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La fille de Fantômas (Дочь Фантомаса)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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PIERRE SOUVESTRE

ET MARCEL ALLAIN

LA FILLE

DE FANTÔMAS

8

Arthème Fayard

1911

Cercle du Bibliophile

1970-1972

1 – LA TÊTE DE MORT

Dans le ciel sillonné d’éclairs fulgurants, c’était une cavalcade effrénée et compacte de gros nuages noirs que pourchassait le vent. Les éclairs illuminaient la nuit par d’éblouissants instants, puis, alors que le tonnerre retentissait, le désordre des cieux tourmentés se plongeait à nouveau dans l’obscurité.

Sur terre, c’était une buée chaude, lourde, fatigante. Des projecteurs électriques fouillaient les alentours du haut de leurs pylônes respectifs, émettant une lueur blafarde et tremblotante. Ils éclairaient une immensité de toitures basses, vitrées, simplement supportées par de hautes et minces fermes métalliques. Dans l’intervalle de ces toitures se trouvaient, au niveau même du sol de vastes cours dallées, dessinées selon un modèle uniforme et géométrique, et que séparaient par intervalles réguliers des canaux profonds, remplis d’une eau lourde et immobile.

Sous les vastes hangars, c’était un amoncellement de marchandises de toutes sortes d’une variété extraordinaire : ballots enveloppés de toile, objets divers renfermés dans des caisses pleines ou à claire-voie, mécanismes de machines posés là, dans un désordre apparent, aux membrures rigides et robustes.

Plus loin, c’étaient encore des paniers remplis de comestibles, dont le contenu exhalait une odeur violente.

Ailleurs, dans des sortes de parcs, piétinaient d’innombrables troupeaux de bétail, pressés les uns contre les autres.

La même cohue régnait dans les cours que ne recouvraient point les toitures vitrées, puis, à l’horizon, on devinait confusément une forêt de mâtures dressées vers le ciel, de cheminées fumant encore.

Enfin, de plus loin venait une brise saline et le murmure monotone et répété d’un océan qui gronde à mi-voix.

Ce qu’éclairaient ainsi les projecteurs électriques, pendant cette nuit d’orage, c’étaient les quais d’un port de mer, les docks où vraisemblablement, dans la journée, devait régner une animation fébrile.

Cette nuit-là, toutefois, en dépit du tapage que faisait l’ouragan, un calme absolu régnait dans les magasins. Nul ne s’y aventurait, l’endroit était désert, comme abandonné.

Aux extrémités, devant les portes percées dans les clôtures, sommeillaient évidemment des gardiens, qui avaient pour mission de n’ouvrir qu’aux heures d’accès prévues par le règlement.

Quelqu’un toutefois devait l’enfreindre, le règlement.

Vers onze heures du soir, à l’endroit où le muretin séparant les magasins de la grande rue qui les bordait à l’extérieur se trouvait avoir à peine un mètre cinquante de haut, un observateur aurait pu apercevoir une ombre se profiler tout d’un coup, se préciser, s’affirmer, puis avancer avec précaution au milieu de l’une de ces cours pavées qui bordaient, sans le moindre garde-fou, de profonds canaux où courait une eau noire.

Par dessus le mur, en effet, un cavalier venait de sauter qui, désormais orientait sa monture avec précaution.

Le cheval en marchant ne faisait aucun bruit, et assurément les fers de ses sabots, pour ne pas résonner sur les dalles de pierre, devaient avoir été entourés de feutre ou de laine afin qu’on ne les entendît pas. Vraisemblablement, l’étrange visiteur qui s’introduisait ainsi dans les docks désirait n’être pas remarqué.

Dirigeant sa monture avec une habileté remarquable, il évitait de la diriger vers les endroits découverts, affectait, au contraire, de longer les murailles, recherchait évidemment l’ombre, prenait les plus grands soins de ne pas apparaître dans l’éclat des phares.

Le cavalier, à deux ou trois reprises, se dressa sur ses étriers, regarda autour de lui comme s’il redoutait une surprise.

