Текст книги "La fille de Fantômas (Дочь Фантомаса)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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10 – UNE PARTIE DE BACCARA
– Le Natal, songeait Fandor, est décidément un bon pays. Non seulement on y gagne cent francs par semaine à ratisser une terre d’où sortent des diamants presque prêts à être accrochés aux oreilles des jolies femmes, mais encore on parvient à se procurer des smokings doublés de soie pour la modique somme de trois livres sterling qui valent une pièce de quatre-vingts francs comme un sou, à Montmartre.
Fandor interrompu dans ses pensées, répondit à la vendeuse du grand magasin dans lequel il se trouvait :
– Mais certainement mademoiselle, il faut me joindre une cravate noire.
– Toute faite monsieur ?
– Oh, comme vous voudrez.
– Toute faite c’est plus commode, mais à faire, c’est plus élégant.
La jeune fille voyant que son client ne se décidait pas, lui donna d’autorité, un nœud de cravate tout fait. Elle l’ajouta au paquet de vêtements sur le comptoir.
– Monsieur, interrogea-t-elle, emportez-vous tous vos achats ?
– Ma foi oui, dit Fandor, je n’ai guère le temps d’attendre qu’on me les livre.
Le journaliste passa à la caisse et, quelques instants après, il quittait définitivement le magasin où il venait de faire un séjour aussi bref que possible, trop long à son gré.
Fandor, comme tous les hommes, avait l’horreur des magasins. Lorsqu’il s’y rendait c’était pour d’impérieuses nécessités et avec l’intention bien arrêtée d’en finir au plus vite.
Le journaliste s’était soudain retrouvé dans la rue principale de Durban, dans Lord Street, longue et large artère perpendiculaire aux Docks et qui trouait de part en part la ville importante dont les faubourgs s’étendaient jusqu’aux premiers contreforts de la chaîne des montagnes.
Durban est une ville qui cumule le pittoresque des cités exotiques et le caractère actif des villes civilisées de l’ancien continent.
C’étaient des boutiques qui brillaient de mille feux, de grands immeubles, de bureaux et d’appartements privés luxueux.
Les rues étaient sillonnées d’automobiles et de tramways des modèles les plus récents et cette ville nouvelle, par ce fait même qu’elle était de création toute récente, ne révélait aucun vestige des procédés anciens, des formules passées. Tout y était neuf, étincelant, luisant, au point même que l’ensemble finissait par avoir une allure par trop moderne et par trop raffinée, presque de mauvais aloi.
Et le seul point, le seul fait qui permettait de s’apercevoir qu’on ne se trouvait pas au centre le plus élégant de Londres ou de New York, c’était la présence dans les rues d’une multitude de cafres aux oripeaux bariolés, et dont les faces noires demeuraient confondues d’étonnement en présence de cette activité fatigante, de cette perpétuelle agitation.
Fandor, toutefois, n’attachait qu’une médiocre importance à tout ce qui pouvait constituer le côté pittoresque de ses aventures. Le journaliste, comme il regagnait la petite chambre qu’il avait louée dans un faubourg de la ville, réfléchissait à la situation.
– Parbleu, se disait Fandor, elle est mauvaise la situation.
Le journaliste, trois ou quatre fois par jour, en plus des circonstances qui l’amenaient devant le concierge de sa maison, ne manquait jamais de demander s’il n’y avait pas de télégramme, ni de lettre à son adresse.
Invariablement, on lui répondait : non, et chaque fois Fandor se mettait à jurer.
Ce jour-là, tandis qu’il s’habillait, Fandor grommelait encore contre le silence obstiné de son ami.
– Cet animal de Juve est d’une insouciance. Dire qu’il n’a pas même daigné répondre à ma dépêche. Je lui ai pourtant télégraphié sur un tel ton qu’il a dû s’en alarmer.
