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L'Arrestation de Fantômas (Арест Фантомаса)
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Текст книги "L'Arrestation de Fantômas (Арест Фантомаса)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Fandor, auquel Juve communiquait sa pensée, poussa lui aussi une exclamation étouffée : quelqu’un accompagnait l’automobiliste : une femme. Et Fandor reconnaissait la princesse Sonia Danidoff :

– Cela se complique, évidemment, soupira le journaliste.

Juve, déjà, échafaudait tout un plan. Il avait fait signe à son cocher d’arrêter. Juve, à mots précipités, interrogea Fandor :

– Dis donc, petit, fit-il, tu sais conduire ces machines-là, pas vrai ?

– À peu près, observa le journaliste.

– Moi aussi. À nous deux, on pourrait s’en tirer.

– Pourquoi pas ?

– Eh bien, conclut le policier, il faut donc risquer le tout pour le tout. Pour une fois, nous nous mettons bandits et voleurs.

– Mais, pardon Juve, qu’allons-nous faire ?

– Voilà. Toi, qu’on ne connaît pas Fandor, tu vas d’abord aller t’enquérir auprès de ces gens des causes de leur arrêt. Ellis Marshall vient de remettre son moteur en route, c’est donc que vraisemblablement il n’a eu qu’une panne de pneus. D’autre part, Sonia Danidoff n’est pas encore remontée en voiture. Tu vas, sous prétexte de savoir s’ils n’ont besoin de rien, te rapprocher d’eux, examiner rapidement le mécanisme pour être sûr de démarrer proprement et puis, dame, au petit bonheur.

– Au petit bonheur ?

– Oui, sur un signe que tu me feras, j’aborderai par derrière le baronnet anglais. J’ai l’habitude de passer les menottes aux gens sans même me faire voir d’eux. Tu connais le mouvement, pas vrai, Fandor ? un coup de genou dans les reins, cependant que l’on empoigne solidement les deux coudes et que l’on attire les avant-bras derrière le dos, c’est l’affaire d’une seconde. Pendant ce temps-là tu sautes au volant et moi je te rejoins.

À pas tranquilles, le journaliste se rapprocha de la voiture automobile. Le cœur lui battait un peu à l’idée de l’agression brutale qu’il allait commettre, d’accord avec Juve. Ce qui l’impressionnait surtout, c’était l’idée que l’affaire devait être bien importante, que le désir d’arriver à la pointe du Raz tenait bien Juve à cœur pour que lui, l’homme de devoir et de conscience par excellence, eût imaginé un tel plan.

Fandor, s’étant rapproché de l’automobile, salua discrètement la princesse Sonia Danidoff qui ne le reconnaissait en aucune façon. Puis, Fandor interrogea Ellis Marshall. Il s’était rapproché de lui et très adroitement placé entre l’automobiliste et sa voiture.

Ellis Marshall répondit avec politesse aux interrogations de Fandor. Il le remercia.

– Non, tout marche à merveille, je viens simplement d’avoir un pneu crevé.

Mais, à ce moment, Fandor levait le bras en l’air.

Aussitôt, le baronnet poussa un hurlement terrifié : il tomba à la renverse et roula dans la poussière.

Fandor, cependant, bondissait au volant de la voiture. En quelques gestes précipités, il s’assurait de la disposition des leviers. Certes, il fit un peu grincer les engrenages, mais il réussit quand même à démarrer la voiture.

En l’espace de quelques secondes il en était maître.

– Allons-y, fous le camp, cria Juve.

Un instant après, le policier était aux côtés du journaliste et Fandor, poussant le levier dans le cran de la deuxième vitesse, faisait accélérer l’allure.

– Ça y est, conclut flegmatiquement le journaliste, la voiture s’en va bien, elle est puissante et si nous pouvons marcher comme cela, nous ne tarderons pas à atteindre…

Il s’interrompit brusquement : un sifflement aigu frôla son oreille, cependant que deux détonations successives retentissaient.

– Diable, avait grogné Juve, tandis que Fandor poursuivait, de plus en plus flegmatique :

– … À moins que l’une des balles que l’on vient de tirer sur nous ne parvienne à destination. C’est qu’il n’y va pas de main morte, cet Anglais de malheur.

