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La main coupée (Отрезанная рука)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 00:30

Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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20 – LA MORT LENTE

Bien qu’indépendante, entourée de jardins et construite à l’extrémité d’un nouveau boulevard, la villa qu’habitait Isabelle de Guerray ne pouvait pas être considérée comme isolée étant donné surtout que l’isolement ne saurait exister dans une région aussi fréquentée et aussi populeuse que la Côte d’Azur, notamment dans la partie qui s’étend de Nice à Monte-Carlo.

La villa d’Isabelle de Guerray était somptueusement aménagée.

Les appartements du rez-de-chaussée surélevé au-dessus des caves et auquel on accédait par un perron de quelques marches, constituaient les appartements de réception proprement dits. Ceux-ci comportaient plusieurs salons en enfilade, une vaste salle à manger, un fumoir, puis une véranda, – la fameuse véranda où le malheureux député Laurans avait trouvé une mort aussi inattendue qu’affreuse.

L’ameublement de ces appartements était conçu avec un grand souci de confort et de luxe, sinon avec un goût parfait dans tous ses détails. Néanmoins, il donnait l’impression que cette installation avait été minutieusement assurée par une femme élégante que préoccupait tout particulièrement le souci des apparences extérieures. Mais le premier étage de la villa était, sans contredit, d’un caractère beaucoup plus luxueux encore que le rez-de-chaussée.

C’étaient pourtant là que se trouvaient les pièces plus intimes, les boudoirs et les chambres où n’étaient pas admis tous les invités, toutes les relations qu’Isabelle de Guerray, pendant la saison hivernale, attirait ou recevait chez elle, sans grand souci de l’origine, ni de la qualité de ses hôtes.

À côté de la chambre d’Isabelle de Guerray, toute tendue d’une étoffe superbe de brocart au milieu de laquelle se trouvait un grand lit bas à baldaquin était une pièce aussi grande qui constituait le plus merveilleux cabinet de toilette que l’on pût imaginer.

Lorsque venait le soir et qu’Isabelle de Guerray, pour procéder aux soins minutieux de sa toilette, allumait toutes les lampes électriques, la lumière qui se répandait à profusion était à la fois si intense et si douce que l’on se serait cru dans une loge d’artiste.

Du côté opposé à la fenêtre qui donnait sur le parc se trouvait un vaste lavabo d’onyx dans lequel les robinets argentés amenaient à volonté l’eau chaude et l’eau froide. La garniture de toilette se composait d’innombrables flacons de toutes tailles, en verre, surmontée de capuchons d’or ciselé.

Sur une petite coiffeuse étaient rangés, dans une symétrie élégante, les peignes, les limes, les brosses, Dans une vitrine fixée au mur était l’assortiment des parfums, des pommades, des fards.

Un angle de la pièce comportait une grande baignoire en marbre rose dans laquelle on descendait par trois marches, que remplissaient instantanément deux prises d’eau invisibles, cependant qu’en face de cette baignoire, dans un renfoncement, s’édifiait encore un appareil à douche du modèle le plus complet et le plus compliqué permettant à la personne qui s’en servait de s’adonner aux ablutions les plus diverses, de recevoir la douche en jet, en pluie, en cercle, ou simplement de s’asperger de légers filets d’eau.

Enfin, à proximité de cet appareil était une grande psyché, ou pour mieux dire un miroir à trois faces, dont deux panneaux mobiles permettaient à la personne qui s’y regardait de s’y voir de tous les côtés.

C’était assurément l’installation la plus élégante et la plus confortable, la plus délicate aussi que l’on pût imaginer.

Elle convenait de façon absolue à sa propriétaire : Isabelle de Guerray, demi-mondaine lancée, astreinte à de nombreuses obligations que l’on pouvait qualifier de « professionnelles », se devait d’avoir un cabinet de toilette admirablement agencé au même titre qu’un homme d’affaires doit avoir un bureau de nature à inspirer confiance et à bien impressionner la clientèle.

