soleil qui dansait sur les murs enluminés comme des pages de missel, le vol rapide des hirondelles... en bas, le sang coulait, la colère grondait, la poussière, brassée par des centaines de pieds, montait en suffocants nuages.

Une flèche siffla. Tout près de l'endroit où se tenaient Landry et Catherine, un homme tomba lourdement, la gorge traversée, avec un affreux cri rauque qui s'acheva en gargouillis. La jeune fille cacha précipitamment son visage entre ses mains pour ne plus voir, se tassa contre son compagnon dont le bras protecteur entoura ses épaules.

– Ne regarde pas, fit Landry. J'ai eu tort de t'emmener, pauvrette.

Ce ne sera sûrement pas le dernier.

Tous deux s'étaient hissés sur un banc de pierre, à l'entrée d'un boyau qui serpentait, noir et gluant d'humidité, entre l'échoppe d'un tailleur et la boutique, dûment cadenassée, d'un apothicaire. De là, ils pouvaient tout voir. Aucun des mouvements des hommes attelés au bélier ne leur échappait. Mais, des créneaux de l'hôtel, les archers tiraient maintenant avec une sorte de rage. Flèches et carreaux d'arbalètes faisaient pleuvoir sur la foule révoltée une grêle meurtrière, ouvrant de brèves lézardes tôt refermées, dans la masse des corps. Prudemment, Landry fit descendre Catherine de son perchoir, se noya avec elle dans la foule.

La fatigue et la peur commençaient à se faire sentir chez les deux adolescents. Ils avaient quitté, tôt le matin, leurs maisons du Pont-au-Change, profitant de l'absence de leurs parents. La fièvre, dont brûlait Paris depuis la veille, avait attiré ceux-ci qui à la Maison aux Piliers, qui chez sa voisine en mal d'enfants, qui dans les milices populaires.

Mais ni Catherine ni Landry ne reconnaissaient leur ville dans cette cité chauffée à blanc d'où la fureur et le carnage jaillissaient à chaque carrefour pour un mot ou une chanson.

Leur univers quotidien, c'était le Pont-au-Change, avec son entassement de maisons aux toits aigus délimitant une rue étroite où défilait, entre le Palais et le Grand Châtelet, toute la ville. Le père de Catherine, Gaucher Legoix, y était orfèvre à l'enseigne de « l'Arche d'Alliance » comme d'ailleurs celui de Landry, Denis Pigasse, et leurs boutiques étaient voisines. Elles faisaient face aux échoppes des changeurs, lombards ou normands, qui occupaient l'autre côté du pont.

Jusqu'à ce jour, Catherine n'avait guère poussé ses expéditions avec Landry au-delà du parvis de Notre– Dame, des sinistres ruelles de la Grande Boucherie ou des pont-levis du Louvre. Les quinze ans du garçon, par contre, lui avaient permis des études beaucoup plus poussées sur les lieux bizarres de Paris et il connaissait chaque recoin de la capitale comme sa propre poche. C'était lui, qui avait eu l'idée d'amener sa petite amie devant l'hôtel Saint-Pol, ce vendredi matin, 27 avril 1413.

– Viens donc, lui avait-il dit. Caboche a juré qu'aujourd'hui il entrerait dans la maison du Roi pour en arracher les mauvais conseillers de Monseigneur le Dauphin. Il suffira d'entrer derrière lui et tu pourras voir, à ton aise, toutes les belles choses qu'il y a là-bas.

Caboche !... Autrement dit Simon le Coutelier, l'écorcheur de la Grande Boucherie, le fils de la tripière du marché Notre-Dame, l'homme qui avait soulevé les masses populaires contre le pouvoir illusoire du malheureux Charles VI, le roi fou, et la puissance aussi réelle que désastreuse d'Isabeau la Bavaroise.

