Текст книги "La fille de Fantômas (Дочь Фантомаса)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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6 – L’ÉVASION
Il y avait cinq jours que Jérôme Fandor était au « Lunatic Hospital ». Gérard Herbone, le directeur, après avoir, le lendemain même de l’arrivée de Fandor à l’asile, sanctionné son incarcération, n’avait plus eu l’occasion de s’occuper de son nouveau pensionnaire, lorsqu’au rapport des internes, ce matin-là, on lui signala, que ce dément, ce dément qui avait eu l’audace de prétendre qu’il était le célèbre journaliste Jérôme Fandor, était devenu très calme, s’était conduit avec une sagesse exemplaire, puis brusquement avait supplié les internes d’obtenir pour lui une nouvelle audience du directeur.
Le docteur Gérard Herbone, brave homme, en apprenant la demande de son pensionnaire, n’avait pas voulu hésiter.
– Ce malheureux demande à me parler ? avait tout simplement répondu Gérard Herbone, très bien. Amenez-le moi dans dix minutes, à mon cabinet, je suis à sa disposition. J’entends que tous les malades puissent toujours m’approcher quand ils le jugent utile.
Quelques instants plus tard, Jérôme Fandor, en effet, était introduit auprès du médecin chef. Gérard Herbone lui désigna un siège :
– Assieds-toi ! Tu as voulu me parler, qu’est-ce qu’il y a ?
Jérôme Fandor s’était laissé tomber lourdement, sur le canapé que lui avait désigné le docteur.
Le journaliste était blême, affreusement. Il paraissait souffrant, abattu. On sentait qu’il était au bout de ses forces nerveuses, qu’il souffrait, qu’il était à bout.
L’accueil du médecin chef, pourtant, lui redonna un peu de confiance, et c’est d’une voix presque assurée qu’il commença :
– Docteur, quand je vous ai parlé l’autre jour…
Mais Gérard Herbone l’interrompit :
– Non, écoute, tu as demandé à me voir, et je me suis mis à ta disposition, mais tu comprends, il faut être sage avec moi ? Si tu as l’intention de me raconter encore des mensonges, de me parler de ton arrivée dans une caisse, de me dire que tu es Jérôme Fandor, j’aime mieux te renvoyer tout de suite…
– Docteur, je m’en rapporte à vous pour décider, dans quelque temps si je suis fou, si je suis encore fou, si même je ne l’ai jamais été. Ce n’est pas pour vous protester de ma parfaite lucidité que j’ai demandé à vous parler, c’est pour me plaindre…
– Pour te plaindre, mon petit. De qui ? On t’a fait mal ? Quelqu’un t’a tourmenté ?
– Oui, docteur. Un infirmier…
Le front du directeur se plissa.
Les infirmiers de l’asile ? Gérard Herbone prenait un soin tout spécial pour les choisir, pour s’assurer que c’étaient de braves garçons, incapables de tourmenter les fous confiés à leur garde. Mais des enquêtes pouvaient-elles le rassurer à cet égard ?
Et chaque fois qu’on lui disait, que ce fût un interne ou que ce fût un dément, qu’un infirmier avait été brutal, Gérard Herbone, malgré lui, tremblait que ce ne fût vrai.
– Un infirmier t’a tourmenté ? c’est vrai cela ? dis-moi ce qu’il t’a fait ? Va, parle en confiance, tu sais que je ne veux pas qu’on ennuie mes pensionnaires ? Raconte-moi tout ? je te promets que je te ferai rendre justice.
– Ah, docteur, docteur, vous êtes bon, et que je vous remercie de tout mon cœur… Vous ne pouvez pas savoir l’importance qu’il y a précisément à ce que vous me fassiez rendre justice.
– Si, si. Mais qu’est-ce qu’on t’a fait ?
– Docteur, il y a deux jours, le soir même de l’entretien que j’avais eu avec vous, j’étais couché dans ma chambre, et avant de me coucher, j’avais posé mon crâne, vous savez, ce crâne auquel je tiens follement, sur une chaise à côté de mon lit…
– Oui, alors ?
– Docteur, vous aviez permis, n’est-il pas vrai, qu’on me laisse ce crâne ?
– Est-ce qu’on te l’a repris ?