Le journaliste avait d’ailleurs d’autres soucis. Fandor en achevant de revêtir son smoking, monologuait à haute voix pour préciser sa pensée.
– Il y a trois points principaux qui m’inquiètent et ces points ne sont autres que : Hans Elders, mon ami Teddy et la tête de mort disparue.
Quel lien y a-t-il entre ces deux crânes et ce crâne défunt ? Voilà ce qu’il faudrait savoir, et voilà ce que j’ignore… D’autre part, je suis assez tranquille, car l’asile de fous dans lequel on m’a fait l’honneur de me recevoir, ne s’est pas préoccupé de retrouver ma trace.
J’en veux à ce Hans Elders qui est venu me dérober la fameuse tête de mort, au risque de se faire pincer par toute la police du Natal, et je lui suis reconnaissant de cette incorrection à mon égard, car son intervention a singulièrement éveillé l’attention du petit Teddy, qui sans cela ne serait sans doute jamais venu me chercher au Lunatic Hospital… Après tout, ce Teddy m’a sauvé la vie, pour la seconde fois.
Pour un peu j’aurais une entière sympathie pour ce gamin, si je ne craignais pas d’accorder mon amitié à une fichue fripouille, car si certains côtés du caractère de Teddy me paraissent dignes et généreux, d’autres me font l’effet d’être parfaitement suspects.
Tout en monologuant, Fandor avait achevé de s’habiller.
– Allons, fit-il en étouffant un soupir, allons, il faut aller voir ce monde, monde interlope, mais indispensable à connaître.
Et Fandor, avec l’allure d’un parfait gentleman, quitta son humble domicile et sauta dans le tramway qui devait le conduire au centre de la ville.
Par suite de quels événements Fandor, jusqu’alors employé en qualité d’ouvrier dans la chercherie de diamants, s’était-il soudain transformé en un élégant clubman prêt, semblait-il, à passer la soirée dans un lieu de plaisir ou dans un salon du monde ?
Fandor, après la nuit au cours de laquelle il avait découvert l’équivoque conduite de son ami Teddy, s’était juré de percer à jour les mystères de Diamond House.
Se rendant compte que s’il continuait à effectuer d’humbles besognes dans la chercherie de diamants il n’apprendrait rien, le journaliste s’était décidé à risquer le tout pour le tout, à s’habiller en homme chic, à dépenser largement les quelques livres sterling gagnées par lui, à faire croire qu’il était riche, afin de s’introduire coûte que coûte dans le milieu des relations de Hans Elders où, certainement, il trouverait matière à se renseigner.
Ce soir-là, Fandor ayant exécuté la première partie de son programme, autrement dit s’étant vêtu luxueusement, décidait délibérément de mettre à exécution la seconde.
***
– Faites vos jeux, messieurs… faites vos jeux, rien ne va plus. Sept à droite, huit à gauche… en cartes avec le banquier, en prenez-vous ?… rien ne va plus, messieurs… neuf en trois…
La partie de baccara était des plus ardentes au National Club et le croupier en chef, avec une joie non dissimulée, annonçait toutes les cinq ou six minutes que la banque était aux enchères, au plus offrant.
Mêlé aux habits noirs, et observant ce qui se passait autour de lui, se trouvait Fandor.
Qu’est-ce que le journaliste venait faire dans ce lieu ?
Après avoir dîné d’un sandwich et d’une tasse de café, le journaliste avait décidé de se fendre de deux livres pour avoir le droit de pénétrer, en qualité de membre temporaire, au National Club.
Le National Club, dont la façade en ciment armé toute boursouflée de moulures et dont l’entrée était défendue par deux nègres en grand uniforme, n’était, en réalité, qu’un tripot, mais il présentait cet intérêt particulier pour Fandor qu’il était, non seulement le rendez-vous de la bonne société du Natal, des jeunes gens chics et prodigues, des officiers anglais, mais encore de toute la classe interlope des brasseurs d’affaires, des étrangers en villégiature, des chercheurs d’or et des gros marchands de bestiaux de la campagne.