C'était grande pitié, en effet, au royaume de France, en ces jours troublés. Le roi dément, la reine inconsciente et débauchée et, depuis le meurtre, six ans plus tôt, du Duc d'Orléans par Jean-Sans-Peur, duc de Bourgogne, le pays livré à l'anarchie. Insoucieux du péril anglais toujours prêt à revenir, les partisans de l'un et de l'autre prince, Armagnacs et Bourguignons, se livraient à travers la France qu'ils ravageaient à l'envi une lutte sans pitié ni merci. À cette heure, les Armagnacs cernent Paris, tout dévoué au malin autant que démagogue Jean de Bourgogne. Par la riche corporation de bouchers dont il a fait ses fidèles, il orchestre les troubles. En nom, le pouvoir appartient au Dauphin, Louis de Guyenne, un garçon de seize ans nettement dépassé par les événements. En fait, le roi de Paris, c'est Caboche l'écorcheur, avec la bénédiction de l'Université que mène son turbulent recteur Pierre Cauchon.

Ils sont là tous les deux, Caboche et Cauchon, à la tête de la meute qui assiège l'hôtel royal. Debout devant les gardes de la porte, désarmés et ficelés, que maintiennent des garçons bouchers aux tabliers de cuir tachés de sang caillé, Caboche hurle des ordres, rythmant le balancement forcené du bélier. Tirée par la main sans douceur de Landry, rasant les murs des maisons pour trouver un observatoire à l'abri des flèches, Catherine pouvait voir, par-dessus le moutonnement des têtes, l'imposante carrure du meneur, ses épaules de lutteur sous la casaque verte, barrée d'une croix de Saint-André blanche, aux couleurs de Bourgogne, le visage écarlate, convulsé par la fureur et ruisselant de sueur. A la main, il tenait une bannière blanche, emblème de Paris, qu'il agitait furieusement.

– Plus fort ! hurlait-il, tapez plus fort ! Enfoncez– moi ce nid de charognards ! Par la mordieu ! Plus fort ! Ça craque déjà !...

En effet, la porte venait de rendre un son fêlé qui annonçait sa prochaine rupture. Les vingt hommes, tendus par l'effort, reprirent du champ, reculant profondément dans la foule pour se lancer de plus loin. Landry eut juste le temps de jeter Catherine derrière l'arc-boutant d'une chapelle pour qu'elle ne fût pas écrasée par le reflux contre la muraille. Elle se laissait faire sans résistance, hypnotisée par l'écorcheur dont les hurlements avaient atteint une telle violence qu'on ne comprenait plus ce qu'il disait. D'un geste brusque, il ouvrit son pourpoint, découvrant des muscles épais couverts de poils roux puis, retroussant ses manches, planta profondément la bannière en terre avant d'aller s'atteler à la tête de la poutre.

– Allez ! brailla Caboche... Avec moi et que nous aide Monseigneur Saint-Jacques !...

– Vive Monseigneur Saint-Jacques, vive la Grande Boucherie !

hurla Landry emporté par son enthousiasme.

Catherine le regarda avec mécontentement.

– Ne crie pas « Vive Caboche », sinon je m'en vais.

– Pourquoi donc ? fit Landry sincèrement surpris. C'est un grand chef !

– Non ! C'est une brute ! Mon père le déteste, ma sœur Loyse aussi, qu'il recherche en mariage et, à moi, il me fait peur. Il est trop laid !

– Laid ? (Landry ouvrit de grands yeux.) Qu'est– ce que ça peut bien faire ? On n'a pas besoin d'être beau pour être un grand homme.

Moi, je trouve Caboche magnifique.

Furieuse l'adolescente tapa du pied.

– Pas moi ! Et si tu l'avais vu, hier soir, chez nous, criant et menaçant mon père, tu ne le trouverais pas magnifique du tout.

– Il a menacé maître Legoix ? Mais pourquoi ?

Instinctivement, Landry avait baissé la voix de plusieurs tons, bien que personne ne fît attention à eux et que le vacarme fût intense.