Deux ou trois fois aussi, il calma l’ardeur de son cheval, flattant de la main la noble bête, dont l’encolure se cambrait élégamment à l’invite de la bride. Le cavalier avança encore un peu plus loin, pénétra sous les hangars.

Après environ une demi-heure d’hésitations, de marches et de contremarches, arrivé dans un des docks les plus encombrés de marchandises, le cavalier mit pied à terre et attacha son cheval à un poteau.

Puis, sans plus se préoccuper de sa monture, il s’enfonça au milieu des colis qui remplissaient le local, uniquement guidé par la lueur blafarde des projecteurs qui s’infiltrait à travers la toiture.

C’était un jeune homme à la silhouette élégante, à l’allure déterminée. Il était de petite taille, mais paraissait solidement bâti, et pouvait avoir une quinzaine d’années au plus, tant son visage, cependant basané par le soleil, avait les traits à la fois délicats et juvéniles.

Sur ses cheveux naturellement bouclés et assez longs, il portait avec chic un grand chapeau de feutre gris. Sa taille, bien prise, était sanglée d’une ceinture, laquelle portait au côté gauche un étui à revolver.

Vêtu d’une sorte de costume de chasse ample et seyant, ce jeune homme avait une culotte bouffante, dont les extrémités se dissimulaient dans de petites bottes molles en cuir jaune que terminaient des éperons courts.

L’adolescent s’avança.

Ayant soudain avisé un gros ballot enveloppé d’une toile grise, d’où s’échappaient des brindilles de paille, il ne put retenir un mouvement d’émotion. À deux ou trois reprises, il parut vouloir, s’étant armé d’un couteau, éventrer ce ballot, mais il s’arrêtait, prêtant l’oreille, comme s’il avait redouté la venue de quelqu’un, d’un surveillant des docks, d’un témoin gênant ou redoutable. Toutefois, dès qu’il croyait être seul, il semblait revenir à sa première intention et se disposer à mettre à exécution son projet primitif.

Le jeune homme s’y décida enfin.

D’un coup sec de son arme, il trancha la toile grise qui, par sa blessure béante, vomit des flots de paille. Le jeune homme s’accroupit devant le paquet qu’il venait de mettre en si mauvais état.

Aidant la paille à sortir, de ses mains, il arrachait les longues tiges, les rejetant autour de lui, de part et d’autre, le geste vif.

Les bras enfoncés jusqu’aux coudes dans le ballot de toile, l’œil brillant, le visage énergique, il inventoriait fiévreusement le cœur du gros paquet.

Un cri soudain s’échappa de ses lèvres, un cri de joie.

Puis ses muscles se tendirent, ses épaules se courbèrent. Faisant un suprême effort, l’étrange personnage arracha du ballot quelque chose de sombre, de dur et de résistant. Il posa sur le sol sa trouvaille et la considéra un instant avec une profonde émotion.

C’était une boîte de métal, une sorte de coffret de fer, aux lignes précises et nettes. Un coffret en forme de cube, qui pouvait avoir trente centimètres de côté.

Le cavalier, comme s’il venait de faire là une découverte extraordinaire, s’empara fiévreusement du coffret par une poignée, assujettie au couvercle.

Puis, sans souci du désordre qu’il avait créé, sans chercher le moins du monde à dissimuler les traces du rapt qu’il venait de commettre, l’adolescent, quittant en toute hâte l’endroit où il se trouvait, alla retrouver à quelques pas de là son cheval, ayant bien soin de ne pas lâcher le coffret qu’il venait d’extraire de sa mystérieuse enveloppe.

Mais à peine avait-il repris place sur le dos de sa monture, que celle-ci se cabrait, effrayée, cependant que le cavalier poussait un sourd gémissement.

Le cheval, malgré les invites pressantes de son maître, refusait énergiquement d’avancer. Il tremblait de tous ses membres, ses oreilles pointaient, ses naseaux transparents palpitaient avec frémissement.

Hélas, il n’était pas difficile de comprendre ce qui épouvantait la pauvre bête.