C’était le seul établissement qui ne fermait point de la nuit et où l’on pouvait boire, jouer et fumer à son aise.
Les salons du rez-de-chaussée étaient réservés aux gens qui voulaient paisiblement lire les journaux et les revues. Mais, au premier étage, un brouhaha intense était de rigueur, notamment dans la grande salle du baccara où cinq tables ne chômaient pas.
Les femmes n’étaient pas admises, mais les hommes, sans distinction de profession ou d’origine, pouvaient s’y réunir, du moment qu’ils avaient acquitté le droit d’entrée.
Le comité du cercle, toutefois, étant composé en majorité d’Américains, l’entrée de ces locaux était formellement interdite à tout homme de couleur. Mais la plus grande latitude était accordée aux blancs et jamais on ne se préoccupait de leur état civil, encore moins de leur casier judiciaire.
Fandor, sitôt arrivé dans l’immense salle, avait reconnu quelques têtes familières.
Machinalement, comme invinciblement attiré vers lui, il s’était rapproché de l’homme dont il avait été toute une semaine le modeste employé. Fandor avait aperçu, vautré dans un fauteuil de cuir, le chercheur de diamants Hans Elders, ample, à demi assoupi, fumant béatement un cigare voluptueux.
– Celui-là, s’était dit le journaliste, je le connaîtrai. Et il avait ajouté :
– Peut-être même… le reconnaîtrai-je ?…
En pensant ainsi, Fandor, malgré lui, songeait à Fantômas, si expert, si subtil dans l’art des travestissements. Fandor, de son regard perspicace et chercheur, détaillait les moindres traits du visage de cet homme, interrogeait ses gestes, sa silhouette. Hans Elders était-il Fantômas, ainsi que Fandor le redoutait à la fois et l’espérait ? Mais non, ce personnage, mystérieux peut-être, lui était, à coup sûr, inconnu. Ce n’était pas Fantômas.
Fandor, pour avoir la tenue décente et correcte exigée par les règlements du cercle, avait dû faire un rude accroc à son modeste capital et le journaliste qui, de propos délibéré, avait renoncé à sa profession de ratisseur de terre, profession modeste sans doute, mais assez lucrative – car chaque ouvrier touche une prime dès qu’il trouve un diamant, et le cas est fréquent, – se rendait compte qu’il ne pourrait mener longtemps une existence oisive de snob, sans avoir à pourvoir aux nécessités de son existence matérielle.
Quelques livres sterling se trouvaient encore au fond de sa poche et le journaliste qui, machinalement, les remuait dans ses mains, se disait qu’après tout, il aurait peut-être tort de ne pas risquer la chance et de se tenir perpétuellement loin du fameux tapis vert.
Fandor, qui n’était pas joueur, était superstitieux et il savait que le proverbe dit : « Aux innocents, les mains pleines. »
C’était le baccara le plus simple et le plus net.
Fandor, après avoir observé que le tableau de droite gagnait d’une façon à peu près régulière depuis quelques instants, décida, par esprit de contradiction et peut-être parce qu’il faisait un subtil raisonnement, de jouer sur le tableau de gauche.
Il risqua une livre sterling, une fois… deux fois… trois fois. Dès lors, Fandor était pris dans l’engrenage, d’autant plus qu’il gagnait. Le journaliste comprenait le jeu.
Il s’agissait d’avoir neuf ou tout au moins le chiffre l’approchant le plus près, et cela avec deux cartes, trois au maximum.
La chance favorisait le journaliste ; au bout d’un quart d’heure, déjà en possession d’un petit tas d’or, auquel se mêlaient quelques billets de banque. Fandor s’initiait aux subtilités du tirage à cinq.