Catherine en fit autant. À voix basse, elle raconta à son ami comment, la veille au soir, alors que la nuit était presque en son mitan, Caboche était venu chez eux avec Pierre Cauchon et le cousin Guillaume Legoix ; le riche boucher de la rue d'Enfer Les trois chefs de l'insurrection parisienne avaient une intention bien arrêtée en franchissant le seuil de l'orfèvre : obtenir l'adhésion de Gaucher Legoix à leur mouvement. Cinquantenier de la milice parisienne, Gaucher était l'un des chefs communaux les plus respectés et les mieux écoutés. Peut-être parce qu'il était un homme calme, ami de la paix et qui avait toute violence en horreur. La vue du sang le faisait défaillir bien qu'il fût brave et doué d'un tranquille courage.

Cette horreur physique du sang était la raison pour laquelle ce fils de grand boucher avait abandonné la corporation et la maison paternelle pour se placer comme apprenti chez maître André d'Épernon, le grand orfèvre, créant ainsi, avec les orgueilleux Legoix, incapables de comprendre ses délicatesses, une totale rupture.

Peu à peu, le talent de Gaucher avait amené l'aisance dans la maison du Pont-au-Change. Couvertures d'évangéliaires, plats ouvragés, gardes d'épées ou de poignards, salières, nefs de table sortaient de plus en plus fréquemment de son modeste atelier pour des destinations toujours plus élevées. En vérité, le renom de Gaucher Legoix grandissait sur la place de Paris et son appui n'était pas négligeable pour les trois meneurs.

Ils s'étaient heurtés à un refus net. Sans grandes phrases, Gaucher leur avait signifié son intention de demeurer fidèle au Roi et au Prévôt de Paris qui était justement André d'Épernon.

– Je tiens ma charge de par le Roi et de par Mes– sire le Prévôt, je ne ferai pas marcher mes hommes contre la demeure de mon souverain.

Ton souverain est fou, son entourage traître, avait fulminé Guillaume Legoix, le cousin boucher. Le vrai roi c'est Monseigneur de Bourgogne. Hors lui, point de salut !...

Gaucher ne s'était pas troublé devant le gros visage, rouge de colère du maître-boucher.

– Quand Monseigneur de Bourgogne aura reçu l'onction sainte, alors je plierai le genou devant lui et l'appellerai mon Roi. Mais jusque-là je ne reconnais pour maître que Charles, Sixième du nom, que Dieu nous veuille rendre en santé et sain jugement !

Ces simples paroles avaient eu le don de déchaîner la fureur des trois visiteurs. Tous s'étaient mis à crier comme des sourds à la grande terreur de Catherine et des femmes qui, tapies au coin de l'âtre, attendaient la fin du débat.

Comme ces hommes lui semblaient méchants, dressés tous trois, grands et forts, autour de la frêle silhouette de son père. Mais, dans sa petite taille, c'était encore lui qui était le plus grand parce que son visage ferme demeurait serein et qu'il ne criait pas.

Caboche, soudain, avait brandi un poing noueux sous le nez de l'orfèvre.

– Vous avez jusqu'à demain soir pour vous décider, maître Legoix. Si vous n'êtes pas avec nous, vous serez contre nous et en subirez les conséquences. Vous savez ce qui arrive à ceux qui tiennent pour les Armagnacs ?

– Si vous voulez dire que vous brûlerez ma maison, je ne pourrai vous en empêcher. Mais vous ne me ferez pas marcher contre ma conscience. Je ne suis pas Armagnac, pas plus que Bourguignon. Je suis bon Français de France, craignant Dieu et servant son roi. Jamais je ne lèverai les armes contre lui !

Laissant aux mains de ses compères l'obstiné orfèvre, Caboche s'était alors approché de Loyse. Contre son propre corps, Catherine avait senti se raidir celui de sa sœur quand l'écorcheur s'était planté devant elle. A cette époque où il était courant, dans les grandes familles, de marier les filles à peine formées, les treize ans de l'adolescente pouvaient comprendre bien des choses.