Le cavalier lui-même pâlit, cessa de vouloir imposer sa volonté à sa monture et regarda autour de lui.

Autour de lui, c’était une odeur âcre et puissante qui montait d’une légère fumée blanche aux flocons infimes dès le début de leur apparition, mais qui ne tarda pas à gonfler.

Puis, dans le silence, s’éleva un petit crépitement, très significatif.

Un peu de tous les coins des docks surgirent alors des lueurs sinistres.

Il n’y avait pas à en douter, c’était l’incendie qui s’éveillait, le feu qui commençait à prendre.

Un terrible malheur, un effroyable désastre, non seulement menaçait, mais s’abattait soudain sur les immenses magasins gorgés de marchandises.

L’instant, toutefois, n’était propice ni aux hésitations ni aux commentaires.

Avant de se demander le pourquoi des choses, il fallait se prémunir contre elles.

Le cheval refusait toujours d’avancer.

Il s’y décida néanmoins à l’invitation impérative d’une double pression des jambes, aggravée de violents coups de cravache. La bête, en poussant un hennissement douloureux, bondit en avant, l’écume aux lèvres, et le cavalier dut s’arc-bouter sur ses étriers pour empêcher le malheureux animal, qui s’élançait droit devant lui, à demi emballé, d’aller se briser la tête sur un obstacle.

Mais soudain, alors que le cavalier et sa monture débouchaient des docks et venaient en pleine lumière dans une cour déserte, un coup de feu retentit.

***

À ce même instant, suffoqué, à demi-mort, les yeux révulsés, les mains en sang, les genoux déchirés, la poitrine haletante, un homme ou pour mieux dire un spectre humain s’arrachait avec une peine infinie de l’immense caisse, dont les parois noircies par l’incendie étaient en train de se calciner.

L’homme hurlait.

Les flammes couraient sur ses vêtements en loques, mais l’individu n’avait cure du danger.

Il aspirait de larges bouffées d’un air saturé de poussière et de fumée âcre. Il fit encore un effort suprême, sortit définitivement de la caisse dans laquelle il semblait avoir été enfermé, prit contact avec le sol… Aussitôt ses jambes fléchirent… il tomba les genoux contre terre, puis se releva, ouvrant des yeux fous, hagards.

Brusquement, il dut faire un bond de côté pour éviter d’être écrasé par une pyramide de caisses, qui, rongées par l’incendie, s’abattaient dans un fracas épouvantable.

L’homme se comprima la tête de ses deux mains décharnées, il gronda comme un fauve, comme une bête traquée, aux abois.

Ce malheureux, cette loque humaine, cet être affolant, aux allures fantasmagoriques, ce rescapé de l’incendie, ce pseudo-cadavre évadé d’une quasi-bière… c’était Jérôme Fandor.

Jérôme Fandor, le célèbre journaliste, l’ami intime du célèbre policier Juve, Jérôme Fandor, qui, aux côtés de l’inspecteur de la Sûreté, s’acharnait depuis de si nombreuses années à la poursuite de l’insaisissable Fantômas.

Était-ce possible que ce fût lui, était-ce possible qu’il se trouvât dans cette situation critique ?

Quelles étaient donc les aventures qui avaient pu le mettre en aussi fâcheuse posture ?

Un mois auparavant, Jérôme Fandor se trouvait à Londres, dans la modeste chambre qu’il occupait dans un hôtel du quartier français.

C’était un soir du mois d’avril. Jérôme Fandor venait de télégraphier à son ami Juve, lequel se trouvait à Paris, qu’il venait de faire une découverte sensationnelle, c’est-à-dire tout simplement qu’il venait de retrouver la trace de Fantômas. Fandor était en train d’écrire une lettre à son ami, dans laquelle il lui confirmait et lui détaillait l’information de sa dépêche, lorsque soudain il avait été assailli, étroitement ligoté par un audacieux bandit qui ensuite, lui avait révélé sa personnalité.

Fandor avait été fait prisonnier par l’effroyable Fantômas.

Le monstre toutefois ne l’avait pas mis à mort.

