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La main coupée (Отрезанная рука)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 00:30

Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Fandor et Juve, dès lors, n’eurent plus d’yeux que pour l’apache. Ils le voyaient de face, et auraient donné beaucoup pour pouvoir contempler à loisir les traits de l’individu avec qui le Bedeau s’entretenait.

Celui-ci, malheureusement, leur tournait le dos.

Que faire ?

Juve qui n’était jamais à court d’expédients, avertit d’un clin d’œil Fandor qu’il importait de se méfier. Juve alors se leva, quitta sa place sans se presser, vint s’accouder au comptoir du bar :

– Un madère sec, commanda-t-il.

Et l’ordre donné, Juve se retourna, voyant cette fois de face l’interlocuteur du Bedeau.

À ce moment, Fandor rejoignit Juve, mais évita de se retourner.

– Juve, qui est-ce ?

– Mario.

– Le bonneteau ?

– Tais-toi, Fandor ! il faut que nous entendions ce qu’ils disent.

Ce n’était pas très difficile car le Bedeau parlait à voix haute :

– Et puis, gouaillait l’apache, qui semblait de fort mauvaise humeur, et puis c’est pas tout ça, Bonneteur, en v’là assez, et même de trop. J’aime mieux pas dire la messe deux fois. Raque tes bijoux ou gare ma patte. En voilà un salaud, qui veut tout garder pour lui.

Mais le bonneteau n’entendait nullement se laisser faire.

– Raquer les bijoux, disait-il, et puis quoi encore ? Payer la tournée, peut-être bien ? Non, mais tu n’m’as pas regardé. Quand c’est que je travaille, Bedeau, c’est tout de même pour moi et pas pour les autres. Si j’ai pu avoir Kissmi et lui faire sa ferblanterie, j’imagine que c’est à moi d’en avoir le bénef.

Juve n’avait pas le temps de réfléchir à ce qu’il venait d’apprendre, car, à la vérité, toute son attention se concentrait maintenant non plus sur le Bedeau causant avec Mario, mais bien sur Bouzille, qui venait d’être rejoint par un inconnu glabre, de haute taille, qui, doucement, glissait de l’argent dans la main du chemineau.

– Regarde, Fandor, souffla Juve. Voilà que Bouzille reçoit sa paye, ah, du diable si nous saurons jamais, qui avait commandé à ces apaches de surveiller la maison Héberlauf.

Au même moment, derrière Juve, le Bedeau causait à l’homme glabre, à face de larbin.

Le Bedeau, qui était de plus en plus mauvaise humeur, tempêtait :

– Plus souvent, que je recommencerai à travailler pour l’officemare. En voilà un râleux. Trente francs par tête. Alors qu’on s’est bûché comme des singes. C’est pas Ivan qu’il devrait s’appeler… c’est « J’tiens-ma-poche ».

Le reste de la diatribe de l’apache se perdit dans le brouhaha du cabaret, mais tout de même Juve rayonnait :

– Voilà, souffla-t-il à l’oreille de Fandor, c’est clair et net. Ivan Ivanovitch a payé ces hommes, c’est lui, le coupable. C’est lui qui avait tendu le guet-apens. C’est lui qui a dû tuer Norbert. C’est lui encore qui a fait assassiner l’amant de Louppe. Lui, toujours, qui tout à l’heure en voulait à nos vies. Tu l’as entendu, Fandor ? c’est Ivan qui payait ces hommes.

– Mais ça ne prouve rien, Juve.

– Comment cela ne prouve rien ?

– Mais non.

Fandor, en deux mots, avait déjà expliqué à Juve les extraordinaires péripéties qui avaient marqué sa propre journée, comment il avait poursuivi la jeune fille s’appelant Denise, comment il avait été empêché de la rejoindre par l’intervention d’Ivan Ivanovitch, comment enfin, Ivan Ivanovitch, après s’être excusé de lui avoir imposé la promenade en mer, avait fini par vouloir le guider vers cette même Denise, qui, lui disait-il, avait désiré un rendez-vous avec Fandor, rendez-vous empêché par la bagarre de la nuit.

– Juve, conclut Fandor, je ne sais pas ce que vous avez ? vous soupçonnez ce malheureux marin. Je vous affirme qu’il n’est pour rien dans tout ceci. Oui, parbleu, on avait payé ces hommes, ces apaches pour empêcher qu’on ne parvînt jusqu’à cette Denise. Mais ce n’était pas contre vous qu’on agit, Juve, c’était, qui sait, peut-être contre moi. Contre Ivan, que sais-je ? Juve, comprenez-vous ?

