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L'Arrestation de Fantômas (Арест Фантомаса)
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Текст книги "L'Arrestation de Fantômas (Арест Фантомаса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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***

À midi et demi, après un bon déjeuner qu’ils avaient arrosé d’un vin d’excellente qualité, Juve et Fandor se retrouvaient, assis dans le jardinet formant la cour du petit hôtel où ils étaient descendus.

Mais tandis que Juve, une heure auparavant, était silencieux, un peu sombre, alors que Fandor était de bonne humeur, suivant son habitude, c’était exactement tout le contraire aujourd’hui. Juve plaisantait et Fandor boudait.

– Mon petit, expliqua le policier parlant à haute voix, n’ayant nullement l’air de redouter que l’on entendît ses paroles, mon petit, il faut se faire une raison. Puisque nous avons été assez heureux pour sauver le portefeuille rouge du naufrage du Skobeleff, il faut que nous employions tous les moyens possibles pour arriver à voyager avec lui jusqu’à Paris sans nous exposer à ce qu’on nous l’enlève. Voyons, que proposes-tu ? Où cacher le portefeuille ?

– Que diable, vous êtes fou de parler ainsi Juve ? Voilà que vous criez maintenant à tous les échos que nous détenons le portefeuille ? Ah çà, vous n’avez donc pas aperçu Ellis Marshall et Sonia qui dînent sous cette tonnelle, à moins de cinq mètres de nous et qui certainement ne perdent pas de vue un seul de nos mouvements ? Vous voulez donc que nous ayons tout le monde à nos trousses ?

– Peu nous importe, va. Nous serons bien assez malins pour déjouer leur poursuite, et puis, d’abord, là n’est pas la question. Comment proposes-tu de faire voyager le portefeuille rouge ? Réponds.

– Eh bien que diriez-vous de cette proposition : cacher cette maudite serviette de maroquin dans un train ? Nous prendrions le train suivant.

– On fait dérailler un train, Fandor.

– Alors, si nous frétions une automobile ?

– Encore plus sot, Fandor. Une automobile a des pannes, brûle. Trouve autre chose.

– C’est difficile. Tiens, au fait, pourquoi n’enverrions-nous pas le document par la poste ?

– Parce que l’on vole à la poste.

– Vous avez raison. Mais vous êtes bien difficile. Que proposez-vous, vous ?

Juve décidément avait complètement perdu ses habitudes de prudence. Ostensiblement et alors qu’il savait les deux agents Sonia et Ellis Marshall embusqués à quelques pas de lui, il tira de sa poche le fameux portefeuille rouge.

– Mon petit Fandor, la meilleure cachette que je connaisse la voici : le portefeuille est dans ma poche. Il y restera jusqu’au moment où je le remettrai au lieutenant prince Nikita. J’imagine qu’on ne me le prendra pas à mon insu. D’ailleurs, pour plus de sûreté et pour occuper les quatre jours qui nous séparent du moment où nous pourrons nous en débarrasser, Fandor : voyageons à petite journée. Ce soir allons coucher à Morlaix. Demain nous irons un peu plus loin.

Le policier soudain, éclata de rire :

– Ma foi, Fandor, continua Juve, – mais maintenant le policier parlait à voix basse, – je crois que nous avons merveilleusement joué notre comédie. Tu entends ce ronflement de moteur ? Il y a gros à parier que c’est la voiture de Sonia et d’Ellis Marshall qui démarre. Quand j’ai dit : « Nous coucherons à Morlaix », j’ai parfaitement vu le couple tressaillir de joie. Ces imbéciles vont aller nous attendre sur la route. Ces imbéciles vont nous arracher ce fameux maroquin.

– Qu’ils ne nous enlèveront pas.

– Et pour cause.

Puis Juve, amicalement, pressa Fandor :

– Et maintenant, mon petit, allons acheter quelques vêtements de rechange, une valise et filons tout droit sur Morlaix, comme je te le disais tout à l’heure.

8 – DEUX MONSTRES

Un bruit de pas, un froissement d’herbe, quelques grognements sourds, le bruit d’une lutte rapide dans l’ombre, puis soudain la lueur blafarde d’un rayon de lune perçant la dentelure des ruines de la cathédrale gothique édifiée jadis sur la pointe Saint-Mathieu.