Brusquement, alors qu’il gagnait toujours, le jeu s’arrêta ; la banque venait de sauter. L’homme qui la tenait s’était levé, tout pâle, sans mot dire, et se retirait, se perdant dans la foule indifférente, cependant que le croupier, d’une voix glapissante, criait autour de lui :
– Aux enchères, messieurs, la banque à cent livres, deux cents…
– Cinq cents, fit une voix.
Fandor, précisément à ce moment, avait enfoui son bénéfice dans les poches de ses vêtements et, sans la moindre pudeur, se préparait à partir. Mais, lorsqu’on devina ses intentions, ce fut, dans les groupes des pontes qui l’entouraient, un concert de protestations :
– Ne partez pas, disait-on, vous avez la veine. Restez-nous allons gagner avec vous… marchez donc, il faut encore faire sauter la banque.
Étourdi, Fandor consentit à rester. Il éprouvait même une certaine émotion en s’apercevant qu’il était désormais le plus rapproché de la table et que c’était à lui qu’il appartenait maintenant de prendre les cartes que distribuait le banquier.
En levant les yeux sur le banquier, Fandor eut un sursaut. Son adversaire n’était autre que le petit Teddy.
Pauvre Teddy.
Heureux Fandor.
Les pontes avaient eu raison d’insister auprès du journaliste pour qu’il continuât à jouer. La chance, en effet, les favorisait merveilleusement par l’intermédiaire de Fandor qui, à chaque coup, abattait huit ou neuf d’une façon presque régulière. Teddy perdait tout ce qu’il voulait, et même ce qu’il ne voulait pas.
Or, au fur et à mesure qu’il gagnait, Fandor sentait à son front perler une sueur froide.
– Comment le jeune Teddy possédait-il tant d’argent ? D’où lui venait cet or qu’il dilapidait aussi gaillardement ?
– Parbleu, pensa Fandor, voilà qui confirme mes soupçons, ce Teddy est une sinistre petite crapule…
Mais le journaliste devait en rester là de sa réflexion. Quelqu’un, avec autorité, lui avait mis la main sur l’épaule, et ce quelqu’un, élevant la voix au milieu du silence, nécessaire au jeu, déclarait, désignant Fandor :
– Ne continuez pas, messieurs, cet individu-là est un tricheur.
Fandor demeura un instant interdit, puis, bondissant sous l’insulte, il quitta sa chaise, se redressa, dévisagea son interlocuteur et poussa une exclamation de surprise !
L’homme qui venait de l’accuser, c’était le lieutenant Wilson Drag. Les deux hommes se défiaient du regard.
– Monsieur, vous allez retirer ce que vous venez de dire et me faire des excuses.
– Je maintiens ce que j’ai dit, monsieur, il est impossible que vous ne trichiez pas. Vous gagnez trop…
L’officier ne poursuivit pas. Une gifle magistrale avait claqué sur sa joue. Appliquée par Fandor.
– Vous me rendrez raison, monsieur, criait l’officier.
– Quand vous voudrez.
– Soit, poursuivit l’officier en mettant la main à sa poche de revolver, tout de suite…
– Où cela ? demanda simplement Fandor.
Le lieutenant avait sans doute l’habitude de ces duels à l’américaine.
– Dans le jardin du cercle. Monsieur.
Autour des deux adversaires, on chuchotait, on haussait les épaules.
De semblables altercations étaient fréquentes dans un milieu aussi mélangé.
Toutefois, peu de gens partageaient l’opinion de l’officier. Le joueur heureux avait de la chance, et voilà tout. Il ne trichait certainement pas.
Mais la partie pouvait reprendre sans les deux hommes qui avaient décidé de se battre. C’était l’essentiel.
Le lieutenant Wilson Drag, cependant montrait avec courtoisie le chemin à Fandor et celui-ci se disposait à quitter la salle de jeu, lorsqu’une voix claire et jeune, nettement timbrée, articula :
– M. Jérôme Fandor.
