Текст книги "La fille de Fantômas (Дочь Фантомаса)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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2 – UN VOL MYSTÉRIEUX
– Sévère mais juste, impartial mais bon… et surtout profondément honnête… telle est ma devise… et cette ligne de conduite me réussit parfaitement… Chère Fräulein, un peu d’orangeade ?
– Ça n’est pas de refus, monsieur Hans Elders, surtout qu’il fait cet après-midi une température véritablement torride…
Le couple s’acheminait vers un élégant buffet dressé au fond de la véranda, derrière lequel se tenait une armée de serviteurs.
M. Hans Elders, directeur d’une importante mine de diamants située dans la campagne, à quelques milles de Durban, fêtait cet après-midi-là les dix-huit ans de sa fille unique, Winifred, une majestueuse et superbe personne à chevelure de jais, aux yeux étincelants.
– Oui, reprenait Hans Elders en s’adressant à son interlocutrice, une grande femme desséchée de quarante-cinq ans environ, oui, l’honnêteté scrupuleuse, c’est encore le meilleur moyen de réussir dans la vie. C’est là un principe que m’ont transmis mes parents, qui le tenaient eux-mêmes de mon arrière-grand-père. Ainsi, vous voyez que cela remonte loin.
Avec une pointe d’ironie, Fräulein Grosschen, dont le regard malicieux pétillait derrière les lunettes à cercle d’or, répliqua lentement :
– Si nous en croyons les Écritures, monsieur Hans Elders, le principe de l’honnêteté remonte encore plus haut que votre bisaïeul, mais, néanmoins, il y a lieu de vous féliciter de le respecter car, notamment dans ce pays neuf que vous habitez, l’observation du Devoir et la correction ne sont pas tellement répandues.
– C’est exact, reconnut Hans Elders, vous avez pu vous en apercevoir comme moi.
– Oui, répliqua la grande et sèche Allemande avec un air dépité.
Hans Elders faisait allusion à un vol dont avait été victime, quelques semaines auparavant, Fräulein Grosschen. Un rat d’hôtel lui avait dérobé son porte-monnaie, la nuit, ainsi qu’une chaîne en or, et l’anguleuse personne en voulait à la nation entière du dommage qu’elle avait éprouvé.
Fräulein Grosschen, célibataire invétérée, était depuis quelques mois déjà dans l’Afrique du Sud, où elle venait effectuer une étude économique et sociale pour le compte d’un journal de Berlin. Il était bien évident que les travaux de la femme écrivain refléteraient cette opinion assez fâcheuse sur les habitants du Natal.
Hans Elders, cependant, lui expliquait le mécanisme de son affaire.
Venu dans ce pays nouveau quinze ans auparavant, avec l’intention de s’y livrer à des travaux agricoles, il avait eu la chance de découvrir dans le lit d’une rivière une série de petits diamants qui lui avait donné à croire qu’il existait là un gisement de premier ordre.
Hans Elders avait tenu sa découverte secrète, avait acheté de nombreux terrains. Il avait embauché un important personnel et, une fois seulement que son organisation avait été au point, il avait publié sa merveilleuse trouvaille.
D’abord, nul avait voulu le croire, car, de mémoire d’homme, on n’avait jamais trouvé de diamants au Natal.
Il fallu bien se rendre à l’évidence toutefois : Hans Elders en trouvait dans sa chercherie, et même de forts beaux.
– Mais, poursuivit Fräulein Grosschen, qui, scrupuleusement, prenait des notes, vous avez fait mieux encore, n’est-il pas vrai ?
…Et tandis qu’elle passait dans le jardin avec Hans Elders, elle lui désignait les cheminées d’une grande usine qui se profilaient sur le ciel, à quelque distance de la propriété.
– Effectivement, répliqua Hans Elders, afin d’abaisser le prix du diamant en supprimant les intermédiaires et en diminuant la main-d’œuvre, j’ai installé ici même une taillerie semblable à celles d’Anvers ou de Rotterdam.