Deux hommes se trouvaient en présence, ils haletaient l’un et l’autre. Ils venaient de se battre.

Ces deux hommes étaient seuls dans la nuit et celle-ci se poursuivait, froide, sombre, silencieuse ; au large, la mer s’était calmée. On n’entendait plus que le bruit discret et monotone des vagues longues et nonchalantes déferlant au loin.

Les deux hommes s’examinaient sans songer à reculer ou à avancer d’un pas. Farouches, mais autant l’un d’eux paraissait lourd, vulgaire, robuste, massif, autant l’autre avait une apparence fine, distinguée, élégante et majestueuse.

Le premier de ces hommes était Jean-Marie.

Jean-Marie, soudain, s’était senti empoigné à l’épaule, il n’avait pas autrement résisté. Depuis vingt-quatre heures qu’avait eu lieu le naufrage du Skobeleff, il vivait dans la crainte, redoutant à chaque instant que sa complicité avec les naufrageurs n’eût été soupçonnée, qu’on ne vînt l’arrêter.

Mais peu à peu, après la résistance machinale qu’il avait opposée à l’homme surgi de l’ombre pour se précipiter sur lui, Jean-Marie l’étudiait avec une certaine curiosité.

Il était enveloppé dans un grand manteau noir. Sur son front s’abaissait un chapeau mou noir, à grands bords souples.

– Que fais-tu par ici, Jean-Marie ?

– Vous regarde pas.

– Parle, je veux savoir.

– On m’interrogera plus tard si l’on veut, pour le moment je ne dirai rien, j’aurai bien le temps de causer au poste, fit Jean-Marie.

– Me prends-tu donc pour un gendarme ?

– Non, mais pour un flic en civil.

– Tu te trompes, Jean-Marie. Je suis mieux que cela, tu ne m’as donc pas reconnu ?

– Non.

L’homme se pencha plus près encore de l’oreille du Breton, et, lentement :

– Je suis Fantômas, dit-il.

– Ah, répondit Jean-Marie, tant mieux, ou tant pis pour vous.

– Jean-Marie, poursuivit le bandit, sais-tu qu’il me suffirait d’une seconde de volonté pour t’abattre immédiatement à mes pieds. Tu n’as pas d’arme.

Jean-Marie haussa les épaules :

– À quoi cela vous servirait ? Vous êtes donc fou ? ou alors est-ce que vous avez l’intention de tuer pour le plaisir ?

– Je ne tue jamais sans raison. J’ai simplement voulu, Jean-Marie, te faire remarquer que tu étais en mon pouvoir.

Le Breton secoua lentement la tête :

– Je ne dépends de personne, on ne peut s’assurer les services de Jean-Marie qu’en lui donnant un peu d’or, le reste me laisse froid, je n’ai qu’un amour au monde, je n’ai qu’une passion.

Fantômas glissa dans la main velue du Breton quelques louis.

– Quel est donc ton métier ?

– Pourquoi me demandez-vous cela ?

– Pour savoir. On pourrait t’employer.

– Je sais tuer comme personne : je suis équarrisseur. Voilà longtemps, très longtemps déjà que je n’ai rien fait. Il faut que je reprenne le métier, je regrette Paris, voyez-vous, et j’y retournerai bientôt.

– C’est là, sans doute, Jean-Marie, que tu retrouveras tes amours. J’ai entendu dire qu’une certaine Fleur-de-Rogue…

– Je me moque des femmes, et ne ferais pas un pas pour elles. Je n’ai qu’un amour, vous ai-je dit, qu’une passion.

– Laquelle ?

– Le sang, je veux voir couler du sang.

Fantômas, qui avait maintes fois entendu parler, dans les milieux d’apaches auxquels il commandait mystérieusement, de Jean-Marie l’équarrisseur et de sa cruauté proverbiale, se disait qu’il y avait évidemment là un serviteur précieux dont il convenait de s’assurer les bonnes grâces.

Fantômas, généreux, glissa encore dans la main du Breton quelques louis d’or que l’homme accepta avec une satisfaction visible, puis Jean-Marie, peu à peu, se familiarisa, raconta ses projets :

– Tenez, fit-il, soudain, Fantômas, vous me plaisez, comme j’ai besoin de vous pour une affaire, je vous propose d’y participer avec moi.