– Qu’y a-t-il ? répliqua le journaliste en se retournant tout d’une pièce.
C’était Teddy qui l’interpellait.
– Monsieur Jérôme Fandor, reprit l’adolescent, vous ne pouvez pas vous battre avec monsieur.
Teddy désignait le lieutenant Wilson Drag.
– Ah ! balbutia Fandor interloqué, pourquoi donc ?
– Parce que, reprit Teddy qui s’efforçait d’affermir sa voix légèrement tremblante, parce que cet officier est déshonoré.
Une violente rumeur s’éleva dans la salle.
Désormais le jeu s’interrompit à toutes les tables, on s’empressa autour des trois acteurs du drame. L’officier devenu blême interpellait à son tour Teddy avec une nuance de reproche :
– Comment ? c’est vous, Teddy mon ami… vous qui déclarez une semblable chose ? je vous somme de vous expliquer.
L’adolescent ne paraissait pas autrement troublé.
– Je dis, reprit-il, que le lieutenant Wilson Drag est déshonoré. C’est un voleur en effet, il a dérobé, voici sept jours, les dix mille livres sterling gagnées par le nègre Jupiter. Vous comprendrez, messieurs, qu’on ne peut pas se battre avec cet homme.
– Des preuves, criait-on, des preuves.
Teddy haussant sa petite taille sur la pointe de ses pieds, montra quelqu’un qui s’approchait du groupe :
– Demandez, fit-il, à M. Hans Elders, si ce que j’avance est exact ? Le vol a été commis chez lui… Jupiter a porté plainte contre inconnu, sur la demande de M. Hans Elders qui a, je crois, accordé quarante-huit heures au lieutenant Wilson Drag pour réparer… Il n’a pas réparé.
À l’émotion de la foule succédait une stupeur muette. De l’air d’un homme qu’accable un aveu, Hans Elders venait de reconnaître :
– Notre ami Teddy, dit la vérité, messieurs, j’ai chassé de chez moi le lieutenant Wilson Drag, alors qu’il venait de commettre ce vol…
– Non, hurla brusquement le malheureux officier, non, monsieur Hans Elders, je vous le jure sur la tête de ma mère, comme je vous l’ai déjà juré, je suis innocent… je suis innocent…
– Taisez-vous, cria une voix brutale.
L’officier se retourna.
– Ah, mon Colonel, vous qui me connaissez ?
Derrière le lieutenant venait en effet de se dresser le colonel Moriss, commandant en chef l’escadron des lanciers de la Reine auxquels appartenait Wilson Drag.
Le colonel, très ému, tordait sa moustache blanche et ne répondit pas à l’imploration de son subordonné :
– Monsieur, fit-il, j’ignorais le crime dont vous êtes accusé. Mais le scandale est désormais public et pour l’honneur de l’uniforme il faut que la lumière éclate pleine et entière. Nous vous réhabiliterons si vous êtes innocent, mais vous serez châtié si vous êtes coupable… Capitaine Bulcher, je mets désormais le lieutenant Wilson Drag sous votre surveillance, vous en êtes responsable.
Le capitaine Bulcher, un colosse au teint basané, qui était officier de l’armée indigène, prit par le bras le lieutenant et l’entraîna hors des salles de jeu.
Dans celles-ci, en dépit des efforts des croupiers, le baccara était déserté.
De tous côté on interrogeait Hans Elders et Teddy, et Fandor.
Hélas, des explications fournies par les deux premiers, il ne pouvait subsister de doute pour personne.
L’officier Wilson Drag était bien coupable, on l’avait pour ainsi dire pris en flagrant délit et c’était même son futur beau-père, – puisque le lieutenant devait épouser Winifred – qui avait été obligé de le chasser.
Cependant que Hans Elders donnait d’abondantes explications sur le scandale, Teddy, que cette singulière exécution dont il avait été le principal auteur, devait remuer, se renfermait de plus en plus dans un mutisme maussade. Profitant d’un moment où il cessait de retenir l’attention, il s’esquiva du cercle.
