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La main coupée (Отрезанная рука)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 00:30

Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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24 – MALHEURS DE BOUZILLE

À peine Denise s’était-elle enfuie, disparaissant au tournant de la route, que Fandor, comme un homme qui se réveille d’un rêve, décidait d’agir coûte que coûte.

– Il faut que nous sortions de toutes ces aventures, songeait l’énergique jeune homme. Il faut que Fantômas paie sa dette. Il faut que Denise soit enfin délivrée de la menace terrible que son père constitue pour elle.

Le journaliste, à grands pas, remontait vers la villa d’Isabelle de Guerray.

– Juve doit être là, songeait-il, que diable, il faudra bien qu’il m’aide, il faudra bien qu’une bonne fois il abandonne ses soupçons et qu’il vienne enquêter avec moi.

Malheureusement, Fandor ignorait complètement ce qu’avait fait Juve depuis qu’il s’était séparé de lui.

Il eut une violente émotion en apercevant le policier au moment même où celui-ci quittait la maison d’Isabelle de Guerray.

– Juve, commença Fandor d’une voix qui tremblait un peu, j’ai à vous parler.

– Parle, Fandor, mais d’abord, es-tu au courant de ce qui s’est passé ?

– Non, quoi encore ?

– Un terrible assassinat vient d’avoir lieu, Fandor.

– Mon Dieu.

– Isabelle de Guerray est morte.

– Isabelle de Guerray ?

– Oui, et sais-tu qui l’a tuée ?

– Qui ?

Très froidement et regardant bien Fandor en face, Juve annonçait en scandant les syllabes :

– Je ne te ferai pas languir, Fandor : l’homme qui a tué Isabelle de Guerray, c’est sans doute Fantômas. Mais Fantômas, sais-tu qui c’est ?

– Qui ?

– C’est Ivan Ivanovitch.

À peine Juve avait-il prononcé ces paroles dont il escomptait tant d’effet : « Le coupable, c’est Ivan Ivanovitch », que Fandor tout simplement éclatait de rire, d’un grand rire naturel, d’un rire de franche gaieté.

– Ah çà, gronda Juve, que trouves-tu de si plaisant ?

– Excusez-moi, Juve, cet éclat de rire est absolument idiot, c’est un fou rire nerveux. Vraiment, vous croyez qu’Ivan Ivanovitch est coupable ? Pourquoi ?

– Pourquoi Ivan est le coupable ? mais, Fandor, parce que tout le prouve, oui, tout.

Fandor cependant ne se démontait pas…

– Vraiment ? vous avez tant de preuves que cela, Juve ? mes félicitations. Au moins on ne vous reprochera pas d’hésiter. Mais enfin, voulez-vous me permettre cependant de remarquer qu’il serait plus intéressant d’avoir une seule preuve bien certaine.

– Tais-toi, Fandor, je ne veux plus t’entendre défendre cet homme, ce misérable, Fantômas.

– Mais, Juve…

– Tais-toi. Tu me demandes une preuve certaine, je l’ai. C’est la morte qui a parlé. C’est Isabelle de Guerray elle-même qui a écrit sur une glace le nom de son meurtrier, c’est elle qui a dénoncé son assassin.

Et Juve expliqua à Fandor le résultat de l’enquête qu’il venait de faire autour du cadavre de la demi-mondaine.

Juve, quelques instants après, concluait :

– Tu le vois, il n’y a plus à s’y tromper, le doute n’est plus possible, c’est bien Ivan Ivanovitch le coupable.

Fandor qui avait déjà ri, rien qu’en entendant accuser Ivan Ivanovitch, riait encore.

– Très joli tout ça, Juve, mais, excusez-moi de vous affirmer que c’est radicalement faux. Si vous avez une preuve qu’Ivan Ivanovitch est le coupable, j’ai la preuve irréfutable de son innocence.

Et Fandor parlait avec une telle assurance que Juve, une seconde, se demanda si par hasard le journaliste ne disait pas la vérité, si Ivan Ivanovitch n’était pas réellement innocent du meurtre d’Isabelle de Guerray…

Fandor mentait. Impossible.

– Donne-moi cette preuve qu’Ivan Ivanovitch n’a pas tué Isabelle de Guerray ?