– De quoi s’agit-il ?

– De tuer et de tuer pour voler ensuite.

– Bonne idée, le projet ?

– Je suis embauché en qualité de domestique dans un manoir voisin d’ici, au manoir de Kergollen, chez une certaine dame Brigitte. Elle vit seule, isolée, elle est vieille, elle est riche. Je sais qu’elle a de l’or.

– Jean-Marie, dit Fantômas, il ne faut pas commettre ce crime, je ne le veux pas.

– Bien, fit-il, je le commettrai donc tout seul.

– Non, ordonna Fantômas, tu ne toucheras pas à un seul cheveu de la tête de cette femme, tu ne lui prendras pas un centime.

– J’agirai comme il me plaira.

– Jean-Marie, il ne faut pas songer un seul instant à enfreindre ma colère, sans quoi tu pourrais t’en repentir.

– Je ne me repens jamais et je n’ai peur de rien.

Jean-Marie était brutal et entêté, mais Fantômas était habile.

Dominant ses sentiments de colère, le génie du crime se fit soudain aimable et séduisant. Il tendit la main à l’équarrisseur :

– Jean-Marie, tu me plais, car tu es brave, j’ai voulu t’éprouver. Oui j’accepte de m’associer avec toi pour l’affaire dont tu parles et je sais que tu ne la commettras pas sans moi, car nous n’avons l’un et l’autre qu’une parole. Si j’ai voulu t’empêcher d’agir, c’est pour te protéger. Crois-moi, le coup ne peut pas réussir en ce moment, mais il sera bon dans trois jours.

– Dans trois jours ?

– Oui. J’ai des raisons que je t’expliquerai.

Fantômas finit par convaincre Jean-Marie. D’accord, ils allaient se séparer, ils se retrouveraient dans trois jours, dix heures et quart précises du soir, à l’entrée des offices du manoir de Kergollen. Jean-Marie guiderait le génie du crime à travers les couloirs du vieux manoir, et Fantômas agirait, tuerait la vieille dame, pendant que Jean-Marie s’emparerait des trésors.

Ils allaient se séparer. Jean-Marie rappela Fantômas :

– Écoutez, j’ai quelque chose à vous dire. Une amabilité en vaut une autre.

– Parle.

– Tout ce qui concerne le naufrage du Skobeleffvous intéresse je suppose.

– Exact.

– Eh bien, fit Jean-Marie, j’ai vu…

Le bandit raconta la scène dont il avait été témoin à la fin de la nuit précédente. Il avait vu un officier aller se dissimuler dans une masure, après avoir troqué son uniforme contre des vêtements de femme :

– Cet homme habillé en femme est allé ensuite à deux kilomètres d’ici et a découvert dans la falaise une anfractuosité dans laquelle avec mille précautions, il a enfermé quelque chose, d’évidemment précieux.

– Alors ?

– Alors, fit Jean-Marie, voilà tout. C’est intéressant ?

– Non. Toutefois une chose m’intéresse cependant, cet homme déguisé en femme, cette femme qu’est-elle devenue ?

Jean-Marie n’en savait rien. Fantômas le lui apprit :

– Cette femme, car c’est une femme, en effet, a eu d’impérieuses raisons pour se dissimuler, pour fuir. Il faut absolument la retrouver et rien ne nous sera plus facile, car tu connais son signalement, et je vais te mettre sur sa piste.

– Pourquoi faire ?

– Pour la protéger. Je veux que ce soit toi seul qui le fasses, tu seras largement payé.

Il promit de l’or à l’équarrisseur.

Lorsqu’ils furent d’accord, Fantômas expliqua :

– Tu vas partir, Jean-Marie, partir tout de suite, tu iras sur la route à Morlaix, à Saint-Brieuc, à Dinan, plus loin encore si c’est nécessaire, jusqu’à ce que tu aies retrouvé une roulotte brune, traînée par un cheval gris pommelé. Dans cette roulotte habitent deux bohémiens, que l’on connaît sous le nom du père et de la mère Zizi. Ils étaient hier encore dans les faubourgs de Brest. Tu rejoins cette roulotte, la femme que nous cherchons et qu’il faut protéger y est montée, et tu la suis.