Fandor s’élança à sa poursuite et le rattrapa au vestiaire.
Ne voulant point lui montrer, par ses premières paroles, le fond de sa pensée, ni lui laisser deviner ses appréhensions, il l’interpella sur un ton jovial :
– Eh là, mon ami Teddy ?
– Que me voulez-vous, monsieur Fandor ?
– Dieu, quel air tragique. Vous avez l’air bien pressé de partir ? Voulez-vous que nous allions fumer une cigarette ensemble ?
– Dans un salon écarté, si vous le voulez bien.
Les deux jeunes gens se retrouvèrent, en tête à tête, dans la salle de lecture, vide : il était deux heures du matin.
Le journaliste bouillant d’impatience interrogea :
– Cette fois m’expliquerez-vous ?
– Quoi ? fit Teddy en ouvrant de grands yeux étonnés, limpides et si innocents, que Fandor en demeura surpris.
– Mais… votre attitude… votre façon d’être.
– Je vous ai tiré d’affaire, murmura simplement Teddy, en vous évitant un duel avec le lieutenant Wilson Drag qui, certainement, vous aurait étendu raide mort, avant que vous n’ayez levé le doigt.
– Grand merci, répliqua Fandor, je dois reconnaître que vous vous trouvez toujours là lorsqu’il s’agit de me tirer d’affaire. Mais, véritablement, vous êtes trop aimable, et cette sympathie exagérée commence à me peser. D’ailleurs si vous avez accusé le lieutenant Wilson Drag de ce vol, c’est que vous le savez coupable ?…
Teddy eut un petit rire nerveux et regarda Fandor bien en face.
– Je sais que Wilson Drag est innocent du vol qu’on lui reproche.
– Mais, bon Dieu, petite crapule, hurla Fandor, dites donc la vérité pour une fois et ne faites pas perpétuellement des mystères.
L’adolescent ne répondit pas, mais un tremblement nerveux le secoua tout entier.
Fandor, sans s’apercevoir de l’état de Teddy, poursuivait, lancé :
– D’abord j’aime autant tout vous dire, je suis net et franc, moi, catégorique et sincère, moi, eh bien, Teddy, si vous êtes sûr de l’innocence de Wilson Drag, moi je suis certain de votre culpabilité, car, hier au soir, je vous ai vu voler dans le cabinet de Hans Elders. Voler l’argent dissimulé dans les cartouches. Cet argent que vous vous êtes approprié, cet argent qui me brûle les doigts, car si quelqu’un a triché tout à l’heure, ce n’est pas moi, mais vous. Vous qui avez perdu pour me faire gagner l’argent de votre vol d’hier.
Et joignant le geste à la parole, Fandor jeta au visage de Teddy, horriblement pâle, les billets de banque que le journaliste avait si facilement gagnés quelques instants auparavant.
Teddy réagissant toutefois avait complètement repris son sang-froid.
Sans la moindre vergogne, il ramassa un à un les billets que Fandor avait jetés autour de lui.
– Monsieur Fandor, fit-il d’une voix douce et persuasive, cet argent vous l’avez bien mérité, il vous appartient, gardez-le…
Fandor protesta du geste, Teddy n’insista pas :
– Soit, ajouta-t-il, je le conserve, il est à votre disposition et vous me le réclamerez bientôt, car il est juste que vous en ayez la propriété. Monsieur Fandor, cet argent n’a rien de commun avec celui que vous m’avez vu prendre hier au soir dans les cartouches de Hans Elders. Drôle de coffre-fort, n’est-il pas vrai, monsieur Fandor, soit dit en passant, pour serrer de l’argent ? J’ajoute que ce vol, puisque tel est le mot qui semble vous plaire, je l’ai commis. Je ne le nie pas, je ne le regrette point, je m’en vante. Ce serait à refaire que je recommencerais…
Au fur et à mesure que Teddy parlait, Fandor sentait sa raison chavirer : Ce gamin avait une telle pondération, une telle façon de présenter les choses, avec des sous-entendus si étranges et si concluants, qu’il semblait devoir avoir raison et cependant…
– Teddy, vous en savez long certainement sur le vol du nègre, eh bien, au nom de notre amitié naissante, dites-moi la vérité.
