Текст книги "La fille de Fantômas (Дочь Фантомаса)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
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Иронические детективы
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– Mais malheureux, taisez-vous donc.
Et montrant du doigt Teddy, il ajouta à l’adresse du bandit :
– Vous n’avez donc pas vu le tatouage qu’elle porte à la nuque ?
Cela, ces mots, nul ne les comprenait, nul, même n’y prêtait attention, sauf Fantômas. Le bandit parut atterré.
– Miséricorde, fit-il tout bas.
Puis, inventant une nouvelle ruse, trouvant une ressource suprême dans son esprit fertile, et avant que Juve eût eu le temps d’intervenir à nouveau, croisant ses bras sur sa poitrine, il s’avança vers la porte de l’ossuaire, vers ceux qui lui barraient le passage :
– Parbleu, cria-t-il, qu’importe tout cela. Il me déplaît, après tout de faire condamner un innocent. Vous demandez quel est l’assassin de Hans Elders ? eh bien, c’est moi. Mais je vous défie de m’arrêter. Je suis l’échappé du British Queen, j’ai la peste. Faites-moi place. Qui me touche est condamné à mort.
Les événements alors se précipitèrent. Fantômas n’avait pas achevé son extraordinaire déclaration, qu’il s’élançait à travers la foule, riant d’un rire sardonique.
– Place, répétait-il.
Et l’on s’écartait.
Et si Juve, lui, bondissait vers Fantômas dans le dessein de l’arrêter coûte que coûte, Fantômas, devançant son mouvement, avait le temps de sortir de l’ossuaire, de franchir les quelques mètres qui les séparaient de l’enceinte du cimetière. Il cria :
– Merci Juve, vous venez de sauver ma fille. Je vous sauverai Fandor.
Le bandit, à ce moment, sauta sur le cheval que Teddy avait abandonné pour s’avancer vers l’ossuaire.
Il piqua des deux, il allait disparaître.
– Malédiction, hurla Juve, c’est Fantômas qui s’échappe.
Le policier fouilla dans sa poche, tira son revolver… s’apprêta à faire feu.
Mais à ce moment il chancela, bousculé, à moitié assommé par un formidable coup de poing.
Juve avait à peine le temps de reconnaître son agresseur.
Teddy venait de sauver la vie à Fantômas.
28 – UN DUEL AU SABRE
– Bon Dieu de bon Dieu, mais il n’y a pas moyen de dormir tranquille ? Voilà qu’on fait un raffut de tous les diables. Qu’est-ce qui se passe donc ? Est-ce à moi que l’on en veut ou bien nul ne soupçonne-t-il ma présence ? C’est dangereux de me montrer, et, d’un autre côté, je ne peux pas rester dans l’incertitude. Voilà bien dix minutes que j’entends tout ce potin, ma patience est à bout.
Tout ce potin.
Celui qui parlait exagérait, évidemment.
On entendait à peine, en effet, dans la cour de la grande ferme de Teddy, que quelques chuchotements qu’accompagnaient par moments des pas précautionneux.
Mais ces bruits, si légers fussent-ils, avaient valeur de vacarme, tant ils prenaient de sens pour le dormeur qui s’en plaignait.
Étrange dormeur, en vérité, et étrange était aussi sa chambre à coucher.
Les bâtiments composant la ferme de Teddy comportaient une série de bâtiments groupées autour de la maison d’habitation. Plus loin, un peu à l’écart, se trouvait une sorte de grand hangar, dont le rez-de-chaussée servait à remiser les machines agricoles, tandis que le premier étage, surélevé, était transformé en grenier à fourrage.
Et c’était dans ce hangar, du beau milieu d’un tas de foin, que la voix railleuse avait parlé, qu’un personnage s’était plaint.
Bientôt, d’ailleurs, ce personnage se faisait voir.
Il émergeait du fourrage, les cheveux en désordre, parsemés de brindilles dorées, les vêtements assez chiffonnés.
Ce personnage, c’était Fandor.
Fandor et Teddy, lorsqu’ils avaient quitté les berges de la rivière où le journaliste, sans l’opportune intervention de l’extraordinaire jeune fille, eût trouvé une mort tragique, s’étaient rendus à la ferme. Là, Teddy avait persuadé Fandor de se tenir coi, quelque temps au moins, caché dans le grenier.