– Et qu’est-ce que je fais, après ?

– Tu la suis, tu ne la quittes pas d’une semelle et, quoi qu’il arrive, tu la protèges contre tous ceux qui lui voudraient du mal, qu’il s’agisse des copains de notre bande ou de la police.

– Combien de temps, ça ?

– Dans trois jours, Jean-Marie, je t’aurai rattrapé. Est-ce entendu ?

Jean-Marie n’avait qu’une parole.

Certes, il ne comprenait pas très bien le but que se proposait Fantômas, mais si grande était la fascination qu’exerçait sur tous ceux qui l’approchaient, le bandit, que l’indomptable Jean-Marie lui-même finissait par trouver naturel de lui obéir. Il irait donc, il agirait comme l’avait ordonné le bandit et cela arrangeait l’équarrisseur somme toute, de s’éloigner momentanément, sans regagner immédiatement Paris toutefois, où la police devait s’inquiéter du retour des apaches.

Jean-Marie s’éloigna dans la nuit, heureux d’entendre tinter l’or au fond de sa poche.

Et il combinait déjà sa nouvelle existence.

Tout d’abord, il allait passer au manoir, prétexter auprès de dame Brigitte d’une indisposition qui l’obligeait à entrer à l’hôpital. Il partirait ensuite sur les traces de la mystérieuse roulotte, mais à part soi, Jean-Marie se promettait, coûte que coûte, de revenir au manoir dans trois jours, d’être fidèle au rendez-vous.

Une fois seul, Fantômas s’assit à l’ombre d’un rocher et réfléchit, humilié d’avoir été obligé de pactiser avec cet obscur bandit, avec cette brute inhumaine sur laquelle aucune influence n’agissait, qui ne redoutait rien, pas même la mort, et qu’on ne pouvait séduire qu’en lui promettant de faire couler des flots de sang.

Fantômas s’applaudissait toutefois de n’avoir pas tué comme une bête venimeuse l’être qui, deux heures auparavant, avait osé lui résister. Il s’applaudissait de l’avoir fait parler : le Roi du Crime paraissait tout heureux d’avoir découvert les intentions de Jean-Marie, relativement à dame Brigitte et surtout, il semblait enchanté d’avoir lancé le Breton sur la piste étrange de la jeune femme partie dans la verdine des Bohémiens.

Soudain, Fantômas eut un sursaut, le récit de Jean-Marie lui revenait à la mémoire, l’équarrisseur n’avait-il pas vu Hélène s’en aller au creux de la falaise dissimuler quelque chose ? Eurêka. Le portefeuille, le fameux portefeuille rouge que Juve et Fandor étaient venus prendre à bord du Skobeleff, c’était Hélène, sa fille Hélène, qui s’en était emparée, Hélène, plus habile que les policiers, plus adroite, même, que son père.

Mille petits détails revenaient à l’esprit de Fantômas et le confirmaient dans cette supposition et plus il y réfléchissait, moins il éprouvait de doute. Si Juve et Fandor avaient eu le portefeuille, ils seraient immédiatement partis avec pour Paris. Or, Fantômas les savait encore à Brest.

Mais pourquoi sa fille, au lieu de garder sur elle le précieux document, l’aurait-elle caché avant son départ ?

Et soudain, Fantômas partit à grands pas en direction de la falaise, à l’endroit désigné par le seul et unique témoin de ces mystérieux incidents : Jean-Marie.

Deux heures plus tard, Fantômas revenait lentement dans le voisinage du manoir de Kergollen. Le jour commençait à poindre et le bandit songeait à se dissimuler dans l’épaisseur obscure des bois qui s’étendent à droite du manoir.

Fantômas avait son air soucieux, son visage farouche. Avait-il échoué dans ses recherches ?

Fantômas, lorsqu’il était arrivé à pied d’œuvre, avait trouvé dans le sable, la trace nette et distincte des chaussures de sa fille. En même temps, le bandit avait trouvé, plus profondes, plus fraîches peut-être, des empreintes d’homme : ces empreintes, Fantômas en avait eu le pressentiment, puis la certitude, étaient celles de Juve et Fandor.

En vain, Fantômas avait exploré les coins et les recoins de ce rocher dentelé qui comportait mille cavités : pas de portefeuille. Hélène devait avoir été jouée par Juve et Fandor.