– Depuis hier soir, dit Fandor, je sais où est Ivan Ivanovitch. Depuis le moment où Isabelle de Guerray a été vue, vivante, au Casino, jusqu’au moment où on l’a retrouvée morte, chez elle, je puis justifier de l’emploi du temps d’Ivan Ivanovitch, que je n’ai pas quitté d’une semelle.

Il conta alors à Juve, comment, lui, Fandor, aidé de Bouzille, avait appréhendé l’officier, comment le commandant du Skobeleff avait été conduit de force dans la demeure de Bouzille, comment il s’y trouvait encore.

– Je ne sais plus où j’en suis. Il me semble que je deviens fou. Si tu dis la vérité, Fandor, Ivan Ivanovitch ne peut être le coupable. Mais je me prends à douter ?… oui, à douter…

– À douter de moi ? Vous doutez de moi, Juve ? vous ne pouvez me croire ? vous supposez que j’invente une histoire à plaisir ? Soit. Les minutes sont trop graves pour que je m’offense de vos suppositions. Venez. Allons voir ensemble Ivan Ivanovitch, prisonnier chez Bouzille.

– Allons-y.

– Fandor, demanda le policier, sais-tu que j’ai retrouvé tes traces dans la maison d’Isabelle de Guerray ? Qu’étais-tu venu faire chez cette femme ?

– J’étais venu… commença Fandor.

Mais le journaliste s’interrompit.

Répondre à Juve, c’était lui avouer qu’il avait vu la fille de Fantômas, et qu’il avait favorisé sa fuite.

– Juve, je ne puis vous renseigner à ce sujet. Supposez ce que vous voudrez. Vous êtes libre. Si j’étais chez Isabelle de Guerray, c’est que j’avais le droit d’y être, mais je ne puis vous expliquer ma conduite. D’ailleurs, Juve, tout ce malentendu, je vous en donne ma parole, finira quand vous aurez reconnu qu’Ivan Ivanovitch n’est pour rien, n’a jamais été pour rien dans les scandales dont vous cherchez les coupables. Cela, vous allez le savoir dans quelques minutes… Juve, dépêchez-vous d’aller retrouver Ivan Ivanovitch chez Bouzille. Vous n’avez pas besoin de moi ? moi, je vais aller chez Isabelle de Guerray faire mon enquête pour trouver le véritable assassin.

– Oui, Fandor, j’irai seul chez Bouzille.

***

Vingt minutes plus tard, Juve était assis sur une caisse renversée, dans la demeure de Bouzille et causait avec le chemineau :

– Enfin, Bouzille, vous me comprenez bien, j’imagine ? je parle clairement, je pense ? Fandor m’a dit : « Moi et Bouzille, nous avons arrêté et attaché Ivan Ivanovitch. Ivan Ivanovitch est donc prisonnier chez Bouzille, allez-y, Juve, vous l’y trouverez. » Or, je ne vois pas d’Ivan Ivanovitch ici, pourquoi ?

– Ah, M. Fandor vous a dit cela ? Eh bien, monsieur Juve, si Ivan Ivanovitch était ici, sûr et probable que vous le verriez.

– Il ne s’agit pas de ça, Bouzille. Je vois bien qu’Ivan Ivanovitch n’est pas là, mais y a-t-il été ? en d’autres termes, Fandor m’a-t-il menti ?

– C’est pas gentil, monsieur Juve, de dire ça de votre ami.

– Bouzille, répondez-moi, nom d’un chien : Ivan Ivanovitch s’est-il enfui ? est-il parti d’ici ? oui ou non ?

Et Bouzille songeait :

« Si M. Juve sait que, pour trois louis, j’ai rendu l’officier à la liberté, sûr et certain qu’il va se fâcher.

– Monsieur Juve, vrai de vrai, je ne comprends rien à ce que vous me racontez. Vous êtes là à vous tourmenter. Pourquoi donc ? bien sûr que non, jamais Ivan Ivanovitch n’a été prisonnier ici. Tout ça c’est des histoires.

– Ah ! nom de Dieu de nom de Dieu ! (c’était Juve qui se mettait en colère).