– Parfaitement.

– Alors, vous saisissez que nous n’aurons l’explication de tous ces mystères qu’en interviewant Denise ?

Mais Fandor dut s’interrompre.

Au plus fort de la discussion avec Juve, une rixe éclata soudain dans le cabaret.

Mario Isolino et le Bedeau en venaient aux mains.

– Canaille, hurla Mario, tou m’as volé les bijoux de Kissmi.

– Crapule, répondit le Bedeau, tu refusais de partager. Rends-moi les bijoux.

– Mais io ne les ai pas, nom dé Diou.

– Je vais te casser la gueule.

– Viens-y donc, si tou oses.

Et puis brusquement la lutte cessa.

Le patron du Canadian-Bar avait, en effet, une grande habitude des discussions de ce genre. Il n’hésita pas sur la conduite à tenir. Quittant son comptoir, il se dirigea vers le commutateur et coupa l’électricité, purement et simplement.

Se battre dans le noir, c’était évidemment impossible. En désordre, mais avec précipitation, les vilains clients allèrent dans la rue pour y vider définitivement leur querelle.

– Ne bouge pas, Fandor, fit Juve, nous allons assister au cinéma.

Mais au même moment, la main vigoureuse du patron de l’établissement empoignait Juve par l’épaule :

– Vous, ordonna le colosse, qui présidait aux destinées du Canadian-Bar, allez voir dehors si j’y suis. Est-ce que vous prenez ma maison pour un asile de nuit ? En voilà des loqueteux. Allez ouste, les mendiants. Videz le plancher.

Ce n’était pas le moment de résister. Juve et Fandor se laissèrent expulser.

Or, dans la rue, où on les jetait, le Bedeau et Mario, le couteau en main, s’apprêtaient à se pourfendre.

Juve, soudain, se mit à courir, ayant fait signe à Fandor de le suivre.

– Acré, acré, hurla Juve, les cognes. Sauve qui peut.

La débandade commença.

Sur les talons de Juve, tous les apaches, tous les louches individus détalaient, persuadés, de bonne foi, que le policier était un des leurs et qu’il venait de donner l’alarme.

– Que diable combinez-vous donc ? demanda Fandor qui courait à côté de Juve, sans rien comprendre au plan du policier.

– Tu vas voir. Laisse-les passer.

Juve, vraiment, avait merveilleusement préparé son affaire. Il se laissa dépasser par les fuyards, puis soudain, il précipita sa course, rejoignit Mario Isolino, l’agrippa par le bras :

– Arrête-toi donc, lui dit Juve, tu vois bien que je fais cela pour te tirer des pattes du Bedeau qui allait t’étriper.

Et comme interdit, Mario s’arrêtait en effet, tandis que les apaches continuaient à s’enfuir, le malheureux bonneteur eut encore la surprise d’entendre Juve changer de ton.

– Imbécile, hurla le policier, tu ne m’as donc pas reconnu ? Je suis Juve, le policier Juve. Et c’est toi que j’arrête ! Non, pas un mot ou je te brûle.

Et Juve, tout en parlant, venait de passer les menottes a Mario.

12 – NE CHANGEZ PAS DE MAIN

– Juve.

– Fandor.

– Il fait jour, quelle heure est-il ?

– Je n’en sais rien.

Juve, toutefois, tira avec lassitude un bras de dessous ses couvertures. Il regarda sa montre posée sur le guéridon à côté de son lit et rejeta aussitôt ses draps pour s’élancer :

– Sacrebleu, s’écria-t-il, cinq heures.

– Comment cinq heures ? interrogeait Fandor d’une voix pâteuse et toute ensommeillée, il n’est pas cinq heures du matin ?

– Mais non, grand paresseux, il est cinq heures du soir. Nous avons dormi comme des marmottes.

– Parbleu, Juve, poursuivit Fandor en étouffant un bâillement, avouez que nous en avions joliment besoin.

Depuis quarante-huit heures, Juve et Fandor, en effet, menaient une existence à la fois mouvementée, ahurissante et fatigante au point de terrasser les hommes les plus entraînés. Heureusement que le policier et le journaliste comptaient au nombre de ces derniers.

Quelques heures auparavant, avant l’aube, ils étaient enfin rentrés à leur hôtel, la modeste auberge de la Bonne Chance, traînant derrière eux un compagnon de plus, l’infortuné bonneteur, Mario Isolino, qu’ils avaient cueilli à la sortie du bar interlope et entraîné avec eux.