D'ailleurs Simon Caboche ne cachait nullement le goût qu'il avait pour Loyse. Il ne manquait pas une occasion de la poursuivre quand, par hasard, il pouvait la rencontrer. Ce qui n'était pas toujours facile car Loyse, hormis pour se rendre aux offices à la proche église Saint-Leufroy, située au bout du pont, ou bien pour aller porter des secours à la recluse de Sainte-Opportune, ne quittait pratiquement jamais la maison de ses parents. C'était une fille silencieuse et secrète dont les dix-sept ans avaient plus de gravité que bien des âges mûrs. Elle allait et venait dans la maison, à pas légers, sans faire plus de bruit qu'une souris, ses yeux bleus continuellement baissés, le béguin de toile toujours étroitement serré sur les nattes d'un blond pâle, menant déjà auprès des siens la vie du cloître à laquelle, depuis son plus jeune âge, elle aspirait.

Catherine admirait sa sœur mais la craignait un peu et ne la comprenait pas du tout. Loyse eût été jolie et fraîche si elle n'avait tant aimé les mortifications et si elle avait su sourire. Mince sans maigreur, avec un joli corps souple et flexible, elle avait des traits fins, le nez un peu trop long mais une bouche bien dessinée et un teint très blanc, presque transparent. Catherine, qui éclatait de vitalité, qui n'aimait que le bruit, le mouvement, la gaieté et les chansons, ne s'expliquait pas ce qui pouvait, en cette future nonne, attirer le gigantesque, le tonitruant Caboche si visiblement jouisseur et matérialiste. Quant à Loyse elle– même, il était bien évident que Caboche lui faisait horreur et qu'elle n'était pas loin de voir en lui l'incarnation du Diable. Elle se signa d'ailleurs précipitamment quand il vint vers elle. Caboche fit la grimace.

– Je ne suis pas messire Satan, ma belle, pour qu'on m'accueille de la sorte. Et vous auriez meilleur temps en persuadant votre père de mettre sa main dans la mienne.

Les yeux rivés à la pointe de ses souliers, Loyse murmura :

– Je ne saurais ! Ce n'est point à une fille de conseiller son père.

Ce qu'il fait est bien fait...

Dans la poche de son tablier, elle cherchait furtivement son chapelet sur lequel ses doigts se refermèrent. Puis elle se détourna pour secouer les bûches dans l'âtre, faisant bien comprendre à Caboche qu'elle ne souhaitait pas poursuivre l'entretien. Un éclair de colère brilla dans les yeux pâles de l'écorcheur.

– Demain à pareille heure, on sera peut-être moins fière, la Loyse, quand mes hommes viendront vous arracher à votre lit pour s'amuser de vous ! Mais soyez tranquille, c'est moi qui serai le premier...

Il recula subitement parce que Gaucher Legoix l'avait saisi au collet pour le tirer dehors. L'orfèvre était blanc de colère et la rage décuplait ses forces. Sous sa main maigre Caboche chancela.

– Hors d'ici, cria-t-il la voix tremblante d'indignation, hors d'ici vil pourceau ! Et que je ne te voie plus rôder autour de ma fille !

– Ta fille, ricana Caboche, je l'aurai demain à mon plaisir... et bien d'autres après moi si tu n'entends pas raison.

A la grande terreur de Catherine, Gaucher fou de rage lui sautait déjà au visage mais Cauchon interposa sa robe noire entre les deux hommes, les séparant de toute la longueur de ses grands bras.

– Assez ! fit-il froidement. L'heure n'est pas à ce genre de dispute.

Caboche est trop brutal et Legoix trop impulsif, trop entêté aussi.

Nous allons nous retirer. La nuit, sans doute, portera conseil à chacun.

Et toi Gaucher Legoix, j'espère que tu entendras la voix île la raison.

Assis sur une borne, Landry avait écouté Catherine sans l'interrompre. «

Cette histoire lui donnait à penser et troublait le cours de ses idées.