Fräulein Grosschen allait poser des nouvelles questions à son hôte, mais celui-ci la quitta brusquement pour aller saluer un couple qui faisait son entrée dans la véranda. Couple important à coup sûr, puisqu’à son entrée, les conversations s’étaient arrêtées, et l’orchestre des tziganes avait interrompu sa valse lente, pour attaquer le God Save the King.
Les nouveaux arrivants n’étaient autres, en effet, que sir et lady Houston.
Sir Houston était le gouverneur de Durban. Il représentait le gouvernement anglais avec une majesté et une morgue tout à fait caractéristiques.
Hans Elders s’était précipité au-devant de ces invités de marque qui, pour la première fois, avaient daigné accepter son invitation. Il se confondait en salutations et en remerciements.
– Lady Houston, dit-il en baisant galamment la main de la belle Anglaise, vous excuserez cette petite réception familiale, qui est loin de la splendeur de vos réunions au palais de la Résidence, mais vous savez que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a.
Sir Houston félicitait Hans Elders :
– Vous occupez, déclara-t-il, de nombreux ouvriers dans votre chercherie, je suppose que la plupart sont Anglais ?
– Oh, certainement, ce sont d’ailleurs les meilleurs ouvriers du monde, et cela a l’avantage d’affirmer encore l’influence de l’empire britannique dans la colonie.
Hans Elders interrompit soudain ses compliments pour présenter au gouverneur et à sa femme, sa fille Winifred.
– C’est le plus beau joyau de ma collection, déclara-t-il en souriant.
Cependant que sir Houston s’inclinait devant la jeune fille, lady Houston lui tendait la main cordialement.
– Et, ajoutait-elle en répondant à Hans Elders, c’est assurément aussi le bijou qui vous est le plus cher.
Par déférence pour le gouverneur et respect pour l’actualité, on s’était entretenu dans les groupes susceptibles d’être entendus de lui, du récent désastre des docks, de l’incendie dont les dégâts étaient heureusement couverts par l’assurance.
Puis cet hommage au malheur une fois rendu, chacun avait repris la mine souriante de rigueur.
Winifred Elders était l’objet de tous les regards, aussi des commentaires les plus flatteurs.
La jeune fille faisait les honneurs de la demeure de son père à l’épouse du gouverneur.
Quant à celui-ci, ayant avisé un groupe d’officiers qui fumaient dans le jardin, à l’ombre d’un grand arbre, il allait se mêler à eux.
Un instant, Hans Elders, resté seul, se faufila hors de la salle où les valseurs reprenaient leurs danses, lorsqu’il se heurta à un jeune homme, qui le salua le premier d’un léger hochement de tête.
– Tiens, s’écria Hans Elders, vous voilà vous, petit sauvage… Comment se fait-il qu’on vous rencontre dans une fête mondaine ?
L’adolescent que Hans Elders avait qualifié de « petit sauvage » pâlit et murmura les dents serrées :
– J’ai fait un effort sur moi-même, monsieur… mais croyez bien que je trouve votre réception charmante.
Hans Elders déjà s’était éloigné, cependant que le jeune homme, de plus en plus ému, se disait tout bas :
– Et dire qu’il faut lui serrer la main… qu’il faut lui faire bon visage… à ce monstre, à ce bandit… Heureusement qu’il ne se doute de rien, et que moi je le connais… j’ai donc l’avantage sur lui.
Il fut arraché presque aussitôt à ses réflexions. Des jeunes gens et des jeunes filles en costumes de sport avaient surgi dans le petit salon. Les uns et les autres appelaient :
– Teddy… Teddy…
Teddy, car c’était lui, sourit aux nouveaux arrivants, distribua des poignées de mains.
– Nous allons faire un « golf », dit un robuste gaillard. Déjà tout prêt à cet exercice, il avait constitué une équipe où se trouvaient quelques femmes très résolues à parcourir une dizaine de milles à pied avant l’heure du thé.