– Oui, docteur. Figurez-vous que, pendant la nuit, j’ai été réveillé par quelqu’un, par un gardien, par mon gardien qui entrait dans ma chambre. Je dormais à moitié, c’est pour cela que je n’ai pas pu appeler tout de suite. Cet homme s’est approché de mon lit, a pris le crâne, s’est sauvé par la fenêtre.
– Par la fenêtre ? mais voyons, mon petit, il y a des barreaux à ta fenêtre ?
– C’est vrai, docteur, je me trompe. J’ai cru qu’il se sauvait par la fenêtre, mais en fait, les choses n’ont pas dû se passer ainsi… Docteur, cet homme a pris le crâne sur la chaise, il a ouvert la fenêtre, et l’a jeté dans les terrains vagues qui entourent l’asile… C’est à ce moment que je me suis réveillé.
– Et alors, qu’est-ce que tu as fait ?
– Docteur, j’ai couru à la fenêtre, pour me précipiter sur mon voleur. Mais il s’était échappé. Je me suis heurté au carreau, j’en ai même brisé un et je me suis coupé au poignet… Voyez mes cicatrices… Puis j’ai appelé, j’ai crié… J’espérais qu’un second gardien arriverait…
– Et il n’est venu personne ?
– Si, docteur, c’est le même gardien qui est arrivé accompagné d’un de ses aides, ils m’ont pris par derrière, lui a prétendu que j’avais une crise, son collègue l’a naturellement cru, ils m’ont battu, ils m’ont passé la camisole de force, ils m’ont traîné à la douche. Docteur, il faut que l’on retrouve ce crâne. Je vous en conjure, il faut que vous mettiez tout en œuvre pour qu’on le recherche dans le terrain vague.
Gérard Herbone venait de se lever.
Il se promenait à grands pas dans son cabinet de travail, tête basse, les mains enfoncées dans les poches, dans l’attitude d’un homme qui réfléchit profondément.
En fait, le directeur de l’asile était non seulement ému, mais encore très troublé.
Jérôme Fandor venait de lui parler d’un ton si pondéré, de façon si calme, alors qu’en général, les fous s’énervent quand ils font allusion à l’une de leurs anciennes hallucinations, qu’il était pris d’un doute.
Était-ce vrai ce que lui contait ce dément ?
Parbleu, c’était possible à la rigueur qu’un infirmier, par manière de plaisanterie, par cruauté bête, se fut amusé à voler à ce pauvre garçon, le crâne auquel, dans sa folie – à supposer qu’il fût fou – il attachait une si grande importance.
Mais comment le savoir ?
Gérard Herbone arrêta bientôt sa promenade :
– On t’a battu ? questionna-t-il, c’est vrai, cela ?
D’un geste spontané, Fandor se dépouilla de son veston, releva la manche de sa chemise :
– Tenez, docteur, j’ai le bras couvert d’ecchymoses…
Gérard Herbone se pencha sur le journaliste, regarda de nombreuses traces bleuâtres sur le bras qu’exhibait son patient.
Et cette fois, le docteur ne répondit rien. Pour la première fois, peut-être, de sa carrière, il lui venait une horreur soudaine de ses fonctions.
– Écoute, dit-il à Fandor, je te crois, et si cela est comme tu le racontes, je te promets que je ferai tout le nécessaire… mais si tu m’as menti… je te punirai sévèrement… voyons, m’as-tu dit la vérité ?… réfléchis ?… Tu te plains d’un infirmier, duquel, tu dois savoir son nom ? dis-le moi ? je m’en vais l’interroger là, devant toi…
Fandor n’hésita pas.
– C’est l’infirmier Georges, dit-il.
– Bon, attends.
Quelques minutes après, demandé d’urgence, l’infirmier Georges faisait son apparition dans le cabinet du directeur.
– Georges, commença d’une voix sévère, l’excellent Gérard Herbone, ne vous rappelez-vous pas qu’au moment où je vous ai engagé ici, je vous ai prévenu que je ne supporterais jamais que vous tourmentiez les malades ?
L’infirmier, en entendant ce début de réprimande, prit une figure stupéfaite.
– Mais, monsieur le directeur, commença-t-il, jamais…
– Qu’est-ce qui s’est passé l’autre jour au juste ? vous avez caché le crâne de ce garçon ?