Il admirait profondément Caboche mais l'opinion de Gaucher Legoix avait son importance à ses yeux. De plus, les menaces proférées contre les habitants de « l'Arche d'Alliance » lui déplaisaient.

Un craquement sec suivi d'un vacarme retentissant coupa le fil de ses pensées. La porte de l'hôtel Saint– Pol venait de s'effondrer et, avec un cri de victoire, la masse populaire se ruait par la brèche ainsi ouverte, comme un torrent qui vient de briser son barrage. En un instant, Catherine et Landry se trouvèrent seuls en face d'un vaste espace vide. À terre demeuraient les cadavres et les blessés, les chiens faméliques qui léchaient les flaques de sang et la bannière blanche que Caboche avait plantée devant la porte. Tout le reste s'était engouffré en un clin d'œil dans les jardins de l'hôtel royal. Landry prit Catherine, figée de terreur, par la main.

– Tu viens ? Ils sont entrés...

La petite eut un mouvement de recul. Ses yeux sombres fixaient la porte arrachée avec une sorte d'angoisse.

– Je crois que je n'en ai plus envie, dit-elle d'une très petite voix.

– Ne fais pas la sotte ! Que crains-tu ? Et jamais tu ne reverras rien de pareil. Allons viens !

Landry était rouge d'excitation. Il avait hâte maintenant de suivre les autres et de prendre sa part du pillage. Son irrépressible curiosité de gamin de Paris jointe au goût de la violence qu'il portait en lui était prête à l'emporter. Catherine comprit qu'il la laisserait seule, au besoin, au milieu de la rue, si elle refusait de le suivre. Alors elle se décida.

D'ailleurs, la rue Saint-Antoine était loin d'être vide. Un peu plus loin que l'hôtel Saint-Pol, tassée entre l'hôtel des Tournelles, la porte Saint-Antoine, les tours crénelées de la Bastille et l'hôtel du Petit-Musc, une autre masse populaire assiégeait la forteresse encore neuve dont les murs blancs s'élevaient si haut au-dessus de sa tête. On savait que l'ancien Prévôt de Paris, Pierre des Essarts accusé de trahison par les émeutiers s'y était enfermé avec 500 hommes d'armes pour tenir la ville en échec. Une foule sans cesse grossie grondait aux portes, traînant des armes, décidée à démolir la Bastille, pierre par pierre, pour en arracher des Essarts. De l'autre bout de la rue, vers la place de Grève, d'autres groupes arrivaient en courant. Certains s'engouffraient dans l'hôtel Saint-Pol, d'autres couraient sus à la forteresse.

Une fenêtre s'ouvrit dans la façade de l'hôtel royal. Un bahut en jaillit qui s'écrasa sur le sol dans un tintamarre de vaisselle métallique.

Cette vue et ce bruit décidèrent Catherine tout à fait. Saisissant la main de Landry, elle se précipita sous le porche dont les portes arrachées pendaient à leurs gonds énormes. La curiosité dominait maintenant la peur chez la jeune fille et elle ouvrait de grands yeux, ravis d'avance de ce qu'ils allaient découvrir.

Mais le vaste jardin dans lequel ils se trouvèrent, une fois les murailles franchies, était déjà dévasté par la ruée de la foule. Les plates-bandes ceinturées de petit buis qui avaient dû enfermer des lys, des roses et des violettes, ne montraient plus que la terre foulée, des tiges brisées, dépouillées de leurs feuilles, des pétales souillés, écrasés. Lys et roses gisaient dans la boue, piétinés.

Au-delà, Catherine découvrit le monde en réduction qu'était l'hôtel Saint-Pol, petite ville dans la ville.