– L’Anglais, rectifia Juve, ce n’est pas lui qui tire, c’est Sonia Danidoff.

– Eh bien, j’aime autant cela, fit Fandor. À moins d’être la fille de Fantômas, une femme est rarement un tireur de premier ordre.

Mais déjà ils étaient loin.

– Pauvre Sonia, pauvre Ellis Marshall, s’écria le policier dont la conscience était bourrelée de remords, nous venons tout de même de leur jouer un bien sale tour.

– Mais, dites-moi, Juve, sommes-nous sur la bonne route ?

À la lueur des phares, le policier consulta les bornes :

– Cela va bien, dit Juve, et si nous n’avons pas d’accidents, nous arriverons à Plogoff dans moins d’une heure.

Après avoir traversé une région pittoresque et passé dans les rues étroites d’Audierne, l’automobile, pilotée par Fandor, s’était engagée sur la route aride et déserte qui mène à la pointe du Raz.

Juve, au bout de quelques kilomètres parcourus sur un chemin qui longeait la mer à quelque distance, aperçut l’amorce d’un petit sentier tortueux qui semblait descendre le long d’une falaise.

– Arrête, Fandor, dit-il, c’est là.

– Jamais, objecta le journaliste, l’automobile ne prendra ce chemin. Si nous nous y aventurons, on chavirera dans les cinq minutes.

– Grosse bête, il ne s’agit pas de descendre en voiture, mais bien à pied. Au surplus, si mes calculs sont exacts et mes ordres exécutés, nous devons trouver une barque au bas de cette falaise.

– Et l’automobile ? interrogea Fandor…

– L’automobile ? fit Juve, eh bien, laissons-la sur la route, il n’y a pas autre chose à faire.

– Dommage, murmura Fandor, qui quittait à regret le volant, elle tournait joliment bien.

– Elle nous a rendu un fier service, car nous n’avons rendez-vous avec le Skobeleffqu’entre une heure et deux heures du matin. Or, il est minuit à peine.

– Drôle de rendez-vous. Enfin, Juve, c’est vous le chef de l’expédition, je vous suis comme un caniche. Montrez le chemin ?

Pendant vingt minutes environ, le policier et le journaliste jouèrent aux acrobates.

C’était, en effet, vers l’enfer de Plogoff qu’ils se dirigeaient. Lieu sinistre, tombeau de tant d’êtres, embûche tendue par la nature aux navigateurs inexperts ou mal renseignés, vestibule de ce chaos formidable que constitue l’ensemble de la pointe du Raz, derrière laquelle, au nord, à l’opposé de l’enfer de Plogoff, se trouve la baie des Trépassés.

Il fallait toute l’adresse merveilleuse de Juve et de Fandor pour s’aventurer de nuit, là où les chèvres elles-mêmes hésitent à passer le jour.

Juve et Fandor, cependant, parvenaient au pied de la falaise que battaient avec une précipitation rageuse les lames courtes, toutes couronnées de mousse jaune.

Juve poussa un cri de triomphe.

À demi à sec sur la grève, une barque à l’intérieur de laquelle étaient deux avirons. Sur l’ordre formel de la préfecture, les douaniers de la côte avaient dû la disposer, ignorant complètement à quel usage les autorités la destinaient.

De leurs yeux qui s’étaient accoutumés à l’obscurité, Juve et Fandor considéraient, un peu interloqués, l’ensemble des obstacles qui les entouraient.

De part et d’autre, d’immenses falaises dentelées, dans lesquelles le vent qui s’engouffrait résonnait avec un bruit sinistre. Puis, c’étaient par moments des clapotements, comme des cris humains, comme des soupirs que pousseraient des géants oppressés, cependant que de temps à autre leur succédaient des sifflements doux et plaintifs, gémissements du vent peut-être, mais que dans le pays on prend pour le chant des sirènes.

– Tout cela, fit Fandor, rompant enfin le silence impressionnant, est très pittoresque, mais vraiment ça manque de gaieté, et j’estime, Juve, que l’on a bien nommé cet endroit en le baptisant du nom d’ « Enfer ». Dante n’aurait pas trouvé mieux.