– Je vous en supplie, avait dit Teddy, écoutez-moi, faites ce que je vous dis. Que vous échappiez aux recherches pendant quelques jours et vous serez tranquille, hors d’affaires, sauvé. Car une fois le jugement rendu au sujet de la mort de ce pauvre Jupiter, nul ne songera plus à vous poursuivre. Tandis qu’en ce moment, si l’on vous trouvait…
Il ne convenait pas au caractère de Fandor de se cacher, de se dissimuler. Courageux comme il l’était, le journaliste aurait cent fois préféré lutter face à face avec ses adversaires, mais il est évident que Teddy avait raison.
L’accusation, et même les accusations qui pesaient sur lui, si sottes qu’elles fussent, avaient leur importance. Il convenait de ne pas les négliger, d’y prendre garde et de ne pas agir en leur endroit à la légère.
Fandor s’était résigné, avait écouté les avis de Teddy, s’était caché, se cachait.
« Après tout, pensait le jeune homme, dans l’intérêt même de mes recherches, il convient que je ne me fasse pas sottement arrêter. Gagnons du temps, nous verrons ensuite comment agir.
Teddy lui avait affirmé qu’elle partait se renseigner sur l’état actuel des poursuites dirigées contre lui.
Fandor, confiant dans la parole de la jeune fille, l’avait laissé faire et, fidèle à la promesse qu’il lui avait donnée, s’était enfoui dans une botte de foin pour y sommeiller, comme en la plus tranquille des cachettes.
Malheureusement, au beau milieu de son somme, voilà que Fandor était réveillé par les allées et venues qu’il avait entendues dans la cour.
Le journaliste, ne pensant pas qu’il pouvait s’agir de ceux qui le poursuivaient et se croyant bien à l’abri de toutes espèces de recherches, venait de commettre une véritable imprudence. Avec sa bravoure tranquille et son insouciance ordinaire, il traversa le grenier et, pour se rendre compte des motifs du bruit, passait la tête à l’une des lucarnes du grenier.
Fandor était mal inspiré. Il s’en rendit compte immédiatement, car à peine était-il apparu à la lucarne que des exclamations furieuses le saluèrent.
– Là… là… le voilà… nous le tenons… hardi… fermez le hangar.
Hé, parbleu, Fandor, maintenant, comprenait à merveille la situation.
Il était pris, sottement pris, ridiculement pris.
Par la trahison, sans doute, de quelque voisin, qui l’avait vu entrer avec Teddy, les soldats, faisant office de policemen et lancés à sa poursuite, avaient dû être avertis qu’il se trouvait caché dans le hangar à fourrage.
Sans bruit, ils avaient entouré le bâtiment, et maintenant Fandor ne pouvait plus s’échapper.
Le journaliste n’était pas ému.
Il y avait longtemps qu’il s’était fait à l’idée que ses aventures finiraient mal un jour.
Et Fandor, laconiquement, se déclara à lui-même :
« Ça y est, je suis bouclé.
Instinctivement, pourtant, alors que les soldats hurlaient dans la cour de la ferme, Fandor s’était jeté en arrière, à l’intérieur du grenier.
Il chercha, jetant autour de lui un regard de bête prise au piège, si une issue s’offrait à lui.
Mais il n’en existait aucune. D’ailleurs, courant à une autre lucarne, Fandor se rendait compte que le grenier à fourrage était cerné.
Non, en vérité, il n’y avait pas moyen de fuir. On allait l’arrêter. Il serait conduit à Pietermaritzburg, il serait jugé, en tant qu’assassin de Jupiter et, selon toute vraisemblance, condamné à être fusillé ou pendu…
– Ma foi, se disait Fandor, puisqu’il faut y aller, allons-y.
Et il ne s’avoua pas qu’en dedans de lui-même, au plus profond de son cœur, un regret le faisait surtout tressaillir, une pensée l’émouvait, lui faisait regretter sa liberté, la pensée de Teddy.
Fandor revint vers la fenêtre où il avait fait sa première apparition et, gouailleur, ironique, demanda :
– C’est moi que l’on cherche ?
Des cris, encore, lui répondaient :
– À mort, à l’assassin !
