Текст книги "La fille de Fantômas (Дочь Фантомаса)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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21 – PRISONNIER DES MACHINES
La tête de mort avait disparu.
Depuis longtemps déjà, un homme au visage dissimulé dans le collet relevé d’un grand manteau drapé à l’espagnole, suivait Winifred et Wilson Drag.
Étouffant le bruit de ses pas, il était parvenu derrière eux jusqu’à la ferme de la vieille Laetitia.
Au moment le plus favorable, alors que Teddy conduisait Winie auprès de Wilson Drag étendu sur le char à bœufs, l’inconnu s’était introduit dans la pièce du rez-de-chaussée, et sans même jeter un coup d’œil sur la morte immobile dans son grand lit tout blanc, il s’était précipité sur la tête de mort, roulée à terre après avoir blessé le lieutenant Wilson Drag.
L’inconnu s’était alors emparé de cet étrange butin, et le dissimulant sous son manteau, il avait disparu.
C’est alors que Teddy était revenu dans la pièce et n’avait plus retrouvé le précieux objet aux allures sinistres, auquel il tenait tant.
Cet homme n’était autre que Hans Elders, le chercheur de diamants.
***
– Très bien… parfait… de mieux en mieux… Voilà qui va me permettre de pousser plus avant mon enquête… d’ailleurs, en ai-je grand besoin ?… il me semble que je suis édifié.
Perdu dans les dédales de Diamond City, Jérôme Fandor monologuait ainsi.
C’était un dimanche après-midi et l’usine était déserte. Depuis la veille au soir jusqu’au lendemain matin, la grosse ruche bourdonnante pendant toute la semaine observait un silence absolu.
Jérôme Fandor, poussé par ses instincts fureteurs et perpétuellement curieux de savoir le pourquoi des choses, avait décidé de retourner sur les lieux de son travail et de se livrer à sa petite enquête personnelle au sujet de cet être éminemment suspect : Hans Elders.
Jérôme Fandor avait donc sauté le mur et s’était introduit dans la place.
Il était environ une heure de l’après-midi, mais Jérôme Fandor ne s’apercevait pas, bien qu’il fut arrivé à l’aube, du temps qui s’écoulait.
La chercherie et la fabrique avec leurs montagnes de terres, leurs immenses ateliers, leurs innombrables machines, constituaient une véritable ville que l’on mettait plusieurs heures à parcourir même en simple visiteur. Or l’étude à laquelle se livrait Fandor était délicate, compliquée et minutieuse.
Le journaliste toutefois, alors qu’il se trouvait dans l’un des derniers ateliers de la taillerie, s’arrêta et s’asseyant sur un escabeau, la tête entre les mains, il réfléchit à haute voix :
– Cette fois-ci ma religion est éclairée, dit le jeune Français. Elders est non seulement un personnage mystérieux, mais encore une sinistre crapule, un redoutable bandit. Par exemple, il est loin d’être bête et sa trouvaille me paraît des plus ingénieuses.
Jérôme Fandor, en effet, avait découvert ceci :
La terre que l’on passe au crible quotidiennement pour s’efforcer d’y découvrir le minerai précieux, contenait une quantité insolite de diamants.
Sans être expert en la matière, Fandor se rendait compte que ces diamants extraits d’un sol superficiel ou prélevés dans les rivières voisines, ne ressemblaient nullement aux diamants bruts, tels qu’on les arrache à la nature. Ces pierres à peine recouvertes d’une gaine de glaise étaient des pierres taillées.
On avait l’impression que ce pays bizarre rendait des diamants perdus plutôt qu’elle ne produisait des diamants vierges.
Il n’avait fallu qu’un coup d’œil au journaliste pour constater que le matériel de la taillerie ne pouvait être utilisé :
– Ces mécaniques-là, pensait-il, sont là pour la frime et dans cette taillerie modèle installée, dit-on, sur le modèle de celle d’Anvers, on ne taille évidemment rien du tout… Mais pourquoi cette mise en scène ?
