355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Марсель Аллен » La main coupée (Отрезанная рука) » Текст книги (страница 6)
La main coupée (Отрезанная рука)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 00:30

Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
сообщить о нарушении

Текущая страница: 6 (всего у книги 21 страниц)

– De mieux en mieux, déclara Fandor, ce gêneur, c’est moi.

– Voilà bien ma veine.

Le policier, toutefois, emboîtait le pas à Fandor qui, lestement, gravit les trois marches permettant d’accéder du trottoir au wagon.

Les deux hommes s’introduisirent dans l’étroit compartiment dont les banquettes, superposées l’une au-dessus de l’autre allaient constituer leurs lits respectifs jusqu’au lendemain matin.

Ils poussèrent la porte, et lorsqu’ils furent seuls, ils se regardèrent dans le blanc des yeux en éclatant de rire.

– Juve.

– Fandor.

– Vous en avez de bonnes, Juve. Jamais vous ne me ferez croire que vous allez à Monaco uniquement pour fumer des pipes, monter à bicyclette et chercher une âme sœur.

– Tu te paies ma tête, Fandor, jamais tu ne me feras admettre que tu pars pour la côte d’Azur uniquement pour revêtir chaque soir ton smoking et faire la noce avec des demoiselles.

Ils se turent. Puis Juve reprit :

– Tu vas là-bas pour l’affaire de la roulette et l’histoire du Russe ?

– Vous allez là-bas, Juve, pour la mort de Norbert du Rand ?

– Parbleu.

– Parbleu.

***

– Juve ? interrogeait Fandor, cependant que les deux hommes, attablés dans le wagon-restaurant, se brûlaient consciencieusement en s’efforçant d’avaler le consommé, Juve, vous qui êtes l’homme de toutes les perspicacités, je suis à peu près certain qu’un détail des plus curieux vous a échappé ce soir. Nous parlions tout à l’heure de l’affaire de la roulette et vous savez comme moi que dans toute cette histoire confuse qui s’est passée à Monaco, il ressort nettement que le « sept » a joué un rôle bizarre.

– Que veux-tu dire ?

– Le sept a gagné.

– Beaucoup gagné ?

– Trop gagné, Juve, poursuivit Fandor, mais là n’est pas la question. Avez-vous remarqué que notre compartiment…

– Porte le numéro sept, n’est-ce pas ?

– Ah, vous le saviez ? De plus nos couchettes sont respectivement les couchettes…

– Sont les couchettes sept et sept bis.

– Juve, grogna Fandor, vous avez décidément juré de me couper tous mes effets, mais j’ai mieux que cela encore à vous offrir. Savez-vous quel est le numéro de notre wagon ?

– Ah, petit, ma foi non, déclara Juve, cette fois je m’avoue vaincu ?

– Eh bien, fit triomphalement Fandor, c’est 3211.

– Et alors ?

– Alors, trois plus deux plus un plus un égale sept.

Juve approuva et au bout d’un moment :

– Fandor, as-tu regardé la carte du wagon-restaurant ? Le dîner coûte sept francs.

À ce moment passa le sommelier.

– Quel vin vais-je servir à ces messieurs ? demanda-t-il.

L’homme ajouta :

– La boisson n’est pas comprise dans le prix du dîner.

Alors, au grand ébahissement du domestique, Juve et Fandor, pris d’un fou rire et décidés à passer gaiement la soirée, s’écrièrent presque ensemble :

– Peu nous importe, à condition que vous nous donniez un vin qui coûte sept francs.

Le sommelier haussa imperceptiblement les épaules, puis les inscrivit d’autorité pour une bouteille de Pommard.

***

Cependant, au fur et à mesure que le dîner s’avançait dans le wagon-restaurant, on sentait naître et se développer une atmosphère de gaieté dans la voiture bondée d’une clientèle élégante.

Juve et Fandor n’avaient pas tardé à remarquer deux couples.

Fandor, fort au courant de la vie parisienne, avait immédiatement reconnu les deux jeunes femmes. Il renseignait Juve.