– Fandor, interrogea Juve, c’est ici que commence la partie la plus périlleuse de notre entreprise, j’ai des scrupules de t’entraîner, es-tu bien décidé à venir ?

– Ah ça ! Juve, fit Fandor de sa bonne voix gouailleuse, est-ce que vous vous fichez de moi ? Vous avez l’intention de faire une promenade en bateau tout seul ?

– Nous risquons le tout pour le tout, dit Juve, tu le sais, Fandor, si nous ne passons pas à travers ces rochers sans encombre, c’est la noyade assurée.

– Mais nous passerons, Juve.

Les deux hommes se turent, mirent la barque à l’eau. Juve y monta le premier. Fandor s’élança ensuite.

À peine l’embarcation avait-elle pris contact avec l’eau, qu’elle était entraînée par le courant qui la fit tournoyer avec une merveilleuse rapidité :

– Luna-Park s’écria Fandor.

Mais Juve, cependant, poussait un soupir de satisfaction. Les rochers, que peut-être ils n’auraient pas pu éviter si, marins inhabiles qu’ils étaient, ils avaient dirigé leur barque, étaient désormais franchis.

– Vous savez, fit Fandor, que nous l’avons échappé belle.

– J’te crois, mon petit, déclara Juve.

Le policier poussa un « Ah » de triomphe.

Au risque de la faire chavirer, il s’était mis debout dans l’embarcation et désignait au loin un point lumineux, émergeant d’une masse sombre qui faisait tache sur l’horizon.

– Le Skobeleff, s’écria-t-il. Nous sommes exacts au rendez-vous.

Les deux hommes se précipitèrent sur les avirons pour se rapprocher de la direction dans laquelle venait un grand navire.

– Et alors, Juve ? interrogea Fandor, quel doit être d’après vous, le dénouement de notre entreprise ?

– Oh, c’est bien simple, conclut le policier. Quand nous serons à courte distance du Skobeleff, nous nous jetterons à l’eau, nous chavirerons notre barque et, sur celle-ci renversée, nous nous maintiendrons tant bien que mal, en criant de toutes nos forces pour attirer l’attention de l’homme de vigie. On nous entendra, on nous verra, on nous recueillera comme des naufragés que nous serons. Une fois à bord, on s’expliquera.

– Bravo, Juve, c’est magnifique, s’écria Fandor, voilà un plan superbe et qui ne m’étonne pas de vous. Permettez-moi une petite objection toutefois : si l’homme de vigie ne nous aperçoit pas, si le Skobeleffpasse à côté des pauvres naufragés que nous serons sans leur porter secours, qu’adviendra-t-il alors de nous ?

– Ma foi, fit Juve, je t’avoue n’avoir point envisagé cette possibilité.

3 – LE « NOUVEAU » COMMANDANT

– Beau temps, lieutenant Alexis.

– Vous avez raison, docteur, un très beau temps. Et j’ajoute que c’est de la chance. Dans ces parages, une simple brume serait inquiétante.

Le jeune officier de marine s’interrompit quelques secondes, puis reprit :

– Vous savez que nous passons par le raz de Sein et la baie des Trépassés.

– Ah.

– Ceci n’a pas l’air de vous impressionner ?

– Ma foi, non, lieutenant, pourquoi, d’ailleurs, voudriez-vous que je m’occupe de la route que nous suivons ? C’est votre affaire, et non la mienne.

– D’accord, mon cher docteur, mais…

– Mais, quoi ?

– Ainsi, mon cher ami, vous n’avez nulle émotion à penser que nous côtoyons la baie des Trépassés ?

– Mais non, encore une fois. Pourquoi ?

– Vous ne trouvez pas ce chemin dangereux ?

– Ah çà, lieutenant Alexis, depuis ce matin, vous parlez tout le temps de chemins dangereux, de récifs, de courants ? Le Skobeleffn’est-il pas un bon et solide navire, et notre commandant…

– Notre nouveau commandant, docteur…

– Sans doute. Notre nouveau commandant n’est-il pas sûr de sa manœuvre ?