Juve et Fandor avaient installé leur prisonnier dans un petit cabinet attenant à leur chambre. Puis, se dévêtant en hâte, ils s’étaient jetés sur leur lit et tout d’une traite avaient dormi d’un sommeil de personne exténuée.

Ils s’étaient réveillés à cinq heures du soir, enchantés de se retrouver.

Puis, instinctivement, ils se recueillirent, repassant dans leur mémoire les derniers événements.

De la pièce voisine s’échappait un sourd gémissement :

– Pardieu, s’écria Juve, c’est notre Italien qui s’éveille aussi. J’imagine qu’il a dû dormir aussi profondément que nous.

– Quand on pense qu’il y a des gens pour soutenir qu’on ne repose bien qu’à condition d’avoir la conscience tranquille, dit Fandor.

Les deux amis se sourirent puis, en hâte, ils allèrent ouvrir la porte fermée à clé du cabinet attenant à leur chambre. C’était une pièce étroite et longue, sorte de débarras uniquement éclairé au plafond par un vitrage grillé. Sur le sol, un matelas de rechange et sur ce matelas, tout habillé, le bonneteur italien.

Plus fatigué encore que Juve et Fandor, il persistait à dormir d’un sommeil agité, fréquemment coupé d’aspirations violentes, de soupirs, de gestes nerveux.

Le malheureux personnage avait encore les menottes et les deux jambes ligotées. Juve avait cru devoir prendre cette précaution pour éviter toutes les velléités de fuite. Le policier et le journaliste contemplèrent quelques instants le bonneteur dans son sommeil. Juve haussa les épaules.

– Qu’allons-nous faire de lui ? demanda-t-il.

– Bah, répliqua Fandor, il faut s’en débarrasser d’une façon ou d’une autre. Ce gaillard-là ne nous intéresse pas autrement pour ce qui nous occupe.

– Je te trouve drôle, objecta Juve en faisant une grimace, pour toi les bandits, les voleurs et les criminels n’ont aucun intérêt du moment qu’il ne s’agit ni de Fantômas ni de son entourage direct. Tu as peut-être raison du point de vue du journaliste, mais moi qui suis policier, je dois me préoccuper de ces gaillards-là.

« Et au surplus, poursuivit Juve, qui nous dit que cet individu ne tient pas de près ou de loin à la bande que paraît diriger notre insaisissable ennemi ?

Fandor allait répondre lorsque Mario Isolino s’éveilla. Il eut un regard apeuré de bête traquée lorsqu’il aperçut devant lui les deux hommes qui le surveillaient.

Il s’accroupit à demi, s’efforça de joindre ses deux mains dans une attitude suppliante et dans son jargon il balbutia :

– Io vous demande bien pardon, monsieur Juve, de toutes les aventoures d’hier au soir, mais io vous joure que io suis innocent. Peut-être un petit vol par-ci par-là, c’est tout le bout du monde.

Juve grommela :

– Vous vous expliquerez avec la justice, moi je n’ai pas à prendre parti.

D’une voix plaintive et chantante, l’Italien insista encore en faveur de sa grâce, se désespérant à l’idée qu’il allait comparaître devant un tribunal.

– Io souis perdou, disait-il, si io vois les jouges et cela m’émoutionne.

– Votre réputation, sans doute, n’a rien à perdre et d’ailleurs nous ne serons pas fâchés de connaître, par l’intermédiaire du juge d’instruction, l’existence que vous avez menée jusqu’à présent.

– Monsieur Jouve, est-il possible que vous soyez si méchant. Dire qu’hier au soir j’avais le grand honnour de dîner à la même table que vous, comme un homme du monde que io souis, que vous êtes. Écoutez, monsieur Jouve, défaites un peu ces menottes qui meurtrissent mes poignets et io vais vous conter toute mon histoire, dire toute la vérité.

Juve obtempéra au désir de l’Italien. Il enleva les menottes, mais lui laissa son entrave.

Mario Isolino exagérant la politesse, plat et respectueux comme une punaise, voulut baiser les mains de Juve en signe de reconnaissance, mais le policier interrompit rudement ces protestations de sympathie :

– Moins de gestes, Mario Isolino, dit-il, un peu plus de paroles et la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

– Io le joure, proféra solennellement l’Italien en levant la main droite dans la direction de la fenêtre comme s’il prenait à témoin le ciel bleu qui s’encadrait dans la croisée.