– La petite brune, si mince et si maigre qu’on dirait une fillette de quatorze ans, ou encore un chat de gouttière, est une demi-mondaine assez connue, célèbre par son sans-gêne, son caractère gavroche. Du temps où je fréquentais Maxim’s, ce qui m’est arrivé trois fois dans ma vie, on l’appelait la petite Louppe. Je suppose qu’elle doit porter aujourd’hui un nom plus distingué, d’autant qu’elle a l’air de voyager avec un monsieur chic.

– Tu le connais, ce monsieur chic ? interrogea Juve.

– Pas le moins du monde, fit Fandor, mais je vois à votre air, Juve, que vous allez dans un instant me réciter par cœur son casier judiciaire.

– Ce sera facile, dit Juve, il n’en a pas. C’est un brave homme, un député du Centre : M. Laurans, fort connu au Parlement, très « dans les eaux du jour », et appelé prochainement à devenir ministre.

– Vous me présenterez, Juve, s’écria Fandor, je le taperai d’un bureau de tabac. C’est égal, continuait le journaliste, il est assez piquant de voir cet homme d’un âge mûr, à l’apparence austère, avec ce petit voyou de femme.

– Et l’autre ? interrompit Juve, la blonde au teint brique, la connais-tu ?

– Parbleu, poursuivit Fandor, mais c’est l’Anglaise de Montmartre, la célèbre Anglaise de la place Pigalle, régulièrement ivre morte à trois heures du matin. C’est Daisy Kissmi. Vous n’avez jamais entendu parler d’elle ?

Le compagnon de l’Anglaise lui, était un homme très brun, à la moustache cirée, à la chevelure trop pommadée, à la barbe trop bien faite, aux ongles trop polis, à la tenue trop élégante et qui, malgré tout, n’était pas distingué.

« Quel peut être cet individu ? se demandait Juve. Il allait prendre l’avis de Fandor, mais celui-ci ne l’écoutait plus.

Le journaliste avait entamé une conversation en signaux avec la compagne du député. La petite femme noire avait reconnu Fandor et par une mimique expressive elle s’efforçait de lui faire entendre qu’ils se retrouveraient tout à l’heure, dès qu’elle aurait pu se débarrasser de son protecteur.

Louppe, de temps à autre, pour bien manifester ses sentiments, promenait ostensiblement le revers de sa main sur sa joue mince, ce que Fandor traduisait dans son bon argot parisien par :

– » La barbe ». Cette pauvre Louppe est terriblement rasée par son bonhomme.

Le dîner s’acheva.

De rigoristes bourgeoises avaient quitté le wagon-restaurant sitôt la dernière bouchée avalée, estimant peu convenable de rester à traîner dans un wagon, où les hommes, avec l’assentiment de quelques dames, commençaient à fumer en buvant des liqueurs.

Mais Juve et Fandor s’aperçurent à ce moment que la petite Louppe insistait d’une façon pressante auprès du député.

Laurans écoutait son amie avec beaucoup de docilité. Il hocha la tête, il approuva.

Au bout de quelques instants, Louppe avait évidemment obtenu satisfaction, car son visage s’éclairait d’un large sourire, ses yeux s’illuminaient. Le député, en effet, après avoir soldé l’addition, se levait, solennel et, traversant le wagon, regagnait son compartiment, cependant que Louppe allait s’asseoir auprès de Daisy Kissmi.

Mais le député avait à peine disparu que Louppe, pirouettant sur ses talons et titubant d’une table à l’autre, tout en grommelant contre les secousses du train, quittait Daisy Kissmi et bondissait vers Fandor :

– Chouette, dit-elle, en posant ses deux mains sur les épaules du journaliste, j’ai fini par décider mon vieux à se débiner. Tel que je le connais, dans dix minutes il va roupiller comme une souche. Mon petit Fandor, je suis bien contente de te revoir. Qu’est-ce que tu paies ? Dis donc, il a l’air de rigoler ton copain ? faudrait pas qu’il s’envoie ma poire ?

Juve protesta doucement qu’il n’avait nullement l’intention de se moquer de la nouvelle venue.

Mais celle-ci ne songeait déjà plus à la question qu’elle venait de poser. Elle s’était installée délibérément sur la table occupée par Juve et Fandor.