Il ne pouvait admettre que ce portefeuille, Hélène ne l’avait dissimulé que pour permettre à Juve et à Fandor de le retrouver.

Cela Fantômas ne pouvait, ne voulait pas le croire, et cependant…

Fantômas s’enfonçait dans l’obscurité créée par l’ombrage des chênes majestueux, il serra les poings, grommela :

– J’en aurai le cœur net, car il faut que je sache.

Puis il ajouta, comme s’il se donnait un ordre :

– En tout cas, Juve et Fandor ne doivent pas arriver à Paris, s’ils sont possesseurs du portefeuille. Or, j’ai le pressentiment, la conviction que ce document est désormais entre leurs mains.

Et le bandit ajouta avec un ricanement féroce :

– Pas pour longtemps.

9 – LA CHAMBRE DE FORCE

Le brigadier et le gendarme décidèrent de boire un pichet de cidre.

– Hue, Blanche Étoile, commença le brigadier.

– Hue, Fleur de Mai, dit son compagnon.

Blanche Étoile et Fleur de Mai, qui étaient de braves bêtes, prirent le trot, un trot pas pressé, d’ailleurs, car, dans la gendarmerie, surtout en service commandé, on a toujours le temps, et de la sorte, dans un grand cliquetis d’armes, dans le martèlement du sabot de leurs chevaux, soulevant une épaisse poussière, reluisants à tous les rayons du soleil grâce à leurs boutons de cuivre astiqués, à tout leur harnachement voyant, les policiers – car les gendarmes sont des policiers – gagnèrent le cabaret des Trois-Écus, signalant leur présence d’une lieue à la ronde à tous ceux que, par devoir, ils devaient s’efforcer de surprendre en flagrant délit.

***

– Dis donc, camarade, qu’est-ce que tu dirais d’un verre de rouge ?

– Merci, vieux, je préférerais une croûte de fromage et du pain.

– L’un ne va pas sans l’autre… Eh, tavernier, du pain et du fromage. Tiens, la maréchaussée !

À l’intérieur du mastroquet, – car c’était un véritable mastroquet que cette sordide auberge des Trois-Écus, construite au croisement de deux routes, en plein champ, où se réunissaient tous les rouliers d’alentour – deux pauvres hères, l’un d’une quarantaine d’années, l’autre plus jeune, s’apprêtaient à « casser la graine », quand dans l’encadrure de la porte, la silhouette des deux Pandores s’était dessinée.

Les gendarmes sont gens du monde.

– Messieurs, dames, nous vous saluons, commença le brigadier. Deux pichets de cidre. Versez-nous à boire la belle enfant.

Mais si le brigadier pouvait – ainsi que son grade l’y autorisait – regarder les belles, le simple soldat qui l’accompagnait estimait que son devoir était de rester toujours correct dans le service. Ne prêtant donc pas attention à la conduite de son chef, il s’occupa à examiner, hautain et dédaigneux, les consommateurs qui se trouvaient déjà dans le débit.

Le compagnon du brigadier Sosthène, plus exactement le gendarme Pancrace, n’eut pas grand-peine, d’ailleurs, à s’acquitter de sa mission bénévole, puisque aussi bien ces consommateurs n’étaient qu’au nombre de deux, les deux miséreux entrés quelques minutes auparavant aux Trois-Écus.

Des miséreux ?

Pour l’œil d’un gendarme – d’un gendarme qui aime son métier, qui se délecte aux arrestations faciles, qui trouve superbe d’emmener au long d’une route, lui-même étant à cheval, un pauvre bougre quelconque surpris en train de braconner – il n’est pas de pauvre hère.

– Brigadier, dit Pancrace, ces deux hommes…

Le brigadier Sosthène était homme de devoir.

Bien qu’intérieurement, au plus profond de sa conscience, il eût fort envie à ce moment d’envoyer au diable son zélé subordonné, il se rendit compte qu’il devait se rendre à sa prière. Et en avant pour l’interrogatoire d’identité des deux suspects.

Les deux pauvres bougres se regardèrent ayant l’air fort interloqués.