Teddy rougit de plaisir, tendit sa petite main à Fandor, celui-ci la serra sans arrière-pensée.
Soudain rasséréné par l’attitude plus confiante de son ami, Teddy s’installa à califourchon sur une chaise, et les deux bras croisés sur le dossier, souriant d’un air narquois, il commença :
– Mon ami Fandor, vous êtes un sot, et si vous n’aviez pas Teddy à côté de vous, pour vous tirer d’affaire, vous seriez embarqué dans les plus désespérantes aventures. Mais Teddy tient à vous, car vous lui êtes sympathique. Oh ! cela oui, très sympathique, je vous l’assure.
Teddy s’arrêta une seconde, puis reprenant avec précipitation :
– Avec vous, à nous deux, nous allons tirer ces ténébreuses affaires au clair. Écoutez : Hans Elders est le voleur, c’est un brigand, un monstre, un bandit sinistre. Il a volé l’argent de Jupiter. Il a fait croire à ce pauvre nègre que c’était le lieutenant Wilson Drag qui l’avait dérobé. Hans Elders a joué ce vilain tour à l’officier parce qu’il savait que Wilson Drag était l’amant de sa fille Winifred, l’amant de Winifred, entendez-vous, Fandor, et qu’il ne veut à aucun prix, de ce lieutenant sans fortune pour gendre.
– Mais, interrompit Fandor, tout cela ne m’explique pas…
– … L’affaire des cartouches n’est-ce pas ? Rien n’est plus simple, mon cher ami… Hans Elders a simulé un vol et il a précieusement rangé l’argent dérobé au brave nègre Jupiter. Le hasard d’un fusil qu’il a fallu charger m’a fait découvrir la cachette de Hans Elders, et le contenu des cartouches roses. Je les ai prises pour rendre à Jupiter sa petite fortune. Et voilà. Jupiter depuis ce soir est en possession de son argent. Voyons, Fandor, ai-je eu tort et en bonne équité est-ce commettre un vol que voler un voleur pour désintéresser le volé ?
– Il faudra tirer Wilson Drag d’affaire.
– Oui, ce pauvre garçon expie chèrement son incorrection.
– Quelle incorrection ? interrogea Fandor.
Teddy rougit, un peu embarrassé :
– Ne vous ai-je pas dit qu’il avait fait sa maîtresse de Winifred Elders ?
– Oh ! s’écria Fandor, si ce n’est que cela…
Fandor n’insista pas, il comprenait que Teddy avait des principes avec lesquels il convenait de ne pas transiger. Fandor avait d’ailleurs une autre question à poser à son bizarre petit camarade.
– Répondez-moi, dit-il franchement, vous pouviez ne rien dire tout à l’heure et c’est très dur ce que vous avez fait : accuser le lieutenant d’un crime dont il est innocent, pourquoi ?
– Je vous l’ai dit, Fandor, pour éviter qu’il ne se batte avec vous. Pour vous sauver.
– Pour me sauver, répétait tout bas Fandor, perplexe.
Puis, fixant à nouveau le jeune homme :
– Pourquoi vouliez-vous tant me sauver ?
Teddy parut horriblement gêné par cette question. Fandor répéta sa question.
Elle eut pour résultat de faire fuir Teddy qui, avant de se séparer de Fandor, lui lançait cette phrase énigmatique :
– Vous le saurez lorsque nous aurons retrouvé la fameuse tête de mort.
Puis il disparut.