Puis un homme, un chef se précipita, criant :
– Rendez-vous !
Fandor aurait bien voulu résister, mais le moyen ?
– Bon, je me rends, répondit-il. On s’expliquera plus tard.
Et, toujours plaisantant, il ajouta :
– Seulement, il n’y a pas d’escalier pour descendre de mon grenier et comme je n’ai pas envie de me rompre les jambes en sautant, je vous serais bien obligé, les uns ou les autres, d’apporter une échelle ?
L’officier encore répondit :
– On va faire le nécessaire… Mais ne tentez pas de fuir. Nous sommes armés, nous, et au moindre mouvement…
– Tiens, mais c’est vous, Wilson Drag ? Enchanté de vous rencontrer, mon lieutenant.
Le lieutenant ne répondit point. Il toisait Fandor d’un de ces regards de dédain et de mépris qui suffisent à faire naître des haines farouches.
Fandor, bien entendu, rendit coup d’œil pour coup d’œil.
Fandor dégringola rapidement, avec un sourire bon enfant, l’échelle qu’on venait d’appuyer contre la fenêtre de son grenier.
Parvenu dans la cour où les soldats, le fusil à l’épaule, le menaçaient, prêts à. tirer, Fandor s’informa, affectant de tourner le dos à Wilson Drag :
– Et maintenant, qu’est-ce qu’on me fait ? on me tue tout de suite ? non ? allons, c’est heureux. Les émotions me sont défendues et j’ai beau m’attendre à être condamné, à être exécuté, ça me fait toujours quelque chose.
Les soldats, respectueux de la discipline rigoureuse que leur imposait leur chef, semblaient ne pas l’entendre.
Pour l’officier, il affectait de ne tenir aucunement compte de ses paroles… Et comme Fandor, les mains dans les poches, attendait, faisait même mine de s’impatienter, c’est Wilson Drag qui reprit la parole.
Tourné vers ses hommes, il commanda :
– Vous allez garder cet individu à vue. Cinq d’entre vous, le revolver au poing. Au premier mouvement, feu. Les autres, venez avec moi. Il faut que nous perquisitionnions cette ferme, qui m’a l’air d’être le repaire de toute la racaille du pays.
Wilson Drag s’en alla, très digne, sanglé dans son uniforme.
– L’animal, pensait Fandor qui avait peine à se contenir. Il se fiche de moi. On ne doit jamais se fiche d’un prisonnier, pourtant, et je suis son prisonnier.
Fandor rongeait son frein. Il n’aurait convenu, pour rien au monde, qu’il était terriblement anxieux, mais en fait il n’était rien moins qu’assuré.
Comment tout cela allait-il finir ?
Jérôme Fandor suivait encore des yeux Wilson Drag qui s’éloignait vers les bâtiments de la ferme et escorté d’une vingtaine de soldats, lorsque soudain il tressaillit.
C’est qu’un nouvel arrivant faisait son apparition, un arrivant qui, certes, pouvait changer la face des choses.
Il était encore loin, on ne devinait de lui que la silhouette vague d’un cavalier galopant à vive allure que Fandor, déjà, l’avait identifié…
C’était Teddy, Teddy qui, après l’extraordinaire scène qui venait d’avoir lieu à l’ossuaire, avait, s’échappant à ceux qui le pressaient de questions, sauté sur un cheval, vainement donné la chasse au fugitif, puis, renonçant à la poursuite, s’était dirigé vers sa demeure pour mettre Fandor au courant des derniers événements.
Teddy, apercevant dans la ferme l’uniforme des soldats et, à leur tête, Wilson Drag, éperonna sa monture et arriva au grand galop jusqu’au-devant du lieutenant.
Là, brutalement, reprenant les rênes à sa bête, Teddy stoppa, sauta de sa selle et courant à Wilson Drag :
– Que faites-vous ici ?
Wilson Drag toisa Teddy.
– Ce serait à moi, répondait-il, de vous demander de quel droit vous hébergiez ici un assassin.
– Un assassin ? Ce n’est pas un assassin.
– C’en est un, Teddy.
– Vous en avez menti.
Wilson pâlit sous l’insulte.
