355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Марсель Аллен » La main coupée (Отрезанная рука) » Текст книги (страница 8)
La main coupée (Отрезанная рука)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 00:30

Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
сообщить о нарушении

Текущая страница: 8 (всего у книги 21 страниц)

Puis, subitement, Louppe s’arrêta en riant :

– Dieu que je suis sotte, voilà que je vais te présenter, et que je ne sais pas seulement comment tu t’appelles. Dis voir, c’est Dubois ou Duval ?

– C’est Dupont. Dupont.

– En un mot ?

– Oui, en un mot.

10 – MAIS QUELQU’UN TROUBLA LA FÊTE

Juve s’amusait prodigieusement.

Après s’être fait inviter avec le plus parfait sans-gêne au dîner qu’offrait à ses amis Isabelle de Guerray, le policier assistait en spectateur impassible, mais intéressé et curieux au plus haut point, à l’arrivée des personnages qui constituaient le fond des relations de la maîtresse de maison.

La célèbre demi-mondaine réunissait ce soir-là une quinzaine de personnes environ appartenant à tous les milieux.

Il y avait l’inévitable comte de Massepiau, comte authentique peut-être, mais pique-assiette certain, que l’on trouvait partout où l’on donnait à manger.

Le diplomate Paraday-Paradou figurait aussi parmi les invités.

Pour la circonstance, le vieux beau avait remplacé la rosette multicolore qu’il portait ordinairement à sa boutonnière par une cravate de commandeur d’un ordre étranger que l’on eût pris pour la Légion d’honneur, n’eût été un mince filet vert faufilé dans le rouge.

Il y avait encore le député Laurans, quelques jeunes gens connus d’Isabelle de Guerray autour des tables de roulette et, à un moment donné, le maître d’hôtel avait annoncé :

– Le Signor Mario Isolino.

Isolino était plus pommadé que jamais, plus rampant qu’à son ordinaire et vêtu avec la dernière recherche selon les règles du plus parfait mauvais goût.

Côté femmes, toutes très élégantes, surchargées de dentelles et de bijoux, Conchita Conchas qui, s’éventant derrière un large éventail espagnol, n’avait pas quitté des yeux la porte d’entrée jusqu’au moment où le grand sec M. Héberlauf était entré timidement, rasant les murs, très gêné.

Daisy Kissmi, à jeun à cette heure, était charmante dans une robe très simple, et enfin la petite Louppe allait et venait dans le salon, passant d’un coin de table à un bras de fauteuil, caquetant avec tous et troublant de ses éclats de rire et de ses gestes désordonnés le silence des invités attendant le moment de se mettre à table.

Quant à la maîtresse de maison, avec beaucoup de grâce, elle recevait les hommages de ses hôtes.

Et à en juger par l’attitude des convives on ne se serait certainement pas cru l’invité d’une personne chez qui se nouaient les plus faciles intrigues, les amours les moins durables, mais plutôt dans un salon du faubourg Saint-Germain.

Toutefois, ces attitudes ne devaient pas tarder à changer : dès le commencement du dîner, et sitôt l’absorption des premiers vins, les langues se délièrent.

Les intimités s’affirmèrent et du langage châtié que l’on observait jusqu’alors on en vint rapidement aux propos les plus libres.

Louppe avait déchaîné une tempête de rires en allant plonger délibérément sa main délicate et menue dans le saladier et en se servant de la sorte avec la fourchette du père Adam… « la plus commode de toutes », disait-elle, « et qui en outre a cet avantage », poursuivait l’espiègle jeune femme, « que certains invités peuvent sans inconvénient la mettre dans leur poche à la fin du dîner. »

Conchita Conchas avait suivi le mouvement, elle ne se gênait pas pour boire dans le verre de l’austère M. Héberlauf, auquel le champagne montait à la tête et qui s’évertuait à pincer les genoux de sa voisine sans souci du qu’en-dira-t-on,

Daisy Kissmi, à qui on avait apporté une bouteille de whisky, était déjà un peu grise et appuyant volontiers sa jolie tête blonde sur l’épaule de son voisin, le signor Isolino, elle ne craignait pas de lui dire, dans son pittoresque jargon anglo-français, que jamais elle n’avait connu ni aimé un homme aussi distingué que lui.