Avec l’ironie gouailleuse qui le caractérisait lorsqu’il venait de remporter une victoire, sur des adversaires tels que Juve ou Fandor, Fantômas avait informé le journaliste que, s’il épargnait son existence, c’était afin de le conserver comme otage et de pouvoir, à l’occasion, obtenir de Juve une certaine discrétion.

Fantômas avait alors conduit Fandor dans une sorte de cellule hermétiquement fermée, dont l’éclairage et l’aération étaient assurés par un ingénieux dispositif de lumière électrique et d’air sous pression.

Cette cellule était assez confortablement aménagée pour que l’on pût y vivre, Fantômas n’avait d’ailleurs pas dissimulé à Fandor que ce local constituerait son domicile pendant plusieurs semaines, et qu’il n’y serait pas abandonné, que chaque jour – pour le distraire sans doute – il recevrait la visite de son terrible geôlier.

Fandor n’avait eu qu’à acquiescer aux ordres de Fantômas.

Mais contrairement à la promesse du monstre, celui-ci n’était plus jamais venu revoir le journaliste.

Que s’était-il passé ? Pourquoi Fantômas n’avait-il pas tenu promesse ?

Fandor l’ignorait.

Mais ce qu’il savait, c’est qu’au bout de quarante-huit heures à dater de son incarcération, la cellule dans laquelle il se trouvait s’était mise à remuer, avait été agitée, secouée dans tous les sens.

Aux secousses violentes avait succédé l’immobilité complète, puis étaient venus des balancements, de longues oscillations écœurantes et berceuses, qui rendaient Fandor malade et lui laissaient supposer qu’il subissait les terribles atteintes du mal de mer.

Fandor, tout d’abord, avait cru que sa cellule était fixée sur un châssis d’automobile, ou montée dans un wagon de chemin de fer. Il avait ensuite compris qu’elle se trouvait à bord d’un bateau.

Des jours interminables s’étaient alors succédés.

Fandor avait dans cette cellule les provisions nécessaires. L’aération et l’éclairage, d’autre part, étaient si bien compris, que le journaliste n’avait à souffrir ni de l’obscurité, ni du manque d’air.

Mais ses tortures morales déjà suffisantes devaient s’aggraver, au bout de trois semaines environ, de tortures physiques… des tortures que, dès le début, il avait appréhendées.

À de nouvelles secousses avaient succédé, une fois encore, une immobilité complète, mais, peu à peu, la lumière avait diminué, Fandor avait vu ses provisions s’épuiser, il lui fallait rationner sa nourriture et enfin, chose plus grave, l’air avait commencé à s’alourdir, l’atmosphère à se raréfier.

– Coûte que coûte, s’était alors dit Fandor, il faut sortir de là ou se résigner à mourir.

Le journaliste était brave et audacieux.

Encore qu’épuisé et affaibli, déprimé par les effroyables heures qui avaient succédé à son incarcération, il avait, au cours de ses longues semaines de détention, minutieusement étudié les clôtures de sa cellule.

Et Fandor avait à peu près découvert le secret de la fermeture, qui le séparait du monde des vivants.

Avec une patience et une énergie extraordinaire, Fandor s’était évertué à se frayer une issue dans ce local, véritablement blindé de tous les côtés, et au fur et à mesure que ses forces s’affaiblissaient, il sentait le succès se rapprocher.

Réussirait-il à s’évader avant de s’évanouir de faiblesse ?

Un nouvel élément, une dernière épreuve accroissait encore les forces, décuplées par l’émotion, de la malheureuse victime de Fantômas.

Fandor allait réussir à ouvrir et déjà, par les interstices, les fentes qu’il avait provoquées, il apercevait des rayons lumineux… mais par ces mêmes fentes, pénétrait soudain dans sa cellule un air brûlant, irrespirable, un air de feu.

Fandor, véritablement surhumain cette fois, avait néanmoins triomphé du dernier obstacle.

Il avait renversé la paroi la moins résistante de son effroyable prison et, sortant le corps à l’extérieur, promenant ses regards de tous côtés, il avait regardé… Il avait vu.