Mario Isolino alors s’installa par terre entre les deux hommes et commença le récit de ses aventures, qu’il entremêlait d’invocations à la Vierge, de protestations de dévouement à la République française, de sarcasmes et d’injures à l’égard des anarchistes. C’était un fatras incohérent, une avalanche de propos invraisemblables, mais Juve et Fandor parvenaient cependant à retenir de l’odyssée de l’Italien que, avant d’exercer le métier de bonneteur où sa dextérité faisait merveille, il avait été employé chez un illusionniste, cireur de bottines, secrétaire d’un grand-duc autrichien, mais enfin, que sa principale profession avait été et serait encore, s’il le pouvait, la profession de croupier de cercle.

Du récit de Mario Isolino, Juve n’avait retenu que ce détail, qui prenait à ses yeux une extrême importance.

Lorsque l’Italien eut fini, et tandis qu’il sollicitait par une mimique expressive une approbation de Fandor, qu’il n’obtint pas d’ailleurs, car le journaliste voulait demeurer impassible, Juve échafaudait tout un projet dont il ne tardait pas à donner connaissance à ses interlocuteurs.

– Mario Isolino, déclara-t-il enfin en prenant la chose sur le ton familier et bonhomme qu’il affectait lorsqu’il voulait opérer une conquête, Mario Isolino, tu me fais l’effet d’un honnête homme qui serait devenu fripouille par nécessité.

– Parfaitement, monsieur Jouve, parfaitement, approuva l’Italien, c’est tout à fait exactement cela. Io étais fripouille et io souis honnête houmme.

– Non, corrigea Juve, c’est le contraire, mais peu importe pour le moment. Écoute Mario Isolino, j’ai une proposition à te faire. Si tu consens à m’obéir, à faire exactement ce que je te dis et cela seulement pendant quarante-huit heures, je m’arrangerai pour avoir l’extrême négligence, dès le troisième jour, de te perdre au coin d’une rue et de ne pas te retrouver.

– C’est entendou, monsieur Jouve, clama le bonneteur, dont le visage s’illumina de joie. Vous pouvez compter sur ma parole d’honnête houomme.

Juve, avec une précision extrême et une parfaite netteté, expliqua à l’ancien croupier ce qu’il attendait de lui.

– Mario Isolino, déclara-t-il, il se passe des choses peu compréhensibles dans la salle de jeu de Monte-Carlo, particulièrement à la table numéro 7 de la roulette. Je veux savoir si l’on triche et qui triche. Ta compétence particulière en la matière – puisque tu as été croupier de cercle – ton habileté de prestidigitateur doivent te permettre de découvrir le moindre geste suspect. Tu vas venir au Casino avec nous cet après-midi, tu surveilleras.

– Ah monsieur Jouve, monsieur Jouve, s’écria le bonneteur en se jetant aux genoux du policier, assourément c’est la Madone qui vous envoie sur mon chemin pour me tirer d’affaire. Io m’en vais réussir assourément à découvrir ce que vous cherchez. Croyez bien monsieur Jouve, que j’apprécie vivement le grand honneur que vous me faites de m’introduire dans la police.

– Minute, il ne s’agit pas de jouer au plus malin. Si tu as le malheur de nous désobéir, au moindre mot, au moindre geste, tu es bouclé, ficelé, comme hier soir. À la moindre résistance, on a douze balles de revolver à ta disposition, six provenant du browning de Juve et six provenant du browning de Fandor.

– Io comprends, dit Mario Isolino, monsieur Jouve, comptez sur moi.

– Un mot encore, fit le policier, je ne sais si tu as de l’argent, mais ne t’avise pas de jouer lorsque tu seras à ton poste à la roulette. Sans quoi je ne réponds plus de rien.

***

À six heures la partie battait son plein.

La foule plus nombreuse encore qu’à l’ordinaire dans la salle surchauffée, murmure confus de respirations haletantes, bruissements de pièces d’or glissant les unes sur les autres, billets de banque froissés, voix monotones des croupiers annonçant :

– Faites vos jeux, messieurs, Rien ne va plus.

Galopade des billes sur la roulette, arrêt, et le directeur de la partie annonça un chiffre, pair, manque et rouge ou impair, noir et passe. Murmures de satisfaction ou de désappointement.

À la septième table de la roulette, depuis l’assassinat encore inexpliqué du malheureux Norbert du Rand, nul n’osait plus jouer le numéro sept.

Juve et Fandor erraient, impassibles, dans les salles brillamment illuminées.

Le bonneteur, assis au premier rang de la table numéro 7 leur lançait des coups d’œil signifiant qu’il ne découvrait rien qui ne fût parfaitement normal.