Juve, traité comme un invité de marque et qui passait pour un bourgeois cossu, était à droite de la maîtresse de maison, laquelle d’ailleurs, après lui avoir fait mille amabilités, l’engageait, dès les hors-d’œuvre, à lui préciser son nom par écrit afin qu’elle puisse s’en souvenir et le recevoir en tête à tête quand il lui plairait de venir.

Juve, toutefois, s’il avait eu des vues sur Isabelle de Guerray, aurait été concurrencé dans ses entreprises par le voisin de gauche de la maîtresse de maison.

Celui-ci n’était autre qu’un certain caissier du casino, M. Louis Meynan, petit homme sec et terre à terre qui appréciait la bonne chère et le bon vin.

À la fin du dîner, à part Juve, tous les convives étaient gris.

Lorsqu’on se leva de table, ce fut un titubement général. La salle à manger donnait l’impression d’un salon de paquebot qui serait agité par un tangage violent. Au cours du repas Juve avait constaté :

1° Le flirt très sérieux et « pour le bon motif » de sa voisine et du caissier ; 2° la réunion prochaine dans une intimité très amoureuse de deux personnages fort différents l’un de l’autre, Conchita Conchas et l’austère Héberlauf ; 3° les attitudes du signor Mario Isolino, personnage qui lui paraissait de plus en plus répugnant et suspect.

Isabelle de Guerray avait fait servir le café et les liqueurs dans une élégante véranda qui s’ouvrait sur le parc et là, dans la fumée bleue des cigares qui montait à la toiture vitrée, c’était le délassement des esprits, l’échange des plaisanteries faciles et des privautés.

Mais soudain, on entendait à l’entrée du jardin d’hiver quelques hoquets pénibles et significatifs.

On s’empressa de voir ce dont il s’agissait.

Le député Laurans s’était à demi renversé dans une bergère d’osier, effroyablement ivre, il suffoquait.

– Qu’est-ce qu’il tient comme cuite, murmura Louppe en affectant un air scandalisé, cependant qu’une seconde après, elle riait aux éclats en voyant Daisy Kissmi surexcitée, elle, par l’alcool, esquisser les pas d’une danse, trébuchante et lascive qui s’achevait par une chute, involontaire peut-être, mais fort opportune en tous cas, dans les bras du signor Mario Isolino.

– De l’eau, de l’eau, gémissait le député.

Isabelle de Guerray transmit le désir de Laurans aux domestiques qui desservaient dans la salle à manger.

L’un d’eux revint quelques secondes après, porteur d’un grand verre rempli jusqu’au bord.

Mais il eut quelque peine à s’approcher du député que les convives entouraient avec une curiosité malsaine et amusée. Juve se tenait au premier rang des spectateurs de ce banal spectacle.

Quelqu’un lui fit un signe en le poussant du coude… le verre passait de mains en mains. Juve le prit, le tendit au député qui, d’un geste vacillant le porta goulûment à ses lèvres.

Laurans le vida d’un trait, mais brusquement il le lâcha et tandis que le verre venait se briser sur le sol, le député se dressait tout droit, battait l’air de ses grands bras, faisait une profonde aspiration, puis tombait raide en avant sur le nez.

– Ah, nom de Dieu, cria Louppe, sûr qu’il vient d’avoir une attaque.

On s’empressa à relever le malheureux.

Lorsqu’on vit son visage, celui-ci était affreux : yeux révulsés, bouche ouverte toute enflée, d’où sortait une bave jaunâtre. De grosses gouttes de sueur perlaient au front, sur la nuque.

– Mais il est malade, très malade, s’écria quelqu’un, étendez-le, donnez-lui des sels, qu’on aille chercher un médecin.

– Un médecin, oui, un médecin, répéta Isabelle de Guerray affolée, mais je n’en connais pas, qui connaît l’adresse d’un médecin ?

Nul ne put répondre.

Le comte de Massepiau eut une inspiration :

– Le téléphone, madame, demanda-t-il à Isabelle, avez-vous le téléphone ?

Plusieurs familiers de la maison lui indiquèrent le petit boudoir particulier de la demi-mondaine où se trouvait l’appareil.