Mais la partie de golf était concurrencée par une attraction sensationnelle, et Teddy, entraîné dans la foule de ses amis, se trouva soudain dans la véranda, au milieu d’une foule compacte de jeunesse qui entourait un nègre véritablement magnifique de silhouette et de musculature.
Jupiter.
On connaissait Jupiter, depuis cinq ou six ans, comme l’ouvrier le plus dévoué de la chercherie de diamants.
Certes, il eût été étrange de le rencontrer à cette réception élégante et mondaine, s’il n’avait été, comme ses collègues, qu’un simple noir obligé de gagner sa vie en fouillant dans la terre molle pour en extraire le diamant. Mais Jupiter, mettant à profit sa vigueur herculéenne, s’était entraîné à la boxe depuis de longues années. Rapidement, il avait excellé dans ce sport et il était devenu le champion de la région.
C’était déjà quelque chose.
Or, depuis trois jours, Jupiter avait fait mieux.
Au cours d’un match sensationnel, il avait mis « knock-out », c’est-à-dire battu le champion d’Australie, le célèbre Boully Stone, et, de ce fait, avait gagné la jolie somme de dix mille livres sterling.
Le clan des auditeurs de Jupiter se divisait en deux groupes : il y avait ses admirateurs absolus, gens épris de sport et pleins de respect pour la vigueur de ces poings qui avaient démoli l’homme considéré jusqu’alors comme invincible. Il y avait aussi les puristes, les gens de tradition, qui ne pouvaient admettre que l’on reçût dans une société, même un peu mêlée, un homme de couleur.
Le nègre, toutefois, auquel on avait donné, indépendamment de ses dix mille livres sterling, un superbe bracelet d’or, exprimait sa joie intense par une mimique expressive et une perpétuelle agitation. Sans cesse, il montrait son poignet orné du bijou, et ne s’interrompait que pour frapper de sa large main la poche intérieure de son veston où il tenait sa fortune en billets de banque.
Jupiter, d’ailleurs, se réjouissait beaucoup plus, semblait-il, du bracelet d’or que du papier-monnaie.
Avisant Hans Eiders qui passait dans le voisinage, il l’interpella presque familièrement.
– Moussié Hans, disait-il, moi pas vouloir garder cet argent… Moi te le donner pour mettre dans la caisse à secret… Jupiter pas besoin… il le reprendra quand il achètera une femme.
Hans Elders sourit de la confiance du nègre. Il commença par refuser ce dépôt. Mais – comme un véritable enfant – Jupiter avait pris une mine contrite, et le directeur de la chercherie finit par céder.
On insistait d’ailleurs auprès de lui :
– Vous ferez bien, lui disait-on, de mettre cette petite fortune en sécurité. Jupiter livré à lui-même irait la jouer ou la boire.
– Soit, avait répondu Hans Elders.
Avec quelques intimes il avait passé dans son cabinet de travail, et déposé provisoirement les billets de banque dans un tiroir fermé à clef, avant d’aller les porter dans son coffre-fort.
Le jeune Teddy, toutefois, n’était pas resté longtemps en contemplation devant le nègre, pour lequel il éprouvait cependant une sincère et cordiale affection.
Teddy avait une préoccupation évidemment plus sérieuse. De ses yeux intelligents et fureteurs, il fouillait l’ombre des massifs et les allées touffues du parc.
Un couple s’y promenait, cherchant la solitude, semblait-il.
Teddy, amusé, suivait des yeux ce manège.
– Oh ! oh ! pensa l’adolescent, voilà un flirt qui, non seulement se dessine, mais s’affirme joliment. Winifred et le lieutenant Wilson Drag. Ma foi, ils me paraissent faire un joli couple. Mais jamais ce vieux bandit de Hans ne consentira…
Teddy eut un geste évasif cependant que son front se plissait. Il semblait qu’à chaque fois que le nom de Hans Elders lui venait à l’esprit, il éprouvait comme une douleur et qu’une colère sourde s’allumait dans son cœur.