Autour de jardins, de vignes et de bosquets coupés de cloîtres, de cours et de galeries ajourées, il déployait un énorme ensemble de résidences et de chapelles, de métairies, d'écuries et de communs où logeait une armée de serviteurs. Il y avait aussi des ménageries pleines de lions, de léopards de chasse, d'ours et d'autres animaux étranges, des volières remplies d'oiseaux exotiques. Trois demeures distinctes composaient la résidence royale : l'hôtel du Roi bordant les jardins du côté de la Seine, celui de la Reine sur la petite rue Saint-Pol et celui du Dauphin, que l'on nommait aussi hôtel de Guyenne et qui donnait directement sur la rue Saint-Antoine.

C'était vers ce bâtiment que se portait, pour le moment, tout l'assaut de la foule. Dans les jardins, entre l'hôtel de Guyenne et les autres demeures, des hommes d'armes se massaient en courant pour interdire le passage vers le Roi ou la Reine. Mais la foule n'en avait cure, elle avait, pour le moment, ce qu'il fallait à se mettre sous la dent.

Les cours et les escaliers de l'hôtel de Guyenne étaient pleins de monde. Le vacarme y était effroyable, répercuté par les voûtes de pierre et l'immensité des salles. Catherine mit ses mains à ses oreilles.

Des cadavres de serviteurs en cottes de soie violette jonchaient déjà le sol tandis que les précieux vitraux des fenêtres volaient en éclats. Aux murs des escaliers de pierre blanche, les tapisseries à personnages pendaient, arrachées, les fresques se trouaient de coups de hache ou de cette masse ferrée qui servait à abattre les bœufs à l'écorcherie. Dans une vaste salle, la table, toute servie pour le festin, était mise au pillage. On glissait dans les flaques de vin et de sang, dans les sauces grasses et les confitures, on s'arrachait les pâtés et les pièces rôties, on butait dans les armes et les plats jetés un peu partout quand ils n'étaient pas d'or ou d'argent. On s'écrasait. Mais, grâce à leur agilité et à leur souplesse, Landry et Catherine parvinrent jusqu'au premier étage sans avoir été trop molestés. Catherine s'en tirait avec une estafilade à la face et quelques cheveux arrachés. Le garçon était même parvenu à s'emparer, sur un coin de table, de quelques petits pains à la frangipane qu'il partagea équitablement avec son amie. Ils furent les bienvenus : Catherine mourait littéralement de faim.

Tout en croquant ce ravitaillement inattendu, ils se trouvèrent poussés, par un remous de la foule, dans une grande pièce d'où partaient des cris et des éclats de voix. Cette salle parut à Catherine le comble de la magnificence. Elle n'avait jamais rien vu de comparable aux immenses tapisseries de soies multicolores, parfilées d'or, qui pendaient aux murailles. Elles représentaient de belles dames, en robes rutilantes, se promenant dans des prairies émaillées de fleurs avec de grands chiens blancs ou bien, écoutant de la musique, assises sous un dais à glands d'or. Une énorme cheminée de pierre blanche, découpée aussi finement qu'une dentelle occupait tout le fond de la pièce avec un grand lit surélevé de trois marches et tout drapé, depuis le baldaquin jusqu'aux degrés, de velours violet à crépines d'or. Les armes de Guyenne et de Bourgogne étaient frappées sur le chevet.

Tout autour de la pièce, ce n'étaient que dressoirs chargés de vases, de coupes ciselées et rutilantes de pierreries et aussi de ces vases aux formes fantastiques, venus de Venise et dont les verreries irisées luttaient d'éclat avec les plus beaux joyaux. Les yeux de Catherine brillaient comme des étoiles en contemplant toutes ces choses mais elle n'eut guère le loisir de s'y attarder longtemps. La scène à laquelle ce beau décor servait de cadre était suffisamment dramatique.

Dans les deux personnages debout devant la cheminée, Catherine reconnut le duc de Bourgogne et son fils, Philippe de Charolais, qu'elle voyait souvent passer sur le pont, devant la maison de ses parents. Mais jamais elle n'avait vu de si près le redoutable Jean-Sans-Peur. Bien planté sur ses jambes courtes, regardant toutes choses de ses yeux à fleur de tête, il semblait tenir tout le fond du décor. Il y avait, dans cet homme, quelque chose d'implacable comme le destin.