Fandor se souvint que le Natal n’était pas considéré comme étant un pays producteur de diamants. On y trouvait de l’or, du platine, de l’argent, mais pas de pierres précieuses. Comment se faisait-il donc que soudain, à quelques lieues de Durban, on avait découvert un trésor inestimable et que jusqu’alors nul n’avait soupçonné ?
– Tout cela, monologuait Fandor, sent sa ficelle d’une lieue et la supercherie n’est pas douteuse.
Le journaliste, en proie à une agitation extrême, allait et venait dans la grande salle de l’usine, au milieu des machines.
– Parbleu, s’écria-t-il, j’ai trouvé… le procédé est fort ingénieux.
Et Fandor se disait ceci :
« Les voleurs de diamants, lorsqu’ils sont en possession d’un certain nombre de bijoux précieux, réussissent assez difficilement à s’en débarrasser. On spécule sur le danger qu’ils courent, et le peu de publicité qu’ils peuvent faire pour écouler les marchandises aussi irrégulièrement acquises. Les receleurs qui les achètent les paient à un tarif dérisoire.
« Je suppose, poursuivait Fandor, qui pour préciser sa pensée s’exprimait à haute voix, je suppose que quelqu’un, Hans Elders, par exemple, a l’idée de faire croire à un gisement de diamants… Il y fait apporter par ses complices des diamants volés, il les jette dans la terre et les fait découvrir par des ouvriers… Il en envoie à l’usine où ils sont taillés… Dès lors ces diamants volés ont une histoire inédite, une nouvelle virginité, et rien n’est plus simple que de les remettre dans le commerce comme s’ils sortaient réellement de la chercherie et de la taillerie installées à Durban.
Fandor se frotta les mains, heureux de sa découverte.
Décidément sa visite à Diamond City n’avait pas été inutile. Soudain la lumière s’était faite dans son esprit et il comprenait l’organisation formidable de ce grand bandit qu’était Hans Elders.
De là à croire que le personnage était à la tête d’une bande dont probablement le plus bel ornement n’était autre que le courtier Ribonard, qui présentait une singulière ressemblance avec un certain Riboneau, jadis condamné aux travaux forcés par la Cour de Versailles, il n’y avait qu’un pas.
Fandor tressaillit.
Une conception aussi machiavélique était assurément digne de Fantômas.
Hans Elders était-il donc Fantômas ?
Non… Mais Hans Elders pouvait être un complice de l’insaisissable bandit.
Celui-ci, lors de son apparition en France, n’avait-il pas avoué qu’il arrivait du Transvaal ? Le Transvaal n’était-il pas limitrophe de la colonie du Natal ?…
Et puis, Fantômas n’avait-il pas expédié Fandor, quelques semaines auparavant de Londres dans l’Afrique du Sud où sans doute il avait mystérieusement accompagné le journaliste ?
Et que fallait-il penser de la mystérieuse histoire de la tête de mort dont la possession constituait assurément un avantage et qui, en outre, contenait un secret que Hans Elders semblait avoir le plus vif intérêt à disputer au jeune Teddy ?
Fandor n’eut pas le temps d’envisager longuement cette dernière hypothèse.
Il entendait du bruit, et pour n’être point surpris au milieu de cet atelier dans lequel il n’aurait pas su justifier sa présence, il fallait se dissimuler.
Fandor avait reconnu la voix de Hans Elders. Celui-ci passait dans une courette voisine de l’atelier et simplement séparée par une cloison en vitres dépolies, dont les carreaux supérieurs étaient ouverts pour l’aération, ce qui permettait d’entendre ce qu’il disait.
– Bien, se dit Fandor, Hans Elders tombe à pic et puisque l’occasion s’en présente, je ne serais pas fâché d’avoir un entretien avec ce particulier-là.
Le journaliste plein d’audace et de courage allait sortir de l’atelier, mais il s’arrêta soudain et pâlit :
– Oui, disait Hans Elders, oui, policemen, je suis sûr que notre homme s’est caché quelque part dans les ateliers. Vous l’avez vu comme moi pénétrer dans la chercherie.chercherie. Que venait-il y faire ?