– Teddy, faisait-il d’une voix sifflante, vous m’avez fait traiter de voleur. Aujourd’hui, vous m’accusez de mensonge. Mon devoir d’officier, Teddy, serait de mépriser vos insultes, mais mon devoir d’homme ne me le permet pas. J’ai menti, prétendez-vous ? Je vous réponds, moi : Vous êtes un lâche car chaque fois que j’ai essayé de vous imposer silence, vous m’avez échappé par ruse.
– Un lâche ?
À peine le mot déshonorant était-il prononcé que Teddy, devenu blême à son tour, avait levé sa cravache et, en plein visage, en avait marqué Wilson Drag.
– Misérable, hurla l’officier, tremblant de colère… et portant d’un geste instinctif la main à son sabre… Vous me rendrez raison.
– Avec plaisir, quand vous le voudrez.
– Tout de suite ?
– Oui…
Mais à ce moment, derrière Wilson Drag, une voix hurla soudain :
– Place, lieutenant. Si vous avez envie de croiser le fer, c’est avec moi que vous le croiserez.
Et celui qui se précipitait ainsi pour empêcher qu’un combat singulier n’eût lieu entre Wilson et Teddy, c’était Fandor.
Fandor, gardé à vue par les soldats, mais nullement chargé de liens, venait d’assister à la querelle.
Et Fandor qui, d’abord, s’était contenu pour ne pas aggraver la situation de Teddy, pour ne pas risquer que par un abus d’autorité, Wilson Drag ne l’arrêtât comme il l’avait arrêté lui-même, Fandor à la fin n’avait plus été maître de sa colère.
Laisser Teddy se battre avec Wilson ?
Non.
Fandor ne le pouvait pas.
C’était monstrueux, c’était impossible, il devait l’empêcher, il fallait l’empêcher.
Teddy était une jeune fille. Quel que fût son entraînement aux exercices physiques, elle n’était évidemment pas de taille à se mesurer avec Wilson.
Laisser ce duel avoir lieu, c’était se faire le complice d’un assassinat. Aussi Fandor avait-il merveilleusement calculé son affaire…
Il avait, quelques minutes, feint l’indifférence pour mieux duper ses gardiens.
Puis, comme Wilson Drag tirait son sabre, comme Teddy se précipitait sur un des soldats pour lui demander le sien et pouvoir, à armes égales, lutter contre le lieutenant, Fandor avait bondi en avant.
Et si vif avait été son mouvement, si rapide avait été sa fuite qu’il était maintenant bien impossible aux soldats de tirer sur lui car, entre eux et lui se trouvait Wilson.
– Lâche, continuait Fandor, vous êtes le dernier des lâches d’oser provoquer un enfant, un gamin de dix-huit ans. Si vous voulez vous battre, c’est à un homme qu’il faut vous en prendre, c’est à moi.
Mais Fandor avait compté sans son hôte.
– Me battre avec vous, Jérôme Fandor ? demanda Wilson Drag. Allons donc, vous n’y songez pas.
– Vous refusez ?
– Je n’ai même pas à refuser.
– Vous vous déshonorez.
– Vous vous rappelez. Monsieur Fandor, votre partie de baccara ? Comme disait l’ami Teddy : On ne se bat pas avec un homme accusé de vol. Vous êtes arrêté, je viens de vous arrêter. Je vous accuse d’avoir mis à mort le noir Jupiter. Je ne me bats pas avec un assassin, moi.
Fandor, blême, les traits décomposés, grinçant des dents, cria :
– Vous n’êtes qu’un lâche. Vous ne pouvez pas vous battre avec Teddy.
Mais, Teddy lui-même lui coupait la parole :
– Parbleu, lieutenant Wilson Drag, cria Teddy, interrompant Fandor, en voilà assez. Si vous n’avez pas peur, allons-y.
Fandor, une fois encore voulut empêcher le duel. Il se jeta entre les combattants.
– Non, Teddy, non, pas cela.
Teddy l’écarta et, rudement :
– Allons, lieutenant, qu’attendez-vous donc pour faire emmener cet homme à l’écart ?
– Soldats, emmenez le prisonnier. Emmenez-le jusqu’à Durban. Je vais vous rejoindre. Le temps de coucher sur l’herbe ce gamin qui m’a insulté.