La domesticité d’Isabelle de Guerray était trop prétentieuse et trop habituée à ses aises pour consentir à habiter dans les mansardes qui constituaient le deuxième étage de la villa.

Le personnel habitait donc une conciergerie bâtie à l’entrée de la propriété.

***

Ce soir-là, le soir qui succédait à l’après-midi qu’Isabelle de Guerray avait passé en compagnie de Louis Meynan sur la route de la Turbie, la demi-mondaine avait dîné seule, rapidement, puis était remontée de bonne heure dans ses appartements, renvoyant ses gens dont elle n’avait que faire.

Mais au lieu de se coucher, Isabelle de Guerray était passée dans son cabinet de toilette.

La porte close et rideaux tirés, ayant allumé toutes les ampoules électriques de la pièce, elle s’était paisiblement dévêtue, puis livrée à une toilette minutieuse. En jupon simplement, n’ayant sur le haut du corps qu’une chemise aux dentelles largement échancrées, Isabelle de Guerray considérait sans indulgence dans la vive lumière de l’électricité, les cruels ravages du temps. Face à face avec son miroir, elle se rendait compte de la vérité.

Elle n’en éprouvait pas une trop grande émotion, car elle appelait à son secours tout un assortiment de fards et de pommades qui, disposés habilement et selon une progression savante, réussissaient le plus souvent à lui rendre artificiellement l’éclat de sa jeunesse, la fraîcheur de ses vingt ans. Si quelques rides fâcheuses plissaient par endroits la commissure de ses lèvres et faisait lourdement retomber ses paupières, ses chairs étaient encore robustes et fermes. Isabelle de Guerray s’en assurait parfois en se plaquant les mains sur la poitrine, puis elle se souriait à elle-même :

La demi-mondaine avait tiré ses cheveux à la chinoise et fait un chignon provisoire au sommet du crâne. Après avoir promené la ouate hydrophile humectée de pommade sur son visage, elle s’efforçait à le sécher, sans y toucher, rien qu’avec le courant d’air qu’elle déterminait avec un éventail.

Isabelle poudra ensuite ses bras, ses épaules et sa poitrine, puis elle prit le crayon bleu pour poser un reflet sombre sur le voisinage de ses sourcils, mettait un peu de rose dans les ailes de son nez. L’élégante alors s’arrêta, contempla son œuvre, et, satisfaite, jeta un coup d’œil sur un cartel accroché au mur.

Isabelle de Guerray faisait une toilette minutieuse et pourtant elle ne comptait pas sortir, elle ne devait pas aller au Casino. Mais la demi-mondaine avait un rendez-vous, et un rendez-vous qui lui faisait battre le cœur…, un cœur tout neuf qu’elle se sentait dans la poitrine, un cœur de fillette, un cœur de pensionnaire.

À l’instar en effet de Marion Delorme, qui se refaisait une virginité, Isabelle de Guerray prétendait inaugurer prochainement une existence nouvelle.

Elle attendait ce soir-là, vers onze heures ou minuit, la venue de celui qu’elle ne craignait point d’appeler désormais son « fiancé ». Il était convenu que Louis Meynan, sitôt son service terminé au Casino, viendrait la rejoindre et qu’ils prendraient leurs dernières dispositions avant de quitter Monaco.

Une grosse préoccupation agitait en ce moment l’esprit de l’excellente femme.

Pour la première fois, elle allait recevoir Louis Meynan en tête à tête. Elle serait seule avec lui, c’est elle qui répondrait à son coup de sonnette, irait ouvrir la porte, le ferait monter dans ses appartements intimes qu’il ne connaissait pas encore, et où il s’installerait en amoureux avant d’y venir en maître incontesté.

Isabelle de Guerray se posait une question scabreuse, se demandant ce qu’il allait advenir à la fin de cette soirée ?

Jusqu’alors, ses relations avec Louis Meynan avaient été d’une pureté absolue, le caissier l’avait respectée comme une fiancée, mais allait-il en être de même et si Louis Meynan formulait trop nettement un désir, conviendrait-il de l’exaucer ?

Céderait-elle, ne céderait-elle pas ?