Très différent de son père était le comte Philippe de Charolais. Il était grand pour ses dix-sept ans, mince et blond, avec un regard fier et un maintien imposant, des traits fins et une bouche spirituelle qui devait aimer sourire. Vêtu de vert et d'argent, il se tenait un peu en arrière de son père, dans une attitude déférente. Le regard de Catherine s'attarda un instant sur lui parce qu'elle le trouvait beau et d'agréable tournure. Mais auprès d'eux, s'adressant au duc d'une voix tremblante de colère et de douleur, il y avait un gros jeune homme de seize ou dix-sept ans, vêtu d'un costume somptueux, mi-partie écarlate, mi-partie noir et blanc, barré d'un grand baudrier d'or. Le chagrin et la fureur impuissante étaient peints sur les traits mous de ce garçon qui, Landry le chuchota à son amie, était le Dauphin Louis de Guyenne.

Autour des trois personnages où se centralisait le drame, des émeutiers maîtrisaient à grand-peine plusieurs seigneurs, blessés et sanglants, mais se débattant encore furieusement. Un corps poignardé gisait sur le dallage de marbre noir et blanc, perdant son sang lentement. Et le contraste était saisissant entre l'impassibilité apparente des deux Bourguignons, la fureur des émeutiers et les larmes que versait le Dauphin dont les mains se tendaient maintenant en un geste d'imploration. Au premier rang des furieux Catherine pouvait voir s'agiter Caboche, son chaperon blanc en bataille, la chemise trempée de sueur, contrastant avec la robe noire, les gestes mesurés et le maintien glacial de Pierre Cauchon. C'est ce dernier, si calme, qu'elle jugea effrayant.

Le tumulte était à son comble. Les révoltés s'étaient emparés de plusieurs hommes de tous âges et les entraînaient vers la rue après les avoir étroitement ligotés. Deux d'entre eux s'étaient attaqués à un très jeune homme qui pouvait avoir au plus seize ans. Une jeune femme tentait de lui faire un rempart de son corps malgré les efforts qu'il faisait pour l'écarter. Elle était brune et charmante, enfantine encore malgré la lourde robe de damas mordoré qui l'écrasait un peu et la haute coiffure à deux cornes drapées de mousseline blanche. Elle pleurait en essayant de retenir contre elle le jeune homme, suppliait qu'on le lui laissât. Comme les émeutiers portaient les mains sur elle pour lui faire lâcher prise, la colère du Dauphin éclata. Arrachant son épée du fourreau, il bondit, vif comme la foudre, transperça de deux coups rapides les hommes qui avaient osé toucher son épouse, puis tourna la lame sanglante vers Jean-Sans-Peur.

– Quel misérable êtes-vous donc, mon cousin, pour laisser ainsi rudoyer sous vos yeux ma femme, votre propre fille ? Cette émeute se fait sur votre conseil.et vous ne pouvez vous en défendre car je vois là, avec ces gens, ceux de votre hôtel. Mais soyez sûr qu'une fois il m'en souviendra et que la besogne n'ira pas toujours à votre plaisir.

Philippe de Charolais avait, instinctivement, tiré son épée lui aussi pour se porter au secours de sa sœur. Il s'en servit pour écarter doucement la pointe dardée sur la poitrine de son père. Le duc n'avait pas bronché. Seulement haussé les épaules.

– Quoi que vous en pensiez, Louis, je ne puis rien dans la conjoncture actuelle. Je reconnais que les événements me dépassent et que je ne suis plus maître de ces brutes. Sinon, je sauverais au moins les serviteurs de ma fille...