Les soldats se précipitèrent sur Fandor. Que pouvait le journaliste ? Ils étaient vingt contre lui. Fandor se sentait arraché, bousculé. Des coups l’étourdirent à moitié, les hommes de Wilson Drag l’entraînaient.
Teddy, demeuré seul en face de Wilson Drag, le sabre haut, le visage impassible, attendait l’attaque du lieutenant.
***
– Garde à vous, cria le lieutenant.
– Vive Dieu, répondit Teddy.
Les sabres étincelèrent, se heurtèrent avec fracas, mais tandis que le lieutenant Wilson Drag supportait sans fléchir le choc de Teddy, la jeune fille, elle, était à demi ébranlée par la violence du coup de son adversaire…
Wilson Drag en profita :
Dédaignant le coup de revers, il pointa.
Comme le lieutenant Wilson Drag pointait en se fendant large, Teddy eut le temps de parer…
La lame du lieutenant rencontrant la lame de Teddy glissa et si large s’était fendu l’officier, que la coquille de son sabre vint heurter la coquille du sabre de Teddy.
Les adversaires étaient épaule contre épaule maintenant, au corps à corps. Déjà le lieutenant se dégageait, relevait son arme, s’apprêtait à tailler d’estoc. Teddy allait expier la folle témérité qui l’avait poussée à accepter un combat au sabre…
Mais soudain, Teddy lâcha son arme d’un mouvement instinctif, joignit les mains, cependant que de sa poitrine un cri désespéré s’échappait :
Au moment où Wilson Drag levait sa latte, prêt à en assener un coup mortel à Teddy, un homme derrière lui avait bondi.
Dans la main de ce nouvel arrivant quelque chose avait scintillé une seconde. Le bras de l’homme s’était levé puis abaissé avec une folle rapidité.
Wilson Drag s’écroula sans un cri, tué raide d’un coup de poignard entre les deux épaules.
Teddy qui n’avait pas eu le temps d’intervenir, qui n’avait pu prévenir cet assassinat, Teddy qui eût cent fois préféré la mort à la fin déshonorante qu’on imposait à son duel, cria :
– Assassin.
Et la jeune fille, dans un geste de fière révolte, déjà portait la main à sa ceinture, saisissait son revolver, prête à abattre le meurtrier de Wilson Drag.
Mais Teddy n’achevait pas son geste.
Son revolver, elle le laissa à sa ceinture.
Un sanglot gonflait sa gorge, un vertige la prit qui la fit s’écrouler sur le sol :
– Vous, disait-elle, vous, Fantômas.
Et l’homme qui venait de lui sauver la vie répondit :
– Oui, moi, moi, ton père…
***
Quand Fantômas, quelques heures avant, s’était échappé de l’ossuaire en criant à Juve : « Vous avez sauvé ma fille, merci. » Teddy avait compris l’horrible secret de son existence. Elle, qui tant de fois s’était demandé pourquoi Laetitia l’obligeait à passer pour un garçon, pourquoi Laetitia craignait par-dessus tout qu’elle sût le nom de son père, pourquoi Laetitia à maintes reprises avait tremblé au seul nom de Fantômas, elle apprenait qu’elle était la fille de l’Empereur du Crime.
Et elle l’apprenait au moment où elle venait d’assister au meurtre de Hans Elders, lâchement abattu par le bandit.
Et elle l’apprenait au moment où elle-même avait été sur le point de faire feu sur lui, ne se doutant pas qu’il était son père, et alors que lui, ce père, l’accusait d’un crime sans se douter qu’elle était sa fille.
Et maintenant, voici qu’à nouveau ce père était devant elle.
Voici qu’elle était en présence de Fantômas, voici qu’elle venait de lui voir commettre un nouvel assassinat.
Elle pouvait abattre le forban, elle hésitait, elle se rendait compte qu’un tel acte de sa part eût été le plus abominable forfait.
Tout le monde avait le droit, le devoir même de tuer Fantômas, mais Fantômas, pour elle, était sacré parce qu’il était son père.
Teddy, écroulée sur le sol, à genoux près du cadavre de Wilson Drag, répéta, comme hallucinée :
– Vous, vous, Fantômas.