Assurément peu importait à sa pudeur, et si elle ne consultait que son cœur, elle n’hésiterait pas à dire « oui » à la première requête du fiancé.

Mais sa raison lui suggérait d’opposer, le cas échéant, une vigoureuse résistance. Du moment qu’il s’agissait du mariage il fallait jouer le jeu jusqu’au bout.

Tandis qu’Isabelle de Guerray se livrait à ces délicates réflexions, elle crut entendre un profond soupir.

– C’est lui, pensa-t-elle étourdiment, sans se demander comment le caissier aurait pu pénétrer dans la maison.

Puis, n’entendant plus rien, elle crut qu’elle avait été l’objet d’une illusion.

Par précaution, elle interrogea de nouveau son miroir pour s’assurer que sa beauté ne comportait aucun défaut et qu’elle pouvait recevoir son fiancé sans risquer de lui inspirer de fâcheuses réflexions. Nouveau soupir.

Isabelle de Guerray n’en éprouva aucune inquiétude, loin de là. Non seulement elle n’était pas peureuse, mais soudain, elle se souvenait que, vu la clémence de la température, la fenêtre de son cabinet de toilette était restée entrebâillée derrière les rideaux baissés.

Et il lui vint cette idée qu’à la manière des amoureux romantiques, Louis Meynan s’était peut-être hissé par le balcon jusqu’au premier étage et que, comprimant les battements de son cœur, il attendait entre la fenêtre et le rideau l’instant propice pour s’introduire dans la pièce où Isabelle vaquait à sa toilette.

Isabelle feignit ne pas s’être aperçue de ce qu’on l’épiait derrière ce rideau.

Encore quelques soins de toilette, puis, comme la discrétion de Louis de Meynan se prolongeait peut-être un peu trop au gré de sa fiancée et que celle-ci ne le voyait point surgir de derrière les rideaux, Isabelle de Guerray, lentement, le sourire aux lèvres, les yeux étincelants, traversa d’un pas majestueux la pièce et s’approcha de la fenêtre.

Isabelle de Guerray était alors une silhouette triomphante. Elle avait jeté sur ses épaules un déshabillé de dentelle qui lui seyait à ravir et chaussé ses pieds nus de mules de satin, d’une nuance délicate, assortie aux teintes rosées de sa chair.

Isabelle, de son bras rond et blanc, avec un geste gracieux qui mettait en valeur l’attache de son poignet et la finesse de ses doigts, souleva lentement le rideau, s’effaçant à demi.

Mais à peine eut-elle fait ce geste qu’elle bondit en arrière en poussant un cri terrifié.

Isabelle de Guerray ne s’était pas trompée, il y avait bien entre la fenêtre et le rideau quelqu’un, un homme, l’homme qui avait soupiré, l’homme qui l’épiait, depuis près d’un quart d’heure.

Mais cet homme n’était pas Louis Meynan.

C’était un inconnu, un être à l’aspect redoutable, inquiétant et tragique.

Il était vêtu d’un complet noir. À la carrure de ses épaules, on se rendait compte qu’il était robuste, bien bâti.

Il avait des mains blanches, distinguées, nerveuses et musclées, le pied de petite taille et bien fait.

Mais le visage de cet homme était dissimulé sous un voile noir, sous une sorte de cagoule qui lui servait de masque et de coiffure et dans laquelle deux trous ovales, en forme d’amande, étaient percés à hauteur des yeux, et les yeux qui brillaient derrière cette cagoule étaient étincelants.

Ils considéraient la demi-mondaine avec une fixité singulière.

Isabelle de Guerray, dont les jambes vacillaient, s’était arrêtée, immobile, après son brusque sursaut déterminé par la surprise première.

– Qui êtes-vous ? que voulez-vous ? Est-ce une plaisanterie ? demanda Isabelle de Guerray.

Après un silence, l’homme répliqua d’une voix grave et sans timbre :

– Je ne plaisante jamais, madame, et ce que je veux, je m’en vais vous le dire. Quant à savoir qui je suis, je ne vous souhaite pas de l’apprendre.