Mais l’attitude du jeune lieutenant, comme le docteur répétait ces mots : « Notre nouveau commandant » était si étrange, que le médecin s’interrompit puis ajouta :

– Lieutenant Alexis, vous êtes, ce matin, bien nerveux. Allons, vous n’allez pas me faire croire que vous ajoutez foi aux stupides racontars qui circulent à bord, depuis notre départ de Monaco ?

Peut-être le lieutenant Alexis aurait-il, tout au contraire, répondu qu’il ajoutait grande confiance à ce que le médecin du bord appelait des « racontars », si un troisième interlocuteur n’était venu rejoindre les deux amis.

C’était le capitaine de vaisseau, comte Piotrowski, faisant fonction de commandant en second du Skobeleff.

Il arrivait le front soucieux, l’air grave.

– Eh bien, lieutenant Alexis, du nouveau ?

– Nullement.

– Vous connaissez les ordres de route ?

– Rédigés par vous, je crois ?

– Rédigés par moi, oui, lieutenant. Mais rédigés sous les ordres du nouveau commandant.

Et, tout comme le lieutenant Alexis, le comte Piotrowski prononçait si bizarrement ces mots : « Le nouveau commandant » que le médecin à nouveau s’étonna :

– Mais enfin, mon cher capitaine, faisait-il en se tournant vers le comte, m’expliquerez-vous ce que signifient ces paroles : Notre nouveau commandant ? Tous les officiers du bord disent cela. Le nouveau commandant. Voyons, que diable, vous semblez lui faire un grief, à ce nouveau commandant, d’avoir remplacé Ivan Ivanovitch ? Ce n’est pas sa faute, cependant ?

Le comte Piotrowski ne répondit pas.

Les trois officiers se trouvaient à ce moment sur la passerelle de commandement du Skobeleff.

Des marins lavaient le pont à grande eau, s’occupaient aux corvées du matin, astiquaient les cuivres sous la direction des quartiers-maîtres, le sifflet d’argent aux lèvres.

Le navire, depuis son départ, avançait à toute allure.

– Docteur, répondit enfin le capitaine d’une voix tremblante, qu’il paraissait vainement vouloir raffermir, docteur, savez-vous ce que c’est que la peur ?

– La peur ? certes ! Mais enfin, je ne vois pas en ce moment que vous puissiez, mon cher capitaine, connaître cet effroyable sentiment ?

– Vous ne voyez pas, docteur ? Vous avez tort. Tenez, tout est tranquille, n’est-ce pas, dans ce matin pur ? Eh bien, je vous le confesse, mon cher ami, j’ai très peur.

La déclaration du comte Piotrowski était si inattendue que le médecin voulut plaisanter :

– Vous avez la fièvre, fit-il. De quoi auriez-vous peur, sans cela ?

– De tout et de rien.

– Vous avez peur de quoi ? Précisez ?

– Du nouveau commandant !

– Que lui reprochez-vous, à la fin ?

– Je vous le répète : tout et rien…

– Allons donc ? C’est en possession d’une régulière commission que le nouveau commandant a pris possession de son poste.

Le commandant en second du Skobeleffse retourna brusquement pour répondre :

– Et si l’homme qui nous commande était un imposteur ? Si sa commission n’était pas régulière, que diriez-vous ? que penseriez-vous ?

L’officier venait de parler d’un ton si profondément ému que le médecin ne put s’empêcher de tressaillir.

Certes, l’hypothèse que formulait le comte Piotrowski était terrible, mais elle semblait parfaitement déraisonnable. Le médecin se tourna vers le lieutenant Alexis :

– Mon cher lieutenant, j’imagine que ma supposition de tout à l’heure était fondée. À coup sûr, le capitaine a la fièvre. N’est-ce pas votre avis ?

Mais le lieutenant répondit sérieusement :

– Docteur, il y a des moments où je me prends à songer que notre capitaine pourrait avoir raison.

– Qui vous fait croire à pareilles choses ?

Ce fut le comte Piotrowski qui interrompit le médecin :

– Écoutez-moi, faisait-il, vous n’assistiez pas, docteur, au Conseil que nous avons tenu hier soir, au carré des officiers.