Elle appela le garçon :

– Amène-toi ballot ! il faut me refiler une fine, et de la bonne, j’en ai assez de boire de l’eau sucrée, pour faire croire au père Laurans que je n’ai pas de vices. Vas-y donc d’une fine et surtout pas de whisky, comme en prend Daisy Kissmi.

« Zieute-moi l’Anglaise, poursuivit Louppe en se penchant à l’oreille de Fandor, qu’est-ce qu’elle est en train de se passer encore. J’parie cinq louis, contre un sou qu’elle sera mûre d’ici une heure. Au fait Fandor tu ne m’as pas encore présenté ton copain ?

Fandor, au hasard présenta Juve :

– Monsieur Dubois.

Mais l’Anglaise, entre deux verres de whisky, voulait, elle aussi, faire la connaissance des voyageurs amis de Louppe.

Il semblait bien du reste qu’elle connaissait Fandor, de vue tout au moins. C’était une raison suffisante pour venir boire à sa table.

Daisy Kissmi s’installa et plus rigoriste que son amie, elle voulut aussitôt qu’on lui présentât le compagnon de Fandor :

– Monsieur Duval, fit celui-ci gravement, en désignant Juve :

Louppe s’esclaffa :

– Non, mais vous êtes rien farces tous les deux. Surtout toi, poursuivait-elle en désignant Juve interloqué par cette familiarité, il n’y a pas trois minutes, tu t’appelais Dubois. Voilà maintenant que tu t’appelles Duval. À quand Durand ?

– Du Rand proféra l’Anglaise, avec un léger hoquet, aoh, il ne faut pas parler de loui, puisque cette pauvre Du Rand, il est morte.

Ce rappel à la réalité jeta un froid dans l’assistance. Juve et Fandor se souvenaient, en effet, qu’ils roulaient à cent vingt à l’heure vers les lieux du crime.

Mais ces femmes insoucieuses avaient déjà oublié. L’Anglaise, avec un entêtement d’ivrognesse, deux ou trois fois proposa de présenter à ses amis son compagnon : un Italien très bien, disait-elle, le signor Mario Isolino. C’était un grand seigneur, qui malheureusement aimait trop les cartes, ce qui l’avait perdu. Après avoir possédé une fortune immense, il était en train de la reconstituer désormais par son travail et son adresse.

Tandis que Daisy Kissmi allait chercher par la main l’Italien qui, de loin multipliait les sourires et se confondait en petites salutations, Louppe, pendant ce temps, expliquait, brutalement en deux mots à Juve et à Fandor la profession du signor Isolino :

– Un grec, un tricheur, quoi, il fait le bonneteau.

Il était minuit environ, Daisy Kissmi allait être ivre morte bientôt, Louppe, ayant en vain essayé de séduire Juve, puis Fandor, et n’ayant pas réussi, s’était rabattue en fin de compte sur Isolino.

Le journaliste et le policier regagnèrent leurs couchettes laissant les deux demi-mondaines en tête à tête avec l’Italien.

***

Le train roulait, le train roulait.

Juve et Fandor dormaient encore lorsque les premiers rayons d’une aube pâle apparurent timidement sous les rideaux.

Soudain, réveil en sursaut.

Une secousse violente, un arrêt brusque venait de les jeter, pour ainsi dire, à bas de leurs lits et Fandor qui se trouvait dans celui du dessus, dégringolant sur Juve, se meurtrit les genoux contre les parois du wagon et jura comme un templier, tout en épongeant machinalement les gouttelettes de sang qui perlaient à la peau de ses rotules.

Aucun bruit.

Fandor leva le store.

Malgré la buée humide du matin, en dépit de la brume épaisse, ils se rendirent compte que le train n’était pas arrêté dans une gare, mais en rase campagne.

Au silence du début succédèrent quelques pas d’hommes pressés dont les souliers crissèrent sur le gravier. La locomotive poussa deux coups de sifflets. Sur ce, on entendit des éclats de voix, des exclamations, des discussions.

– Il y a quelque chose, murmura Juve, si on allait voir ?

Comme ils longeaient le convoi, Juve fit une remarque :

– Fandor, dit-il, regarde les rails sur lesquels se trouve notre train.