Quels pouvaient bien être les motifs qui déterminaient chez ce gentil garçon, aux manières douces et élégantes, une haine semblable pour un homme d’âge mûr, et qui avait gagné l’estime et la considération par son travail opiniâtre ?
Le soir venait ; les invités du chercheur de diamants qui, jusqu’alors avaient erré, soit dans les salons de la villa, soit dans le vaste parc de la propriété, avaient regagné le jardin d’hiver pour y déguster la boisson traditionnelle… le thé… Et c’était dans cette pièce une gaieté charmante, une réunion pleine d’entrain, d’où fusaient les rires les plus joyeux, où les hommes élégants, distingués et aimables courtisaient avec tact les femmes les plus gracieuses et les plus délicatement parées.
Les conversations, toutefois, s’interrompirent à l’arrivée d’un personnage tout couvert de poussière, qui s’arrêta interdit sur le seuil de la porte, surpris sans doute de se trouver en si belle compagnie.
Mais Hans Elders avait déjà couru vers lui et l’attirait au milieu des invités, voulant de toute force le présenter au gouverneur :
– Sir Houston, permettez-moi de vous faire connaître mon collaborateur et ami : M. Ribonard, un Français qui s’occupe très activement du placement de nos diamants.
– Ils doivent être d’un placement facile ? dit le gouverneur, facétieux comme tous les gouverneurs qui viennent de prendre le thé, auquel Ribonard répondit :
– Mon Dieu, monsieur, cela dépend de la demande… les marchés sont très variables, particulièrement depuis ces dernières années, et le Brésil nous fait une grosse concurrence, mais les affaires ne vont pas mal en ce moment… J’arrive de Pretoria où la Bourse est excellente…
Le courtier et le gouverneur causèrent encore quelques instants cependant que les salons se vidaient peu à peu.
Devant le perron de la maison s’alignaient les modes de transport les plus variés : calèches élégantes, d’un autre âge, attelées en poste et conduites par des Cafres montés à califourchon. Il y avait aussi des automobiles de luxe qui trépidaient au milieu de l’escadron des chevaux de selle.
Teddy, plus renfrogné encore qu’au début de la journée, s’esquiva parmi les derniers invités.
Décemment, il ne pouvait rester plus longtemps chez Hans Elders. Il semblait toutefois que le jeune homme aurait voulu ne pas quitter la villa du riche prospecteur de diamants.
Quels étaient donc les motifs qui pouvaient l’y retenir ? Quels qu’ils fussent, d’ailleurs, Teddy n’y obéissait pas. Sautant à cheval, d’un seul bond, sans s’aider de l’étrier que lui tenait un serviteur, il se mit en selle rapidement, et ne suivant pas les autres invités qui, pour la plupart, regagnaient la ville, élégant cavalier, il s’élança à travers la campagne, galopant dans la direction de la lisière d’une grande forêt au bord de laquelle, à six miles de chez Hans Elders, se trouvait la ferme pittoresque où il avait été élevé.
***
La tristesse silencieuse, qui succède à une fête qui vient de s’achever, planait maintenant sur la villa de Hans Elders, que les familiers avaient baptisée tout naturellement « Diamond House » pour la distinguer de la chercherie proprement dite, alors que les immeubles des ouvriers de la taillerie, groupés autour de l’usine, avaient été appelés, non moins évidemment, « Diamond City ».
Dans le salon encore en désordre et que les tziganes venaient de quitter, Winifred, son père et le nègre Jupiter se trouvaient réunis.
On avait pris le thé fort tard, c’est à peine si le père et la fille avaient dîné. L’un et l’autre fumaient distraitement des cigarettes en écoutant le brave nègre qui donnait libre cours à sa joie :
– Miss Winie, disait l’excellent Jupiter, moi pas besoin d’argent. Si ton papa veut bien, moi donner tout pour toi marier avec qui tu voudras…
La jeune fille sourit, mais Hans Elders gourmanda le nègre :
– Tu es plus naïf, Jupiter, que l’enfant qui vient de naître… Merci de tes bonnes intentions, mais Winie ne veut rien accepter… que diable… à chacun ce qui lui appartient… et c’est bien le moins – puisque tu as gagné cet argent honnêtement, – que tu en profites… L’honnêteté, vois-tu, c’est toujours ma devise.