– Sans doute, répliquait une grosse voix inconnue de Fandor et dont la rude sonorité s’atténuait dans des inflexions respectueuses, sans doute vous voler des diamants, monsieur le directeur ?…
– Sans aucun doute, assurait Hans Elders. Mais Jérôme Fandor cherche aussi à se dérober aux autorités. Il n’ignore pas la grave inculpation qui pèse sur sa tête.
– Bien, pensa Fandor, de quoi diable suis-je encore inculpé ? Je n’ai véritablement pas de chance, depuis que je suis tombé dans ce sacré pays, moitié gratte-ciel moitié paillote.
– Mais de quoi suis-je accusé maintenant ?
Il allait être renseigné.
– Ce Jérôme Fandor, poursuivait Elders, qui se dit journaliste parisien, est sans doute un voleur, mais à coup sûr un forcené. C’est lui, messieurs les policemen, qui était le plus acharné à poursuivre le malheureux Jupiter. Je sais bien que la mort d’un noir est beaucoup moins importante que celle d’un blanc, mais Jupiter n’était pas un noir ordinaire, et le sang que l’on a fait couler l’autre soir, au théâtre avec une telle sauvagerie, crie vengeance… Vous savez d’ailleurs, messieurs, les ordres donnés par le gouverneur, il faut à tout prix vous emparer de ce Fandor… « mort ou vif », a dit sir Houston…, ce sont ses propres paroles !… mort ou vif… n’hésitez pas à tirer dessus s’il refuse de vous obéir dès que vous l’apercevrez.
Fandor tressaillit en entendant le claquement sec des revolvers qu’on armait :
– Cela va de mieux en mieux, pensa-t-il… va falloir s’arranger pour déguerpir avant d’être aperçu de ces gaillards-là. La justice au Natal me fait l’effet d’être terriblement expéditive, et mieux vaut éviter une rencontre que d’avoir à s’expliquer avec les revolvers de ces messieurs les agents.
Le journaliste scrutait des yeux la pièce dans laquelle il se trouvait. Celle-ci paraissait n’avoir qu’une seule issue et Fandor ne pouvait songer à en profiter, car c’était vers cette porte que se dirigeait le petit groupe d’agents piloté dans l’usine par le redoutable Hans Elders.
Fandor instinctivement recula à l’autre bout de l’atelier. Il aperçut une poignée. Le journaliste poussa un soupir de soulagement.
– Tant mieux, s’écria-t-il, voilà une issue.
Il appuya sur cette poignée, mais, soudain, il entendit un violent crépitement. C’était simplement, non pas un bouton de porte, mais un commutateur électrique qui venait d’allumer les lampes à arc.
Celles-ci, malgré le grand jour, scintillaient éblouissantes, et assurément leur allumage ne passait pas inaperçu, car de l’extérieur, Fandor entendit des exclamations étonnées émanant des lèvres de ceux qui le poursuivaient.
Il aurait voulu signaler sa présence, la crier sur les toits, qu’il n’aurait pas procédé autrement.
– Sacré nom de Dieu, jura Fandor, me voilà frais… dans quelques secondes, ces sauvages vont être sur mon dos et c’est bien le diable s’ils ne me démolissent pas au premier geste.
Instinctivement Fandor éteignait les lampes, mais au mouvement qu’il faisait pour y parvenir la manche de son veston déclenchait un autre commutateur, et soudain un ronflement formidable assourdit l’usine.
C’étaient les machines électriques qui se mettaient en branle.
– Cette fois, conclut Fandor, je suis foutu.
La porte de l’atelier s’ouvrit.
– Hands up !
Haut les mains. Fandor connaissait l’ordre.
Les mains hautes, c’est-à-dire l’impossibilité de résister, de prendre une arme, d’effectuer le moindre geste sans être immédiatement considéré en état de rébellion et frappé par une balle meurtrière.