Massepiau cherchait dans l’annuaire, découvrit une adresse.

– Le docteur Hanriot, allo, allo, il est là ? Ah, c’est vous, docteur, vous seriez bien aimable de venir. Un accident, un évanouissement subit. Chez Madame Isabelle de Guerray. Oui, merci. À tout à l’heure.

Le policier, sans être remarqué, se penchait à terre, se mettait à genoux sur le sol, à l’endroit même où le verre s’était brisé en mille morceaux. Il en ramassa quelques parcelles, passa le pouce sur les parois intérieures, flaira son doigt :

– Ah, bougre de bougre, grommela Juve, quelle effroyable méprise.

Le policier, du premier coup, avait reconnu, en effet, que ce n’était pas un verre d’eau que l’on avait donné au député, mais bien un énorme verre de kirsch.

Juve, à part soi, se maudissait de n’avoir pas pu prévenir ce fâcheux incident. Mais il était si loin de s’attendre à une erreur pareille.

Le policier, pendant qu’on baignait de vinaigre le visage du malheureux toujours inanimé, avait couru à la salle a manger, affectant un calme qui était bien contraire à ses pensées intimes.

Il s’efforçait d’obtenir des serviteurs un renseignement quelconque, qui lui permît de savoir lequel d’entre eux avait versé ce verre et, par suite, à qui incombait la responsabilité première de l’accident.

Juve n’obtenait que de vagues réponses de la part de gens qui semblaient surtout pressés de terminer leur service et de s’en aller.

Ce n’étaient pas les domestiques habituels d’Isabelle de Guerray, mais bien des « extras » fournis par le traiteur, en même temps que le dîner.

Juve, toutefois allait insister encore pour savoir, lorsqu’il entendit un murmure dans la véranda voisine.

C’était le médecin qui arrivait.

On l’accueillit avec une évidente satisfaction.

Le docteur Hanriot, homme d’un certain âge, au visage renfrogné, couvert d’une longue barbe blanche et sur le nez duquel chevauchait un binocle, s’approchait lentement du malheureux Laurans, toujours inerte.

Il écouta le cœur. Avec des gestes lents et précautionneux, il palpa l’abdomen, s’efforça de faire jouer les articulations. Après avoir un instant scruté le visage, il considéra les yeux qui apparaissaient tout blancs dans la fente des paupières, et laissa retomber la tête sur le coussin qui la soutenait.

– Madame Isabelle de Guerray, dit-il, je voudrais vous dire un mot.

« À vous seule, ajouta-t-il, alors que tous les convives s’empressaient autour de lui.

Ceux-ci, en présence d’une intention aussi nettement formulée, marquèrent un mouvement d’hésitation.

Juve, néanmoins, fendit la foule pour se rapprocher du médecin et de la demi-mondaine.

Il avait à communiquer le résultat de sa découverte qui, évidemment, intéressait le docteur. Mais à sa grande surprise, comme il atteignait l’extrémité de la véranda, il vit Isabelle de Guerray revenir toute seule.

La malheureuse femme avait les traits complètement décomposés :

– Laurans est mort, paraît-il, le docteur vient de me l’affirmer.

– Le docteur, fit Juve, mais où est-il donc ?

Isabelle, d’un geste las, désignait l’extrémité du jardin. Juve aperçut, en effet, le taxi-auto qui avait amené le praticien démarrer rapidement, cependant qu’un claquement sec de la portière annonçait que le client venait de remonter dans son véhicule.

Juve demeura perplexe :

– Eh bien, grommela-t-il, voilà un médecin pressé. Sa visite et ses constatations n’ont pas duré quarante secondes.

Juve, instinctivement, allait s’efforcer de rappeler le praticien lorsqu’il entendit des cris de stupeur qui provenaient de l’intérieur de la maison.

Juve rentra au salon où la foule à nouveau s’empressait.

Cette fois, il devint horriblement pale :

– Ah ça ! nom de Dieu ! murmura-t-il, mais que se passe-t-il donc ?

Il se passait qu’un homme d’une quarantaine d’années environ, à l’aspect correct et distingué, venait de se faire annoncer.