– Écoute, c’est pour toi ce que j’ai fait. Je te dois des explications, je te les promets, tu sauras tout et tu me pardonneras.
Des lèvres blanches de Teddy, un seul mot siffla :
– Jamais.
– Tu m’aimeras, répéta-t-il… tu m’aimeras, Hélène… quand tu sauras… quand tu sauras… et tu sauras bientôt… demain… dans deux jours, peut-être… Maintenant, il faut que je me cache, il faut que je disparaisse, on me suit, on me poursuit… adieu… au revoir.
Teddy, ou plutôt Hélène, demeura immobile, écroulée sur le sol, tandis que Fantômas s’enfuyait à grands pas.
***
Il faisait un temps clair.
Dans le ciel pur, le soleil allumait la féerie de ses rayons scintillants, des oiseaux chantaient. La brise avait des douceurs de caresse, des griseries de parfums. Teddy bientôt se releva.
Mais ce n’était plus à Fantômas, à ce père qui l’aimait et qu’elle ne pouvait aimer que Teddy songeait.
– Fandor, où est Fandor ? murmurait la jeune fille, ah, sur mon âme, je le retrouverai, je le sauverai.
29 – MONSIEUR JUVE, INGÉNIEUR
Exténué, Juve ne s’en rendait pas moins à Durban.
Le policier avait assisté à l’assassinat de Hans Elders par Fantômas.
Qui était Elders ? Quels étaient les liens qui l’unissaient au Maître du Crime ? Juve se réservait de faire toute la lumière à ce sujet dans la suite de son enquête.
Mais le policier se préoccupait surtout de retrouver son cher Fandor.
Comme Juve pénétrait dans l’intérieur de la ville, son attention fut attirée par le grand concours de population qui s’empressait autour des soldats.
Juve, instinctivement, se mêla aux rangs de la foule hurlante, et habile comme personne à se glisser dans les encombrements, à triompher des barrages les plus sévères, il réussit à rejoindre l’escouade de militaires qui, au pas cadencé, traversait la ville baïonnette au canon.
Que signifiait ce déploiement de force armée ?
À chaque instants les soldats devaient, à coups de crosse appliqués sur les tibias et les épaules, faire reculer les curieux.
– En prison ! À mort ! criait-on.
Les militaires encadraient un prisonnier chargé de chaînes et les menottes aux mains.
– Cela vous en donne du mal, pas vrai, interrogea-t-il, tout ce monde qui grouille autour de vous ?
– Oui, dit le sergent, ils sont bien embêtants, mais malgré tout, on les comprend, on les approuve.
– Ah ?
– Oui, fit le sergent, il n’y a pas comme ces étrangers pour savoir faire les mauvais coups.
Soudain, par suite d’un léger désordre dans les rangs des soldats, provoqué par les remous de la foule, Juve aperçut le visage du prisonnier.
L’homme que la force armée défendait contre la foule n’était autre que Jérôme Fandor.
Réprimant son émotion, Juve revint auprès du sergent et le questionna avec un air de parfaite indifférence :
– Mais qu’a-t-il fait, cet homme ? pourquoi l’emmène-t-on en prison ?
– Ah, c’est bien simple, expliqua le sous-officier, c’est lui, qui, voici quinze jours à peine, après avoir volé l’argent du noir Jupiter – vous savez bien, le grand champion de boxe –, l’a fait prendre pour l’assassin d’une vieille femme et a ameuté la foule contre lui. À la tête d’une bande d’énergumènes arrêtés depuis longtemps d’ailleurs, cet étranger a tué le noir, en plein théâtre, avec un raffinement de férocité inouïe.
– Et que va-t-on faire maintenant ?
Le sergent sourit :
– Oh, son affaire est claire, nous le conduisons à la prison… Dans deux ou trois jours il sera transféré à la Prison centrale de Pietermaritzburg, puis il sera jugé par la Cour suprême.
– Et condamné sans doute ?
– Sûrement condamné, et condamné à mort. Les populations sont très montées et les magistrats se montreront sévères, car il faut un exemple. De tous côtés on n’entend parler que de crimes, d’assassinats, de vols. Depuis qu’une bande d’étrangers rôde dans notre voisinage, le pays est complètement bouleversé.
***
– Monsieur…
– Monsieur ?