Fandor leva donc les mains, résigné, attendant son sort lorsque soudain ses doigts dressés au-dessus de sa tête étaient frôlés par quelque chose, qu’instinctivement Fandor regardait. C’était une grosse courroie de transmission déclenchée quelques instants auparavant par la maladresse du journaliste.
Embrayée sur une poulie, la large courroie montait jusqu’au sommet de l’atelier, passait à travers la toiture, pour aller se perdre on ne savait où.
En l’espace d’une seconde, le journaliste comprit le parti qu’il pouvait en tirer.
Avant que les policiers qui allaient se précipiter sur lui aient eu le temps de comprendre son intention, Fandor, qui de ses deux mains nerveuses et robustes s’était agrippé au cuir de la courroie de transmission, était enlevé par celle-ci comme un fétu de paille.
La courroie l’entraînait vers la toiture de l’atelier, Fandor bénéficia d’une ouverture ménagée dans le vitrage pour le passage de la transmission.
Il passait ainsi cependant que du bas de l’atelier, on tirait à coups de revolver sur cet audacieux évadé.
– Ouf.
Mais l’élan qui lui avait été imprimé au moment de son départ se multipliait, et tandis que la courroie continuant à courir sur la poulie redescendait à l’intérieur de l’atelier, Fandor était précipité dans le vide. Le malheureux eut une seconde la sensation qu’il allait s’écraser sur le sol.
Fandor ne tomba pas sur un sol de terre ou sur de la pierre, mais il s’effondra au milieu d’un marécage de boue grasse et légère qu’agitait une grosse meule de pierre.
Fandor suivait le chemin des terres que l’on remuait sans cesse pour leur faire rendre des diamants. La grosse meule de pierre l’entraînait avec une violence irrésistible, Fandor tombait sur les palettes de bois d’une énorme roue à aube, comme une roue de navire sur laquelle il effectuait un parcours acrobatique, involontaire et en arc de cercle.
Le journaliste moulu, aveuglé, à demi étouffé, ayant de l’eau, du sable et de la boue dans les yeux, les oreilles, la bouche et les narines, était incapable de faire le moindre effort pour réagir, pour lutter contre la tourmente qui l’emportait. Une fois de plus cependant Fandor jugeait avec un imperturbable sang-froid la situation dans laquelle il se trouvait :
Il avait vu quelque part des herses énormes, des roues dentées aux engrenages se mêlant les uns aux autres. Il avait remarqué d’effroyables plateaux broyeurs hérissés de pointes. Il se disait que peut-être, d’ici quelques instants, d’une seconde à l’autre, le hasard de la machinerie inconsciente allait le livrer à l’un de ces monstres de fer, et qu’après cet effroyable contact, son corps sortirait des mâchoires horribles, réduit à l’état de bouillie.
Mais soudain, Fandor qui peu à peu perdait la notion des choses et se sentait défaillir, fut brusquement plongé dans une eau d’une fraîcheur extrême et emporté par un courant de flots tumultueux. Le journaliste suffoqua.
Faisant pourtant d’inimaginables efforts, il réussit à deux ou trois reprises à revenir à la surface de ce tourbillon d’eau glacée. Mais le courant soudain plus rapide encore l’entraîna.
Les eaux tonitruaient, résonnant dans un tube sombre et sonore, Fandor fut emporté.
Dans l’espace d’une seconde, il avait vu le gouffre ou chavirait son corps impuissant à résister.
– Le siphon se dit-il, je suis pris dans le siphon des eaux qui alimentent les machines à vapeur.
Puis ce fut la nuit.
22 – À LA DÉRIVE
Cependant sur le British Queen, la peste continuait ses ravages.
La lutte contre l’épidémie devenait chaque jour plus difficile. Les nombreux cadavres qui pourrissaient sur le navire rendaient l’air absolument irrespirable, les boîtes de conserves qui avaient fait jusqu’alors l’unique nourriture étaient épuisées et il allait falloir manger des aliments suspects.
C’est précisément ce qui faisait l’objet de la conversation des quatre passagers réunis dans la salle à manger.