Sur ce, grande profession de foi, tendant à démontrer que Hans Elders était assurément le plus honnête homme que la terre eût jamais porté.
Jupiter l’écouta un instant, mais incapable de commander à sa pensée, le nègre changeant soudain d’avis formait les projets les plus extravagants.
Il allait, disait-il, acquérir une province entière, et chercher de l’or. Il en trouverait des montagnes. Il en ferait des bijoux, des ustensiles de ménage, des couverts et de la vaisselle, des bracelets de toutes sortes… Jupiter se grisait de l’idée qu’un jour, peut-être, il serait paré comme une châsse et vêtu d’or de la tête aux pieds.
Déjà pour donner quelque consistance à son projet, il méditait de transformer les billets de banque en belles et bonnes pièces d’or qui pèseraient lourd une fois mises dans des sacs, et qu’il pourrait faire miroiter en les étalant au soleil. Tout en parlant, le nègre buvait et rebuvait de copieuses lampées de whisky.
Hans Elders, allongé sur un canapé d’osier, ne prêtait qu’une médiocre attention aux propos et aux actes de l’excellent Jupiter.
Winifred était sortie de la pièce.
Quelques paroles brèves avaient été échangées entre elle et son père, paroles qui laissaient ce dernier tout soucieux. Hans et sa fille n’étaient pas d’accord : Winifred avait déclaré vouloir épouser le lieutenant Wilson Drag. Depuis de longues années les jeunes gens étaient épris l’un de l’autre. Ils s’étaient juré un amour éternel et voici que lorsque Winie avait annoncé, toute rougissante, cette grande nouvelle à son père, au cours même de la fête donnée pour célébrer ses dix-huit ans, le chercheur de diamants s’était mis dans une violente colère et avait déclaré à Winie que jamais il ne consentirait à lui donner pour mari cet officier sans le sou. Winifred avait pâli. Winifred avait fui la pièce où se trouvait son père.
Celui-ci était resté en tête à tête avec le nègre. Soudain Hans Elders se redressa, regarda l’heure à sa montre.
– Comme il est tard, Jupiter. Voyons, remue-toi. Il est temps de partir, Jupiter.
Le nègre ne bronchait pas. Hans Elders s’approcha de lui. Jupiter, à demi étendu sur le sol, ronflait à côté de la bouteille de whisky vide.
Ce n’était pas la première fois.
Hans Elders considéra un instant le colosse endormi, puis quitta la pièce pour regagner sa chambre.
Lorsque Jupiter se réveillerait, il trouverait bien le chemin de la porte, et d’ailleurs, s’il voulait dormir là jusqu’à demain matin, libre à lui…
***
La nuit claire, étoilée. On aurait entendu voler une mouche.
… Et c’est pourquoi, au léger craquement de la porte, qu’ils entrebâillaient, deux êtres tressaillirent.
Cette porte s’était ouverte sur un couloir au premier étage de Diamond House. Deux ombres se profilaient dans la pièce éclairée par la lune, deux ombres qui se confondaient dans une étreinte suprême.
– Chère Winie.
– Cher Wilson.
Winifred pleurait sur l’épaule de l’officier.
– Je suis perdue, gémissait-elle, je suis déshonorée. Mon père s’oppose à notre mariage. Je n’oserai jamais lui avouer que je suis votre maîtresse. Je connais ses principes, il me tuerait.
– Chère adorée, vous n’êtes pas encore mon épouse devant les hommes, mais vous êtes ma femme devant Dieu, et je suis convaincu qu’avec son aide, nous parviendrons à obtenir le consentement de Hans Elders.
– Mon amour, Wilson, est si grand, qu’en dépit de la faute que je commets, que j’ai commise, et que je commettrai encore, je crois que j’aimerais mieux mourir que de renoncer au bonheur de vous serrer dans mes bras.