Au comte de Massepiau, qui le considérait avec des yeux atterrés, il disait à haute et intelligible voix :

– On m’a téléphoné tout à l’heure de venir d’urgence… je suis le docteur Hanriot.

Juve se précipitait sur lui et sans la moindre vergogne l’empoignant par les revers de sa jaquette, il l’attirait à lui :

– Vous êtes le docteur Hanriot ?

– Eh bien oui, monsieur, que signifie ?…

Le docteur, en effet, semblait abasourdi de l’extraordinaire brusquerie de Juve.

Le policier s’en rendit compte. Il lâcha le médecin, balbutia des excuses, ne comprenant plus… ou plutôt redoutant de comprendre.

Dans les salons, en effet, tout autour de lui montait comme un murmure confus. On discutait avec passion, avec effroi, sur l’incident qui venait de se produire.

Quel était encore ce quiproquo ? Deux médecins au lieu d’un, que voulait dire cette histoire ?

Et pendant ce temps-là ce pauvre Laurans restait toujours étendu, rigide, immobile sur sa chaise longue, d’osier, à l’entrée de la véranda.

Le docteur Hanriot, auquel on posait mille questions à la fois, que l’on attirait dans un sens, puis dans l’autre, qui se sentait ballotté par une foule incohérente et à moitié ivre, commençait à s’énerver singulièrement ; il avait l’impression d’être tombé dans une maison de fous.

En vain, cherchait-il des yeux quelqu’un ayant une apparence normale pour s’expliquer avec lui.

Il avisait à nouveau Juve et l’appréhendant à son tour par le bras :

– Enfin, monsieur, disait-il d’une voix courroucée, voulez-vous m’expliquer ce que signifie cette convocation ? Si c’est une plaisanterie…

– Ah, fichtre non, interrompit Juve, ça n’en est pas une…

Et le policier, brusquement, s’arrachait à l’interrogatoire du docteur. Un cri strident venait de retentir. Juve bondit. Il se heurta à Louppe qui venait de pousser ce cri.

L’espiègle enfant n’avait plus le sourire. :

– Vous ne savez pas, gémit-elle en apercevant Juve, voilà qui est plus fort que tout.

– Quoi ?

– Eh bien, figurez-vous qu’on a volé Laurans. Il avait son portefeuille bourré de galette dans la poche gauche de son habit. Venez voir.

Pas de doute. Non seulement la poche du vêtement était vide, ce qui peut-être n’aurait rien prouvé, mais encore le vêtement portait trace de sections nettes faites, selon toute apparence, avec un objet coupant, ciseaux, rasoir.

Brusquement, Juve vit clair dans ce qui venait de se passer.

Parbleu, il n’y avait pas moyen de s’illusionner, le malheureux Laurans venait d’être victime d’un attentat, d’un assassinat. Le coup avait été prémédité. Le meurtrier devait être aux aguets. Il devait pister sa victime. Il avait profité de l’incident du verre d’eau auquel il avait substitué, mais peut-être à son insu, un verre de kirsch. C’était le meurtrier, le voleur qui, au courant de l’appel téléphonique, avait eu l’audace de se donner pour le médecin sous prétexte de constater l’état du malade, qu’il avait audacieusement dépouillé. La fuite rapide de ce pseudo homme de l’art en constituait assurément la meilleure preuve. Remettant à plus tard le soin de débrouiller cette mystérieuse affaire, Juve s’élança dans le jardin, courut à la grille de l’avenue devant laquelle s’était arrêté le taxi-auto. Il avait plu, une heure plus tôt, et dans le sable du chemin les traces des roues du véhicule restaient nettement marquées. Juve se précipita sur ces traces dans l’allée sombre qu’éclairait à peine de distance en distance la lueur tremblotante de quelques ampoules électriques. Juve songeait. Sous ses yeux, devant lui, on venait de commettre un crime, un crime épouvantable, un crime conçu avec une audace et une témérité inouïes et il ne s’était douté de rien. Quel pouvait être le criminel assez insensé pour procéder de la sorte, surtout que Juve était là et certainement il ne devait pas l’ignorer ? Le policier, encore qu’il ne voulût pas se laisser prendre à ses propres pressentiments, avait malgré lui cette impression nette et précise qu’un seul être au monde était capable de cette audace, de ce sang-froid.