Juve avait aperçu, traversant la salle, M. de Vaugreland, l’air satisfait, le sourire sur les lèvres.

Le journaliste venait de constater la présence de l’officier russe, à la table numéro 7, précisément, Fandor allait alors prendre Juve par le bras, mais au moment où les deux hommes tournaient le dos à la table, une exclamation générale poussée par les joueurs qui l’entouraient les firent se retourner brusquement.

Pour la première fois depuis le commencement de la partie, depuis trois heures que cette table de jeu fonctionnait sans un instant d’interruption, quelqu’un avait misé sur le numéro fatidique. Un ignorant, ou un audacieux, avait joué le sept.

Le parieur avait mis cinq cents francs sur la chance du chiffre fatal.

Quel pouvait bien être ce parieur ?

Juve et Fandor se regardèrent du coin de l’œil. Et le policier, qui venait à ce moment précis d’apercevoir Ivan Ivanovitch, glissa à l’oreille de Fandor :

– Je parie que c’est ton commandant qui vient de faire le coup.

Fandor hocha la tête, une fois encore il devait donner un démenti à Juve, mais il le fit en toute sincérité.

Depuis quelques instants déjà il observait l’officier, il avait la certitude que ça n’était pas lui qui avait ponté sur le sept.

Les autres numéros se couvrirent rapidement, les parieurs semblaient mettre une ardeur fébrile à jouer contre le chiffre fatidique. Et les petites cases du tapis vert se garnissaient comme par enchantement de billets et de pièces d’or.

– Rien ne va plus, dit le directeur du jeu.

Puis ce fut le silence pendant tout le temps de la course saccadée de la bille rebondissant à contresens sur le plateau de la roulette. Une entente parut alors intervenir entre la bille et les alvéoles. L’ardeur du début, la rapidité des mouvements s’atténuaient. La bille, conformément à son habitude, s’introduisait dans une petite case, en ressortait précipitamment, rentrait dans une autre qu’elle abandonnait encore. Elle sortait avec un peu plus de nonchalance d’un troisième alvéole. Et au fur et à mesure que diminuait la vitesse de ses mouvements, que sa marche devenait hésitante, s’augmentaient les émotions du public. La première, une vieille dame poussa un cri d’une voix chevrotante, cependant que des grognements gutturaux s’échappaient de la poitrine de deux gros Turcs à face jaune. Enfin, une clameur qui couvrit la voix du croupier, c’est à peine si on entendit annoncer le numéro gagnant : c’était le sept. Pour la première fois, on avait misé sur le sept, et le sept avait gagné. Le garçon de caisse envoyait avec son râteau une pile énorme d’or représentant trente-cinq fois la mise. Qui donc allait ramasser cette fortune ? Tous les yeux se tournaient anxieusement vers le point du tapis vert où les louis étaient accumulés. La stupéfaction s’augmenta encore : une légère bousculade se produisait et on vit successivement deux mains s’abattre sur le tas d’or vers lequel se penchaient curieusement plusieurs personnes. Deux joueurs allaient-ils donc réclamer la propriété du trésor ?

Ce mouvement durait un quart de seconde.

Juve et Fandor le remarquèrent, mais à ce moment même un double cri d’horreur s’échappait de leurs poitrines, répété une seconde ensuite par tous les témoins du fait invraisemblable qui venait de se produire, en l’espace d’un éclair. Une première main, une main blanche, sortie, semblait-il, de dessous une pèlerine noire, s’était abattue sur l’or, suivie d’une autre qui était celle du bonneteur Mario Isolino. L’Italien, poussé par la passion du jeu, incapable de résister, désobéissant aux ordres de Juve, s’était laissé aller à miser. Et c’est alors que le mystère ahurissant se révélait.

De la pèlerine d’où était sortie la main blanche, on ne voyait plus rien. Mais Mario Isolino venait de pousser un hurlement : on avait vu sur le tas d’or une main blanche, une main coupée au ras du poignet, une main seule, sans bras, une main morte.

Juve et Fandor se précipitèrent.

Ils regardèrent autour d’eux, fouillèrent fiévreusement l’assistance, cherchant à retrouver la pèlerine sous laquelle cette main s’était un instant dissimulée.

La pèlerine avait disparu.

– Encore le Russe, grommela Juve.

Les inspecteurs des jeux avaient surgi comme par enchantement. Par leurs soins, la table numéro sept était immédiatement évacuée, on écartait le public, on formait avec des gardiens un cercle infranchissable autour du tapis vert.