– Moi, monsieur le directeur ?
L’infirmier, avec une conviction absolument sincère se frappa la poitrine…
– Moi, j’ai pris le crâne de ce pauvre diable ? Ah ! monsieur le directeur, c’est dur de s’entendre accuser de choses pareilles.
– Pourtant, il a bien disparu ? vous ne le niez pas ?…
– Mais, monsieur le directeur, s’il a disparu, ce n’est pas de ma faute. Puisque c’est précisément le malade qui l’a jeté par la fenêtre…
– Il l’a jeté par la fenêtre ? Mais non, Georges, il ne l’a pas jeté par la fenêtre, et la meilleure preuve c’est qu’il a appelé au secours… au voleur, donc on le lui a pris… Qu’est-ce que vous répondez à cela ?…
L’infirmier paraissait de plus en plus atterré. C’était d’une voix véritablement émue qu’il interrompit à son tour, et sans souci du protocole, en homme qui se défend d’une accusation injuste :
– Écoutez, monsieur le directeur, commença-t-il, je ne sais pas ce que ce pauvre malheureux vous a dit, mais vrai dieu, voilà ce qui est arrivé : j’étais dans le dortoir, avec le surveillant, tout d’un coup nous avons entendu appeler, en effet, « au secours » et « au voleur », nous nous sommes précipités tous les deux dans la chambre du malade – et l’infirmier désignait Fandor – nous l’avons trouvé debout, en chemise, hurlant devant le carreau de sa fenêtre, un carreau qu’il avait dû briser en jetant son crâne au travers… Il était furieux, il grinçait des dents, il faisait un tapage infernal.
– Oui… et alors vous l’avez pris ? vous l’avez battu ?…
– Non ! nous l’avons saisi, nous ne l’avons pas battu… Ah ! dame, monsieur le directeur, on l’a peut-être saisi un peu fort, un peu violemment, ça, je ne dis pas…
– Vous étiez deux, pourtant, vous auriez pu…
– Monsieur le directeur, vous savez bien comme ils sont forts quand ils ont une crise ?
– Et alors ? après ?
– Après, monsieur le directeur ? eh bien il n’y a rien, après… nous l’avons douché un peu pour le calmer, il était dans un tel état… et puis nous l’avons recouché ?
L’infirmier fit une pause, puis il reprit, de sa même voix bouleversée :
– Même, monsieur le directeur, c’est dur de voir que vous me soupçonnez d’une chose pareille… Mais pourquoi voulez-vous que je le lui ai pris son crâne…
– Est-ce que je sais, pour lui faire une plaisanterie ?
– Oh, monsieur le directeur, une plaisanterie, à un fou.
L’infirmier avait prononcé cette phrase d’un ton si sincère, si révolté, que Gérard Herbone, soudain, fut convaincu…
Après tout, c’était vrai ce qu’il disait, cet homme.
Il n’aurait eu aucun motif d’agir comme l’avait prétendu Fandor. Il y avait longtemps, du reste, qu’il était employé à l’asile, et puis, Fandor était fou. Et les fous sont capables des pires dissimulations, des mensonges les plus abominables.
Non, il ne fallait pas, sous prétexte de protéger un dément, se montrer injuste vis-à-vis d’un brave homme.
Le docteur prit une mine sévère et, se retournant vers Fandor :
– Tu vois ? disait-il, tu m’as menti ? C’est toi qui as jeté le crâne par la fenêtre.
Ah ! cette fois, Jérôme Fandor ne se contint plus…
Quoi, voilà que ce docteur, tout à l’heure si bienveillant, s’imaginait qu’il venait de lui jouer la comédie.
Voilà que quelques phrases d’un infirmier suffisaient à ébranler sa conviction…
Et Fandor, dans un éclair de pensée comprit toute l’horreur de sa situation. Ce qui arrivait en cette minute était ce qui désormais lui arriverait toujours.
Il était réputé fou.
Quoi qu’il dise, on ne le croirait pas. Quoi qu’il prétende, on le nierait et ce gardien, et d’autres gardiens, et tous les gardiens auraient toujours raison devant lui, et il ne sortirait jamais de l’asile, parce qu’il était fou, aux dires de la science, et que tout ce que fait un fou ne peut prévaloir contre l’affirmation d’un homme sain d’esprit, cet homme fût-il la plus infâme des crapules.