À l'impuissante fureur de Catherine, fascinée, le jeune homme que voulait défendre la Dauphine avait enfin été capturé. Trouvant le chemin libre, quand les deux-hommes étaient tombés sous la lame du Dauphin, il avait couru vers une fenêtre pour sauter dans le jardin mais trois écorcheurs et deux mégères échevelées s'étaient pendus à lui. Écroulée en travers le lit, la petite duchesse sanglotait éperdument.

– Sauvez-le, mon père, je vous en supplie. Pas lui... pas Michel, c'est mon ami...

Mais le duc eut un geste d'impuissance qui arracha à Catherine un cri indigné. Madame la Dauphine lui plaisait beaucoup, elle eût voulu l'aider. Ce duc qui laissait pleurer sa fille devait vraiment être un mauvais homme... Le comte de Charolais était pâle jusqu'aux lèvres.

Il était lui-même marié à la sœur du Dauphin, la princesse Michelle, et le chagrin de Marguerite lui était pénible. Mais il ne pouvait rien faire. Caboche et son acolyte, Denisot de Chaumont, venaient de mettre eux-mêmes la main au collet du jeune prisonnier. Ils l'enlevèrent à ceux qui étaient occupés à lui lier les mains derrière le dos, le maintinrent debout entre eux deux. D'une secousse, le jeune homme les bouscula. Catherine poussa un cri que nul n'entendit.

C'était, pour son âge, un garçon singulièrement développé et vigoureux que Michel de Montsalvy. Les bouchers écartés une brève seconde, il courut au duc de Bourgogne, se planta devant lui. Sa voix furieuse domina le tumulte.

– Tu n'es qu'un lâche, duc de Bourgogne, traître et félon à ton Roi dont tu laisses souiller la demeure. Et je te déclare indigne de porter les éperons de chevalier...

Revenus de leur surprise, Caboche et Denisot récupéraient leur prisonnier sans douceur. Ils voulurent l'obliger à s'agenouiller devant celui qu'il venait d'insulter. Il se débattit comme un démon malgré ses liens, jouant si vigoureusement des pieds qu'une fois de plus les bouchers s'écartèrent. Il se rapprocha de Jean-Sans-Peur, comme s'il avait encore quelque chose à dire. Celui-ci, le visage crispé, ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais il n'en eut pas le temps. On le vit blêmir, porter la main à son visage au plein duquel Michel de Montsalvy venait de cracher...

Catherine comprit obscurément que le jeune homme venait de signer son arrêt de mort !

– Emmenez-le ! ordonna le duc d'une voix rauque. Faites-en ce que vous voudrez ! Les autres seront conduits à mon hôtel où, pour cette nuit, ils seront mes hôtes. Je vous en réponds, beau-fils.

Sans répondre, le dauphin Louis lui tourna le dos et s'en alla cacher son visage contre le manteau de la cheminée. La petite duchesse sanglotait toujours, refusant les consolations que son frère tentait de lui prodiguer.

– Je ne vous pardonnerai jamais !... Jamais ! balbutiait-elle entre deux sanglots.

Cependant, Caboche et Denisot avaient récupéré à la fois leurs esprits et leur prisonnier, avec l'aide de quelques compagnons. Ils l'entraînaient maintenant vers l'escalier.

Catherine glissa une main tremblante dans celle de Landry, et chuchota :

– Que vont-ils lui faire ?

– Le pendre et un peu vite j'espère ! C'est tout ce qu'il mérite ce sale Armagnac. Tu as vu ? Il a osé cracher au visage de notre duc...

Et, incontinent, Landry se joignit au chœur forcené qui, dans l'escalier criait déjà «À mort !... ». D'une secousse Catherine arracha sa main. Elle était devenue écarlate jusqu'à la racine de ses cheveux blonds.

– Oh !... Tu me dégoûtes, Landry Pigasse !...

Avant que Landry, stupéfait, ait eu le temps de se reconnaître, elle lui avait tourné le dos et s'était perdue dans la foule, ouverte un bref instant pour laisser passer le cortège du captif. Elle se lança dans son sillage.


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