– Eh bien ?

– Ces rails sont rouillés.

– Alors, que concluez-vous ? reprit le journaliste.

– J’en conclus que nous ne sommes pas sur la grande ligne, car sur la grande ligne il passe de nombreux trains et les rails y sont polis comme des miroirs. Nous sommes évidemment sur une voie de garage, mais pourquoi ?

– Pourquoi ? c’est ce que nous allons savoir en le demandant à ces messieurs, les employés.

Le policier et le journaliste, en arrivant dans le groupe du personnel, trouvèrent des gens complètement affolés.

Soudain le train avait été orienté vers la gauche et s’engageait sur une voie que le mécanicien ne reconnaissait pas. Ignorant ce qui se passait, il avait bloqué aussitôt ses freins et il n’avait pas eu tort : à cent mètres, la voie s’achevait par un butoir.

– Voilà bien notre veine, souffla Fandor à l’oreille de Juve.

Mais où sommes-nous ?

– À douze kilomètres après Arles, répondit un employé, il y a, à quinze cents mètres d’ici, je crois bien, une petite gare.

Tandis que les employés continuaient à commenter l’incident et que le chef de train courait au prochain disque pour s’efforcer de voir le signal, Juve tira Fandor en arrière.

Toujours doctoral et précis, le policier déclarait :

– Nous sommes sur une voie où nous ne devrions pas nous trouver. Pourquoi, Fandor ? Tu n’en sais peut-être rien, mais moi je m’en vais te le dire : c’est parce que notre train a été aiguillé dans une fausse direction.

– Bravo, reconnut Fandor, en feignant l’enthousiasme. C’est une découverte sensationnelle que vous venez de faire là. Jamais, Juve, vous n’avez été aussi perspicace et M. de La Palisse lui-même n’aurait pas mieux trouvé.

Mais Juve poursuivait :

– Quand on veut connaître l’origine d’un fleuve, il faut remonter à sa source, lorsqu’on veut comprendre une histoire, il faut en connaître le commencement. Viens avec moi, petit, nous allons examiner l’embranchement de cette voie de garage.

Comme ils passaient devant le wagon occupé par le député Laurans, la tête de Louppe apparut dans l’entrebâillement de la vitre :

– C’est-y qu’on est chaviré ? demanda-t-elle. Le député m’est tombé sur la tête, tout à l’heure, pendant que je roupillais. Pensez si je l’ai reçu. Il dort tout de même, mais je n’ai plus sommeil. Où c’est-y que vous allez comme ça tous les deux ?

– Prendre l’air.

– Cavalez donc pas si vite. Je viens avec vous, j’en ai ma claque, de ce wagon, il fait trop chaud, il faut que je prenne l’air aussi.

Deux secondes plus tard, Louppe, sommairement vêtue, la chevelure ébouriffée maintenue sur sa tête par une écharpe, sautait sur le ballast, manquait d’ailleurs de dégringoler et tombait dans les bras de Juve, ce qui l’empêcha de rouler.

– Eh bien, mon vieux Dubois, s’écria-t-elle, tu peux dire que tu m’as sauvé la vie. Mais c’est égal, il y en a plus d’un qui voudrait recevoir comme ça la nommée Louppe dans les bras, sur le coup de six heures du matin.

Depuis longtemps, Juve avait dépassé l’extrémité du train et voici qu’il atteignait la bifurcation.

Aucun poste d’aiguilleur ne se trouvait à proximité, on voyait simplement, à cinq cents mètres de là, les abords d’une petite gare, si bien endormie que nul encore ne s’était aperçu de l’arrêt du rapide demeuré en détresse sur la voie de garage. Comment se faisait-il que ce train eût été aiguillé de la sorte, hors de son parcours normal ?

Au moment où Fandor et Louppe rejoignaient Juve, celui-ci laissa échapper une exclamation de surprise, cependant qu’il se jetait à genoux sur le sol :

– Fandor, avait crié Juve sur un ton ému qui faisait frémir le journaliste.

Fandor aussitôt accourut.

– Regarde, fit Juve, désignant l’aiguille, au bas du rail.