Juve revint sur ses pas, retrouva les sillons des pneumatiques et ceux-ci l’orientaient dans une avenue dont il découvrit le nom sur la plaque indicatrice : « Avenue des Rosiers ».

– Tiens, remarqua Juve, c’est ici que demeure le couple Héberlauf, c’est en face de leur habitation que se trouve la villa de Conchita Conchas.

Le policier avança en courant, suivant l’avenue. Au loin, quelques rumeurs… le taxi-auto poursuivi s’était-il arrêté ?

Ah, si Juve avait cette chance. Il possédait assez d’audace et de volonté pour ne pas tarder à éclaircir le mystère, à démasquer le coupable, quel qu’il fût.

Mais brusquement Juve reçut un coup violent sur le front et tomba en arrière. Le policier se releva avec une agilité surprenante : il était trop au courant des mœurs des bandits pour ne pas reconnaître l’attaque dont il venait d’être victime. En même temps qu’on le frappait au front on lui assenait un coup dans les reins et Juve n’ignorait pas que c’était tout simplement « le coup du père François » qu’on venait de lui faire. Juve savait la parade. Juve se releva, décocha au hasard, dans l’obscurité, un coup de poing qui sonna sur une poitrine.

Mais, à ce moment précis, une balle lui sifflait aux oreilles. Des bruits de pas se firent entendre de tous côtés.

Dans un geste plus prompt que l’éclair, Juve prit lui aussi son browning, l’arma d’un coup sec, cependant que de la main gauche il appuyait sur le bouton de sa lampe électrique et envoyait un faisceau de lumière tout autour de lui.

Juve, en dépit de son courage, éprouva une violente émotion. Il était cerné par une demi-douzaine d’individus armés de gourdins, de revolvers, de couteaux. Évidemment, Juve venait de tomber dans un guet-apens :

– Au secours, hurla-t-il et, en même temps, brusquement il fonçait.

À la lueur de sa lampe électrique, Juve avait bien cru reconnaître quelqu’un, et ce quelqu’un n’était autre qu’un homme à la grande barbe noire.

Au cri de Juve avait répondu un autre cri qui remplit d’aise le policier.

– Tenez bon, Juve, on vient, avait crié une voix, celle de Fandor.

Les balles crépitaient. Des cris, des grondements. Puis, brusquement, comme si les bandits avaient reconnu la partie inégale, car s’ils avaient pour eux le nombre ils n’avaient pas le courage, l’attaque faiblissait. Coup de sifflet, chef invisible, galop effréné, disparition.

Juve et Fandor restaient victorieux, et ils avaient un prisonnier, un otage.

En l’espace d’une seconde, ils le garrottèrent étroitement. L’homme, d’ailleurs, se laissa faire : il gémissait doucement, balbutiait des excuses, sollicitait l’indulgence et cela d’une voix qui n’était pas inconnue du policier et du journaliste.

Juve, dans la bagarre, avait perdu sa lampe électrique mais, aidé de son ami, il entraîna le prisonnier sous un bec de gaz… et ils le reconnurent : Bouzille.

Que faisait là, Bouzille ?

Mais Juve et Fandor avaient mille autres choses à se dire. Ils venaient d’échapper à des dangers terribles. Quel pouvait être l’organisateur de cette agression ?

Juve, sans préambule, tout en étreignant les mains de Fandor, formula sa pensée : le visage de l’homme à la barbe noire qu’il avait aperçu lui revint à l’esprit comme un obsédant souvenir. Il hurla :

– Fandor, je sais qui c’est. C’est Ivan Ivanovitch, c’est le Russe qui nous en veut ; tout à l’heure il a failli me tuer.

Mais, à la grande stupéfaction du policier, son ami Fandor protesta de la façon la plus énergique :

– Juve, Juve, ne dites pas cela. C’est tout le contraire. Si je suis là, si vous êtes sain et sauf, c’est parce qu’Ivan Ivanovitch s’est battu comme un lion contre les bandits qui nous attaquaient.

11 – « MENDIANT RICHE »

– Et Bouzille, Juve, qu’allons-nous en faire ?

– Bouzille ? Parbleu, nous allons tâcher de le faire parler.