– Que voulez-vous ?… poursuivait Isabelle de Guerray que le regard persistant et fixe de l’homme troublait au plus haut point… Si c’est de l’argent, je n’en ai pas à vous donner… Comment avez-vous osé vous introduire ?

Isabelle de Guerray, instinctivement, tendait le bras vers un bouton de sonnette qui communiquait avec la demeure de ses domestiques.

– Vos domestiques, madame, dit-il, profitant de la liberté que vous leur avez accordée, s’en sont allés ce soir et ne reviendront pas de sitôt. Au surplus, quelqu’un de prudent et de précautionneux a cru bien faire en coupant tout à l’heure, à la sortie de la villa, les fils de cette sonnette.

Isabelle de Guerray frémit.

– Quoi, fit-elle, est-ce possible ? je suis victime d’un guet-apens ?

L’inconnu protesta doucement d’un geste de la main.

– Non, madame. Il ne s’agit pas de guet-apens mais simplement d’une commission que je suis chargé de vous faire.

– Je serais heureuse, dit Isabelle de Guerray, de savoir au plus tôt qui peut vous envoyer auprès de moi et par un tel chemin ?

– Louis Meynan, répondit l’homme…

– Plaît-il ? fit Isabelle de Guerray, qui croyait avoir mal entendu.

Mais l’inconnu répétait, détachant chaque syllabe, le nom du caissier :

– Louis… Mey… nan…

Isabelle de Guerray, d’une voix sourde, demanda :

– De quoi s’agit-il ?

L’homme, alors, enfin s’expliqua :

– De quoi il s’agit, madame ?… c’est bien simple… Votre fiancé, M. Louis Meynan, caissier au cercle de Monte-Carlo, a, comme vous ne l’ignorez pas, de nombreuses préoccupations quotidiennes qui s’aggravent encore aujourd’hui des soucis – enviables d’ailleurs – que font naître dans son cœur et dans son cerveau, ses projets de mariage. Or, ce malheureux jeune homme vient d’être, il y a quelques instants, victime d’un accident bizarre.

Isabelle de Guerray sentit son cœur battre plus fort dans sa poitrine.

– Il ne lui est arrivé aucun mal, je pense ? Mais expliquez-vous, monsieur, expliquez-vous. Que signifient vos paroles ?

– M. Louis Meynan, poursuivit l’inconnu sur un ton énigmatique, est, à l’heure actuelle, en parfaite tranquillité. Quant à l’accident qui lui est survenu, figurez-vous qu’au moment d’aller à ses caisses, il a été frappé d’amnésie et a complètement oublié le mot du secret qui lui permet d’ouvrir ses coffres-forts. Or, ce mot vous le connaissez et il m’a chargé de venir vous le demander. Pour vous prouver que nous sommes bien d’accord, je tiens à vous montrer cette clef, la clef des coffres confiés par l’administration à votre fiancé. Sans cette clef le secret serait parfaitement inutile, mais elle-même ne sert à rien si l’on ne connaît pas le mot en question.

Isabelle de Guerray écoutait ces propos sans comprendre, mais avec la parfaite conviction que cet homme lui racontait une histoire inventée de toutes pièces.

Certes, elle avait souvenir que, quelque temps auparavant, Louis Meynan, au cours d’une conversation, lui avait incidemment confié le mot qui lui servait de secret, mais la demi-mondaine l’avait oublié.

Quelle importance, d’ailleurs ?

« Et aussi, pensait-elle, comment se fait-il que Louis Meynan ne soit pas venu lui-même, alors que, précisément, nous avions rendez-vous ? Comment se fait-il qu’il m’ait envoyé cet homme, que ce dernier se soit introduit dans ma maison par un chemin aussi étrange ? Comment se fait-il, enfin, qu’il se présente à moi le visage recouvert d’une cagoule, la face dissimulée derrière un masque noir, comme…

Mais oui, la lumière se faisait soudain dans son esprit, l’homme à la cagoule, naturellement, c’était Fantômas, le Maître du Crime, le Roi de l’Épouvante, l’Empereur du Mystère.