Abasourdi, Fandor avait vu des flammes l’environner de tous côtés.

Les longues aspirations de sa poitrine cherchant de l’air pur s’étaient achevées par des quintes de toux épouvantables, dues à la fumée âcre qu’il devait respirer.

Instinctivement Fandor avait bondi hors de sa prison. Que se passait-il ?

Où était-il ? que venait-il de lui arriver ? qu’allait-il lui advenir encore ?…

Le journaliste était convaincu que, plus que jamais, il était victime de Fantômas.

À peine avait-il quitté l’abri momentané que lui offrait son étrange cellule, que Fandor devait éviter d’être écrasé par la chute des caisses consumées par le feu.

Le journaliste poussait un cri terrible, et voyant une issue au milieu de cet amas de marchandises, s’y précipitait.

C’est à ce moment qu’avait retenti le coup de feu.

Fandor surgissait hors du dock, dans la cour dallée, au moment précis où un cheval lancé à toute allure s’arrêtait net, piquait du nez, faisait panache complet.

Le cavalier, vidant les étriers, fort heureusement n’était pas pris sous la bête, mais projeté en avant, il allait choir avec un bruit sourd à deux mètres à peine de l’eau du canal.

Il s’en fallait d’un rien qu’il ne tombât à l’eau.

Cependant que le cavalier tombait aux pieds de Fandor. Tout à côté, le cheval, perdant son sang en abondance par les naseaux et sa blessure à la tempe, s’agitait en ultimes convulsions.

Mais Fandor, dédaignant ce spectacle, alors considérait hébété une sorte de coffret qui, dans la violence du choc s’était à moitié ouvert, et dont le contenu se révélait à ses yeux.

Ce contenu miroitait à la lueur blafarde de l’électricité des grands projecteurs. Fandor, instinctivement s’étant baissé pour regarder, poussa un cri d’horreur. Une tête de mort, un crâne blanc comme de l’ivoire venait de s’échapper du coffret.

Fandor, sur cette découverte macabre et assurément mystérieuse, jeta machinalement sa veste qu’il avait ôtée pour éteindre le feu qui commençait à la consumer. Mais le journaliste ne s’attarda pas à réfléchir sur cet incident.

Un gémissement l’appela à quelques pas de là, auprès du malheureux cavalier qui gisait inanimé, terriblement pâle.

Fandor se pencha sur lui, il le considéra :

– Un gosse… un gamin, pensa-t-il… le malheureux, il a failli se tuer.

Et, en brave garçon qu’il était, Fandor sans se préoccuper de sa propre situation, sans songer aux malheurs qui l’accablaient depuis si longtemps, s’employa avec ardeur à ranimer le jeune homme.

Le journaliste était allé tremper son mouchoir dans l’eau toute proche, il humecta les lèvres du cavalier évanoui, lui frictionna les tempes.

L’adolescent ne tarda pas à ouvrir les yeux.

Tout d’abord, il regarda le personnage qui se trouvait devant lui, et s’il n’eut pas un mouvement de stupéfaction, c’est qu’assurément il était bien maître de ses sentiments, car Fandor, avec sa chevelure hirsute, ses vêtements en guenille, sa barbe longue d’un mois, devait assurément avoir une allure des plus extraordinaires.

L’adolescent, comme s’il avait eu honte de sa faiblesse, repoussa Fandor qui lui offrait son bras, et il se releva brusquement, tituba une seconde sur ses genoux tremblants, mais sa démarche s’affermit vite.

Sans s’occuper du journaliste, le cavalier allait à son cheval.

Il le considéra quelques secondes. La malheureuse bête était morte, il n’y avait plus rien à faire.

Le cavalier crispa les poings, puis, se tournant vers Fandor, revint la main tendue :

– C’est vous, dit-il, qui m’avez sauvé, merci.

Ce jeune homme s’exprimait en anglais, avec un petit accent toutefois.

Fandor comprit fort bien néanmoins ce que lui disait son interlocuteur. Mais l’incendie continuait à faire rage.