Les deux amants s’étreignirent.
– Voulez-vous, suggéra le lieutenant Wilson, que j’aille avouer à votre père ?
– Non, non, jamais. Mon père est intransigeant.
– On n’entend rien, dit enfin la jeune fille, vous pouvez partir. Demain nous nous reverrons. Nous trouverons peut-être une solution.
La maîtresse de l’officier demeura encore une seconde immobile, à écouter. Nul bruit ne vint rompre le silence de la maison.
***
… Jupiter ronflait comme un soufflet de forge lorsqu’il se sentit soudain secoué par les épaules. On le secouait d’ailleurs avec une telle violence que le nègre ne put faire autrement que de s’éveiller. Au surplus, les vapeurs de whisky commençaient à se dissiper.
Le nègre regarda la personne qui venait de l’éveiller en sursaut.
C’était Hans Elders en pyjama, les pieds nus dans des sandales de cuir.
– Jupiter, as-tu entendu ?
– Non, qu’est-ce qu’il y a ?
– Il y a quelqu’un ici. J’ai entendu marcher au premier étage, au-dessus de nous.
– Quelqu’un chez toi, au premier étage ? répéta Jupiter, moi pas comprendre, pas savoir ?
– Es-tu armé, Jupiter ?
Le colosse sourit, montrant ses poings énormes :
– Moi, toujours armé, moussié, répondit-il.
Mais, en traversant le bureau de Hans Elders, le nègre, qui s’était avancé le premier, poussa un cri terrible.
Le tiroir de la table avait été fracturé, il était grand ouvert, les papiers à l’entour.
– Moussié… Moussié… balbutia le nègre, au comble de l’effarement, regarde un peu ici… partis les billets de banque… Jupiter a été volé… Jupiter n’a plus de sous…
Cependant, tandis que de grosses larmes coulaient sur les joues tannées du colosse noir, Hans Elders bondissait au pied de l’escalier, le revolver au poing.
– Qui va là ? hurla-t-il dans le noir.
Le bruit furtif de pas qu’il venait de percevoir cessa soudain.
Hans Elders venait de tourner le commutateur électrique.
Au même moment, le nègre bondit sur les marches, à la poursuite d’une ombre fugitive.
– Moussié, hurla-t-il, quelqu’un qui se sauve… un méchant… un voleur…
Hans Elders, moins agile que Jupiter, accourait derrière lui. Lorsqu’il parvint au palier du premier, il aperçut le nègre terrassant une ombre.
– Toi voleur, toi mourir !
– Jupiter, que fais-tu ?
Et le nègre, obéissant, s’était arrêté d’étouffer sa victime, il la relevait comme une plume, la plantait debout, la maintenant toujours au collet dans l’étreinte de ses doigts puissants.
Les deux hommes se trouvèrent alors devant le fugitif :
– Wilson Drag !
C’était, en effet, l’officier horriblement pâle, suffoqué par l’étreinte du nègre, titubant, livide. Hans Elders l’interrogea durement :
– Que faites-vous ici, lieutenant ? Où alliez-vous, d’où veniez-vous ?
Wilson Drag ne broncha pas.
Le nègre, qui contenait difficilement sa colère, secoua terriblement l’officier :
– Réponds… réponds à moussié, ordonna-t-il, toi voleur… toi pris l’argent de pauvre nègre, toi le rendre tout de suite…
Jupiter voulut obtenir par la force ce qu’il ne pouvait avoir la persuasion. Il s’efforçait de fouiller dans les poches de l’officier, mais celui-ci se révolta :
– Arrière ! ordonna-t-il.
Puis, se tournant vers Hans Elders :
– Monsieur, faisait-il, je vous en supplie, ordonnez à cette brute de partir, je ne suis pas un voleur. Je vous expliquerai.
– Justifiez-vous immédiatement, monsieur, ou…
Hans Elders avait braqué son revolver sur l’officier. À ce moment apparut, à l’extrémité du couloir, la délicieuse silhouette de Winifred Elders.