Bouzille, qui n’en était pas à une opinion près, changea aussitôt de batteries :

– Et puis non, m’sieur Juve, dit-il, tenez, ça me fait de la peine de vous mentir. M’sieur Fandor vous a dit la vérité. Bien sûr que l’officier était prisonnier ici. Même qu’il m’a donné trois louis pour que je le laisse s’en aller, pendant que m’sieur Fandor allait vous chercher.

Et Bouzille, tout en parlant, considérait Juve du coin de l’œil, se demandant qu’elle allait être l’attitude du policier.

Malheureusement, Bouzille, s’il était rusé n’était point prévoyant.

– L’animal, songeait Juve, qui ne pouvait arriver à maîtriser son émotion, il me paiera ça. Oui ou non, Ivan Ivanovitch était-il ici ? Je n’en saurai jamais rien, pardinne. Bouzille ment comme il respire.

Brusquement, Juve prit une décision.

– Bouzille, ordonna-t-il, sévère, ça suffit comme ça. Puisque vous ne pouvez pas me répondre une seule fois la vérité quand je vous interroge gentiment, je vais me fâcher. Nous verrons bien qui de nous sera le plus fort. Suivez-moi.

– Où ça, m’sieur Juve ?

– En prison.

– En prison, mais je n’ai jamais rien fait de mal, je suis un martyr, monsieur Juve. Justement, moi je cherche à faire plaisir à tout le monde, c’est pas d’ma faute, ce qui arrive.

– Tant pis, dit le policier.

– C’est un monde, monsieur Juve.

– Taisez-vous, vous parlerez, Bouzille, quand on vous interrogera.

À Bouzille effaré, Juve passait les menottes.

– Marchez, maintenant.

– Mais, m’sieur Juve.

– Parlez toujours, Bouzille.

On entendait justement le ronron d’une voiture. Quand elle parut sur la route, Juve reconnut l’automobile de Conchita Conchas.

Le policier se planta au travers de la route.

– Au nom de la loi, commença-t-il…

Et Juve n’hésita pas, dans la hâte qu’il avait d’arriver à rejoindre Fandor pour tirer au clair la mystérieuse aventure d’Ivan Ivanovitch, à réquisitionner l’auto de l’Espagnole.

– Conduisez-moi, ordonna-t-il au chauffeur ébahi.

Bouzille monta derrière lui.

– En route. Bouzille, vous apprendrez une bonne fois pour toutes qu’on ne se moque pas de moi impunément.

Bouzille ne répondit rien. Il réfléchit à la façon dont il pourrait tirer parti des événements, et bien qu’il eût le cerveau fertile en combinaisons de toutes sortes, il devait s’avouer qu’il ne voyait rien de profitable dans tout ce qui lui arrivait ou qui menaçait de lui arriver.

– Y a pas de justice, grommela Bouzille. Quand je verrai le Président de la République, je me plaindrai à lui.

25 – L’ENVELOPPE AUX BILLETS DE MILLE

Tandis que Juve s’en allait, tête basse, persuadé que Fandor l’envoyait à la demeure de Bouzille pour se débarrasser de lui, le journaliste revenait à pas lents chez Isabelle de Guerray.

C’est que Fandor, persuadé que Juve se trompait, venait de décider qu’il devait avant tout éclaircir la question de la fameuse inscription découverte par Juve sur le mur de la chambre d’Isabelle de Guerray.

Et, surtout, ne pouvait-on découvrir à l’intérieur de la villa aucune autre trace plus intéressante, plus sincère et ne compromettant plus ce malheureux Ivan Ivanovitch, que tout accablait et que Juve croyait coupable ?

Fandor aurait à ce moment donné tout au monde pour découvrir un indice séparant nettement la personnalité inconnue de l’assassin de la personnalité d’Ivan Ivanovitch. Au point où Juve et lui en étaient de l’enquête, ils n’étaient sûrs que d’un seul fait : Fantômas était derrière les crimes qui désolaient Monaco.

Mais sous quelle personnalité ?

Si Juve voulait penser qu’il se dissimulait sous l’apparence d’Ivan Ivanovitch, Fandor entendait démontrer qu’il n’en était rien.

« N’empêche, se dit le journaliste, ce n’est pas ici que je ferai progresser mon enquête.