C’était un Belge appelé Le Clain qui parlait. Ancien étudiant en médecine, il avait quitté l’art de soigner les malades pour embrasser la carrière d’explorateur, plus en rapport avec ses goûts aventureux.
Il se rendait en Australie pour dresser la carte des régions inexplorées. Ses premières études l’avaient qualifié pour prendre la direction des mesures sanitaires, après la mort des médecins à bord. Il était secondé dans son œuvre de dévouement par le naturaliste Towtea, le jeune et déjà célèbre auteur de travaux nombreux sur les capillaires, par le professeur français, Raymond, et enfin par la toujours gracieuse et active Miss Dorothea.
– La lutte est impossible, disait Le Clain. Ce matin j’ai constaté quinze cas nouveaux. Nous n’avons plus les locaux suffisants pour isoler les derniers malades, et ils vont être obligés de rester parmi nous, cela revient à dire que nous sommes tous condamnés et que nous n’avons plus qu’à attendre notre tour. Si nous avions du sérum, peut-être pourrions-nous essayer de résister encore. Mais nous n’en avons pas et notre dernier espoir d’en avoir s’est évanoui avec le départ du médecin de Durban.
– Mais est-ce qu’il n’y a vraiment plus moyen de communiquer avec la terre ? demanda Towtea en se tournant vers miss Dorothea.
– C’est complètement impossible, répondit la jeune télégraphiste. Par suite de la mort de presque tous les hommes d’équipage, les machines du bord se sont arrêtées et personne parmi nous n’est capable de les mettre en mouvement. Il n’y a plus de courant. Mes appareils sont morts.
– Il faut donc nous résigner ?
– Peut-être avons-nous encore un peu d’espoir, répondit Raymond.
Le professeur était resté muet pendant toute cette conversation. Il réfléchissait.
Depuis un instant, il ne quittait pas des yeux un individu qui se trouvait dans la salle à manger, debout devant un sabord et qui leur tournait le dos. Il le désigna du doigt.
– Est-ce que vous connaissez cet homme ? demanda-t-il à ses compagnons.
Ils répondirent tous que non, il y avait seulement quelques jours qu’ils l’avaient aperçu parmi eux.
– C’est sans doute un passager de deuxième classe qui a fui de notre côté, parce que le fléau était trop violent dans l’autre partie du navire.
– Eh bien, reprit Raymond, je suis persuadé que cet homme possède du sérum…
– Du sérum, s’écrièrent-ils tous à la fois, ce n’est pas possible.
– J’en suis certain. Ce matin, comme je passais devant une cabine, j’ai vu par terre, sur le pas de la porte, une capsule de verre brisée. Je l’ai ramassée et j’ai pu me convaincre qu’elle avait contenu du sérum. J’ai voulu savoir qui habitait cette cabine, quel était le possesseur du précieux remède, et, par la porte entrebâillée, j’ai aperçu l’individu que vous voyez en train de ranger dans une boîte un certain nombre de tubes semblables à celui que j’avais ramassé.
– Mais alors, nous sommes sauvés, s’écria Towtea. Je vais lui demander de donner de son remède. Il ne refusera certainement pas et alors nous pourrons recommencer et avec succès cette fois, la lutte contre le fléau…
Il s’était élancé déjà, mais Raymond l’arrêta du geste.
– Ne vous précipitez pas, vous allez peut-être tout compromettre par trop de hâte. Songez que cet individu doit avoir des raisons pour ne pas nous offrir le sérum. Il faut agir avec précaution et nous arranger pour qu’il ne puisse pas refuser…
– Si vous voulez, dit Le Clain, voici comment nous procéderons. L’un de nous ira lui adresser la requête, cependant que les autres se tiendront à portée de sa cabine, prêts à s’emparer des boîtes au cas où il les refuserait. Je crois que l’intérêt général autorise cette violence à laquelle bien entendu, nous ne nous livrerons qu’à la dernière extrémité.