– Bouzille, expliqua Juve, vous comprenez toute la gravité des événements ? Vous saisissez dans quelle funeste situation vous vous trouvez en ce moment ?

– Oui, je saisis tout cela, monsieur Juve, et surtout que je vais attraper des rhumatismes si vous ne me permettez pas de m’en aller au plus vite. L’air du soir ne me vaut rien.

– Trêve de stupidités, Bouzille, laissez de côté l’air du soir. Savez-vous que votre affaire est bonne ? Je viens de vous prendre sur le fait : attaque à main armée. Eh, eh, Bouzille, il me semble qu’autrefois, nous nous contentions de peccadilles. Qu’est-ce qui vous a donc pris de vous associer à de véritables bandits ?

– Peuh, fit Bouzille, l’herbe tendre, le diable me poussant, Monsieur Juve, faut pas être trop sévère, les temps sont durs pour le pauvre monde, et j’ai beau être mendiant riche…

– Mendiant riche ?

– Ma foi, Juve, expliquait Fandor, j’avais oublié, de vous raconter tous les projets de mon ami Bouzille. Un jour il m’a confié qu’il en avait assez de travailler, qu’il entendait prendre « ses retraites ouvrières », je vous cite ses propres expressions, et qu’en conséquence, il allait se rendre à Monaco, pour s’y établir mendiant, parce qu’il estimait que c’était une excellente chose que de mendier dans un pays cossu où, fatalement, l’on devait devenir rapidement mendiant riche. En somme, Bouzille a tenu parole.

– Mais oui, monsieur Juve, c’est très exactement comme vous le dit M. Fandor. C’est toujours eu égard à mes rhumatismes que je suis venu m’installer ici. Il fait trop froid à Paris. Le médecin me conseille la Côte d’Azur. Seulement, sûr que je vais crever si vous me laissez là sur l’herbe humide, au lieu de m’emmener gentiment.

– En prison, Bouzille ?

– Mais non, monsieur Juve. J’ai fait mon temps, que diable, j’en ai bouffé plus que ma part, de la prison. Vous pouvez bien être indulgent. D’abord, venez donc plutôt boire un verre chez moi.

– Où diable habitez-vous ?

– Pour le savoir, monsieur Juve, le mieux c’est d’y venir et après cela, dame, comme je vous aurai hospitalisé, faudra bien que vous me laissiez en paix et que vous me laissiez aussi continuer mes petites industries. Après tout, c’est des bricoles, ce que vous me reprochez ?

– Marchez devant, alors, nous allons vous suivre. Mais pas de bêtises, Bouzille ? Si jamais vous vouliez jouer la fille de l’air…

– C’est entendu, monsieur Juve, vous, vous battriez le rappel.

***

Bouzille, de son pas trottinant, s’en allait maintenant au long de la grand-route, dans la direction de la falaise.

Juve et Fandor suivaient, et tous deux, une fois encore, n’étaient guère rassurés.

– Eh bien, Fandor ?

– Eh bien quoi, Juve ?

– Sais-tu que cet Ivan Ivanovitch m’a l’air d’un curieux individu, pour ne pas dire d’une crapule finie.

– Ivan Ivanovitch ? ah ça ! vous n’êtes donc pas convaincu, Juve ? lui, une crapule ? Quand il a fait le coup de feu avec nous ?

– Avec nous ? Contre nous, veux-tu dire ? Il m’a raté de près, le bougre. Un peu plus, j’étais bel et bien dans sa ligne de tir.

– Ivan Ivanovitch a tiré sur vous, Juve ? Mais, mon excellent ami, vous déraisonnez complètement. J’étais tout le temps, au cours de l’affaire, à côté d’Ivan Ivanovitch, ce n’est pas sur vous qu’il tirait, bon sang, c’était sur nos agresseurs.

– Sur nos agresseurs ? Ouiche, tu vas bien, Fandor. Sa balle m’a frôlé et j’ai parfaitement vu qu’il me visait.

– Mais jamais de la vie.

– Je t’en donne ma parole.

– Juve, vous vous trompez.

– Fandor tu es dans la plus complète erreur. Ivan Ivanovitch est une crapule.

… Ils auraient peut-être continué longtemps à discuter la nature de l’intervention du commandant du Skobeleff s’ils n’avaient été interrompus par Bouzille.

Bouzille, d’un geste large, venait de se découvrir et s’étant arrêté, ordonnait avec une pompeuse dignité :

– Si ces messieurs veulent entrer dans mon humble chez moi, qu’ils soient les bienvenus. Toute la maison de Bouzille est à la disposition de ses amis, Juve et Fandor.

On ne pouvait en vérité, mieux dire.

Malheureusement, si Bouzille usait à l’égard de Fandor et de Juve d’une urbanité complète, les deux amis devaient convenir qu’un peu d’obscurité subsistait dans ses discours…

Bouzille les priait d’entrer « chez lui », mais quelle était la demeure de Bouzille ?

À sa suite, Fandor et Juve étaient sortis de Monaco, se dirigeant vers la campagne. Maintenant, ils venaient d’atteindre une sorte de petite carrière abandonnée, creusée à même la falaise, et de quelque côté que les deux amis pussent se retourner, ils n’apercevaient, en vérité, aucune maison, aucune demeure, pas même une cabane.

– Bouzille, déclara Fandor d’un ton sérieux, c’est très gentil de plaisanter, mais il ne faudrait pourtant pas vous amuser à vous moquer de nous. Où habitez-vous ? En plein champ ?

Bouzille qui s’était recouvert, hochait le chef, avec une imposante gravité :

– Pas le moins du monde, ma maison est bâtie en pierres, et même en pierres de taille, car vous pouvez en juger, m’sieur Fandor, la falaise à l’endroit où nous sommes a bien 40 mètres de haut. En un seul morceau.

– Ce qui veut dire, Bouzille ?

– Ce qui veut dire, monsieur Fandor, que j’habite dans le trou que vous voyez là-bas. Tenez, voilà mon escalier.

Et Bouzille montra une vieille échelle :

– Donnez-vous donc la peine de monter, reprenait-il. Mais faites attention aux marches. Il y en a quelques-unes qui branlent.

(Les marches, Bouzille appelait marches les degrés de l’échelle dont il se servait pour rentrer dans le trou qu’il habitait).

– Et maintenant, déclara le chemineau, vous voici dans mon château. Une seconde, je lève le pont-levis et je suis à vous.

Bouzille tira l’échelle qu’il accrocha à une saillie du roc, puis il fit les honneurs.

– C’est tellement difficile, disait Bouzille, de trouver de bons domestiques aujourd’hui, que ma foi, je me sers moi-même. Vin blanc, vin rouge, lequel préférez-vous ?

– Nous ne sommes pas ici pour boire, déclara Juve. Il faut répondre à mes questions.

– Si je peux, monsieur Juve, si je peux.

– Vous le pouvez, Bouzille.

– C’est dans les choses qui n’étant pas sûres, sont incertaines, monsieur Fandor.

Juve ayant fait signe à Fandor de se taire, ouvrit le feu :

– Qu’est-ce que vous faisiez Bouzille, près de la maison des Héberlauf ?

– J’obéissais, monsieur Juve.

– À qui, Bouzille ?

– À qui ? je ne sais pas, monsieur Juve. On m’avait dit de venir là, avec les copains.

– Les copains, Bouzille ? quels copains ?

– Des aminches, quoi. Des gens que vous ne connaissez pas.

– Et pourquoi étiez-vous tous là ?

– Dame, monsieur Juve, on était là un peu parce qu’on était là, et qu’on n’était pas ailleurs. Et puis, on avait des ordres.

– Quels ordres ?

– Moi je ne sais pas. Mais tout de même, monsieur Juve, fallait bien les exécuter, n’est-ce pas ? C’est pour cela qu’on était venu et pour rien d’autre.

– Bouzille, déclara Juve, je vais me fâcher. Vous vous moquez de moi en ce moment ? prenez garde.

– Mais monsieur Juve…

– Assez Bouzille. Tâchez de me répondre clairement. Oui ou non, aviez-vous les uns ou les autres un motif de vous trouver près de la maison des Héberlauf ?

– On avait un motif, monsieur Juve…

– Lequel ?