La villa tragique, en effet, était bouleversée de fond en comble. Juve y avait travaillé, puis les policiers de la Principauté.

« Que faire ? se demandait Fandor, et aussitôt, le rideau se fendit. En un éclair le jeune homme comprit ce qui avait pu conduire le Maître du Crime à l’assassinat de la demi-mondaine.

En tuant Meynan, Fantômas cherchait à s’assurer la clé des coffres du Casino. Il était venu ici, ensuite, pour se procurer le mot de passe, le sésame ouvre-toi.

De là à croire que le bandit invisible, en ce moment même était en train de forcer, avec une tranquille audace, la chambre de ses rêves, il n’y avait qu’un pas.

– Courons au Casino, se dit Fandor.

Et dès l’entrée, il aperçut le commandant du Skobeleff.

Ivan Ivanovitch tournait le dos. Appuyé contre une fenêtre, il regardait vaguement le parc, battant la charge sur la vitre, et de l’autre main, tirant d’une de ses cigarettes de carton de minces bouffées.

Or – et Fandor ne perdait pas un mot de la conversation qui s’engageait – un huissier à chaîne du Casino venait de s’approcher du commandant du Skobeleff et très respectueusement :

– Monsieur Ivan Ivanovitch voudrait-il m’accorder un instant ?

– À vous, mon ami, pourquoi ?

– Je suis chargé de remettre à monsieur cette enveloppe.

– Tiens. Donnez. Et de la part de qui ?

– De la part de la Direction.

– Il y a une réponse ?

– Non, monsieur, je ne crois pas.

– Attendez un instant.

Comment se fait-il que Fandor, dès les premiers mots, avait dressé l’oreille ?

Il y avait certainement là un effet du flair tout spécial qui finit par permettre aux détectives de prévoir, en quelque sorte, la marche des événements.

Ivan, d’ailleurs, semblait fort étonné. Tirant de sa poche un mince canif, il s’occupait à ouvrir l’enveloppe, demandant :

– Vous êtes certain de ne pas vous tromper, mon ami ? Je ne vois pas ce que la direction peut avoir à me communiquer ?

Mais l’officier n’acheva pas.

Soudain il sursauta, il fronça des sourcils, il demanda d’une voix blanche de colère :

– Ah çà, qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ? que signifie cet envoi ?

Et devant l’huissier interdit, Ivan Ivanovitch tira de l’enveloppe une liasse de billets de banque.

– Mon commandant n’est pas au courant ? demanda stupéfait l’employé du Casino. La direction m’a pourtant bien recommandé de lui remettre ceci en mains propres.

Auprès être devenu très pâle, Ivan Ivanovitch, brusquement, devenait fort rouge. Une vive colère semblait s’emparer de lui. Il répondit brusquement :

– Eh bien, en voilà assez. Je ne sais pas à quoi a pensé la direction. Je ne sache pas qu’elle me doive de l’argent, mais moins encore qu’elle puisse m’en faire porter ou offrir. Rapportez cela à qui vous envoie et dites, je vous prie, qu’Ivan Ivanovitch n’a pas l’habitude de recevoir de l’argent sous enveloppe fermée sans qu’un mot y soit joint, sans qu’on explique. C’est injurieux, ce sont des procédés de goujat. On voudrait m’acheter qu’on n’agirait pas autrement.

Là-dessus, tournant le dos à l’huissier absolument décontenancé, le commandant du Skobeleff, redressé dans un sursaut d’indignation, était parti à toute allure.

Mais que diable tout cela pouvait-il signifier ?

Fandor qui, dissimulé derrière la tenture, avait entendu la réponse de l’officier russe, qui n’avait pas perdu un mot de ce dialogue, qui avait remarqué la stupéfaction de l’huissier, Fandor se le demandait, tout étonné lui-même. Voilà que le Casino faisait porter de l’argent à Ivan Ivanovitch. Si, par malheur, Ivan Ivanovitch avait accepté cette somme, il aurait paru se prêter au moins à d’étranges manœuvres. Mais l’officier avait refusé avec une énergie, une colère auxquelles on ne pouvait se tromper.

Sans doute il avait fort perdu au jeu, mais il n’entendait pas qu’on le remboursât, il se conduisait fort dignement, en homme d’honneur.