Fandor ayant regardé demeura stupéfait, silencieux, mais la petite Louppe, qui s’était approchée, poussa, elle aussi, un cri horrifié.

Moins maîtresse d’elle-même que les deux hommes, elle hurla :

– Mon Dieu, c’est épouvantable ! Une main ! La main d’un type ! Comment se fait-il qu’elle se trouve dans l’aiguille ? sûr que c’est le train qui l’a coupée. Eh bien, après ce que j’ai vu, me voilà les sangs retournés pour au moins quarante-huit heures.

***

Le rapide de la Côte d’Azur avait repris sa marche régulière. La plupart des voyageurs s’étaient rendormis dans leurs compartiments, n’ayant rien compris à ce qui s’était passé.

Louppe avait retrouvé la compagnie de son député.

Seuls, Fandor et Juve demeuraient éveillés.

Le policier, sitôt qu’il avait vu cette main humaine introduite entre l’aiguille et le rail et en maintenant la pointe de telle sorte que le train qui venait devait fatalement s’engager sur la voie de garage terminée par le butoir, avait cru que l’on se trouvait en présence d’un accident, quelque malheureux, surpris par le train, avait eu la main coupée. Le reste du corps devait se trouver ailleurs, non loin sans doute, et Juve s’était efforcé de regarder autour de lui pour retrouver les débris d’un cadavre sur lequel il comptait.

Mais, après un examen plus attentif, il reconnut qu’il s’agissait d’une main seule, d’une main appartenant à un cadavre qui n’était pas là, d’une main morte déjà depuis plusieurs heures, qu’on avait assurément introduite dans l’aiguille, à des fins décidées d’avance, encore que fort imprécises dans l’esprit du policier.

Juve avait fait connaître sa qualité au chef de train, puis au chef de gare de la petite station voisine que l’on avait été réveiller. Il avait obtenu sans peine l’autorisation de garder cette terrible pièce à conviction, et il avait repris sa place dans le compartiment, car l’essentiel était de repartir. Il n’y avait aucun mal. L’important consistait surtout désormais à regagner le temps perdu.

Tout cela s’était passé si vite que la plupart des voyageurs n’y avaient rien vu. Il y avait Louppe, cependant, Louppe qui s’était écriée :

– Mais c’est la bague d’Isabelle de Guerray. C’est une bague comme elle en a donné une à son amant.

Juve et Fandor qui ignoraient que semblable cadeau était un usage établi, presque une tradition, chez la vieille demi-mondaine, en arrivaient tout naturellement à une conclusion :

– Juve.

– Fandor.

– Que signifie tout cela ?

– Quelle coïncidence.

– Cette main de cadavre nous menace.

– Ou nous défie.

– Juve, on savait que nous étions dans le train.

– Fandor on veut nous défendre de nous occuper de cette affaire.

Et les deux hommes se turent.

Qui donc pouvait oser leur adresser semblable ultimatum ?

Déjà, le policier et le journaliste pensaient à…

7 – DE PLUS EN PLUS FORT

– Fandor ?

– Mon bon Juve ?

– Où t’imagines-tu que nous allons descendre ?

– Je n’en ai aucune idée. Vous tenez à un hôtel plutôt qu’à un autre ?

– Imbécile. Idiot. Crétin.

Tous deux venaient de descendre à la gare de Monaco, quittant avec joie ce train maléfique. Tous deux avaient pris congé, avec force promesse de se revoir, de leurs compagnons et de leurs compagnes de route, de la belle Daisy Kissmi, de Mario Isolino.

Et Juve continuait :

– Imbécile, triple imbécile ! Comment, voilà plus de dix ans que nous travaillons ensemble, et tu n’es pas encore capable, Fandor, au moment où nous débutons dans l’étude d’une affaire mystérieuse et intrigante, dangereuse aussi, de deviner à quel hôtel il faut descendre ?

– Juve, nous descendrons où vous voudrez. Mais je vous avoue que je n’ai aucune idée quant au choix de l’hôtel.

– Pourtant, Fandor, cela s’impose.

– Qu’est-ce qui s’impose, Juve ?