– Si l’on ne vient pas, fit-il, si l’on n’arrête pas ce désastre, tout Londres va brûler… Je suis sûr que c’est encore un coup de Fantômas. Le monstre l’a voulu.

Fandor s’interrompit. Le cavalier l’avait tiré par la manche et interrogé avec inquiétude :

– Pardon, qu’est-ce que vous venez de dire ?

– Londres brûle… Londres brûle… Regardez plutôt, l’incendie gagne de toutes parts… C’est Fantômas, je vous dis… Parbleu. Il m’a enfermé dans une caisse, au milieu de ces docks, pour être plus sûr de ma mort.

– Pardon, fit encore le jeune homme, de plus en plus intrigué, mais, aussi, de plus en plus calme, au fur et à mesure que Fandor s’exaltait, pardon, mais voulez-vous me dire, qui vous êtes ?

Hors de lui, le journaliste éclata :

– Qui je suis ?… Sa victime, parbleu ! sa victime qu’il avait condamnée mais qui, malgré tout, lui échappe… Ah ! Ah ! Ah !… nous allons voir… à nous deux Fantômas… Fandor est vivant, gare à toi, Fantômas.

Épuisé par cet effort, le journaliste, la gorge sèche, s’arrêta. Il titubait comme un homme ivre, montrant le poing aux flammes, l’œil injecté, la lèvre écumante. Puis, comme halluciné, il courut vers la fournaise.

Le jeune homme qu’il venait de ranimer quelques instants auparavant, le retint des deux mains.

Visiblement, il avait pitié. Il avait forcé le jeune journaliste à s’arrêter. Il le regardait les yeux dans les yeux.

Doucement, avec une sollicitude inquiète, le jeune cavalier interrogea, prononçant avec lenteur, comme s’il craignait de n’être pas compris :

– Vous parlez tout le temps de Londres, monsieur, ignorez-vous donc où vous êtes ?

– Oui… non… répondait Fandor, l’air égaré… les docks… les bateaux… la rivière… tout cela, c’est bien Londres.

– Durban, dit le cavalier…

Fandor ne comprenait pas, il répéta :

– Durban… quoi ?… Durban ?

– Oui, Durban, insista le jeune homme, Durban… au Natal… en Afrique du Sud…

Fandor observa avec stupeur l’adolescent qui se trouvait devant lui, puis, brusquement, il recula, poussant un ricanement strident.

Le journaliste n’alla pas loin.

De lourdes mains s’étaient abattues sur ses épaules, de tous côtés on le tiraillait et Fandor, au comble de la surprise, se trouva désormais au milieu d’une troupe d’hommes, tous vêtus de toile brune, armés de carabines, coiffés de chapeaux mous.

Tous l’interrogeaient à la fois, le menaçaient du geste, de la parole.

Comment se trouvait-il là ? D’où venait-il ? Comment prétendait-il justifier sa présence dans les docks interdits au public ? N’avait-il pas allumé l’incendie ?

Toutes ces questions étaient posées à Fandor dans un anglais correct, sans doute, mais aux intonations un peu gutturales, qui rappelaient l’accent du jeune cavalier.

Fandor, épuisé, sur les genoux et la tête vide, considérait ces hommes armés avec des yeux abasourdis, ne trouvant rien à répondre.

Que se passait-il ? vivait-il ? était-il éveillé ?

Le chef venait de dire à ses hommes :

– Il ne veut pas répondre… Je lui donne trente secondes… après quoi, vous connaissez la loi : au mur, et feu de peloton.

Fandor pendant ce temps, balbutiait des phrases où revenait comme un refrain le nom de Fantômas. Puis, soudain, il parut sortir d’un rêve pour demander :

– Où suis-je ? Londres ?… les docks ?

Mais les hommes en uniforme ne désarmaient pas. Ils n’attendaient qu’un signe pour exécuter ce suspect, ce responsable, sans doute, de l’incendie dont les flammes éclairaient cette scène de guerre civile, cet épisode qui restait incompréhensible de son principal intéressé. Fandor ne comprenait pas, parmi les clameurs de la ville en train de s’éveiller, des bruits de trompes, du roulement des chariots et du galop des chevaux, les pompiers sans doute ? Et maintenant, c’étaient les longs soupirs étouffés que poussent les matières incandescentes lorsque l’eau des pompes vient les disputer à la morsure du feu.