Alors, une colère terrible envahit soudain le journaliste.
– Docteur, docteur, hurla Fandor, c’est infâme. Cet homme ment. Ce n’est pas moi qui ai jeté le crâne par la fenêtre, c’est lui. Je vous ai dit la vérité. Je ne suis pas fou. Non, non, je ne suis pas fou, je vous dis…
Mais le docteur ne l’écoutait plus. Il s’était retourné vers l’infirmier et lui disait :
– Georges, je vous rends justice. Que voulez-vous, ce malheureux m’avait impressionné. Il semblait, tout à l’heure, si calme…
L’infirmier, d’un geste, désignait Fandor qui, les poings serrés, semblait prêt à se jeter en avant :
– Monsieur le directeur, remarquait-il, vous le voyez maintenant ?…
– Nom de Dieu, hurla Fandor, est-ce que je peux rester calme aussi ?
Le directeur, tourné vers lui, ordonna :
– Tais-toi, tais-toi, n’est-ce pas ? ou je te fais conduire à la douche…
Et comme Fandor, maté par la menace, faisait silence, Gérard Herbone continua :
– Oui, j’allais commettre une injustice… ma foi, Georges, ce malheureux m’avait roulé, il avait parfaitement joué sa comédie… Je m’en souviendrai à l’établissement des gratifications, et puis, n’est-ce pas, n’en tirez pas vengeance ? Continuez à être bon pour lui ?… Il n’est pas responsable.
Georges, l’infirmier, s’inclina, calmé, lui :
– Oh ! monsieur le directeur, vous pouvez être tranquille…
– Seulement, la nuit, poursuivait le médecin-chef, puisque c’est surtout la nuit qu’il a des crises, prenez donc la précaution de l’attacher sur son lit.
***
Dans la petite chambre que Fandor continuait d’habiter au second étage, il faisait une obscurité complète. Minuit venait de sonner, nul bruit ne s’entendait dans l’asile livré tout entier au silence du sommeil, nul bruit, à part, de temps à autre, l’exclamation d’un gardien donnant des ordres à un agité.
Fandor goûtait ce silence, cette heure de paix, se forçait à réfléchir…
Elle était horrible, la situation du malheureux, et pourtant Fandor souriait, semblait presque joyeux.
C’est que Fandor, dans l’après-midi, avait fait une découverte extraordinaire…
– Je ne sortirai jamais de cet asile de fous, avait décidé Fandor, comme l’infirmier Georges l’entraînait, sans le brutaliser d’ailleurs, hors du cabinet du directeur, si je m’obstine à obtenir mon exeat par des moyens réguliers. Donc, il faut que je ruse, si je veux m’en aller d’ici, et je le veux, certes. Sous peine de devenir rapidement, réellement fou, il importe que je m’évade… Oui, mais comment ?
Chose curieuse, Fandor, de sa conversation avec Gérard Herbone, de sa confrontation si terriblement conclue contre lui avec l’infirmier Georges, avait rapporté deux impressions très nettes et assez bizarres.
D’abord, Fandor s’était rendu compte, et cela bien qu’il fût pourtant certain du contraire, que l’infirmier Georges était de bonne foi.
Quand cet homme avait dit : « Je n’ai pas pris le crâne » il ne mentait pas.
Fandor était trop habitué aux enquêtes policières pour se laisser prendre à une comédie. Il se l’avouait à lui-même, l’infirmier devait être sincère, disait la vérité en affirmant qu’il n’était pas coupable…
Et pourtant, le crâne avait disparu. Et pourtant, ce n’était pas Fandor qui l’avait jeté par la fenêtre.
Le journaliste, fort de cette impression et sitôt ramené dans le quartier des furieux, s’était pris à réfléchir.