– Grâce, s’écria la malheureuse, tombée à genoux.

Brutalement, l’inconnu masqué la releva :

– Soit, dit-il, vous m’avez reconnu. Oui, je suis Fantômas. Vous connaîtrez le sort de Meynan tout à l’heure.

« D’ici là, pas une minute à perdre : dites-moi le mot, confiez-moi le secret, et vous n’avez rien à craindre.

– Fantômas, dit Isabelle, grâce, je vous jure que ce secret, je ne le sais plus.

Mais le bandit hocha la tête :

– Inutile d’essayer de me duper. Vous avez parlé trop nettement tout à l’heure. Continuez donc, dites-moi le mot, indiquez-moi le secret ou alors…

– Ou alors ?

Fantômas articula nettement :

– Vous êtes morte.

***

Isabelle de Guerray n’ayant pu renseigner Fantômas, Fantômas l’avait condamnée à mort.

Brisée d’émotion, absolument anéantie par la courte lutte à laquelle elle se livrait malgré tout, courageuse jusqu’au bout, l’infortunée demi-mondaine avait été jetée par le bandit sur une chaise basse, puis, Fantômas, avec une dextérité extraordinaire prenait dans un chiffonnier voisin une série de rubans multicolores, de ces rubans dont Isabelle aimait à parer son linge, il l’immobilisa étroitement sur cette chaise, la garrottant comme un prisonnier.

Inerte, sans force, à demi morte déjà d’effroi, Isabelle le regardait faire, avec des yeux qu’agrandissait l’épouvante.

Fantômas n’affectait plus désormais la froideur ironique qu’il avait observée au début de l’entretien.

Le monstre s’était trouvé d’autant plus furieux qu’il était convaincu qu’Isabelle de Guerray connaissait le mot du coffre et qu’elle refusait de le lui donner. Fantômas un instant avait songé à annoncer brutalement à la malheureuse que son fiancé était mort depuis deux heures et, s’il ne s’était retenu, d’un coup de poignard, d’une balle de revolver, il l’aurait abattue.

Mais Fantômas domptait sa colère. Il espérait encore que sous la menace, Isabelle de Guerray reviendrait sur sa décision et qu’elle parlerait enfin.

Allait-il seulement la tuer ou se contenter de lui faire une émotion suffisante pour qu’elle se décidât à tout dire ?

– Fantômas, Fantômas, demandait Isabelle de Guerray d’une voix à peine perceptible, qu’allez-vous faire de moi ?

– Un cadavre.

Puis, comme la malheureuse avait marqué un sursaut d’épouvante, Fantômas plus cruel qu’il n’était possible de l’imaginer ajoutait :

– Mais, Isabelle de Guerray, par égard pour votre sexe, je ferai de vous un joli cadavre : vous mourrez en beauté.

Du doigt, Fantômas désignait à Isabelle l’une des grosses veines bleues qui courait à la partie interne de son poignet et allait se perdre sous la paume de la main.

– Je vais vous ouvrir les veines, déclara-t-il, dans une seconde, dans un instant.

Avec une délicatesse infinie, une douceur exquise de gestes et de mouvements, Fantômas avait attiré Isabelle de Guerray, toujours ligotée sur sa chaise dans l’angle du cabinet de toilette. Puis, prenant un foulard de soie il l’enroula soigneusement sur le front et les yeux de la malheureuse.

Fantômas avait pour elle des attentions.

– La vue du sang émeut parfois, dit-il, je veux vous éviter le moindre trouble.

Isabelle de Guerray ne parla plus, ne se plaignit plus, elle n’osa plus supplier.

Un râle persistant et monotone s’échappait par hoquets de sa poitrine, les mots sortaient inintelligibles de ses lèves glacées par la terreur.

Fantômas s’interrompit encore dans ses préparatifs d’autant plus horribles que les accessoires qu’il employait étaient plus délicats et charmants, et il insista :

– Voyons, madame, finissons-en. Le secret ? et vous serez libre.