– Bravo, s’écria Towtea. Vous eussiez dû naître général d’armée, le plan est génial. C’est moi qui vais aller parler à ce monsieur, et vous vous placerez tous deux à l’entrée de l’escalier conduisant aux cabines…
Le passager inconnu avait bien compris, en voyant les regards des quatre interlocuteurs dirigés de son côté, qu’il était question de lui.
Il se tenait donc sur ses gardes, et lorsque Towtea lui fit la demande d’avoir un entretien avec lui, il acquiesça d’un geste bref.
– Monsieur, commença le naturaliste, ma démarche est peut-être incorrecte, mais la situation terrible dans laquelle nous nous trouvons nous élève au-dessus des convenances et vous m’excuserez. Nous avons appris que vous possédiez du sérum contre la peste. En ce moment ce sérum est absolument indispensable à la sauvegarde des quelques survivants du navire, et comme c’est nous jusqu’ici qui avons assuré la tâche et le rôle d’infirmiers volontaires, nous vous prions de nous le remettre.
– Monsieur, votre demande me surprend étrangement. Je n’ai jamais eu en ma possession le moindre tube de sérum. Croyez que si j’en avais eu, je n’aurais pas attendu jusqu’à présent pour le mettre à la disposition de votre science et de votre dévouement.
– Monsieur, insista Towtea, il est inutile de nier, on a vu les tubes dans votre cabine…
– On s’est trompé certainement. La peur de la peste a dû produire des hallucinations chez ceux qui vous ont renseigné.
– Non, la personne qui les a vus avait tout son sang-froid et tout son bon sens. Je vois que vous refusez de vous dessaisir de ces tubes précieux. Pourquoi ? je n’en sais rien. Vous en avez dix fois plus qu’il n’en faut pour votre consommation personnelle. Vous n’avez pas juré la mort de nous tous. Songez au nombre de ceux qui ont déjà péri. Songez que le salut des survivants est entre vos mains ? Ne refusez pas de les sauver. Regardez miss Dorothea qui vous observe avec des yeux angoissés, car elle s’est aperçue que vous me disiez non. Elle aussi sera atteinte par le fléau si vous ne nous venez pas en aide. Laisser disparaître tant de beauté, tant de jeunesse… Vous ne le voudrez pas, ce serait monstrueux.
– Brisons là, monsieur, je vous ai déjà donné une réponse, je n’ai pas de sérum. Je ne puis donc vous être utile en rien et je ne désire pas être importuné plus longtemps.
– Eh bien, puisqu’il en est ainsi, nous allons avoir le regret de nous passer de votre bonne volonté, et nous allons fouiller votre cabine. Ces deux messieurs qui sont là-bas en haut de l’escalier n’attendent qu’un signe de moi.
Au même instant il invitait de la main Raymond et Le Clam à accomplir leur mission et ceux-ci se mettaient en devoir de descendre l’escalier.
Mais ils avaient à peine tourné le dos et descendu une marche qu’un grand cri les figeait sur place et les forçait à se retourner.
– Arrêtez, ou je vous brûle la cervelle !
Qui donc avait crié ?
C’était l’inconnu.
Il avait tiré de sa poche un browning de fort calibre, et il le braquait sur les assistants d’une façon menaçante. Il paraissait fort en colère et semblait disposé à faire un véritable massacre, plutôt que de laisser approcher.
– Vous ne manquez pas d’audace, criait-il, de vouloir pénétrer malgré moi dans ma cabine ! Et de quel droit, s’il vous plaît ? Pour avoir du sérum ? Eh bien oui, j’en ai, mais vous crèverez tous sans que je vous en donne ça. Vous voulez le prendre sans ma permission ? Que l’un d’entre vous essaye… Une balle dans la tête le guérira à tout jamais de la peste et de ses horreurs.
Les passagers qui se trouvaient dans la salle au début de la discussion, mais qui n’y avait pas pris part, s’étaient levés au premier cri. Puis, sous la menace du revolver, ils avaient fui en désordre dans un coin de la salle et ils s’y tenaient terrifiés. Seuls Le Clain et Raymond restaient toujours debout sur le haut de l’escalier, et Towtea se tenait à quelques pas de l’inconnu.