Les hommes attendaient toujours l’ordre de leur chef. Le chef – c’était un officier à en juger par les deux galons blancs qui entouraient les poignets de son dolman de toile brune – venait d’apercevoir le jeune cavalier que Fandor avait tiré de son évanouissement.

– Teddy…, petit Teddy, s’était-il écrié, que faites-vous là ?

L’adolescent, dans un élan spontané, était allé vers le militaire, lui avait cordialement serré les mains :

– Lieutenant Wilson Drag… heureux de vous voir… mais quel affreux malheur ici… Qu’allez-vous faire ?

– Les pompiers sont prévenus, ma compagnie était de garde au poste voisin, c’est pourquoi je suis arrivé sur les lieux avant tout le monde. Mais au fait, non… il me semble que vous deviez vous y trouver avant nous ?…

– Avant vous, hum !… je ne sais pas. Mais à peu près en même temps sans doute… Je passais le long des docks lorsque j’ai vu des flammes. J’ai franchi le mur, je suis entré, voilà… et puis…

– Et puis quoi ?

– Et puis, poursuivit Teddy, en faisant un effort pour reprendre son sang-froid, et puis, on a tué mon cheval… un bandit… un assassin l’a tué d’un coup de feu ; c’est alors que j’ai été projeté…

Le lieutenant Wilson Drag, à ces derniers mots, avait un geste brusque.

– A-t-il parlé ? non… il ne veut rien dire… alors, en colonnes… faites les trois sommations et… en joue…

Teddy, qui venait d’entendre ce commandement, bondit littéralement sur l’officier :

– Qu’allez-vous faire ? hurla-t-il, le visage contracté.

– Mon devoir, répondit le lieutenant Wilson Drag.

Et, désignant Fandor, il ajouta :

– Il se trouvait dans les docks, contrairement au règlement… Vous n’ignorez pas, Teddy, que depuis quinze jours la loi martiale est en vigueur. J’ai interrogé cet individu, voici quelques instants… Or, il est incapable de répondre ou plutôt il refuse de répondre… j’étais convaincu tout à l’heure que c’est lui qui a allumé l’incendie, par inadvertance ou méchanceté, peu importe, le fait n’en est pas moins flagrant… vous venez de me dire que votre cheval a été tué, c’est assurément cet homme, il va être fusillé dans un instant…

Haussant la voix, l’officier commandait :

– Allez-y sergent, les sommations…

Le subordonné désigné, se détacha du peloton qui s’était formé devant le malheureux Fandor. Il allait lui prononcer la formule qu’il répéterait encore par deux fois.

Et si Fandor ne se justifiait pas, c’en était fait de sa vie.

Fandor, acculé au mur, comprenait à peine ce qui se passait.

Il n’entendait rien des questions qu’on lui posait, il voyait tout juste les fusils que les soldats venaient de charger, et qui, dans un instant, s’abaisseraient pour le viser en pleine poitrine.

Tout tourbillonnait dans l’esprit de Fandor. Il avait tant de choses à dire, à expliquer, à comprendre surtout… qu’il ne savait par où débuter.

Et tandis que le journaliste se proposait de commencer à faire à ces hommes le récit de ses malheurs, un seul mot, un seul nom s’échappait de ses lèvres :

– Fantômas… Fantômas.

À la deuxième sommation, le petit Teddy qui, d’abord, s’était éloigné, revînt.

Il rompit les rangs serrés des soldats, courut encore à l’officier :

– Lieutenant, supplia-t-il, ne faites pas cela. Ce n’est pas un coupable, c’est un innocent que vous avez devant vous. J’en suis sûr. Il n’avait pas d’armes, ce n’est pas lui qui a tué mon cheval. D’ailleurs, j’étais évanoui après ma chute, et il m’a ranimé. Wilson Drag, je vous en conjure, n’allez pas si vite en besogne et puis, interrogez-le d’abord. Interrogez-le vous-même, je vous en prie…

L’officier hésita un instant.