Isabelle de Guerray fit un effort surhumain pour retrouver ce mot, ce simple mot auquel elle devrait la vie.

Ah, peu lui importait ce que Fantômas en ferait… elle était bien convaincue que ce n’était pas Louis Meynan qui avait envoyé le monstre auprès d’elle, que ce récit primitif n’était qu’une comédie, elle était certaine qu’en possession du secret, du moment qu’il avait aussi la clef des coffres, Fantômas s’empresserait d’aller voler le Casino.

Mais que faisaient à Isabelle de Guerray le Casino et ses richesses. La vie ne valait-elle pas cent fois plus que tous les trésors accumulés dans les caves de la maison de jeu ?

Hélas, impossible de se rappeler le mot :

– Finissons-en, répéta Fantômas.

Sa voix redevint menaçante et dure.

Isabelle de Guerray à demi évanouie éprouva soudain une sensation atroce.

À l’intérieur de son poignet, sur sa peau fine et délicate elle avait froid, mal de froid.

On aurait dit qu’une lame appuyée sur sa peau s’y traînait pendant quelques centimètres traçant une ligne droite du milieu de l’avant-bras jusqu’à la naissance du poignet.

Isabelle de Guerray frémit de tout son corps, une fois encore la respiration lui manquait.

Un instant après, de son poignet, coulait quelque chose de tiède, qui coulait goutte à goutte sur ses genoux : Isabelle de Guerray se rendait compte que Fantômas venait de lui ouvrir une veine du bras.

Le monstre tenait promesse.

Isabelle de Guerray essaya de crier, sa voix s’étrangla dans sa gorge et déjà elle se sentait affaiblie. Et l’idée de ce sang qui coulait toujours dont elle éprouvait désormais la chaude humidité sur toute sa jambe la faisait défaillir.

– Fantômas, grâce, balbutia-t-elle.

Mais le bandit ne répondait plus.

Combien de temps allait durer l’agonie ?

À vrai dire Isabelle de Guerray ne souffrait pas, à peine éprouvait-elle une imperceptible brûlure à l’avant-bras.

Fantômas décidemment était expert en l’art de distiller la mort, il avait promis à Isabelle qu’elle n’aurait pas mal et Isabelle mourait sans douleur.

Elle mourait longuement, elle mourait interminablement.

La malheureuse parvint à briser un de ses liens. À genoux elle se traînait, chancelante.

Isabelle heurta quelque chose de froid et de résistant : la psyché, le miroir à trois faces devant lequel si souvent elle avait admiré sa beauté triomphante.

L’infortunée avait réussi à arracher de ses yeux le foulard qui l’aveuglait, mais elle était plongée dans l’obscurité complète et elle ne pouvait pas voir se refléter dans la glace les traits évidemment affreux de son visage décomposé par la mort imminente.

Isabelle de Guerray sentait perler au bout de ses doigts le sang qui désormais paraissait couler à flots de sa veine ouverte. Alors l’infortunée réunissant ses dernières forces traça sur le miroir, avec son sang, le nom de celui auquel elle devait une fin si affreuse.

Puis, épuisée, Isabelle de Guerray retomba en arrière.

Mais à ce moment, sa tête et ses deux mains touchant le sol plongeaient dans une mare tiède : son sang. Etait-il possible qu’elle en eût tant perdu et qu’elle fut encore en vie ?

Hélas, son existence ne devait plus durer que quelques instants.

Il y avait quelque temps déjà qu’une trompe d’automobile avait retenti, joyeuse, devant le jardin de la villa. Fantômas avait éteint.

Isabelle de Guerray sentit soudain son cœur s’arrêter.

Un ultime hoquet lui monta jusqu’aux lèvres, puis son corps s’abandonna :

Elle était morte.

Quelques instants après, l’automobile, lassée d’appeler en vain, parut vouloir s’éloigner. On s’en rendait compte aux ronflements de plus en plus éloignés du moteur. Lorsqu’il fut certain que le véhicule était parti, quelqu’un rentra dans le cabinet de toilette d’Isabelle de Guerray et fit jaillir la lumière.


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