Pendant longtemps ils demeurèrent immobiles de stupeur et d’effroi. Un silence régnait, troublé seulement par les gémissements des moribonds qui venaient du dehors accompagnés du grand bruit de la mer.
Et l’inconnu promenait sur eux un sourire vainqueur et sinistre…
Towtea fut le premier à se ressaisir. Profitant d’un moment où le bandit, fatigué de tenir son revolver braqué, l’avait légèrement incliné vers la terre, il bondit sur lui. Entraîné à tous les exercices physiques, il espérait terrasser facilement cet adversaire. Il le saisit donc à bras le corps et il essaya de le renverser. Au même moment, Raymond et Le Clain, encouragés par son exemple, se précipitèrent, eux aussi, et du fond de la salle, le reste de la troupe reprenant un peu de courage, s’élança à leur secours.
C’en était fait du passager énigmatique.
Il avait les bras immobilisés et ne pouvait pas faire usage de son revolver. Il essaya de se dégager de l’étreinte de Towtea, mais Towtea le tenait et le tenait bien.
Pour comble, son browning tomba sur le parquet. Il était désarmé. Ainsi, un instant avait suffi pour intervertir complètement les rôles. Celui qui triomphait cyniquement tout à l’heure allait être maintenant à la merci de ses persécutés et Dieu sait quel supplice il allait subir en punition de la frayeur où il les avait plongés.
Mais tout à coup on vit une chose incroyable.
Après une série de sauts et de bousculades entremêlés de jurons et de cris de douleur, l’inconnu, le revolver au poing, au haut de l’escalier, fit feu par trois fois.
Successivement Towtea, Raymond et Le Clain tombèrent à terre, mortellement atteints. Que s’était-il passé ? Lorsque le monstre s’était vu immobilisé entre les bras de Towtea et dans l’impossibilité, non seulement de se servir de son arme, mais encore de faire usage de sa force herculéenne, il avait eu l’idée d’une ruse infernale : il avait laissé tomber son revolver. Sans réfléchir qu’il lâchait ainsi la proie pour l’ombre, Towtea s’était précipité pour s’en emparer. Son prisonnier avait les mains libres.
D’un violent coup de poing, il avait renversé le naturaliste. Puis, d’un coup de pied, il avait envoyé le revolver rouler du côté de l’escalier. Il ne lui restait plus qu’à aller le chercher. Sitôt dit, sitôt fait.
Repoussant violemment Raymond et Le Clain qui sautaient sur lui, il s’était élancé à travers la salle, avait saisi son arme et, avait étendu à ses pieds ses trois adversaires.
De nouveau, c’était lui le maître de la situation. Plus personne ne pouvait songer à lui résister et personne, en effet, n’y songeait…
Désormais il put se promener à sa guise dans toute l’étendue du navire. Bien loin d’entendre des cris de menace, c’était un concert de supplications qui accompagnait ses pas.
Le général Gothers, un des héros de la guerre du Transvaal, dont toute la vie était un exemple d’héroïsme et de courage, qui se vantait de n’avoir jamais courbé la tête devant personne, s’était jeté à genoux devant le bandit.
– Du sérum, par pitié, ma fille est gravement atteinte. C’est une pauvre enfant qui n’a jamais fait de mal à personne. Elle n’a que seize ans, c’est affreux de mourir à cet âge…
Le vieillard sanglotait et de grosses larmes coulaient de ses yeux, mais l’inconnu le repoussa durement et passa son chemin.
Lady Melson qui occupait à la Cour d’Angleterre une situation des plus en vue, et dont la morgue hautaine était si intransigeante qu’elle avait même refusé de se mêler aux réjouissances communes pendant la traversée, implorait à ses pieds la vie de son mari mourant :
– Si vous le sauvez, j’obtiendrai pour vous tout ce que vous voudrez de la reine d’Angleterre. Si vous avez commis des crimes, ils vous seront pardonnés. Si vous voulez des honneurs, ils vous seront prodigués.