Après tout, dans son souci de répression et de justice, peut-être allait-il trop vite ? Cet individu avait l’air plus misérable que mauvais. Le lieutenant fit un signe. Ses soldats remirent leur carabine en bandoulière.

Fandor était sauvé, du moins pour quelques instants.

– Votre nom ?

– Jérôme Fandor.

– Votre nationalité ?

– Français.

– Pourquoi êtes-vous entré dans ces docks ? Vous n’ignorez pas que c’est défendu ?

– Je ne sais rien, j’étais dans une caisse, emprisonné par Fantômas.

– Quel est votre domicile ici ?

– J’habite Londres.

– Où vous croyez-vous donc ?

– Sous la dépendance de Fantômas. Je lui échappe encore et je me vengerai.

Fandor, avec des efforts surhumains, était parvenu à faire ces réponses d’une voix à peu près intelligible.

Au fur et à mesure, cependant, qu’il se reprenait en main, il découvrait que ses déclarations ébahissaient Wilson Drag et Teddy. À tel point que, bientôt le lieutenant cessa de l’interroger pour s’entretenir à voix basse avec le jeune homme.

Profitant de cela, Fandor, lentement, titubant comme un homme ivre, était allé vers le cheval mort, et avait retrouvé au pied de la bête, sa veste, noircie mais entière, qu’instinctivement il s’était remise sur les épaules… Mais, comme il soulevait le vêtement, Fandor lui trouva un poids insolite, et le journaliste se souvint tout à coup, qu’il avait, quelques instants auparavant, dissimulé sous l’étoffe, l’extraordinaire trouvaille qu’il devait à la chute du cavalier, autrement dit l’objet reluisant qui s’était échappé du coffret brisé, le crâne blanchi de la tête de mort.

Le premier mouvement de Fandor fut de repousser loin de lui cette affreux objet, mais il n’osa pas. Un rapide coup d’œil circulaire lui avait montré qu’on l’épiait.

– Sacrebleu, pensa Fandor, dont la raison chancelait, que vont-ils penser de moi si je leur montre tout d’un coup mon extravagante trouvaille ?

Par prudence, le journaliste ne déploya donc pas sa veste. Affectant un mouvement naturel, il la plaça sous son bras, de façon à dissimuler la tête de mort.

Cependant, l’officier venait de faire un nouveau signe, les soldats, derechef entouraient Fandor.

Ils étaient moins nombreux que l’instant précédent, quatre seulement s’étaient chargés du prisonnier.

Allait-on cette fois l’exécuter ? N’avait-il échappé à une mort affreuse que pour la trouver quelques instants après, plus atroce encore, et tout aussi incompréhensible ?

Fandor allait protester, crier son innocence, hurler son désir de vivre, lorsqu’il comprit ce qu’on faisait de sa personne.

– Lieutenant Wilson Drag, déclarait le jeune cavalier en prenant congé de l’officier, je pense absolument comme vous. Cet homme est un malade, c’est un fou. Et vous avez raison de le faire conduire au Lunatic Hospital.

– Au Lunatic Hospital, répéta machinalement Fandor, cependant qu’il quittait le dock au milieu de ses quatre gardiens. Si je comprends bien, cela veut dire l’asile des fous. Ah ça, par exemple.

Le journaliste songeait alors à la dernière heure qu’il venait de vivre, à sa sortie extraordinaire de l’abominable cellule dans laquelle l’avait enfermé Fantômas, à l’incendie des docks, au cheval abattu, à la déclaration du jeune homme lui disant qu’il était en Afrique du Sud… à la tête de mort qu’il portait dans sa veste, sous son bras…

Et Fandor sentait la sueur perler à son front, et il s’interrogeait sans pouvoir se répondre.

– Est-ce que je rêve ?… Est-ce que je vis pour de bon ?… Tous ces gens-là sont-ils fous ?… ou alors…


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