– Mais que nous devons descendre dans l’hôtel le plus moche.

– C’est toujours agréable. Et pourquoi cela, Juve ?

– Parce que j’imagine qu’on ne nous y attend pas.

Tandis que Fandor était rompu, éreinté à l’extrême par le dur voyage qu’il venait d’accomplir, voyage tragiquement interrompu par l’incident d’Arles et la menace implicite que cet incident comportait, Juve, au contraire, était frais et dispos, reposé, prêt à agir, exactement comme s’il eût quitté son lit depuis quelques minutes.

– Mon petit Fandor, les autruches sont des animaux stupides. Rien ne sert de se mettre la tête dans le sable pour fuir un danger. Autrement dit, nous agirions l’un et l’autre comme de véritables insensés si, parce que nous ne convenions pas du péril où nous sommes, nous pensions mieux y échapper.

– Juve, je vous donne toutes les médailles de chocolat du monde, et même un bâton de sucre d’orge si vous vous décidez à parler autrement que par énigmes. De quel danger nous menacez-vous ?

– De quel danger je nous menace, Fandor ? Voyons. La main retrouvée cette nuit dans l’aiguille d’Arles provient du cadavre de Norbert du Rand ? Nous sommes bien d’accord que c’est à peu près certain ?

– Oui, nous sommes d’accord, poursuivit Fandor, cela résulte de la bague identifiée par la jeune Louppe. Mais en quoi…

– En quoi ceci nous intéresse ? En cela, mon petit, que ce n’est pas par hasard, à coup sûr, qu’un assassin s’est donné la peine de tuer un individu sur la ligne de Vintimille à Nice, puis d’aller faire retrouver sa main par toi et moi sur la ligne de Paris-Marseille.

– Non, Juve. Mais…

– Attends. Donc, si ce n’est pas l’effet du hasard, c’est le résultat d’une volonté bien arrêtée. La volonté de qui ? tu l’as deviné ?

– Non.

– Alors, écoute : l’homme qui a fait cela, l’a fait, à coup sûr, pour tâcher de nous retenir, toi et moi, à l’endroit où nous avons découvert cette main. Maintenant, dis-moi, Fandor, quel homme imagines-tu ayant intérêt à nous écarter de Monaco, où un crime extraordinaire vient d’être commis ?

– L’assassin, Juve.

– Et l’assassin se nomme ?

– Fantômas, bien sûr.

Et Juve, net et précis comme à son ordinaire, fit alors à Fandor l’exposé de ce qu’il appelait lui-même le modus vivendi qu’ils devaient adopter tous deux.

– Fantômas, affirmait Juve, doit avoir connaissance de notre venue. C’est lui, n’en doutons pas, qui nous a fait retrouver cette main de cadavre. Il doit être persuadé actuellement que nous avons dû rester à Arles pour enquêter au sujet de ce macabre débris. Donc, Fantômas ne nous attend pas. Eh bien mon cher Fandor, profitons-en. Ne commettons pas la lourde gaffe d’aller descendre dans un hôtel en renom, où notre arrivée lui serait tout de suite signalée. Choisissons, au contraire, une boîte tranquille, et, puisque nous avons de l’avance sur ce bandit, ne la perdons pas, préparons-nous à enquêter dès demain matin, mais à enquêter discrètement.

***

Ils descendirent à la Bonne Chance, et dès l’aube, se mirent au travail.

Sur les genoux de Juve, éparpillés sur les tables, sur les lits, sur les chaises, des documents, que Juve, l’un après l’autre, passait à Fandor.

– Regarde, expliquait le policier, étudie-moi tout cela. Pendant que tu dormais, tout à l’heure, j’ai fait prévenir les policiers locaux que je n’avais aucun besoin de les voir.

– Ce n’est pas poli, Juve.

– C’était nécessaire. Je me suis débarrassé d’eux, et j’ai campé mon personnage de « monsieur qui ne veut pas qu’on l’ennuie ». C’est toujours une chose utile. Enfin, j’ai obtenu que l’on me communique les rapports de police relatifs à l’assassinat de Norbert du Rand. Plains-toi donc, Fandor, au lieu d’avoir à nous déranger, à faire une enquête assommante, nous pouvons, rien qu’en lisant ces papiers, sans bouger de notre hôtel, nous faire une idée de la situation. Mais qu’est-ce que tu as, Fandor ?