En outre, M. Amizou, le commissaire de police, mettait la main au collet de l’infortuné Mario Isolino, auquel on voulait évidemment demander des explications. Juve bondit auprès du commissaire, Fandor en fit autant.

En l’espace de quelques instants on avait entraîné l’Italien hors de la salle de jeu, l’or était rentré dans les caisses du croupier, un inspecteur s’était emparé de la main morte et l’avait dissimulée au fond de son chapeau.

– Allons. Rien ne va plus. Les jeux sont faits.

Tout recommençait comme si rien ne s’était passé.

Cependant, au « local » provisoire où l’on conduit normalement les escrocs et les grecs, salle vide et sans fenêtre, les intéressés venaient de se retrouver. Mario Isolino, bousculé, soufflait à grand bruit.

M. Amizou, le commissaire, l’interrogea brutalement :

– Vos nom, prénoms, domicile ? Que s’est-il passé tout à l’heure ? D’où vient cette main de mort ?

Le magistrat mit sous les yeux de l’Italien les doigts livides. Maria Isolino ne comprenait absolument rien à ce qui venait de se passer.

– Ah, que io regrette. Quel grand malhour. Santa Madona, sauvez-moi, se contenta-t-il de psalmodier.

Juve avait reconnu du premier coup d’œil la main tragique. La main morte était celle que, la veille, M. de Vaugreland avait trouvée dans son tiroir et que vraisemblablement il avait dû remettre au commissaire de police. Comment cette main se trouvait-elle là ?

M. Amizou voyant qu’il ne servait à rien d’interroger, fit fouiller le bonneteur, Mario Isolino se prêta volontiers à cette vérification, convaincu, d’ailleurs, semblait-il, qu’elle n’aurait pour lui aucune fâcheuse conséquence. Or, le pauvre Italien avait des bijoux plein les poches.

Le commissaire poussa une exclamation de triomphe, cependant que Fandor, qui se précipitait pour voir, ne put se retenir de crier :

– Par exemple, ce sont les bijoux volés hier à Daisy Kissmi.

– Il va falloir les rendre tout de suite à leur propriétaire, déclara le commissaire, dès qu’elle les aura reconnus. En attendant, conduisez-moi ce gaillard en prison.

– Grâce, implora le malheureux.

On n’en entendit pas plus.

Par une porte dérobée, un escalier de service, à l’abri des regards indiscrets, invisible, ignoré de tout le monde, le bonneteur fut conduit à une voiture stationnant à un endroit isolé du Casino. Elle conduisit le bonneteur au fort Saint-Antoine.

Dix minutes plus tard, Mario Isolino, entre les quatre murs de sa cellule, réfléchissait tout à loisir sur les vicissitudes de l’existence.

***

– Eh bien, miss Daisy, que pensez-vous de cette trouvaille ?

Fandor s’adressait ainsi à la demi-mondaine qui, juchée sur un haut tabouret du bar placé à l’entrée de l’Atrium, dégustait son quatrième cocktail de la soirée.

Conformément à son habitude, Daisy était agréablement ivre à cette heure. On l’avait appelée dans les bureaux de l’administration, on l’avait priée de décrire minutieusement les bijoux qui lui avaient été dérobés. La jeune femme s’était prêtée de bonne grâce à cette requête, puis soudain, à sa grande surprise, le commissaire de police lui avait dit :

– Voici vos bijoux, madame, je vous prie de bien vouloir signer ce reçu.

Daisy Kissmi s’exécuta, rentra en possession de son bien, qu’elle fourra négligemment dans son sac à main, puis elle retourna au bar. C’est là que Fandor l’avait rejointe.

À présent, le journaliste interrogeait la demi-mondaine.

– Vous devez être joliment heureuse d’avoir retrouvé vos bibelots ? Ce sont peut-être des souvenirs de famille ?

– Mais non, je ne suis pas contente. Ce était oune bien grande malheur pour moi qu’on ait retrouvé ces choses.

– Et pourquoi donc ?

L’Anglaise qui oscillait déjà sur son tabouret pencha ses lèvres à l’oreille de Fandor :

– Comprenez donc. Toutes ces pierreries elles étaient fausses. Du simple verre monté sur de l’argent doublé. Je n’avais jamais mes vraies pierreries quand je faisais la noce, et comme mes pierreries ils sont assurés par la Compagnie d’assurance, je comptais toucher la grosse somme d’argent puisqu’elles avaient été volées.


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