– Voyons, s’était-il affirmé, un fait est certain, c’est que le crâne a disparu. Donc, on l’a pris. Qui est cet « on » ? J’accuse Georges. Or, Georges apparaît innocent, donc, ce n’est pas lui… Mais, d’autre part, dans mon rêve, dans mon réveil, j’ai cru voir entrer le voleur et j’ai cru le voir ressortir par la fenêtre… Or, Georges est arrivé par la porte, donc, Georges pourrait très bien n’avoir pas vu cet individu et, par conséquent, ne pas douter que le crâne n’a pas été volé… bien… mais…
Le « mais » que Fandor arrivait à formuler était troublant au possible. C’est que, tout d’un coup, le journaliste songeait à l’une des observations du directeur… « Comment voulez-vous, avait dit Gérard Herbone, que quelqu’un se soit introduit dans votre chambre en passant par la fenêtre, puisque cette fenêtre est garnie de barreaux ? »
Cette réflexion avait été pour Fandor un trait de lumière. Comme, après le souper du soir, il remontait dans sa chambre, Fandor, rapidement, s’était précipité vers la fenêtre.
Quatre lourds barreaux, placés à quinze centimètres les uns des autres, empêchaient, en effet, de franchir la fenêtre.
Ces barreaux, Jérôme Fandor les avait examinés, profitant de ce que son gardien s’occupait à faire rapidement son lit, d’un bref coup d’œil… Ils étaient intacts. Ils n’étaient point sciés. Ils n’étaient point coupés… Et pourtant Jérôme Fandor s’était éloigné de la fenêtre avec une figure rayonnante.
Il était décidément intrépide, le journaliste, et rien ne pouvait abattre son infernale énergie, car cette figure souriante, il la gardait encore alors même qu’une fois couché dans son lit, il voyait l’infirmier Georges, obéissant aux ordres du directeur, s’approcher de lui, prendre ses poignets et ses chevilles, dans des boucles de cuir qui l’immobilisaient sur son lit.
Qu’avait-il donc deviné ?
Que méditait-il ?
Jérôme Fandor, en tout cas, songeait cette nuit-là :
– Si je suis sage pendant huit jours, j’imagine bien qu’ils finiront par me lâcher, par ne plus me boucler sur ce lit… Et maintenant, c’est tout ce que j’ai à leur demander, car après ma découverte, la découverte de tout à l’heure…
Mais quelle était donc cette découverte ?…
***
Du temps, encore, s’était passé… Les gardiens, convaincus que leur « malade » ne pourrait pas bouger, s’en étaient allés dormir, relâchant leur surveillance.
Après minuit, dont les douze coups avaient retenti lentement, la pendule avait égrené des quarts, des demies, et Fandor, qui réfléchissait toujours, commençait à apercevoir à travers les barreaux, les mystérieux barreaux de sa fenêtre, la lueur de l’aube prochaine…
L’asile, toujours endormi, était plus silencieux que jamais. Vaincus par la fatigue, à cette heure avancée de la nuit, les fous eux-mêmes finissaient par dormir…
Soudain, dans la chambre de Fandor, une voix murmura :
– M’entendez-vous ?
Instinctivement, le journaliste, à cette demande surprenante, car il n’y avait personne que lui dans la pièce, voulut s’asseoir sur son lit. Hélas, les courroies qui l’attachaient le rappelaient rudement au sentiment des réalités. Force lui était de rester étendu.
La voix reprenait :
– M’entendez-vous, monsieur Fandor ?
– Voyons, voyons, songea-t-il, personne ne me connaît ici, qui pourrait m’appeler ? est-ce encore une hallucination ?
Il souffla, à voix basse :
– Qui me parle ? qui est là ?
Fandor était tourné sur le flanc, et voyait en face de lui le second lit de sa chambre, lit demeuré inoccupé…
Or dans ce lit, voici qu’il lui sembla qu’une forme s’agitait lentement…
Et il n’était pas victime d’une illusion…
Et il ne se trompait pas…
Il entendait ces mots, dits à voix basse :
– Ne faites pas de bruit, prenez garde, celui qui vous parle, c’est un ami, c’est moi, c’est Teddy.
– Teddy, vous ici, comment êtes-vous là ?
– Je vous conterai cela plus tard, la complicité d’un gardien m’a permis d’entrer au Lunatic, je m’y suis caché toute cette après-midi, ce soir je me suis glissé dans ce lit…
– Mais que voulez-vous ?
Des draps du lit voisin qui tout à l’heure encore semblait vide, la figure énergique et fine du jeune homme émergeait.
Teddy souriait :
– Ce que je veux ? Parbleu, j’étais venu pour vous aider à fuir.
– Ah… pour Dieu, faites vite, alors.