– Je voudrais parler, monsieur, à l’ingénieur en chef ?
– À quel ingénieur en chef, monsieur ? Il y en a plusieurs.
– Alors, monsieur, au chef des ingénieurs en chef.
– Il n’y en a pas, monsieur, chaque ingénieur en chef est chef suprême de son service.
– Celui que je désire voir est l’ingénieur en chef de la traction.
– Alors, monsieur, il faut vous adresser au deuxième étage, couloir B, 27e bureau.
– Je vous remercie, monsieur…
– Il n’y a pas de quoi, monsieur…
Cette conversation avait lieu entre un visiteur et un employé du Great Central Railway, la plus importante des compagnies de chemins de fer desservant le Natal, au siège de cette Société, à Pietermaritzburg, dans un grand bâtiment où étaient aménagés les bureaux.
Le visiteur, suivant ponctuellement les instructions qui lui étaient données, arriva au bureau 27, au fond du couloir B, au deuxième étage.
Il frappa à un guichet :
– M. l’ingénieur en chef de la traction ?
– M. Mullerstone, déclara l’employé, c’est ici, en effet.
– Bien, monsieur, puis-je le voir ?
– Non, monsieur, il est absent.
– Pour longtemps ?
– On ne sait jamais, monsieur, mais il est probable que M. l’Ingénieur en chef ne reprendra pas son service avant quelques jours, car on le dit souffrant.
– Je croyais, dit le visiteur, que M. Mullerstone devait se rendre demain à Durban, pour faire une inspection du dépôt des locomotives ?
L’employé, intrigué de voir son interlocuteur si au courant des services intérieurs de la Compagnie, prit un air aimable pour répondre.
Sans doute ce personnage était un inspecteur ou quelque fonctionnaire du Great Central, que ne connaissait pas l’employé du bureau.
– Vous savez bien, monsieur, que les instructions ne seront pas changées pour cela, les visites des ingénieurs ne sont jamais décommandées, même lorsque ces messieurs ne les font pas. Cela tient le personnel en éveil, car il redoute sans cesse d’être surpris à l’improviste. D’ailleurs, il se peut que M. Mullerstone soit assez bien portant pour se rendre à Durban dès demain.
– Je voudrais en acquérir la certitude, savoir exactement ce que fera M. l’inspecteur en chef ?
– Cela, monsieur, fit-il, je ne puis vous le dire, et je ne vois guère qu’un moyen pour vous renseigner. Si vous avez un titre ou une qualité qui vous autorise à vous présenter au domicile de M. l’ingénieur, faites-le donc, on pourra vous y renseigner mieux que personne ne peut le faire ici.
Quelques instants après, le visiteur qui s’était procuré l’adresse du haut fonctionnaire dans un annuaire que lui prêta un garçon de bureau obligeant, sauta dans une voiture et gagna le domicile de l’ingénieur en chef.
M. Mullerstone habitait dans la partie la plus élégante de la ville, une jolie propriété entourée d’un jardin.
Le visiteur sonna à la grille et entra après une longue conversation avec le valet de chambre, dont il délia la langue au moyen d’un généreux pourboire.
Le médecin sortait de la maison, et M. Mullerstone, selon le domestique, en avait encore pour une bonne semaine à garder la chambre.
Le visiteur se retira aussitôt, se fit conduire à la gare et prit le premier train en partance pour Durban.
***
Le lendemain matin, une animation exceptionnelle régnait au dépôt des locomotives de la gare de Durban où l’on attendait la visite de l’ingénieur en chef annoncée depuis une huitaine de jours.
Sa visite allait avoir, en effet, des conséquences intéressantes pour les employés de la Compagnie, car M. l’ingénieur en chef devait attribuer, à l’issue de sa visite, les notes trimestrielles du personnel de la traction, à la suite desquelles on déciderait les augmentations de traitement, les avancements au choix, les mises à la retraite.
Si grande était l’activité que nul ne s’apercevait de la présence d’un inconnu.
C’était un homme en complet noir, coiffé d’un chapeau mou. Il allait et venait, les mains dans les poches, sans rien dire, le regard aux aguets.
Or, cet inconnu n’était autre que le visiteur qui, la veille, était venu s’enquérir, avec tant de sollicitude, de la santé de l’ingénieur en chef de la traction.