Mais Fandor hochait la tête, voilà qui retardait l’entretien qu’il s’était promis d’avoir avec l’officier. Sur ce, il avait perdu sa trace, avait cru le voir passer dans le jardin, y avait couru et fait buisson creux.

***

Juve, pendant ce temps-là, était de plus en plus triste. Fandor, il n’en pouvait douter maintenant, lui avait menti. Fandor avait dû s’entendre avec Bouzille pour essayer de le duper, lui Juve.

Jamais l’officier, du moins il le semblait, n’avait été gardé à vue par le journaliste.

Alors, que signifiaient les affirmations de Fandor ?

Pendant que l’automobile emmenait le policier et le chemineau vers le Casino, Juve eut peine à contenir son chagrin.

Après un virage savant, la voiture de Conchita finit cependant par se ranger devant le perron du Casino.

Le policier sauta lestement à terre, s’apprêtant à aller chercher son ami qui devait être dans les salons de jeu. Il se tourna, en attendant, vers Bouzille qui, les menottes aux mains, faisait piteuse mine.

Juve, déjà, avait aperçu l’un des inspecteurs ordinaires du Casino, Nalorgne, l’ancien prêtre.

– Un individu, lui dit-il, en montrant le chemineau, que je viens d’amener, voulez-vous le faire incarcérer. Je vous expliquerai plus tard pourquoi.

Nalorgne acquiesça :

– J’envoie d’urgence ce rôdeur au fort Saint-Antoine.

Et il donna un coup de sifflet pour faire venir les agents.

***

Ces mesures prises, Juve pénétra, enfin, dans les salons de jeu.

Or, si Fandor, quelques secondes avant, avait été surpris d’apercevoir dans l’Atrium la silhouette d’Ivan Ivanovitch, Juve n’était pas moins ému en distinguant dans les salons de jeu où il cherchait Fandor, l’officier qu’il ne cherchait pas.

– Ivan Ivanovitch est là ?

Franchement, cet homme avait un toupet infernal. Tout prouvait qu’il était un assassin, que c’était lui qui venait de tuer Isabelle de Guerray et il osait venir parader dans ces salons ? Mille dieux, c’était d’une belle audace digne de Fantômas.

Juve cependant retrouva vite son sang-froid. Le policier était de ceux qui aiment, avant tout, la lutte franche et nette.

– Soit, se dit Juve, puisque Ivan Ivanovitch a jugé bon de venir au Casino, j’en tirerai parti. Il a dû s’entendre avec Fandor pour inventer l’histoire de la captivité chez Bouzille. Nous allons bien voir si je ne saurai pas le forcer à se contredire, le forcer à reconnaître son mensonge. Et si cela est, ma parole, je l’arrête immédiatement.

Ainsi remonté, Juve s’approcha de l’officier qui, debout derrière une table de roulette, surveillait la marche hésitante de la bille aveugle.

– Mon commandant ? commença Juve,

– Monsieur ?

L’officier venait de se retourner d’un air d’indifférence. Il sourit en reconnaissant Juve dont il n’ignorait plus la qualité. Et tout de suite, très aimable :

– Vous désirez me parler, monsieur ?

– Vous dire deux mots, vous poser une question.

– Eh bien, je suis à vos ordres.

– Mon commandant, commença le policier, je vous serais fort obligé de répondre nettement à cette question dont je vous expliquerai l’importance par la suite. D’où venez-vous ? Oui ou non, reconnaissez-vous que vous étiez, il y a une demi-heure environ, dans la demeure du cheminot Bouzille ? dans le trou qu’il occupe le long de la falaise ?

Mais aux paroles de Juve une incompréhension absolue s’était peinte sur le visage d’Ivan Ivanovitch.

– Que diable me chantez-vous là ? demanda-t-il d’un ton fort calme. Qu’est-ce que c’est que ce chemineau Bouzille ? et ce trou de falaise ?