Par déférence pour le grade élevé du commandant Piotrowski, le lieutenant Alexis avait fait mine de se retirer discrètement, lorsque le comte le rappela :

– Restez donc, mon cher ami, vous n’êtes pas de trop. Donc, docteur, hier soir, au carré, sur un mot futile et bien par hasard, nous nous sommes mis, les uns et les autres, à parler de notre actuel commandant. Mon cher ami, je ne vous cacherai pas que nous sommes tous tombés d’accord, tous, pour trouver que sa conduite était étrange, surprenante, inquiétante. Je vous disais tout à l’heure que je me demandais si notre commandant n’était pas un imposteur, nous nous sommes posé la question, hier.

– Mais, mon cher capitaine, vous avez, je suppose, des motifs pour inventer une chose si grave ?

– Eh docteur, nous n’inventons rien. Rappelez-vous. À peine rendu à bord, déclarait l’officier, le commandant nous a réunis pour nous donner lecture de sa commission le nommant au poste d’Ivan Ivanovitch. Il nous a confirmé que le Skobeleffqui levait l’ancre devait immédiatement, et sans escale préalable, rejoindre l’escadre impériale dans la Baltique. Jusque-là, rien d’anormal.

– Et depuis ?

– Depuis, mon cher médecin, mais depuis pas un de nous, pas un, n’a vu le commandant du Skobeleff. Ce n’est pas tout. Rappelez-vous, par exemple, l’extraordinaire affaire du salut donné à Gibraltar…

– Je n’ai rien su au juste.

– À peine étions-nous en vue du fort que je faisais demander au commandant des ordres pour la salve à tirer. Savez-vous ce qu’il m’a répondu ?… « Faites le nécessaire. » Alors je me suis informé. Il s’est fâché : « Je n’admets pas que vous me demandiez ces détails. Décidez. » Que dites-vous de cela, docteur ? Que pensez-vous de ce commandant qui ne veut point commander ? qui s’enferme ? qui paraît ignorer les plus simples éléments de la conduite d’un cuirassé comme le Skobeleff ?

– Vous exagérez.

– Voulez-vous d’autres détails ? Dois-je vous rappeler qu’il n’a point paru une seule fois, le matin sur cette passerelle, pour saluer notre drapeau ? Dois-je vous répéter la conversation que nous avons eue hier soir, lui et moi ?

– Vous l’avez donc vu ?

– Pas même. J’ai dû lui parler à travers la porte.

– Que vous a-t-il dit ?

– Le lieutenant Alexis pourrait vous répéter ses paroles comme moi. Il m’accompagnait, cher docteur. D’ailleurs voici notre entretien : je venais aviser le commandant des comptes de l’officier-charbonnier. Nos soutes sont aux deux tiers vides, car depuis Monaco nous marchons à toute allure, et je venais demander si nous devions faire relâche à Brest, ou ailleurs.

– Et le commandant vous a répondu ?

– Une réponse insensée, une réponse qui semble prouver son ignorance absolue des capacités de notre vaisseau. Voici sa propre phrase : « Combien pouvons-nous naviguer encore sans faire de charbon et en marchant à toute allure ? » Je lui ai indiqué le chiffre exact de ce que contiennent nos soutes. « Hé, m’a-t-il dit, je ne vous demande pas cela, commandant. Dites-moi combien de jours de navigation nous avons ? » Je vous avoue que j’étais stupéfait. Pourtant, je me suis efforcé de ne pas trahir mon étonnement, et j’ai répondu alors que nous pouvions encore naviguer pendant quarante heures.

– Hum, et qu’est-ce qu’il a décidé ?

– Il m’a donné un ordre, un ordre ahurissant : « Marchez donc, monsieur, faites surchauffer les machines et prenons au plus court par le raz de Sein. J’entends ne pas relâcher. »

Le comte Piotrowski avait raison. La conduite du commandant du Skobeleffétait pour le moins surprenante.

– Mon cher ami, tout ce que vous me dites est absolument incompréhensible. Toutefois, je vous connais trop pour ne pas deviner que, le cas échéant, vous sauriez prendre toutes les mesures qui pourraient s’imposer. Là-dessus, une question. Que comptez-vous faire ? Il est évident que, si vous avez le moindre doute sur la qualité du commandant, il convient que vous preniez des précautions.