– Dame, commença celui qui paraissait le plus âgé ; dame, mon brigadier, ça n’est pas de refus. Si c’est que vous voulez savoir, comment nous nous appelons, on va vous le dire.

– Et plus vite que ça.

– Eh bien voilà, mon brigadier. Mon compagnon, c’est Victor et moi c’est Jean, Jean-Émile ou Émile-Jean comme vous voudrez.

À la vérité, cette réponse n’offrait aucun caractère suspect.

Tout autre que le brigadier Sosthène eût même estimé qu’il était parfaitement légal de s’appeler Victor et Émile-Jean, mais le brigadier Sosthène se targuait d’un flair exceptionnel.

Toujours pour étonner la petite servante, qui maintenant le considérait avec des yeux stupides, car elle commençait à le trouver fort beau dans l’exercice de ses fonctions, le brigadier Sosthène se mit à hurler :

– Je m’aperçois mon gaillard, que vous êtes des fortes têtes. Victor, eh, eh, comme le prince Napoléon ? Tiens. Et la République alors ? Moi, je crois que votre cas va être clair. Alors, votre camarade s’appelle Victor et vous Émile-Jean ? Gendarme, écrivez cela. Vous avez des papiers sans doute ?

Le pauvre bougre, qui paraissait maintenant complètement ahuri sous le flot de paroles du brigadier, hocha négativement la tête :

– Non. On n’a pas de papiers. Dans notre profession…

– Je vois ce que c’est votre profession ? Qu’est-ce que vous faites ?

– Mon brigadier, on est « sur le trimard », mais on est quand même de braves gens.

– Suffit, dit le brigadier Sosthène, gendarme, buvez votre pichet de cidre, et fouillez-moi ces personnes. Il n’y a pas d’honnêtes gens là où il n’y a pas de papiers.

Évidemment l’affaire se corsait.

Les deux gendarmes étaient partis le matin même en tournée d’inspection, sur un ordre de leur colonel qui leur avait enjoint de mieux surveiller les routes où pullulaient les gars de batterie, les chemineaux sans abri. Ils songeaient vraisemblablement que le hasard venaient de les mettre en présence d’un de ces « dangereux » individus qui n’hésitent pas à voler des pommes et même à assassiner les poules.

Il fallut une seconde à peine au gendarme Pancrace pour avaler son pichet de cidre, et encore le fit-il avec une si grande précipitation qu’il manqua s’étrangler.

Et merveilleux de dignité, le képi en arrière, les bras grands ouverts, le gendarme Pancrace s’approcha des deux chemineaux.

Et il s’apprêtait à fouiller, de force, dans les poches du plus âgé des trimardeurs… lorsque, soudain, avec une souplesse dont on ne l’aurait pas cru capable à première vue, le misérable glissa sous les bras du pandore, sauta d’un bond auprès du brigadier, qui, déjà légèrement apeuré, fit de vains efforts pour sortir du fourreau son sabre gigantesque.

– Brigadier, déclara le trimardeur, conformément à la Loi, je réclame le droit de ne parler qu’à la gendarmerie devant votre colonel.

Et, en même temps, le trimardeur tirait de sa poche un grand portefeuille rouge qu’il agitait triomphalement :

– Oui, j’ai des papiers. Mais ce n’est pas à vous que je vais les confier. C’est au colonel.

Tandis que la petite servante pensait s’évanouir d’effroi et hurlait maintenant d’inintelligibles invocations à la vierge Marie, à sainte Anne d’Auray, à saint Joseph son patron, les deux gendarmes échangèrent des œillades affolées.

– Diable de diable, dit Pancrace, c’est à n’y rien comprendre du tout, brigadier. Il disait tout à l’heure qu’il n’avait pas de papiers, et puis maintenant il a un portefeuille, et puis il a à parler au colonel. Bon dieu de bonsoir, qu’est-ce que signifie tout cela ?

Le brigadier n’était pas beaucoup plus rassuré.

Lui aussi, d’un œil sans expression, mais où se lisait un ahurissement absolu, contemplait le chemineau qui avait déclaré s’appeler Émile-Jean, et qui, maintenant, debout à ses côtés, le visage dur, l’air impassible et furieux, semblait attendre qu’il prît une décision.