Brusquement Fandor s’était levé.

Le journaliste s’était même levé avec tant de précipitation qu’il avait renversé la petite table pliante sur laquelle Juve dépouillait le dossier.

Puis, Fandor traversa la pièce en courant, se précipita vers le lit et fébrilement fouilla dans les premiers papiers que Juve lui avait montrés quelques minutes auparavant, qu’il avait déjà posés là.

– Qu’as-tu ? qu’as-tu, sapristi ? répétait Juve.

Fandor éclata :

– J’ai, Juve, que tous les deux nous sommes fous, saouls ou aveugles.

– Parle donc clairement, bon Dieu.

Maintenant, Fandor attirait Juve près de la fenêtre, il le forçait à regarder un document qu’il tenait devant lui :

– Juve, qu’est-ce que vous voyez-là ?

– Eh bien, la photographie du cadavre de Norbert du Rand, faite à la Morgue ?

– C’est entendu, mais là ?

Et Fandor, du bout de son crayon, pointait la photographie.

– Là ? Eh bien je vois la main gauche du cadavre ?

– Parfaitement. Et sur cette photographie-ci ?

Fandor, triomphalement, tendait à Juve un second cliché pris par les soins de la police monégasque.

– Là que voyez-vous ?

– Tu as raison, c’est bien la main droite, il n’y a pas à s’y tromper.

Et c’était en vérité une découverte ahurissante, que Fandor venait de signaler à Juve.

Les photographies qu’il tenait avaient été faites, la veille au soir.

Or, si elles représentaient, l’une la main droite de Norbert et l’autre sa main gauche, c’est qu’il était bien évident que, la veille au soir, le cadavre avait encore ses deux mains, et que, par conséquent, la main trouvée à Arles, portant la bague d’Isabelle de Guerray, n’était pas la main amputée de Norbert du Rand, comme Juve et Fandor l’avaient cru.

Dès lors, tombait déjà tout l’échafaudage d’hypothèses laborieusement construit par le journaliste et le policier.

***

– Voulez-vous me suivre, messieurs ? Monsieur le directeur sera enchanté de vous recevoir.

Il y avait cinq minutes déjà que Juve et Fandor attendaient dans le petit salon – celui-là même où, quelques jours avant, Ivan Ivanovitch avait attendu avant d’aller faire la proposition que l’on sait à la direction du Casino – et les deux amis qui trouvaient le temps long, se levèrent avec empressement.

– Viens, avait dit Juve, une demi-heure plus tôt, entraînant Fandor au Casino. Je te présenterai comme mon secrétaire, et de la sorte, nous serons deux à entendre les déclarations du directeur, et elles ne doivent pas manquer d’intérêt, ces déclarations.

Fandor, naturellement, s’était laissé convaincre, très flatté en somme.

– Monsieur Juve, déclara le directeur de la Compagnie des Bains, saluant profondément le policier et accordant un léger signe de tête à Fandor ; je suis on ne peut plus heureux de votre rapide arrivée, je ne doute pas que, grâce à vous…

Mais Juve n’aimait pas les compliments.

– Vous ne doutez pas, monsieur ? Eh bien, vous avez tort, moi je doute. Voyons : Avez-vous d’autres éléments d’enquête, concernant l’assassinat de ce monsieur Norbert du Rand, depuis que vous avez télégraphié à la Sûreté ?

– Non, monsieur Juve. Rien de nouveau. Mais enfin…

– Vous avez interrogé votre personnel ?

– Hum… Oui. Non.

– Comment ? oui et non ? Vous n’avez pas interrogé tous les croupiers ? Vous n’avez pas fait rechercher les voyageurs qui se trouvaient dans le train pris par la victime ? Vous n’avez pas fait questionner le chef de train, le chef de gare ? Mais qu’est-ce que vous attendez, monsieur ? Tout ça aurait dû être fait depuis longtemps.