– Il n’y a pas de précautions à prendre. C’est ce qu’il y a d’épouvantable dans notre situation : Nous ne pouvons rien faire sans… Mais vous m’entendez, j’imagine ? sans réaliser une véritable révolution. J’ajoute, mon cher docteur – et le lieutenant Alexis m’approuvera, j’en suis sûr – que cette révolution, le cas échéant, je n’hésiterais pas à la faire s’il en était besoin. Mais – et vous m’entendez toujours – tant qu’il y a doute sur la nature et l’état du commandant, j’obéis. Seulement, j’ai peur.

Pendant ce temps, Fantômas, dans sa cabine, n’était pas autrement rassuré.

Certes, au cours de sa vie extraordinaire, perpétuellement traversée des plus surprenantes, des plus invraisemblables aventures, Fantômas avait maintes et maintes fois donné la preuve de ses capacités de dissimulation, d’audace inouïe, de courage fantastique, mais cette fois, quel que fût l’homme, le Sort lui imposait un rôle terriblement lourd, effroyablement compliqué.

Lorsque, en rade de Monaco, Fantômas, gêné par les poursuites de Juve et de Fandor, comprenant que s’il ne prenait pas rapidement un parti c’en allait être fait de lui, avait décidé en effet de s’embarquer à bord du cuirassé et de se sauver avec le Skobeleff, il n’avait pas prévu toutes les difficultés de sa tâche de faux commandant.

Du jour au lendemain, il avait en effet fallu que le forban prît toutes les qualités d’un vrai commandant.

Alors qu’il ne savait rien de la navigation, alors qu’il n’avait jamais mis les pieds sur un vaisseau de guerre, il avait dû, d’instinct, deviner les ordres à donner, le maintien à prendre, les formalités à remplir.

Fantômas toutefois était mille fois trop habile, mille fois trop prudent, pour essayer longtemps de donner le change aux officiers du bord, en tout et pour tout.

Sachant fort bien que son imposture éclaterait s’il essayait de tenir du matin au soir le rôle d’un véritable capitaine de vaisseau, il avait donc immédiatement songé à confier la conduite effective du bateau au capitaine en second du Skobeleff, au comte Piotrowski.

***

… Au moment où le lieutenant Alexis rencontrait sur la passerelle le médecin du Skobeleff, l’insaisissable bandit faisait précisément appeler dans sa cabine un jeune aspirant embarqué en même temps que lui en rade de Monaco, et qu’il avait présenté comme étant son secrétaire particulier. Quel était cet aspirant ?

– Ma fille, dit le bandit.

– Mon père ?

… C’est en effet, au moment même où Fantômas, échappant à la poursuite de Juve et de Fandor, se jetait dans une chaloupe pour joindre le Skobeleffet s’enfuir sur le cuirassé, que le forban insaisissable avait eu la surprise de se voir suivi par un jeune aspirant de marine, un aspirant de marine en qui il n’avait pas eu de peine à reconnaître, malgré un déguisement habile, sa fille, sa fille Hélène, ou plus exactement la jolie Denise, puisque Hélène avait pris le nom de Denise pour vivre incognito dans la Principauté.

Fantômas, qui avait été avisé par le planton de service que cet officier demandait à lui parler, n’avait pas hésité à donner l’ordre de l’introduire.

Interrompant son père, Hélène déclarait :

– Oubliez qui je suis, comme j’oublie qui vous êtes. Je suis ici pour des choses graves.

– Mais il n’y a rien de plus grave, rien de plus grave, pour moi, que la haine que tu me portes. Cette haine que je ne mérite pas.

– Vous me faites horreur. Mais de grâce, laissons cela. Je venais vous prévenir des incidents qui se sont passés à votre bord cette nuit : la révolte gronde. On se doute de votre imposture. Qu’allez-vous faire ?

Fantômas, pour toute réponse, se prit à rire :

– Écoute, Hélène. Jadis, dans les plaines du Natal, j’ai manqué me faire tuer pour toi, pour toi, oui, tu le sais, parce que je te veux riche, heureuse, puissante. Non, ne m’interromps pas. Un soir même, t’en souviens-tu, je t’ai juré que j’arriverais à te faire chérir ton père.

– Jamais.