– Mais, commandant…

– Et pourquoi m’interrogez-vous ? Oh, monsieur Juve vous êtes bien policier. Il vous faut, n’est-ce pas, coûte que coûte, faire des enquêtes ? et vous tenez à avoir l’emploi du temps de tous les personnages qui se trouvent actuellement dans la Principauté ? Je pourrais vous répondre que je n’ai rien à faire avec vous. Mais soit, vous m’amusez, je ne demande pas mieux que de vous renseigner. D’où je viens ? mon Dieu, il y a une bonne heure que je suis au Casino, et avant de me trouver dans les salons de jeu j’étais tout bonnement à mon bord. Ces renseignements vous suffisent-ils ?

Juve ne put que hocher la tête.

Certes, à ce moment, il eût donné beaucoup pour avoir le droit de crier à cet homme :

« Vous mentez, il est possible que vous soyez ici depuis une heure, mais il y a une heure vous n’étiez pas sur le Skobeleff, vous étiez chez Isabelle de Guerray, vous étiez en train d’assassiner cette malheureuse femme.

« Et ce n’est point la peine non plus de me soutenir que vous ignorez Bouzille : vous le connaissez parfaitement, tout comme vous connaissez parfaitement mon ami Fandor, mon ancien ami Fandor, car je ne veux plus considérer comme un ami celui qui s’est allié avec vous pour me tromper. »

Impossible. Il fallait s’incliner devant cette urbanité exquise.

Ne devait-il point avoir l’air d’admettre, en effet, qu’Ivan Ivanovitch se trouvait au Casino depuis le commencement de la soirée, et qu’auparavant il était au milieu de ses hommes, sur son cuirassé ?

Juve ouvrait la bouche pour répondre quelques mots insignifiants, lorsqu’un huissier à chaîne s’approcha d’Ivan Ivanovitch :

– Mon commandant, commençait l’employé, c’est encore moi qui reviens. La direction m’a dit qu’à coup sûr vous n’aviez point compris et qu’elle vous priait…

Ivan Ivanovitch qui s’était retourné vers l’huissier répondait de sa voix la plus tranquille :

– Bien, mon ami, que me voulez-vous ?

– Mais, mon commandant… c’est pour l’enveloppe.

– Quelle enveloppe ? donnez.

Ivan Ivanovitch prit des mains de l’huissier une grande enveloppe que, tranquillement, devant Juve, il écorna d’un coup de l’index…

L’enveloppe était bourrée de billets de banque.

Sans doute la direction du Casino, ne comprenant point pourquoi Ivan Ivanovitch n’avait point voulu accepter les billets de banque, avait-elle décidé d’insister ?

Juve, qui n’était pas au courant, n’en croyait pas ses yeux. Ivan Ivanovitch ne marquait aucun étonnement :

– Ah, parfaitement ! c’est très bien. Vous direz merci à qui vous envoie.

Et, d’un geste tout à fait naturel, l’officier russe renferma dans son portefeuille l’enveloppe bourrée de billets…

Mais qu’est-ce que tout cela voulait dire ?

Juve, qui tout à l’heure n’avait qu’une pensée : arrêter au plus vite Ivan Ivanovitch, à présent, réfléchissait.

Il avait parfaitement aperçu les billets bleus bourrant l’enveloppe, il se demandait pourquoi la direction du Casino envoyait une liasse pareille au commandant Ivan Ivanovitch.

Juve, toutefois, ne pouvait évidemment s’enquérir auprès de l’officier de l’explication de cet envoi. Il était évident qu’Ivan Ivanovitch, le cas échéant, pouvait parfaitement lui répondre, bien que l’explication fût à coup sûr mensongère, que le Casino lui envoyait cet argent tout simplement parce qu’il l’avait déposé à la caisse en venant. Et à cela Juve n’aurait rien eu à dire.

– Mon commandant, reprit Juve, vous me pardonnerez de vous avoir posé tout à l’heure la question indiscrète que vous savez ? En vérité j’ignore…

Pour toute réponse, Ivan Ivanovitch se contenta de hausser les épaules.

– Bah, ça n’a aucune importance, et vous êtes tout excusé.

Puis il tourna les talons, fit mine de s’éloigner.

Or, à peine l’officier s’était-il écarté que Juve, à la minute, regrettait la magnanimité dont il venait de faire preuve.

– Ce maudit Russe, songeait-il est en train de se moquer de moi. Il faut que je le force à s’expliquer.

Et sans réfléchir plus avant, Juve se précipita sur les traces d’Ivan Ivanovitch.


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