– Là, protesta le Directeur, vous allez trop vite, monsieur Juve. Et le scandale ? Vous n’y songez pas ? Ici, il ne faut pas de scandale.

– Même quand il y a mort d’homme ?

– Surtout quand il y a mort d’homme.

C’était sans réplique.

Tant de fois, dans sa carrière, Juve avait été témoin des tentatives faites par certains intéressés pour entraver la marche des enquêtes judiciaires, pour étouffer les affaires criminelles, qu’à la vérité, il ne s’étonnait plus de rien, ne se donnait plus la peine de protester, se contentant tout bonnement, en de pareilles occasions, de faire son devoir, quelles que fussent les sollicitations qu’on lui adressât. Toute protestation, d’ailleurs, eût été inutile, car le directeur semblait parfaitement résolu à n’en faire qu’à sa tête.

– Monsieur Juve, expliqua-t-il un peu plus tard, nous avons tout intérêt, évidemment, à connaître le nom du meurtrier, mais nous avons beaucoup plus d’intérêt à ce qu’on oublie rapidement cet assassinat. Nous avons donc agi en conséquence.

Juve à qui Fandor souriait d’un sourire imperceptible, approuva.

Le directeur poursuivit :

– Mais vous, monsieur Juve, étant donnés les renseignements qui vous ont été transmis, étant donnés les rapports de police faits ici, n’avez-vous rien deviné ? Ne trouvez-vous pas qu’il y ait un personnage à soupçonner de préférence ?

– Hum, hum…

En présence d’une mauvaise volonté aussi flagrante, Juve ne voulut pas se découvrir. Il se contenta de vérifier, de préciser, de sonder en vue de vérification et de précision, celui qu’il avait devant lui. En vain. M. de Vaugreland se contentait de répéter le procès-verbal.

– De sorte que, conclut Juve, comme après une longue et savante période le directeur s’interrompait lui-même, de sorte qu’en l’état actuel de l’enquête, il n’y a à peu près qu’une seule chose d’à peu près sûre : Norbert du Rand a été assassiné, et volé. On ne sait rien de plus ?

– Rien de plus, non.

– Il avait bien ses deux mains ?

– Comment, ses deux mains ?

Juve allait commencer à expliquer comment Fandor et lui avaient retrouvé dans l’aiguille, près d’Arles, une main de cadavre, lorsque tout d’un coup, Fandor, qui n’avait pas soufflé mot jusque-là, s’était levé et avait ordonné brutalement :

– Silence, Juve, taisez-vous.

Juve, interdit, en eut le souffle coupé, mais Fandor déjà, passait à autre chose :

Debout, marchant sur la pointe des pieds, prenant garde à ne faire aucun bruit, le journaliste traversait le cabinet directorial, et, ne tenant aucun compte de la mine ahurie de Juve et du directeur, il s’approchait de la porte d’entrée.

– Ah çà, qu’est-ce qui te prend, Fandor, deviens-tu fou ?

Fandor devenait-il fou, en effet ?

Voilà que, brusquement, avec une rage furieuse, le journaliste s’élançait vers la porte d’entrée, empoignait le bouton, le tournait, secouait le battant avec rage.

– Fermée, hurla-t-il, j’avais bien entendu, la porte est fermée.

– Mais qu’avez-vous donc ? que se passe-t-il ?

Ils n’avaient, ni l’un ni l’autre, à espérer de réponse.

Il fallut à Fandor qui, lâchant la porte fermée, avait poussé une exclamation de rage sourde, le temps d’un éclair pour se décider.

– Quand la porte est fermée, cria-t-il, on passe par… Et le reste de sa phrase se perdit dans un bruit abominable.

Traversant encore une fois dans toute sa largeur le cabinet directorial, Fandor bousculant au passage une table surchargée de bibelots précieux qui s’écroulait avec fracas, bondit à la fenêtre, l’ouvrant d’un geste brusque, puis se penchant au dehors, jura encore et finalement enjamba la barre d’appui.

Le journaliste, à coup sûr, devait être affolé, car il ne répondit rien aux cris de Juve, qui hurlait à pleins poumons :

– Fandor, où vas-tu ? prends garde. Fandor, Fandor !

Fandor était déjà loin.


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю