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La main coupée (Отрезанная рука)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 00:30

Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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2 – À LA PENSION HÉBERLAUF

– Que faites-vous donc, monsieur Héberlauf ?

De sa voix criarde et désagréable, la grosse petite Mme Héberlauf – une femme rougeaude et commune – interpellait son mari.

Celui-ci, un homme grand, sec, maigre, au visage parcheminé, à la mine maussade, à l’air triste comme un jour sans pain, avec des gestes hâtifs et maladroits, semblait s’empresser à remettre en ordre le rideau de vitrage d’une fenêtre derrière laquelle il se tenait tapi, paraissant désireux de surveiller quelque chose.

– Vous le voyez bien, madame Héberlauf, j’arrange le rideau de cette fenêtre…

– C’est bien long en tout cas, voilà plus d’une demi-heure que je vous cherche.

Cependant que M. Héberlauf, de plus en plus troublé, balbutiait de vagues excuses, sa femme traversait rapidement la pièce à l’entrée de laquelle elle venait d’apparaître. Elle allait à la fenêtre, directement, et repoussant son mari d’un geste brusque, elle souleva le brise-bise, puis colla son œil à la vitre afin de savoir si derrière ce rideau il ne se passait point quelque chose de nature à attirer l’attention de M. Héberlauf.

À peine eût-elle regardé, que Mme Héberlauf poussa un cri de dépit. Elle venait d’apercevoir ce qui retenait son mari : derrière la baie vitrée de la villa d’en face, le profil net et pur d’une charmante jeune femme aux cheveux noirs de Chine et au teint bronzé.

Cette jeune femme, revêtue d’un élégant déshabillé d’intérieur qui découvrait tant soi peu ses épaules et sa nuque, portait au corsage un gros bouquet de fleurs rouges, et de sa main élégante et distinguée, elle s’éventait d’un large éventail enrichi de pierreries. Ses lèvres délicates pressaient une fine et longue cigarette dont la fumeuse aspirait de lentes et voluptueuses bouffées. C’était une danseuse espagnole fort connue à Monte-Carlo pour la façon dont elle interprétait le « tango », danse dont elle se prétendait la créatrice et du nom de laquelle elle avait baptisé sa villa.

La Conchita Conchas, tel était le nom de la belle, ne semblait prêter aucune attention aux regards indiscrets et peu sympathiques que lui lançait Mme Héberlauf, dissimulée derrière son rideau. Mais la grosse dame n’était pas dupe de cette feinte indifférence.

Depuis quelques jours déjà son cœur d’épouse avait éprouvé quelques angoisses, car elle soupçonnait M. Héberlauf d’être en train d’ébaucher des relations qui ne pouvaient que devenir coupables avec la danseuse dont la séduction s’exerçait sur tous les élégants de Monaco lorsqu’elle apparaissait entre dix et onze heures sur la scène du Casino.

Avec un air courroucé, Mme Héberlauf se retourna vers son mari.

– Restez ici, monsieur Héberlauf, ordonna la grosse femme, et expliquez-moi donc une bonne fois comment il se fait que vous soyez toujours à la fenêtre lorsque cette affreuse Espagnole est campée devant la sienne, et fait des mines de coquette à son balcon.

M. Héberlauf haussa les épaules :

– Pure coïncidence sans doute, déclara-t-il, je vous assure, madame Héberlauf, que je ne m’étais même pas aperçu de la présence de cette… personne.

– Ouais, fit Mme Héberlauf, vous êtes bien trop hypocrite pour l’avouer…

Et comme son mari ne disait mot, elle ajouta :

– Je vous préviens, d’ailleurs, que si vous entretenez la moindre relation avec la danseuse d’en face, et cela je le saurai, car je ne suis pas pour rien un ancien chef de la police, vous aurez sur les doigts. D’abord, nous quitterons le pays immédiatement.

– Quitter le pays, s’écria M. Héberlauf, ce serait véritablement de la folie. Depuis que le sort aveugle nous a injustement frappés, nous n’avons jamais vécu d’heures aussi calmes et aussi fortunées qu’en ce moment présent.

Mme Héberlauf, malgré son courroux et sa mauvaise humeur ne put s’empêcher d’approuver d’un léger hochement de tête.

… Qu’était-ce donc que les Héberlauf ?

C’était un couple étrange et quelque peu déplacé, semblait-il, dans ce milieu élégant, riche et aristocratique qui constitue la clientèle habituelle du pays avoisinant le rocher monégasque.

M. Héberlauf pouvait avoir une cinquantaine d’années, il affectait une allure de pasteur protestant et sa femme, plus jeune à peine, de cinq ou six ans, présentait l’aspect d’une bourgeoise bonne et digne.

Curieuse destinée que celle des Héberlauf.

M. Héberlauf, il y avait quelque trente ans, avait débuté en qualité de pasteur. Il avait rencontré dans sa paroisse une fille de petits négociants qu’il avait épousée.

Grâce à l’ingénieuse activité de sa femme, le pasteur quitta rapidement le village où il exerçait son ministère et vint à Glotzbourg, à la Cour de Hesse-Weimar. Obtenant peu à peu les bonnes grâces du roi Frederick-Christian II, il finit par entrer dans la police secrète et à devenir directeur de la Sûreté du Royaume.

M. Héberlauf portait le titre, mais c’était en réalité Mme Héberlauf qui exerçait les fonctions. Un jour, ce mari voulut agir par lui-même, mais, malheureusement, il commit de telles erreurs qu’on lui imposa sa démission et qu’il dut quitter le pays en toute hâte.

Les Héberlauf, très désemparés, coururent alors le monde, errèrent de Berlin à Londres, de Londres à Paris.

Ils s’arrêtèrent à Monaco et, séduits par le charme de la Cote d’Azur, désireux de s’y fixer définitivement, ils y ouvrirent une pension de famille.

La pension était ouverte déjà depuis deux mois, et les Héberlauf avaient une pensionnaire.

C’était une jeune fille élégante, blonde, aux grands yeux mystérieux et rêveurs. Elle paraissait une vingtaine d’années au plus et si elle n’avait parlé le français avec l’accent le plus pur, on l’aurait volontiers prise pour une Américaine. Cette jeune fille semblait riche, elle possédait de nombreux bagages en arrivant chez les Héberlauf et, depuis qu’elle s’était installée, c’étaient des toilettes à n’en plus finir, toutes plus charmantes les unes que les autres, qu’elle faisait défiler sous les yeux ahuris du couple qui la logeait. D’où venait-elle ? Quel était son nom ? Les Héberlauf l’ignoraient. La jeune fille s’était inscrite sous le nom de Denise.

Mlle Denise.

C’était tout ce que l’on savait d’elle. Elle écrivait peu, elle ne recevait jamais de lettres.

Néanmoins, la conduite, les apparences de la pensionnaire des Héberlauf n’étaient nullement équivoques. Cette jeune fille aux allures hardies, aux gestes délibérés, semblait parfaitement honnête et correcte.

Elle était même hautaine et l’on sentait, rien qu’à son regard, rien qu’à son attitude, que quiconque lui aurait manqué de respect se serait fait mal recevoir.

Mme Héberlauf, voyant que la menace avait porté sur son énigmatique et placide mari, persistait dans ses affirmations :

– Oui, monsieur Héberlauf, si vous voulez vous traîner dans la débauche, nous quitterons le pays en dépit des affaires brillantes que nous sommes sur le point de réaliser.

– Oui, madame Héberlauf, en effet, pour peu que cela continue, nous allons vite nous enrichir. Nous n’avons certes qu’une cliente pour le moment, mais elle paie largement et nous amènera certainement d’autres pensionnaires. Tenez, madame Héberlauf, je crois bien que ce jeune homme, si comme il faut, qui vient tous les jours jouer au tennis avec elle, ne tardera pas à nous demander de lui louer une chambre.

À cette éventualité, Mme Héberlauf se rassérénait :

– M. Norbert du Rand, disait-elle, je l’espère bien aussi, il ne manque pas une seule des parties de tennis, il doit être amoureux de Mlle Denise.

Héberlauf se frottait les mains.

– S’ils ont envie de se marier, nous n’y verrons pas d’inconvénients, loin de là. Me souvenant de mon ancien ministère, j’aurai plaisir à bénir leur union.

– Héberlauf, grommela son épouse, vous ne faites pas la moindre attention à ce que vous dites, vous semblez tout prêt à accorder le saint sacrement du mariage à des gens dont vous ne connaissez rien, si ce n’est qu’ils paient leurs notes chaque semaine régulièrement. Moi je suis plus difficile que vous : assurément, cette demoiselle Denise me plaît beaucoup, mais encore faudrait-il savoir d’où elle vient, qui elle est, ce qu’elle veut ?

– Peu importe, Mme Héberlauf, peu importe, notre pensionnaire, Mlle Denise, est ce qu’elle veut. Cantonnons-nous dans notre rôle de « logeurs » sans nous préoccuper du reste et sans donner libre cours à notre curiosité. Dieu merci, nous ne sommes plus obligés de faire de la police.

Puis le personnage ajoutait, heureux que sa femme ne lui ait point reparlé de l’histoire de la fenêtre derrière laquelle il paraissait contempler la danseuse espagnole Conchita Conchas :

– Madame Héberlauf, je descends à la cave pour compter les bouteilles de vin.

***

Il était trois heures de l’après-midi et le tennis quotidien battait son plein.

Mlle Denise, la mystérieuse jeune fille, unique pensionnaire pour le moment des Héberlauf et qui venait de défrayer les conversations de ce couple, était la reine de la réunion et semblait ne se préoccuper en aucune façon de l’opinion que les uns et les autres pouvaient avoir d’elle.

Elle était très simplement vêtue d’un complet de flanelle rayée et coiffée d’un béret blanc que maintenaient, à sa chevelure d’or, deux grosses épingles.

Avec animation, elle achevait une partie, ayant pour partenaire une autre jeune fille qui venait volontiers en voisine faire une heure de sport avec elle.

Cette jeune personne, petite, mièvre, très brune, Mlle Geneviève Albertard, était la fille unique d’armateurs marseillais qui, après avoir réalisé une certaine fortune, étaient venus s’installer dans ce pays de rêves que l’on appelle la Côte d’Azur, choisissant pour étape finale de leur existence la célèbre Côte de la Condamine, sur laquelle ils possédaient, non loin du cap d’Aglio, une jolie propriété.

Le cercle des joueurs se complétait d’ailleurs par quelques autres personnages appartenant au sexe masculin. Et tandis que les deux jeunes filles achevaient avec un entrain endiablé une partie chaudement disputée, les hommes devisaient à l’ombre d’un grand palmier qui s’élevait à l’extrémité du court de tennis.

C’était le comte de Massepiau, un pauvre désœuvré provincial qui possédait, assurait-il, une exploitation agricole dans les environs de la Sologne, mais dont la santé rendait le Midi nécessaire pendant la mauvaise saison.

De fait, ce malheureux, âgé peut-être de trente-cinq ans à peine, portait près du double de son âge. Les rares cheveux qu’il avait conservés sur la nuque et les tempes étaient tout blancs, il avait les épaules courbées, la poitrine étroite et il toussotait perpétuellement.

Le comte de Massepiau avait pour partenaire habituel au tennis de la pension Héberlauf, un vieux beau d’une élégance raffinée, le conseiller Paraday-Paradou, qui avait été jadis dans la diplomatie, représentant des gouvernements amis de la France en des pays orientaux. Il assurait avoir été ensuite magistrat aux colonies. Il portait à la boutonnière une rosette multicolore, baragouinait plusieurs langues étrangères et ne manquait pas d’esprit.

Toutefois, celui qui s’intitulait, non sans une excessive vanité : « la coqueluche du tennis » c’était un jeune homme pâle et blond, aux cheveux collés sur le front, aux attitudes apprises, mais distinguées, un jeune homme, riche assurément et sur la clientèle duquel comptait beaucoup Mme Héberlauf.

Il s’agissait, en effet, de M. Norbert du Rand, célibataire de vingt-deux ou vingt-trois ans, orphelin à la tête d’une immense fortune et qui fréquentait assidûment la pension de famille, moins pour le plaisir d’y jouer au tennis que dans l’intention évidente de faire la conquête de la jolie Denise.

Au moment où Mlle Denise et Geneviève Albertard achevaient leur partie, alors qu’elles regagnaient tout essoufflées la table à thé servie sous une tonnelle et que le comte de Massepiau, ainsi que le vieux Paraday-Paradou, s’empressaient à leur tendre leurs manteaux pour éviter les refroidissements, le jeune Norbert du Rand fit son apparition.

Il avait l’œil animé, les pommettes rouges, un sourire énigmatique :

– Par Dieu, mon cher, s’écria le comte de Massepiau qui témoignait une grande sympathie au jeune homme, vous avez l’air bien joyeux. C’est assurément le fait de vous retrouver en présence de ces charmantes jeunes filles qui viennent de se livrer à une bataille acharnée ?

Norbert du Rand fit non de la tête, puis avec une galanterie affectée, il prit successivement les mains de chacune des jeunes filles et les porta à ses lèvres, faisant ainsi remarquer l’un de ses doigts qui portait, à la première phalange, une grosse bague d’or ornée d’une pierre amusante, une aigue-marine.

– Tiens, remarqua Geneviève Albertard, voilà un bijou que je ne vous connaissais pas, monsieur Norbert du Rand.

– En effet, mademoiselle, je le possède depuis ce matin seulement. C’est un cadeau que l’on m’a fait.

– » On » ? interrogea malicieusement Paraday-Paradou, voilà qui est bien vague.

Norbert du Rand, très heureux de retenir sur lui l’attention, regardait subrepticement Mlle Denise pour savoir si elle écoutait, puis, il répliqua sur un ton mystérieux :

– La discrétion la plus élémentaire m’interdit de vous faire savoir d’où je tiens ce bijou.

Il s’approchait de Geneviève Albertard et lui proposa un match de tennis. La jeune fille accepta.

Norbert se croyait très fort ; il imaginait ainsi provoquer la jalousie de la jolie Denise, sur laquelle il avait – en principe – jeté son dévolu.

Mais de deux choses l’une.

Ou Mlle Denise dissimulait à merveille ses sentiments, ou bien les attitudes de Norbert du Rand lui étaient parfaitement indifférentes, car la jeune fille ne parut point s’apercevoir de tout ce manège.

Le comte de Massepiau, qu’intriguaient ces petites aventures, voulut pousser les choses encore plus loin et, avec d’ailleurs une absence de tact absolu, il expliqua au vieux Paraday-Paradou, assez haut pour être entendu :

– La bague de notre ami Norbert du Rand est fort jolie, mon cher, vous en connaissez sûrement l’histoire ?

– Non, fit l’ex-diplomate, je l’ignore absolument.

– La voici donc, reprit le comte qui ajoutait aussitôt : Une de nos plus charmantes – comment dirai-je pour gazer ?… une de nos plus charmantes… quart de mondaines de la Côte d’Azur, qui est d’ailleurs accueillante pour tous venants – Mlle Isabelle de Guerray – très connue chez Maxim’s, à Paris, très connue au Casino de Monte-Carlo, a pour spécialité d’offrir un bijou… une bague, aux hommes distingués et généreux qu’elle honore de ses faveurs. C’est comme qui dirait une marque de fabrique, une prime donnée au client.

Le vieux diplomate s’esclaffa :

– Les bagues d’Isabelle de Guerray, c’est vrai. J’ai déjà entendu parler de cela.

Mlle Denise se prit à sourire.

Mais l’attention du petit groupe qui prenait le thé fut peu à peu détournée de Norbert du Rand par de nouveaux incidents.

La fenêtre de la villa d’en face venait de s’ouvrir et, au balcon de la véranda, apparaissait l’élégante et fine silhouette de la danseuse espagnole, Conchita Conchas.

D’un geste nonchalant et las, l’Espagnole approcha ses lèvres une cigarette dont elle tira de lentes bouffées.

De temps à autre elle jetait un long regard incendiaire vers la fenêtre du premier étage de la maison des Héberlauf, puis souriait ostensiblement d’un sourire qui découvrait ses dents blanches, régulières et nacrées comme un rang de perles.

Aucun doute, cette Conchita Conchas en voulait à la vertu de l’austère M. Héberlauf, ex-pasteur protestant, ancien directeur de la Sûreté générale du royaume de Hesse-Weimar et pour le moment propriétaire d’une pension de famille.

– Ce que femme veut, insinua finement le comte de Massepiau.

– Soit, dit Denise, c’est entendu. Mais elles sont deux. La danseuse espagnole d’une part et, de l’autre, Mme Héberlauf qui compte pour quelque chose.

Norbert du Rand haussa les épaules :

– Entre une jolie femme, fit-il, et cette vieille bourgeoise, nul n’hésiterait.

– La bourgeoisie a du bon, répliqua le vieux Paraday-Paradou… Voyez plutôt, ajouta-t-il, cette accueillante personne qui a nom Isabelle de Guerray. Elle est courtisée par toute la jeunesse dorée de la Côte. On dit pourtant que ses amours secrètes vont à un brave homme sans doute, mais à un modeste employé du casino, un nommé Louis Meynan, attaché à la caisse du Cercle.

– Parbleu, interrompit le comte de Massepiau. Isabelle de Guerray veut faire une fin ; c’est un mari qu’elle cherche, un mari qui fermerait les yeux sur son passé. Voilà qui ne se trouve pas dans tous les mondes.

Ces propos, tenus devant Norbert du Rand dans le but de l’agacer, y réussissaient fort bien.

Encore qu’il voulût le dissimuler, le jeune homme éprouvait un vif dépit d’entendre parler de la sorte d’une femme qui, croyait-il, dans sa suffisance juvénile, lui faisait une cour assidue, ce dont il prétendait tout au moins tirer parti pour susciter la jalousie de la belle Denise dont il se croyait sincèrement amoureux.

Mais Denise, ce soir-là, était distraite.

Soudain, alors que Norbert lui posait une question, la jeune fille se leva sans répondre, laissant son interlocuteur complètement abasourdi.

La jeune fille avait distingué à travers les bosquets de verdure quelqu’un qui s’introduisait dans le parc.

– Comment allez-vous, mon cher Commandant ?

Le personnage qui se trouvait en face de la jeune fille n’était autre qu’Ivan Ivanovitch, l’officier russe commandant du superbe cuirassé Skobeleff, qui, depuis plusieurs jours déjà, stationnait en rade devant Monaco.

Ivan Ivanovitch répondit par une affectueuse poignée de main au salut cordial de la jeune fille. Il s’enquit aussitôt de la santé de cette dernière, avec cette galanterie et cette éducation parfaite qui sont le propre des officiers de marine de tous les pays.

– Venez, disait Denise familièrement, en tirant à l’écart Ivan Ivanovitch, en l’obligeant à un détour, en l’empêchant d’aller serrer la main aux premiers arrivés.

– Qu’y a-t-il, mademoiselle ? interrogea le Russe, tournant vers la charmante personne ses yeux à la fois inquiets et étonnés…

– Il faut que je vous confesse, dit-elle, et que je vous gronde. Car vous n’avez rien à m’avouer puisque je sais ce qui se passe.

– Ai-je donc, à votre connaissance, commis un bien grand crime, mademoiselle, pour que je mérite votre réprimande ? Il est vrai que celle-ci me vaut le plaisir d’un tête à tête avec vous et rien que cette espérance rendrait criminels les saints du paradis.

– Vous êtes bien galant, observa nerveusement Denise, pour un homme qui ne courtise que la dame de pique.

Le visage de l’officier subitement se décomposa :

– Vous savez ? Que savez-vous donc ? Que sait-on ?

– Nul n’ignore qu’hier au soir vous avez fait, mon cher ami, de grosses pertes à la roulette. Ce n’est pas sérieux et vous avez tort de jouer ainsi. Je vous assure bien qu’à votre place…

– Inutile, je vous en prie, mademoiselle, c’est inutile de continuer, vous me retournez le poignard dans le coeur. La bêtise est faite, nulle puissance au monde ne pourrait arrêter la marche des événements. Le passé est le passé, ne parlons plus de cela, je vous en supplie.

Surprise par cette apostrophe, Denise toute décontenancée, considéra l’officier.

Celui-ci, abîmé dans ses pensées, arpentait à grands pas l’allée déserte dans laquelle il s’était engagé avec la jeune fille et ne paraissait point remarquer l’examen attentif dont il était l’objet.

Denise demeurait silencieuse ; son regard ne quittait point l’officier et fixait son visage avec une acuité singulière.

La belle Denise était-elle éprise du robuste commandant du cuirassé russe ? Bien habile aurait été celui qui aurait pu dire quel était le sentiment qui animait alors la jeune fille : amour, compassion, intérêt, amitié ?

Le regard de plus en plus étrange de Denise s’appesantissait de plus en plus sur l’officier russe et celui-ci, comme pour fuir cette interrogation muette, baissa les paupières, courba la tête, tourna le dos.

***

Quelques instants plus tard, ce couple énigmatique, égaré un instant dans l’allée déserte, avait rejoint la tonnelle où les autres familiers de la pension Héberlauf savouraient avec délices l’excellente tasse de thé destinée à les remettre des fatigues qu’ils n’avaient point éprouvées en jouant au tennis, car la plupart d’entre eux s’étaient complètement abstenus de toucher une raquette.

Mme Héberlauf, conformément à l’usage qu’elle voulait implanter chez elle, était descendue après avoir fait toilette et, parée comme une châsse, sanglée dans une robe trop étroite, elle présidait au five o’clock avec importance et bonhomie, tenant le dé d’une conversation banale avec une solennité de perruche, cependant que nul ne l’écoutait, que les rires fusaient, furtifs et amusés, car on apercevait à la fenêtre de la maison voisine la silhouette élégante de la Conchita Conchas décidément en frais pour séduire l’austère M. Herberlauf dissimulé derrière le rideau.

Seul le commandant Ivan Ivanovitch, profondément soucieux, sombre, perdu dans un rêve qui, peut-être, était un cauchemar, ne remarquait rien, ne répondait rien, se contentant de temps à autre de jeter sur sa montre de discrets coups d’œil et de constater la marche inexorable des aiguilles de celle-ci.


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