Un gros marchand de buffles, nommé Von Cordeer, Hollandais à la stature de géant, rendu énorme par une couche fantastique de banknotes dont il s’était tapissé le corps pour qu’elles ne le quittent jamais, se traînait devant lui et lui offrait sa fortune.
– J’ai sur moi trois millions de papiers, disait-il, je vaux trente millions sur le marché de Londres. J’ai des troupeaux, des propriétés dont je n’ai jamais pu faire le tour. Mes serviteurs sont si nombreux que je n’en sais pas le compte. Je vous donne…
Sa figure rouge devenait noire, tant était grande sa crainte de la mort.
Bientôt, pour comble d’horreur, les plus malades anéantis jusqu’alors dans leurs cabines, ayant appris que quelqu’un possédait du sérum, rassemblaient leurs derniers restes de forces et voulaient venir joindre leurs supplications à celles des bien portants.
Enveloppés dans de grosses couvertures, ils essayaient de se traîner… Les uns tombaient devant leur porte, d’autres en montant l’escalier, et le reste venait mourir aux pieds même de l’inconnu… Mais c’était en vain, le bandit restait impassible et ne répondait pas aux prières. Parfois lorsque la demande était trop pressante, pour se débarrasser des importuns, il leur tirait dessus à coups de revolver.
Parfois, comme ivre de meurtre, il se précipitait sur un groupe de passagers, poignardant les hommes, jetant à l’eau les autres, et ne s’arrêtant que lorsque tous les survivants avaient fui.
Aussi ce fut bientôt la fin. Les malades, en sortant de leurs cabines, avaient apporté la contagion dans les régions encore saines du navire. Les passagers valides n’avaient plus eu le courage de prendre des précautions. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient atteints.
En l’espace de quelques jours, ils périrent et le British Queen, ne fut plus qu’un immense cercueil.
Qui eût prédit naguère une fin si triste à ce magnifique vaisseau, lorsqu’il fendait triomphalement de ses formes élancées les flots de l’océan ?
Dans les derniers moments de l’agonie, l’inconnu s’était retiré dans sa cabine ; il se garantissait contre les possibilités de contagion par de fréquentes injections de sérum.
Il n’en sortit que lorsqu’il crut que tout était fini, et il se mit à visiter le navire pour être sûr qu’il ne restait nul survivant.
– Ils sont bien tous crevés, se disait-il… Il était temps car je commençais singulièrement à m’ennuyer, je voyais le moment où j’allais être obligé de les achever tous au revolver. Mais non, ils y ont mis de la bonne volonté, c’est bien fini, plus rien ne remue.
Tout en monologuant ainsi, il avait atteint le pied d’un mât et, machinalement il regardait vers la grande hune. Il poussa soudain une exclamation :
– Mais je ne me trompe pas, il y a quelqu’un là-haut, qui cela peut-il bien être. Juve, peut-être ? Non, il y a longtemps qu’il a dû partir. Hé, là-haut, de la hune, préparez-vous à descendre, si vous ne descendez pas, je vous brûle la cervelle.
Sa voix résonnait étrangement au milieu du silence, et il braquait son revolver vers le milieu du mât…
Le résultat ne se fit pas attendre. On vit apparaître un enfant de quinze ans, déguenillé, maigre, les yeux pleins de terreur, qui dégringola rapidement du mât et vint tomber au pied de l’inconnu.
– Qui es-tu ?
– Je suis Popsy, le petit mousse.
– Que faisais-tu là-haut ?
– J’attendais que la maladie ait cessé.
– Combien y a-t-il de temps que tu es là ?
– Depuis le début. Lorsqu’on m’a dit qu’il y avait la peste à bord, j’ai pensé qu’il n’y ferait point bon rester et que l’air là-haut était meilleur que partout ailleurs ; alors j’ai fait un paquet de provisions, je l’ai porté avec moi, j’ai vécu dans la hune jusqu’au moment où vous m’avez appelé.
– Et tu n’as jamais rien ressenti ?
– Non.
– Tu es bien maigre pourtant…