Teddy, avec précaution s’était levé, il traversa la pièce, il vint s’asseoir près de Fandor, sur le bord du lit du journaliste…
– Oui, n’est-ce pas. C’est horrible ici ?
– Horrible,…pourtant il faut que je vous remercie… si l’autre jour dans les docks, vous n’aviez pas songé à dire que j’étais fou, j’étais fichu…
La main de Teddy s’appuya sur la bouche de Fandor, le jeune homme haussa les épaules :
– Il s’agit bien de cela, si je vous ai sauvé, vous m’aviez sauvé. Nous sommes quittes ; ne perdons pas de temps… Dites-moi, plutôt, avez-vous une idée sur la façon dont nous pourrions sortir d’ici ?
– Oui, si vous pouvez me détacher.
Déjà Teddy s’était jeté à genoux et cherchait sous la couche de Fandor l’endroit où aboutissaient les liens du jeune homme…
– Oh, monsieur Fandor, déclara-t-il : c’est enfantin… tenez, vous voilà libre.
Teddy avait tiré de sa poche un long coutelas à lame effilée et il en tranchait les liens de cuir.
– Voilà, mais cela ne nous avance pas car…
– Si, si, dit Fandor qui se levait, vous allez voir… dans dix minutes, nous serons dehors…
– Et les barreaux ?
– Les barreaux, les barreaux on s’en moque. Voyez plutôt…
Fandor venait d’empoigner l’une des barres qui grillait sa fenêtre et, sans effort, la faisant glisser, la déplaçant, finit par l’arracher à l’encadrement de la fenêtre…
– Comment avez-vous arraché ce barreau de fer ?
– Ce barreau de fer est en bois, regardez.
Le barreau, en effet, était en bois.
Mais comment avait-il fait cette sensationnelle découverte ?
Fandor s’était dit :
– Si Georges est innocent du vol de mon crâne, c’est que le vol a été commis par quelqu’un d’autre. Ce quelqu’un d’autre n’a pu entrer que par la fenêtre, la fenêtre est grillée de barreaux de fer, donc, si quelqu’un a passé malgré ces barreaux, c’est que l’un de ces barreaux, au moins, est coupé…
Non, tous les barreaux étaient intacts…
– Alors, avait songé le journaliste, c’est que l’un de ces barreaux est truqué…
Le journaliste frémissait. Non, il ne pouvait se faire d’illusion, les cinq barreaux étaient bien réellement en fer. Il sentait le froid du métal sur chacun d’eux, il les voyait tous les cinq couverts de rouille…
Alors Fandor d’une chiquenaude avait ausculté les cinq barres, et voilà que l’une de ces barres avait rendu un son bizarre…
– Ah ! parbleu, avait songé le journaliste, la ruse est admirable ! quatre des barreaux sont véritablement en fer et le cinquième, ce cinquième qui sonne creux, c’est un barreau de bois, mais un barreau en bois qu’un esprit infernal a, pour mieux donner le change, songé à recouvrir d’une mince pellicule de métal, probablement appliquée par un procédé de galvanoplastie.
Et c’est pourquoi Jérôme Fandor s’était laissé attacher sur son lit en souriant.
– Un jour ou l’autre, songeait-il, les infirmiers me boucleront mal, et ce jour-là je n’aurai pour m’évader qu’à arracher ce barreau de bois, qui tient à peine, puisqu’il ne tient que par son élasticité, pour, de ma fenêtre, gagner les toits, des toits sauter dans la campagne, rattraper ma liberté, m’enfuir, comme s’est enfui mon voleur de crâne.
– Maintenant, dit Teddy, c’est un jeu de nous en aller.
– Oh ! un jeu, en effet, répondit Fandor qui, déjà s’apprêtait à se laisser glisser le long d’un tuyau de gouttière, aboutissant à l’un des terrains vagues entourant l’asile.
Teddy pourtant le retenait :
Une hésitation passait sur le visage sympathique du jeune garçon :
– Mais dites-moi, fit-il, vous ne prenez pas le… le crâne ?