– Bon dieu de bonsoir de bois et nom d’un ventre rouge de nom de gendarme, jura le brigadier Sosthène. Gendarme Pancrace, au nom de la Loi, je crois qu’il convient nécessairement de mettre en état d’arrestation et d’incarcération ce particulier-là ?

Puis, soudain, considérant que le chemineau Émile-Jean avait un compagnon, le brigadier Sosthène ajoutait :

– Mais, voyons un peu à voir, gendarme Pancrace, si le nommé Victor, susdit et désigné, n’a rien de dangereux ni de compromettant sur lui ?

Le gendarme Pancrace n’écouta que son courage.

Tout comme il avait voulu le faire pour le chemineau Émile-Jean, il s’avança donc les bras ouverts dans la direction du chemineau Victor.

Le digne Pancrace n’avait pas fait deux pas dans la direction du second chemineau, qu’exactement à la façon dont Émile-Jean avait agi, Victor se glissait sous ses bras, échappait aux mains velues qui se dirigeaient vers lui.

Le second trimardeur cria, lui aussi :

– Brigadier, arrêtez-moi si vous voulez, mais je ne parlerai que devant votre colonel.

***

Sept kilomètres sont peu de chose.

Si ce n’est lorsqu’il faut franchir ces sept kilomètres menottes aux mains et marchant à pied entre deux gendarmes qui se prélassent, eux, sur leur robuste monture.

Or, c’était à pied, entre leurs deux chevaux, et les tenant par de longues menottes dont il gardait la chaîne en main, que le brigadier Sosthène et le gendarme Pancrace avaient ramené à la gendarmerie leurs deux prisonniers.

Il n’était donc pas étonnant qu’Émile-Jean, tout comme Victor, les deux trimardeurs, fussent littéralement rompus de fatigue au moment où, toujours grave et digne, le brigadier Sosthène vint les chercher dans la chambre de force où on les avait bouclés, pour les conduire auprès du colonel de gendarmerie, averti de leur arrestation, et probablement désireux de les interroger.

– Criminels, ordonna le brigadier Sosthène, mettez-vous debout, et pas à pas en marchant, suivez-moi. Vous allez voir le colonel.

Le brigadier Sosthène, cependant, qui n’était pas peu fier d’avoir arrêté deux assassins, qui « devaient être » prochainement « convaincus d’assassinat », avait-il affirmé à tous ses collègues, devait aller de désillusion en désillusion.

À peine, en effet, le digne sous-officier eut-il conduit dans le cabinet du colonel de la gendarmerie les nommés Victor et Émile-Jean, que le colonel, d’un geste aimable de la main, congédiait le brigadier Sosthène.

– Cela va bien, mon ami, je vous rappellerai tout à l’heure.

Puis, l’ordre donné, le colonel avait ajouté, comble d’ingratitude :

– Fermez la porte, n’est-ce pas, et mettez un planton devant mon cabinet. Je désire que personne n’entende l’interrogatoire de ces deux hommes.

***

Pourquoi le colonel de gendarmerie avait-il renvoyé le brigadier Sosthène au moment où il s’apprêtait à interroger les deux trimardeurs ?

L’inséparable compagnon du gendarme Pancrace se le demandait, certes, mortifié.

Il eût été bien autrement ahuri, si la porte une fois refermée sur lui, il avait pu apercevoir le sourire qui flottait sur les lèvres de son chef. Car, en vérité, le colonel Mastillard souriait.

Il souriait même des plus ostensiblement, en regardant les deux trimardeurs, en leur disant, d’une voix fort aimable :

– Êtes-vous satisfaits, messieurs ? Mais, avant tout, désirez-vous prendre quelque rafraîchissement ? Croyez que je suis au regret de n’avoir pu adoucir votre sort, mais je tenais à exécuter fidèlement la consigne qui m’avait été transmise.

– Et nous vous remercions, précisément, mon colonel, de la façon dont cette consigne a été exécutée.

Car, en vérité, ce trimardeur, cet Émile-Jean, cet assassin présumé, paraissait fort à l’aise et répondait, sans le moindre embarras, au colonel Mastillard.

Son compagnon, d’ailleurs, ne faisait pas montre d’une moindre assurance.