Soudain, le personnage, s’étant rapproché d’une superbe locomotive du type « Pacific » qui faisait de l’eau à la pompe, s’approcha des hommes qui la montaient.
– Lequel d’entre vous est le mécanicien ?
– C’est moi, monsieur, qu’y a-t-il pour votre service ?
– Je suis ingénieur de la traction, dit l’inconnu, je remplace M. Mullerstone, actuellement souffrant…
Le mécanicien s’inclina respectueusement. Le chauffeur qui ne perdait pas un seul mot de la conversation, déploya une folle activité à nettoyer le cendrier de sa machine, tout en surveillant l’eau bouillonnante qui remplissait le réservoir.
L’ingénieur, ou du moins l’individu qui s’était donné pour tel se renseignait :
– C’est bien vous, n’est-ce pas, qui prenez à une heure vingt l’express de Pietermaritzburg, lorsqu’il arrive à Durban, venant de Vérulam ?
– En effet, monsieur l’ingénieur.
Le mécanicien, auquel son supérieur venait de demander quelques détails sur l’ordre de service qu’il avait à effectuer, expliqua :
– Notre mouvement d’aujourd’hui, monsieur l’ingénieur, diffère un peu du mouvement habituel, car nous avons une voiture de plus à emmener avec nous, ce qui nécessite une surcharge et, par suite, nous occasionnera une dépense plus grande de charbon. L’horaire doit être respecté.
– Quel est donc ce wagon spécial que vous devez emmener ?
Le mécanicien désigna une voie de garage au loin et expliqua :
– Nous conduisons la voiture cellulaire à Pietermarisburg. Dans le « panier à salade » il y a un prisonnier de marque. Fandor, vous savez bien, celui qui a tué le champion Jupiter, le boxeur noir. La Cour suprême va le juger.
L’ingénieur paraissait s’en soucier comme un poisson d’une pomme. Le matériel, au contraire, le retenait :
– C’est une « Pacific » dernier modèle, à ce que je vois, mais, dites-moi, mécanicien, n’avez-vous pas eu d’ennuis avec les purgeurs ? Quelques-uns de vos collègues s’en sont plaints…
– Non, monsieur l’ingénieur, jamais. Pas la moindre chose. Je dois reconnaître, cependant, que le dispositif de ce purgeur est délicat et qu’on peut avoir des ennuis.
– Bien.
Puis, passant à un autre ordre d’idées, l’ingénieur demanda :
– À quelle heure, le départ ?
– À une heure douze exactement, monsieur l’ingénieur. D’ordinaire, c’est à une heure dix-huit, mais on nous avance de six minutes aujourd’hui à cause du wagon pénitentiaire.
– Expliquez-moi vos mouvements.
– Nous allons par la voie du dépôt jusqu’à l’aiguille, nous reculons ensuite pour prendre le wagon cellulaire qui doit être attaché en tête du train. Nous venons alors nous placer sur la voie principale, après la troisième aiguille, et nous stoppons à cinquante mètres du disque avancé. C’est là que nous attendons l’arrivée de l’express. La machine qui l’aura amené à Durban se retirera, viendra prendre place au dépôt. Nous refoulerons alors jusqu’au convoi demeuré dans la gare.
– C’est bien, interrompit d’un ton sec l’interlocuteur du mécanicien, je serai de retour à une heure dix, je ferai le trajet avec vous sur la machine, car je rentre cet après-midi à Pietermaritzburg, et, en cours de route, je tiens à m’assurer du bon état des purgeurs.
L’homme regarda sa montre.
– Midi moins le quart, fit-il…
Et, saluant de la main le mécanicien, il ajouta en s’éloignant :
– Je vais déjeuner, à tantôt.
Évitant de regagner la ville ou la gare des voyageurs, le personnage qui s’était donné comme le remplaçant de M. Mullerstone, après avoir été rôder quelques instants autour de la voiture cellulaire, rebroussa chemin, passa derrière le dépôt des machines, puis, enjambant une balustrade, se perdit dans les terrains vagues qui entouraient les bâtiments de service de la grande gare.
***
Pourquoi Juve jouait-il toute cette comédie ?