– Non, répondit le journaliste en commençant une vertigineuse manœuvre de gymnastique qui lui permettait de sauter sur le chapiteau d’un mur voisin – chemin d’évasion encore préférable au tuyau de gouttière peu solide – non !… non !… je ne prends pas le crâne, Teddy, parce qu’on me l’a volé… On me l’a volé. Quelqu’un que je ne connais pas, quelqu’un que vous devez connaître sans doute… et qui est passé précisément par le chemin que nous suivons en ce moment…
Teddy ne répondit rien.
Il était suspendu dans le vide, se retenant d’une seule main, accomplissant de formidables prouesses de gymnastique, suivant Fandor, l’aidant souvent… Ce n’était plus le moment de causer, il fallait fuir l’asile, le fuir aussi vite que possible.
Le jour pointait…
Une heure plus tard, Fandor et Teddy se laissaient tomber sur un talus herbeux. Il faisait jour.
– Le crâne ? demanda Teddy, vous m’avez dit qu’on vous l’avait volé ?
– Oui, Teddy… oui.
– Pourquoi l’aviez-vous pris ? pourquoi avez-vous été le chercher dans l’incendie ?
Fandor hésita un instant à répondre. Puis il avoua :
– Ma foi, par le plus grand des hasards et sans me douter qu’il pouvait vous intéresser… Je croyais Fantômas à mes trousses, cette trouvaille étrange m’incitait à croire à quelque nouvelle manifestation du bandit.
Fandor, presque sans réticence, parla : Et tandis qu’il faisait à son jeune compagnon un récit succinct, mais clair des aventures qui l’avaient conduit au Natal, Teddy, la mine grave, l’air soucieux, l’écoutait hochant la tête :
– Fantômas, dit-il enfin, comme Fandor se taisait, quelle figure tragique et sinistre. Ah, monsieur Jérôme Fandor, comme cela fait peur de vous en entendre parler.
Puis, après un petit silence, Teddy ajouta :
– Mais vous devez vous demander pourquoi moi aussi je tenais tant à ces ossements ? Je ne saurais trop vous le dire. Je ne sais même pas qui je suis… oh ! ne soyez pas surpris, il paraît que je suis un enfant de la région sauvé au moment de la guerre. J’ai été élevé par une vieille femme que j’aime comme une mère. Si vous m’avez vu tenter de dérober ce coffret à l’incendie, c’est que ce coffret était gardé par ma nourrice qui semblait y attacher un grand prix. Or, il y a quelques jours j’ai appris qu’il avait été volé, j’en ai retrouvé la trace, j’allais le dénicher dans les ballots des Docks, mais sur mon honneur, je vous jure que j’ignorais alors son contenu.
La déclaration du jeune homme était invraisemblable, extraordinaire, mais Teddy reprenait déjà :
– Tout cela est mystérieux. Vous cherchez vous, monsieur Fandor, à rattraper le bandit Fantômas, je cherche, moi, d’abord à connaître le secret de ma vie, ensuite à me venger des terribles ennemis qui, je le devine, gravitent dans l’ombre autour de moi. Mes ennemis, Fantômas. Tenez, après ce que vous venez de me dire, je me demande si les uns et les autres ne sont pas complices ? Ils sont peut-être ligués contre nous ? Monsieur Fandor, voulez-vous qu’en revanche, nous, nous allions contre eux ?
Ah, cette fois la physionomie de Fandor s’éclaira largement.
Fandor lui tendit la main :
– J’accepte de grand cœur.
Mais Teddy était devenu soucieux.
– Dites, demandait-il, il y a quelque chose à quoi je ne songeais pas, avez-vous de l’argent ? Voulez-vous…
– Non, non, dit-il, mon cher Teddy, je ne veux rien de vous. Si, pourtant, pouvez-vous me faire trouver un emploi ?
Le visage de Teddy s’éclaira à son tour :
– Écoutez, vous refusez de l’argent, je le comprends, mais faites-moi un plaisir. Ici, au Natal, être armé est une nécessité, prenez ce revolver en souvenir de moi. Je vous le donne bien volontiers et de grand cœur, et quand à ce qui est d’un emploi, j’ai une idée. Il y a près d’ici une usine, une chercherie de diamants. Elle appartient à un certain Hans Elders, individu des plus suspects. Voulez-vous que je vous fasse entrer chez lui comme manœuvre ?… Ce sera dur pour vous, mais ce sera sans doute utile… Voulez-vous ?
– Parbleu !