– Ne dis pas ça, je l’ai juré. Je n’oublie pas mon serment. Je ne puis, mon enfant, te dire pourquoi je me suis emparé de ce navire, mais, n’en doute point, j’ai un plan, j’ai un but, je sais ce que je veux et comment je l’obtiendrai.

– Par des crimes ?

– Pourquoi m’accuser toujours ? Pourquoi, enfant, toujours te dresser contre ton père ? Je suis un misérable ? Peut-être. Qu’en sais-tu ? Qu’en sait-on ? Ne crois-tu pas que, pour les hommes d’exception comme moi, il y a des lois d’exception, il y a une morale d’exception ? Et puis, je t’en prie, ne discutons pas ainsi. Ce n’est pas à toi, Hélène, de réclamer ma tête. Tu m’annonces que la révolte gronde à ce bord, tu m’annonces que les officiers du Skobeleffvont découvrir mon imposture ? Aucune importance. D’abord apprends ceci : Ivan Ivanovitch, dont j’ai pris la place sur ce cuirassé, allait trahir sa patrie. En prenant le commandement de ce navire, j’ai rendu service au tsar. C’est vers le tsar que nous allons, vers le tsar que je conduis le Skobeleff. Tu verras, l’Empereur de toutes les Russies devra me dire merci quand j’aurai pu le mettre au fait de ce que je sais, de ce que je suis seul à savoir.

À ce moment précis, un officier venait de frapper à la porte de la cabine où le bandit et sa fille s’entretenaient :

– Mon commandant.

– Quoi donc ?

– Une chaloupe par notre travers. C’est l’officier de quart qui l’a signalée. Il y a deux hommes qui se noient à son bord. Nous manœuvrons pour les recueillir.

– Alors ? Que fait-on ? Quels ordres ont été donnés par l’officier de quart ?

– Mon commandant, les machines battent pleine vapeur arrière. La barre est sous le vent ; le Skobeleffva recueillir ces deux hommes…

Fantômas, brusquement, avait tressailli.

Il semblait toutefois faire un violent effort sur lui-même pour répondre :

– C’est bien, c’est très bien. Veuillez dire à l’officier de quart que ces deux hommes une fois à bord, il importe que nous reprenions notre marche. J’entends, cette nuit même, doubler la pointe Saint-Mathieu.

Fantômas sortit de sa cabine. Le bandit suivit la coursive menant à l’escalier qui communiquait avec le pont. Il fut rapidement au bastingage du navire :

– Une lorgnette.

– Mon commandant, demanda l’officier de quart, j’imagine que nous avons un fond suffisant ?

Fantômas n’avait pas daigné répondre.

Le bandit était soudain devenu fort pâle.

À peine avait-il collé ses yeux aux oculaires de la jumelle marine qu’on lui avait si obligeamment prêtée, qu’il avait mal retenu un juron étouffé.

Les deux hommes que le Skobeleffallait sauver, Fantômas venait de les reconnaître, en effet, avec une indicible angoisse :

C’étaient Juve et Fandor.

4 – LES NAUFRAGÉS

– Ah, les bandits. Est-il possible de mettre dans un état pareil un citoyen de la libre Angleterre ? Véritablement, ces cambrioleurs français manquent du savoir-vivre le plus élémentaire.

Ellis Marshall, les menottes aux poings, se tortillait comme un ver, s’efforçait de gagner le bas-côté de la route. Il n’en revenait pas.

Les deux inconnus surgis tout à coup, la voiture volée, Sonia Danidoff tirant des coups de revolver sur les agresseurs. En vain d’ailleurs.

Et impossible de défaire ces menottes :

– Heureusement que ces monstres m’ont laissé le sac d’outils de mon automobile. Peut-être va-t-on pouvoir trouver là-dedans de quoi me délivrer.

À ce moment même, la princesse Sonia Danidoff se rapprochait de son infortuné compagnon :

– Eh bien, mon pauvre ami, vous n’êtes donc pas arrivé à vous débarrasser de vos liens ?

– Malheureusement non, princesse, répliqua Ellis Marshall, mais si vous voulez bien me venir en aide, je sais comment il faut faire.

– Bien volontiers.

– Puisque vous y consentez, prenez donc dans la pochette gauche de la musette, là tout à côté de la chignole, un peu sous les mèches, il y a une solide cisaille.