Lui aussi semblait de fort bonne humeur :

– Cher monsieur, dit-il, tout en se laissant tomber dans un fauteuil garnissant la pièce, cher monsieur, je vous avoue que j’accepterais volontiers, pour ma part, un verre d’eau fraîche. Je n’avais encore jamais été arrêté par des gendarmes, et, ma foi, l’impression que je rapporte de cette aventure est une impression de soif. Pristi que l’on avale donc de poussière, en marchant entre deux chevaux.

Et, là-dessus, Victor éclata de rire, cependant que son compagnon haussait les épaules, amusé, et que M. Mastillard se précipitait vers un angle de son cabinet et saisissait sur un plateau des verres de sirop, tout préparés, qu’il offrait avec de profondes révérences aux deux chemineaux :

– Messieurs, messieurs, encore une fois, buvez donc et, encore une fois, excusez-moi.

Ils burent.

– Savez-vous, messieurs, comment j’ai été prévenu ? reprit le colonel.

– Parfaitement. C’est nous qui vous avons fait télégraphier.

– Vous, et comment cela ?

Le chemineau Victor à son tour s’était levé.

– Vous permettez ? demanda-t-il.

Et, sans attendre la réponse, il prit sur la table du colonel Mastillard un télégramme, qu’il lut à haute voix :

Par ordonnance et sur réquisition de M. Noyot, juge d’instruction à Brest mandement est fait au colonel Mastillard d’envoyer deux hommes de sa brigade sur la route nationale n° 320, avec mission d’arrêter deux trimardeurs de mauvaise mine qui ne sont autres que le policier Juve et le journaliste Jérôme Fandor, tous deux chargés de missions du Gouvernement, tous deux astreints à se dissimuler, tous deux devant passer pour trimardeurs, être arrêtés comme tels ce jour même et relâchés demain matin, après en avoir conféré avec le colonel Mastillard.

Ce texte lu, le jeune chemineau éclata de rire :

– Savez-vous Juve, que ce télégramme était simplement incompréhensible ? dit-il après avoir ri.

Et Juve approuva :

– Tout à fait incompréhensible. Tu as raison.

Juve n’en dit pas plus, mais le colonel Mastillard, satisfait de la remarque, surenchérit :

– Si incompréhensible, messieurs, avouait-il, que je n’y ai rien compris du tout. Pouvez-vous me fournir quelques explications ?

– En deux mots, expliqua le policier, voici ce qui s’est passé : nous sommes, mon ami et moi, obligés par une mission d’État, dont il ne nous est pas permis, mon colonel, de vous révéler la nature, à voyager par la route jusqu’à Paris. Que faire pour ne pas être attaqués en route ? Que faire, surtout pour nous procurer, la nuit, chaque nuit, un gîte où nous soyons complètement à l’abri ? Mon colonel, nous avons tout bonnement eu cette idée : nous déguiser en trimardeurs, vous faire envoyer par le Parquet de Brest une dépêche vous signalant qu’il était urgent de nous arrêter, nous faire arrêter, donc, nous faire jeter par vous en prison et, de la sorte, voyager le jour sous la garde de deux de vos hommes, puis dormir, la nuit, dans votre chambre de force.

C’est une ruse, mon colonel, rien d’autre.

***

– Entends-tu, Fandor ?

– Quoi ? Non, rien du tout.

– Il m’a semblé qu’un cri…

– Vous avez rêvé, Juve.

– Non, écoute.

– Eh, j’écoute bien. Mais je n’entends rien, je vous assure.

– Pourtant.

– Je vous dis que vous avez le cauchemar.

Fandor venait d’être réveillé par Juve, qui tranquillement l’avait tiré par l’oreille, ce qui était sa façon habituelle, la nuit, d’attirer l’attention de son ami.

Ils se trouvaient, en ce moment, tous deux dans la « chambre de force » où, suivant leur désir, on les avait incarcérés, sans d’ailleurs fournir aux gendarmes étonnés la moindre explication.

Une obscurité d’encre les entourait de toutes parts, l’obscurité impénétrable des locaux hermétiquement clos.

– Bah, cela n’avance à rien de se faire du mauvais sang.

– D’accord, Fandor, mais tout le monde n’a pas ton heureux caractère.

Le journaliste s’était endormi tout de suite. Il avait ronflé. Juve, plusieurs fois, l’avait tiré de son sommeil pour le lui reprocher.


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