La jeune fille, enveloppée dans un long kimono de soie, avait surgi, tel un fantôme aux cheveux noirs dénoués sur les épaules. De ses yeux étincelants, elle fixait l’officier, cependant que ses mains tremblantes se joignaient en une muette supplication. Le lieutenant Wilson Drag comprit que la jeune fille implorait son silence. Sa maîtresse exigeait le secret. Il fallait obéir.
Hans Elders ne comprenait toujours pas. Le nègre, d’autre part, insistait :
– Toi voleur, toi rendre l’argent… toi pas faire du tort à Jupiter, sans cela, Jupiter…
Winifred Elders s’était rapprochée de son père et, en deux mots celui-ci expliqua le drame tel qu’il l’avait compris :
– J’ai entendu du bruit. Dans mon bureau le tiroir était fracturé, l’argent de Jupiter avait disparu. Un voleur s’est introduit dans la maison… le voilà…
La jeune fille parut simplement atterrée d’une semblable révélation, elle dissimula son visage dans ses mains et tomba à genoux, de gros sanglots secouèrent sa poitrine. Mais elle ne protesta pas.
Wilson Drag, avec des gestes de dément, fouillait fiévreusement ses poches, les retournait une à une, obligeait Jupiter à palper ses vêtements, à vérifier le contenu de son portefeuille.
– Mais, criait-il, vous voyez bien que je n’ai rien… je ne suis pas un voleur.
Puis, protestant fièrement, Wilson Drag prit Hans Elders à partie :
– Je suis officier de l’armée anglaise, monsieur… Vous me rendrez raison de cette insulte.
– Doucement, mon beau monsieur, dit Hans Elders, je vous rendrai raison lorsque vous aurez rendu à ce pauvre Jupiter l’argent que vous lui avez volé. Oui, je sais bien que vos poches sont vides. Parbleu, vous n’êtes pas assez naïf pour y avoir conservé le produit de votre vol. Mais voilà une heure que je vous entends chez moi… voilà une heure que vous mettez à exécution votre projet, malheureusement, vous ne l’avez qu’à moitié réussi. Avouez votre crime, lieutenant, restituez l’argent et que cela finisse.
Wilson Drag se croisa les bras sur sa poitrine, le visage redevenu impassible, il était désormais résigné, résolu :
– Hans Elders, déclara-t-il, je vous ai déjà dit deux fois que je n’étais pas le voleur, que je suis innocent ; c’est une fois de trop, je ne me répéterai plus, faites de moi ce qu’il vous plaira.
– Alors, que faisiez-vous ici ?
L’officier se tut.
Ses yeux ne se retournèrent même pas du côté de Winifred. L’amant ne voulait pas voir sa maîtresse pour être sûr de ne pas se trahir.
Le nègre, impatient d’agir, suppliait Hans Elders :
– Moi vais l’étrangler, tu permets, moussié.
– Laisse partir cet homme, ordonna Hans Elders à Jupiter… qu’il s’en aille et disparaisse loin de nos yeux. Je le chasse. Qu’il ne se représente jamais devant nous.
– Mais, et l’argent ?
– Cet homme n’avouera jamais sa faute. Inutile d’essayer de l’y obliger. Mais ne t’inquiète pas, nous retrouverons ton argent. En attendant… Wilson Drag, sortez d’ici, je vous chasse comme un chien.
Au milieu du silence effroyable, l’officier pâle, titubant, descendit les marches de l’escalier, les jambes molles se dérobant sous lui.
En traversant le vestibule, il lui fallut passer entre deux haies de serviteurs qui, attirés par le bruit, étaient venus assister à cette scène.
… Cependant que, dans les bras de son père, Winifred défaillait, Wilson Drag s’enfonça dans la nuit, s’éloignant accablé sous la plus odieuse des accusations.
Il fuyait la maison où il laissait la femme à laquelle il avait donné son cœur, sa vie et son bonheur, nullement découragé, au contraire prêt à la lutte.