– Pardon, pardon, interrompit Sonia Danidoff, mais je ne comprends absolument rien à ce que vous me dites, mon cher ami. Ce sont évidemment les noms techniques des outils que vous m’énumérez, et je vous félicite de les savoir. J’aimerais mieux cependant que vous les désigniez par des appellations plus simples.

Pleine de bonne volonté, cependant, la princesse fouilla le contenu du sac.

– C’est dégoûtant, fit-elle, on se salit les doigts.

– Excusez-moi, repartit Ellis Marshall, je ne pouvais pas me douter que vos jolies mains viendraient un jour tremper leurs ongles roses dans cet horrible cambouis, mais, je vous en prie, prenez la cisaille avec laquelle on pourra peut-être couper la chaînette d’acier qui me lie les mains.

Cependant que Sonia Danidoff plongeait courageusement ses mains jusqu’au poignet dans le sac saturé d’huile et de graisse, un homme silencieux, immobile, s’était planté devant eux et les regardait faire avec un ahurissement certain.

C’était Yvonnick, qui n’avait rien compris aux événements. Comme il ne voyait pas revenir ses clients, il s’était décidé à avancer de vingt-cinq mètres pour les retrouver.

Or, au lieu de rencontrer les deux hommes montés dans sa voiture à la gare de Quimper, il se trouvait en présence d’une élégante, aux mains noires de cambouis, et d’un Anglais poings liés derrière le dos.

Suivit un dialogue obscur.

La princesse Sonia Danidoff, qui malgré la pénible situation dans laquelle elle se trouvait, réprimait difficilement une violente envie de rire, avait d’ailleurs trouvé la cisaille et, très complaisamment, Yvonnick avait consenti à débarrasser de ses liens le malheureux Anglais, qui certes était à cent lieues de se douter de la nature et de la situation sociale des individus qui l’avaient ainsi ligoté.

Une fois libre, Ellis Marshall mit encore une bonne heure pour faire comprendre à Yvonnick qu’il comptait sur lui pour le reconduire à Quimper, où il aviserait.

On convint d’un prix, puis Sonia Danidoff et son compagnon grimpèrent dans la tapissière abandonnée avec tant de désinvolture par Juve et Fandor à quelques kilomètres de Quimper. On tourna bride et l’équipage retourna à la ville.

L’Anglais et la princesse prirent le train pour Brest.

Mais pourquoi avaient-ils changé de destination ?

Ellis Marshall et Sonia Danidoff, qui perpétuellement se trouvaient ensemble dans diverses circonstances de la vie, n’étaient pas dupes du rôle qu’ils jouaient respectivement.

Certes Ellis Marshall était, vis-à-vis de Sonia Danidoff, un amoureux sincère et convaincu, et peut-être la jolie princesse russe n’était-elle pas indifférente aux hommages du riche baronnet.

Mais l’un et l’autre avaient, en se rapprochant constamment, un autre but que l’amour. L’Anglais et la princesse russe avaient raisonné ainsi :

« Le Skobeleffsignalé quelques heures auparavant au sud de la Bretagne allait évidemment passer à proximité de Brest et peut-être, s’il n’y faisait pas halte, y demanderait-il du charbon. Il s’agissait de s’en assurer et, dans l’affirmative, de s’efforcer de joindre le vaisseau russe s’il faisait escale.

C’est pourquoi ils étaient partis pour Brest.

Leur après-midi se passa à parcourir les nombreux bureaux maritimes du grand port de guerre. Ellis Marshall, fort au courant des usages de la navigation, se renseignait adroitement : le Skobeleffn’avait fait aucune demande de charbon. Toutefois, on avait signalé son passage à la pointe du Raz dans la nuit, puis, dans l’après-midi, au cap de la Chèvre. Ces deux pointes étant très peu distantes l’une de l’autre, il était évident que le Skobeleffmarchait à très vive allure et qu’il devait de temps en temps stopper en mer.

Vers six heures du soir, Ellis Marshall et Sonia Danidoff, installés, en bons touristes qu’ils avaient l’air d’être, à l’intérieur d’un café, discutaient, la carte sous les yeux, des mouvements probables du Skobeleff.


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