– Eh bien, monsieur Juve, c’est comme qui dirait qu’on devait veiller à ce que personne n’approche de la maison, et même qu’on devait s’y opposer.

– Très bien. Qui est-ce qui vous avait donné ces ordres ?

– Non, faut pas me demander ça, faut pas, monsieur Juve. Parce que je pourrais pas vous répondre. Moi, voilà tout ce que je sais. Y a des copains qui m’ont dit comme ça : « Bouzille, y a telle consigne à faire exécuter, c’est quarante sous qu’on sera payé chacun s’il n’y a pas de casse, et trente francs s’il y a un coup de tampon… » Naturellement, je me suis pris par la main… Trente francs, même quand on est « mendiant riche », ça peut toujours servir. Et, vrai de vrai, monsieur Juve, je ne les ai pas volées mes trente balles, car ce qu’il faisait froid, là-haut.

– Eh bien, Bouzille, qui est-ce qui vous a donné ces trente francs ?

– Mais on ne me les a pas encore donnés, monsieur Fandor.

– Alors, où allez-vous aller les chercher ?

– Qu’est-ce que ça peut vous faire, monsieur Juve ?

… Mais Juve avait eu un si violent mouvement de sourcils que Bouzille comprit qu’il était mauvais de plaisanter plus longtemps.

– Oh, puis, après tout, dit-il, si ça vous intéresse de le savoir, moi je m’en fous. C’est au Canadian-Bar que doit avoir lieu la paye.

– Quand, Bouzille ?

– Mais tout de suite, monsieur Juve.

D’un même mouvement, Juve et Fandor s’étaient levés.

– Oh, allez-y si vous voulez, mais, tout de même, un bon conseil : moi, si j’étais que vous, j’achèteras au père Bouzille des vieux habits qu’il ajusterait, et comme ça, je pourrais me changer le « portrait », car enfin, monsieur Juve et monsieur Fandor, des fois que vous seriez reconnus, au Canadian-Bar, ça pourrait grêler sur vos artichauts.

Un quart d’heure plus tard, Juve et Fandor, vêtus en loqueteux, s’acheminaient vers les faubourgs de Monaco…

Ville essentiellement riche, construite dans une principauté si exceptionnellement fortunée que les heureux nationaux ne supportent, jusqu’à plus ample informé, le poids d’aucun impôt, Monaco ne comporte guère de bouges ou de cabarets, destinés à servir de rendez-vous à la pègre.

Le Canadian-Bar, cependant, malgré sa façade proprette, faite de bois peinturluré, façon acajou, malgré ses glaces en biseaux, malgré ses rideaux-mystère, était sordide en réalité.

Examiné du dehors, il semblait promettre un certain confort, mais à peine avait-on tourné le bouton de la porte que d’âcres relents de tabac et d’alcool vous ôtaient toute illusion sur les agréments d’un séjour.

Sans être remarqués, les deux amis purent se glisser jusqu’à l’un des petits guéridons mis à la disposition des consommateurs.

– Deux cerises à l’eau-de-vie, dit Juve.

Il y avait là des gens de livrée, puis d’honnêtes ouvriers, puis encore d’autres individus, assez correctement mis, en somme. Lesquels d’entre eux faisaient partie de la bande de Bouzille ? lesquels d’entre eux étaient là, dans le bar, attendant la paye, puisque Bouzille avait affirmé que la paye allait avoir lieu ?

Soudain, Fandor se pencha vers Juve.

D’une voix imperceptible, il souffla au policier :

– Dites donc, Juve, savez-vous que nous sommes les deux bougres les plus mal habillés de l’endroit ? Bouzille a forcé la note avec son déguisement. D’ici qu’on nous flanque à la porte, il n’y a pas des kilomètres.

– Tais-toi maudit farceur. Tu n’as donc pas vu ?

– Qui ?

– Dans le coin. Regarde. Le gros.

Cette fois, Fandor eut peine à retenir une exclamation de surprise, car l’homme que lui désignait Juve était une vieille connaissance.

Le Bedeau.

Pourquoi le terrible « sonneur » était-il venu dans la principauté ? À quelle lugubre besogne s’employait-il dans ce pays de luxe, de fêtes, de jeux ?


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю