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La main coupée (Отрезанная рука)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 00:30

Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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21 – IVAN IVANOV…

L’automobile qui s’était arrêtée devant la porte de la villa d’Isabelle de Guerray, puis qui était repartie ensuite, avait laissé sur le trottoir deux personnes. Celles-ci après avoir sonné deux ou trois fois n’avaient obtenu aucune réponse.

C’étaient une femme, élégante semblait-il, toute emmitouflée de fourrures, puis un homme en habit dont le col du pardessus était relevé.

Ils discutaient.

Avec impatience, nerveusement, frappant du pied, la femme grommelait :

– C’est assommant, on ne nous entend pas, et pourtant je suis sûre qu’Isabelle est chez elle.

– Peut-être, objectait l’homme, est-elle sortie, contrairement à ses intentions, et peut-être nous attardons-nous inutilement ?

– Héberlauf, poursuivit la jeune femme, vous êtes assurément un austère pasteur, mais vous manquez de perspicacité. Vous ne connaissez pas Isabelle. Cela se voit, sans quoi vous ne songeriez pas un seul instant qu’elle est sortie du moment que chez elle c’est éclairé.

La jeune femme qui accompagnait le grand et maigre M. Héberlauf n’était autre que Conchita Conchas.

L’Espagnole, de sa main finement gantée, montrait à son amant un léger filet de lumière qui passait par une fenêtre du premier étage :

– Vous voyez, fit-elle, nous pouvons entrer…

Conchita Conchas entrebâillait la grille du jardin. Héberlauf voulut l’en empêcher.

– Nous sommes indiscrets, fit-il. D’ailleurs, qu’allons-nous faire chez Isabelle de Guerray ?

– Sapristi, s’écria l’Espagnole avec une spontanéité naïve et peu galante pour son compagnon, mais… essayer de nous distraire. Isabelle de Guerray a beaucoup d’entrain et puisque nous devons passer la soirée ensemble, vous et moi, jusqu’au moment de partir pour Nice, autant être avec Isabelle que tout seuls. L’auto revient dans un instant. Nous irons au cercle.

– Peut-être aurions-nous mieux fait de rester chez toi. Un tête-à-tête, ma délicieuse Conchita, aurait été bien doux.

L’Espagnole sourit, haussa les épaules, elle grommela :

– Bien doux, c’est à savoir. Pas rigolo, en tout cas.

C’était, en effet, le principe de Conchita Conchas qu’elle appliquait une fois de plus.

La troublante Espagnole, dès qu’elle se trouvait en présence de l’excellent M. Héberlauf, très épris d’elle, sans doute, mais perpétuellement inquiet, sans cesse troublé par les reproches de sa conscience, n’avait qu’une idée lorsqu’elle avait à ses trousses ce triste protecteur, c’était d’organiser des parties, de trouver des amis, d’être enfin avec d’autres personnes susceptibles de mettre de la gaieté dans leur déplaisant tête-à-tête.

Conchita Conchas, au risque de paraître indiscrète, ayant avisé la lumière qui filtrait par la fenêtre de la maison d’Isabelle de Guerray, décidait donc de pénétrer dans la villa, et déjà elle avait franchi les grilles du jardin.

Héberlauf, résigné, allait la suivre, lorsque le couple s’arrêta.

À l’extrémité du boulevard venaient d’apparaître deux lanternes qui se rapprochaient rapidement, cependant que l’on percevait encore le grondement d’un moteur.

– Une autre auto, fit Conchita Conchas, ce sont peut-être des amis qui viennent aussi chez Isabelle ?

L’automobile – un taxi – s’arrêtait en effet à proximité de la villa de la demi-mondaine.

Mais ce n’étaient pas des fêtards qui en descendirent, c’étaient deux hommes aux visages graves et sérieux qui n’étaient autres que Juve et M. Amizou, le commissaire de police.

Que venaient-ils faire à cette heure chez Isabelle de Guerray ?

Juve, dans le milieu des élégants noceurs, passait toujours pour un riche oisif qui s’appelait Duval ou Dubois, on ne savait pas exactement. Quant à M. Amizou, tout le monde le connaissait et nul n’ignorait sa profession.

Les deux nouveaux venus paraissaient d’abord fort dépités de la rencontre inattendue qu’ils faisaient ; mais cette impression n’était que passagère et cependant que Juve saluait discrètement et silencieusement, M. Amizou, d’un air jovial, apostrophait Héberlauf.

Avec un manque de tact, parfait d’ailleurs, il le plaisantait sur sa compagne.

– Ah, déclara-t-il, cher monsieur, je vous y prends en partie fine et j’oserai presque dire en flagrant délit.

Enchanté de sa plaisanterie, M. Amizou poursuivait :

– Tout de même, si j’étais chargé par la digne Mme Héberlauf de vous rechercher en ce moment, je crois qu’il me serait possible d’établir le flagrant délit, hein, qu’est-ce que vous répondriez ?

– Je ne répondrais pas, cher monsieur, ou plutôt je répondrais, mais…

Héberlauf s’interrompait pour courir après Conchita Conchas, qui, sans la moindre vergogne et ennuyée d’attendre ainsi dans la nuit fraîche, avait traversé le jardin et entrait dans la maison dont la porte donnant dans le vestibule était ouverte. M. Héberlauf la suivit :

– Monsieur Amizou, observa Juve, voilà des gens qui vont nous gêner. Il va s’agir de les faire partir d’ici peu afin de pouvoir interroger Isabelle de Guerray sur les quelques détails qui nous manquent.

– Et puis, poursuivit le policier, il va falloir la mettre au courant.

– Oui, ça n’est pas le plus drôle, d’ailleurs.

Juve et le commissaire étaient arrivés jusqu’au perron de la villa et ils s’apprêtaient à pénétrer dans la demeure, ne doutant pas qu’ils trouveraient un prétexte quelconque pour justifier leur visite tardive.

La maison semblait endormie. À part le filet de lumière qu’ils avaient aperçu au premier, tout était dans le noir.

Juve et le commissaire avaient rejoint M. Héberlauf dans la véranda, éclairée seulement par un rayon de lune, et ils attendaient que Conchita Conchas, montée au premier, eût avisé Isabelle de Guerray de la présence de visiteurs. La jeune femme, cependant, tardait à descendre, le silence persistait. On n’entendait toujours aucun bruit.

– Isabelle est peut-être couchée, suggéra M. Héberlauf.

Le commissaire en doutait.

– À onze heures, ce serait invraisemblable… dites plutôt qu’elle s’habille pour venir au Casino, si je ne me trompe, la lumière que nous avons aperçue venait du cabinet de toilette.

– Vous m’avez l’air bien renseigné, monsieur le commissaire, observa malicieusement l’ex-pasteur.

– Oh, protesta le commissaire, je connais « professionnellement » les plans de toutes les maisons de la ville, mais « professionnellement » seulement.

Conchita Conchas descendait :

– C’est curieux, fit-elle, très curieux…

Le commissaire de police cherchait au mur un commutateur qu’il finit par découvrir. Quand la lumière eut jailli, Conchita reprit la parole :

– Je viens de voir Isabelle. Elle est dans son cabinet de toilette à moitié habillée. Je l’ai appelée deux ou trois fois. Elle n’a pas répondu. Elle est assise sur une chaise, profondément endormie.

– Il vaudrait peut-être mieux nous en aller… nous sommes terriblement indiscrets, dit Héberlauf.

On entendait précisément une automobile. Héberlauf ajouta :

– C’est notre voiture qui revient.

– Ma foi, suggéra Juve, c’est peut-être ce que nous aurions de mieux à faire. Partez donc devant, nous vous suivons.

le policier n’avait en effet qu’une idée : se débarrasser des gêneurs. Quant au commissaire de police, impatient de savoir pourquoi Isabelle de Guerray ne se réveillait pas et n’éprouvant aucune pudeur à pénétrer dans son cabinet de toilette, il gravissait rapidement l’escalier, tout en appelant :

– Isabelle, Isabelle… comme vous avez le sommeil profond. Réveillez-vous donc, ce sont des amis.

Puis le commissaire se tut, on l’entendait aller et venir un instant à l’étage au-dessus. Puis, lentement, il redescendit.

M. Amizou n’avait plus sa physionomie souriante, il était pâle, ému, il se rapprocha du groupe qui causait près de la véranda :

– Messieurs, fit-il, je crois qu’un malheur vient d’arriver. J’ai vu Isabelle de Guerray. Elle ne dort pas comme le croyait Conchita. Elle a l’air évanouie, peut-être morte.

– Isabelle, morte ? qu’est-ce que vous dites là, s’écria l’Espagnole qui bondit en direction du premier étage.

Juve l’arrêta par le bras.

– Ne retournez pas là-haut, mademoiselle, si Isabelle de Guerray, comme le dit M. Amizou, est évanouie ou morte, il ne faut pas vous donner d’émotions inutiles.

– Monsieur a raison, dit Héberlauf, allons-nous-en.

Mais Conchita insistait :

– Je veux savoir, je ne puis pas laisser une amie comme cela, vous m’épouvantez tous. Il faut que je sache.

Les trois hommes insistèrent auprès de la jolie femme :

– Non, non, disait le commissaire sur le visage duquel se peignait une émotion croissante, vous ne pouvez pas rester ici. Il ne le faut pas. Allez au Casino. Dans cinq minutes nous vous rejoignons. Peut-être qu’Isabelle n’est qu’évanouie.

Le commissaire s’efforçait de reconduire jusqu’à la porte le couple désemparé qui ne savait que faire. Il réussit enfin à décider les deux amants à monter en voiture.

Conchita, au moment où la voiture s’éloignait, recommanda toutefois encore à M. Amizou :

– Ne manquez pas de nous renseigner tout à l’heure, dites-nous bien ce qui lui est arrivé, nous allons au Casino.

– Ouf, fit le commissaire en rebroussant précipitamment chemin alors que l’automobile démarrait, nous voilà débarrassés d’eux.

Puis il songea aussitôt à ce qu’il avait vu, à la silhouette d’Isabelle de Guerray, immobile, inerte, les yeux clos, la figure blême, assise au milieu de son cabinet de toilette tout inondé de lumière.

Il remonta précipitamment, de plus en plus surpris, inquiet, ému par le silence de cette maison vide, où on allait et venait sans rencontrer âme qui vive.

Le commissaire était inquiet. Juve ne l’avait pas attendu pour gagner le premier étage. Lorsque M. Amizou, quelque peu essoufflé, après avoir gravi l’escalier en quelques bonds, eut atteint à nouveau les appartements intimes de la demi-mondaine, se trouva en face de Juve, il demeura interdit, silencieux, en voyant la tête que faisait l’inspecteur.

Juve, qui avait posé son chapeau sur un petit tabouret voisin, inventoriait lentement la pièce, regardant autour de lui, se préoccupant, semblait-il beaucoup plus de l’installation du cabinet de toilette que de la malheureuse femme qui se trouvait au milieu, assise, rigide, inanimée, sur une chaise.

M. Amizou regardait Isabelle.

La demi-mondaine, dans une pose fort naturelle, ne présentait aucun désordre dans sa toilette ni dans sa tenue. Elle était assise la tête renversée en arrière comme quelqu’un qui sommeille. Mais, par exemple, elle ne remuait pas, aucun mouvement de son corps ne trahissait la vie, sa poitrine était rigoureusement immobile.

– C’est incompréhensible, qu’en pensez-vous, monsieur Juve, il me semble, n’est-ce pas, qu’elle est morte ?

Juve enfin, terminait son inspection et sans jeter le moindre coup d’œil sur Isabelle de Guerray, il répondit au commissaire :

– Aucun doute. La question, désormais, est de savoir comme elle est morte et si elle n’a pas été assassinée ?

– Assassinée ?

Mais il s’arrêta net, Juve et lui prêtaient l’oreille.

Le silence de la nuit, le silence impressionnant qui entourait la villa venait soudain d’être troublé.

On entendait des pas précipités dans le jardin, puis des éclats de voix, enfin un coup de revolver, un second, un troisième.

– Nom de Dieu, jura Juve, cela devient fantastique.

Le policier bondissait hors du cabinet de toilette, descendait l’escalier.

M. Amizou s’apprêtait à le suivre, Juve l’en empêcha.

– Mais non, s’écria-t-il, restez donc, il faut nous séparer. Restez dans la maison, moi je vais aller voir au dehors ce qui se passe.

– Bien, fit M. Amizou qui s’arrêta aussitôt, rebroussa chemin, regagna en hâte la pièce où gisait toujours Isabelle de Guerray. Le commissaire tira de sa poche son revolver et s’embusqua dans un angle. Après tout, les incidents mystérieux qui se produisaient n’avaient rien de rassurant.

Juve avait bondi dans le jardin.

Il ne voyait personne, il n’entendait plus rien, il se rapprocha aussitôt de son taxi-auto.

– En route, commanda-t-il au mécanicien. Et il monta sur le siège à côté de lui.

– Où allons-nous ? interrogea le chauffeur.

Juve demeura un instant perplexe.

À quelques mètres de là, le boulevard était coupé par une rue qui allait à droite et à gauche.

Dans quelle direction fallait-il se diriger ? En face c’était la montagne avec ses rochers abrupts.

– N’avez-vous pas vu sortir quelqu’un tout à l’heure ? interrogea le policier, auquel le mécanicien répondit :

– Il y a dix minutes. Si. Un monsieur et une dame qui sont montés en automobile.

– Je sais, fit Juve impatient, mais depuis ?

– Depuis ? personne.

– Vous n’avez donc pas entendu les coups de revolver ?

– Des coups de revolver, s’écria le mécanicien, ah ! par exemple, monsieur, je ne me doutais pas que c’étaient des coups de revolver. J’ai pris cela pour des pétards, des fusées, tirés par des gens qui s’amusaient Attendez donc, si. Il n’y a pas deux minutes, il me semble bien avoir remarqué deux ombres qui se sont faufilées le long de la grille, puis qui ont gagné l’extrémité du boulevard.

– Par où sont-elles passées ces ombres ? Ont-elles tourné à droite, à gauche ?

Le mécanicien hésita, balbutia, il ne savait pas. Mais, soudain, de nouveaux éclats de voix lointains, atténués, puis encore des coups de revolver.

Cette fois, plus de doute. Juve avait localisé le bruit, il fallait s’en aller par la droite.

Sur les ordres du policier, le taxi embraya, vira dans la direction indiquée, s’enfonça dans la nuit.

Hélas, la rue était absolument déserte.

Mais brusquement, comme il venait d’entendre le véhicule corner, Juve se frappa le front :

– Imbécile que je suis, hurla-t-il.

Puis, sans s’expliquer autrement, il commanda au mécanicien :

– Tournez, tournez le plus vite possible. Rebroussons chemin, c’est à droite que nous sommes allés. Il fallait tourner à gauche.

Cependant que le chauffeur stupéfait de piloter un client aussi étrange exécutait ses ordres, Juve grommela tout haut :

– Décidément, toutes les guignes sont attachées à notre suite. Dans ces sacrées régions montagneuses il y a perpétuellement des échos. Or j’ai mal calculé. Je ne m’en suis pas rendu compte. Les individus qui me fuient sont partis sur la gauche et c’est à droite que je les ai entendus, à cause de l’écho. Pourvu qu’on puisse les rattraper.

Cependant que le taxi augmentait peu à peu son allure, Juve se prenait à espérer.

– Du moment qu’il y a des coups de revolver, c’est qu’on se bat, c’est qu’il y a des adversaires, ils ne sont donc pas tous d’accord pour s’enfuir.

– Attention, cria soudain le mécanicien, tenez-vous bien.

Juve obéit machinalement, ferma les yeux, mais bien que cramponné au siège, le policier, projeté en avant tomba presque le nez sur le capot :

Le conducteur venait de freiner brusquement au risque de faire éclater ses pneus :

– Qu’y a-t-il donc ? gronda Juve.

– Il y a, fit le chauffeur, que la rue que vous venez de me faire prendre s’arrête là. Une seconde de plus, trois mètres encore et nous allions taper en plein dans le mur.

Juve, descendu, examina les lieux à la lueur de la lanterne :

– C’est vrai, murmurait-il, cette rue ne continue pas, nous sommes tombés dans un cul-de-sac.

À droite et à gauche s’élevaient des murs de maisons, sans fenêtres d’ailleurs, au fond le mur naturel constitué par la montagne à pic, au flanc de laquelle on avait creusé cette route. De part et d’autre se trouvaient de petits trottoirs.

Juve passa deux ou trois fois sur une lourde plaque d’égout qui sonnait le creux, puis il rebroussa chemin :

– Il est impossible, se dit-il, que ces individus soient passés par ici. Je les aurais retrouvés assurément.

Il haussa les épaules, serra les poings :

– Rentrons, dit-il au mécanicien, à la villa. Le tout n’avait pas duré dix minutes.

– Eh bien, fit le commissaire de police, avez-vous découvert quelque chose ou rencontré quelqu’un ?

– Rien, personne. Et vous, rien de neuf ?

M. Amizou racontait à quoi il avait employé son temps pendant ces quelques minutes de solitude :

– J’ai cru prudent, déclara-t-il, de téléphoner au commissariat et de convoquer d’urgence deux inspecteurs, ils vont être ici d’un instant à l’autre et peut-être qu’ils nous seront utiles.

– Vous avez bien fait, il sera bon de les mettre en surveillance dans le jardin, au rez-de-chaussée, pendant que nous procéderons à nos constatations au premier étage. Il va falloir faire une enquête assez serrée, monsieur le commissaire, sur le décès subit, mais encore inexpliqué, de cette malheureuse.

– Qu’a-t-il donc pu lui arriver ?

– Il est arrivé, fit Juve, qu’elle est morte.

– Je vois bien, répliqua le commissaire, mais est-ce que c’est une mort naturelle ?

– Toutes les morts sont naturelles, et celle-là est une mort subite.

– Vous disiez tout à l’heure qu’elle avait été assassinée ?

– C’est exact. J’ai la conviction qu’elle a été assassinée.

– Monsieur Juve, monsieur Juve, déclara le commissaire, de plus en plus étonné, vous parlez par énigmes. Si Isabelle de Guerray est morte naturellement, elle n’a pas été assassinée. Si elle est victime d’un meurtre, elle n’est pas décédée de façon normale.

– C’est à savoir, fit Juve énigmatiquement. Il se peut fort bien que son assassin l’ait fait mourir d’une mort naturelle et que cette mort, il l’ait cependant déterminée.

M. Amizou se laissait choir dans un fauteuil, sans s’inquiéter d’ailleurs de la proximité du cadavre :

– Je ne comprends plus du tout, fit-il, je ne vois pas ce qui a pu se passer.

– Il n’est pas nécessaire, sourit Juve, que vous deviniez, monsieur le commissaire, puisque je suis précisément là pour cela. Je vous demande simplement de me prêter quelques minutes d’attention.

– Je vous écoute. Juve commença :

– Vous remarquerez, monsieur le commissaire, qu’Isabelle de Guerray est assise, et cela dans une position très normale pour quelqu’un qui veut rester assis à se reposer, mais ce n’est pas la pose de quelqu’un qui dort. Vous remarquerez en outre que les traits, les chairs ne présentent aucune trace de décomposition comme peut en déterminer, même au bout de quelques secondes l’absorption d’un poison violent. Vous remarquerez, d’autre part, que ses yeux et ses lèvres sont un peu congestionnés, la bouche est entr’ouverte, la langue épaisse.

C’est la langue de quelqu’un qui a été suffoqué brusquement, qui est mort comme par suite d’un arrêt du cœur. Le cœur vous le savez, s’arrête quelquefois, se déchire même, se rompt sous le coup de l’émotion violente, soudaine ou prolongée. Nous n’avons pas encore dévêtu le cadavre pour nous rendre compte s’il porte quelque trace de blessure, mais j’en doute. Une balle de revolver, un coup de poignard auraient déterminé une effusion de sang. Vu la finesse et la légèreté de ces vêtements, le sang aurait passé au travers. Remarquez en outre, monsieur le commissaire, qu’Isabelle de Guerray est placée dans un angle de son cabinet, non loin de son appareil à douches, que d’autre part, non seulement le sol est mouillé, mais encore que son jupon est trempé d’eau.

– Que concluez-vous, monsieur, mais que concluez-vous ?

– Je ne conclus pas, reprit Juve, je constate.

Le policier ajoutait :

– Remarquez encore, monsieur Amizou, qu’à la hauteur des coudes les dentelles du peignoir sont froissées comme si elles avaient été comprimées, serrées, comme si, par exemple, on avait attaché les bras au dossier de la chaise, non pas avec une ficelle ou une corde, mais avec quelque chose de souple, de doux et de résistant et de plat. Une lanière, un morceau d’étoffe peut-être.

Juve se penchait et, sous la chaise, trouva quelque chose qu’il montra triomphant au commissaire abasourdi :

– Voyez, je ne me trompais pas. Voici un morceau de ruban. Il est vraisemblable qu’Isabelle de Guerray a dû être ligotée avec des rubans dont ce morceau nous reste comme pièce à conviction. Une fois morte elle aura été déliée par son assassin. Oh, oh, continua Juve, voici qui me confirme dans cette opinion.

Le policier qui regardait les jambes nues de la demi-mondaine, avait remarqué qu’au dessus des chevilles, la peau blanche et nette portait des traces de pression, presque de meurtrissures.

– Je comprends de mieux en mieux.

– Eh bien, pas moi, lui répondit M. Amizou. Je vous avoue que je ne vois pas du tout comment on a tué cette pauvre Isabelle.

Juve à ce moment venait de monter sur une chaise, déployait un des tuyaux mobiles de la douche.

– Elle est morte de peur… voilà tout, dit-il… Voyez plutôt, ses cheveux qui bouffent d’ordinaire sont aplatis sur les tempes, on lui a mis un bandeau sur les yeux.

À ce moment, on appela M. Amizou :

– Ce sont mes inspecteurs qui arrivent, que faut-il faire ?

– Dites-leur qu’ils surveillent le rez-de-chaussée, le jardin, qu’ils s’efforcent de relever les traces suspectes, s’il s’en trouve, des traces de pas notamment.

Par la fenêtre, le commissaire transmit ces instructions à ses subordonnés.

Mais comme il se retournait, il ne put retenir un mouvement d’effroi.

Le policier était-il subitement devenu fou ?

Après avoir avancé et reculé un des tuyaux mobiles de la douche placé pour ainsi dire au-dessus de la tête d’Isabelle de Guerray, voici qu’il venait d’ouvrir un robinet, de l’entrouvrir plutôt : l’eau coulait tiède et goutte à goutte. Elle tombait régulièrement, exactement sur l’avant-bras droit de la demi-mondaine. L’eau glissait dans la paume de la main, filtrait à travers les doigts écartés, puis se perdait dans les plis du jupon déjà saturé et venait se répandre sur le parquet :

– Voilà, dit Juve, voilà ce qui s’est passé. On a fait mourir de peur Isabelle de Guerray en la persuadant qu’elle perdait son sang.

Le commissaire ouvrit des yeux stupéfaits.

– Vous n’ignorez pas, monsieur le commissaire, expliqua Juve, qu’il est arrivé que l’on fasse mourir de peur une personne plongée dans un bain et dont les yeux étaient bandés, en la persuadant, par exemple, qu’on venait de lui ouvrir les veines. Ces gens, peu à peu, lorsqu’ils sont convaincus qu’on ne leur a pas menti, se sentent lentement dépérir, s’affaiblissent, et lorsqu’il s’est écoulé un temps normal pour que tout leur sang se soit répandu, il arrive fréquemment que leur émotion soit telle que leur cœur s’arrête et qu’ils meurent. On meurt de peur et le plus facilement du monde… L’assassin d’Isabelle de Guerray, croyez-le, n’a pas voulu – pour des raisons que j’ignore – tuer brutalement sa victime, mais il l’a ligotée, il lui a assuré qu’il lui ouvrait une veine. Il a laissé couler sur cet avant-bras des gouttes d’eau tiède. Ces gouttes, peu à peu, ont humecté le jupon de la malheureuse. Elle a senti son vêtement se saturer d’un liquide qu’elle prenait pour son sang. Son émotion s’est accrue et le moment est arrivé où elle est morte, eh oui, morte de peur.

– Mais c’est merveilleux, votre découverte.

– Non, fit Juve modestement, j’ai procédé avec logique. Voici mieux, monsieur : Ces marques, ces traces que vous voyez là ont été faites par un doigt, un doigt d’élégante, un doigt de femme qui, surprise à sa toilette, devait être encore enduit de l’une quelconque de ces pâtes qu’emploient les femmes pour sauvegarder la pureté de leur peau. Ce doigt a tracé quelque chose sur cette glace. Il serait bien intéressant de pouvoir savoir quoi…

Vainement, Juve essayait de lire. Soudain le policier avait une inspiration. Il allait prendre sur le lavabo une houppette de poudre de riz et l’appliqua sur les taches du miroir. Et Juve lut :

IVAN IVANOV…

– Ivan Ivanovitch, s’écria le commissaire, abasourdi de voir ce nom apparaître soudain sur la glace aux reflets miroitants, serait-ce donc l’assassin d’Isabelle de Guerray ?

– Il me semble, conclut le policier, qu’on ne saurait en avoir une preuve plus formelle.

Les deux hommes demeurèrent un instant silencieux, puis des pas retentirent dans l’escalier, quelqu’un se présenta à l’entrée du cabinet de toilette.

C’était un des inspecteurs de police.

– Monsieur le commissaire, annonça celui-ci, nous venons de faire quelques constatations intéressantes. Deux hommes et deux femmes sont venus récemment dans ce jardin.

– Héberlauf et Conchita, pensèrent Juve et le commissaire.

– Notamment, poursuivait l’inspecteur, nous avons relevé derrière la maison des traces très précises, mais d’un homme et d’une femme seulement. Ce sont des empreintes nettement enfoncées dans la terre ou dans le sol, des pas de gens qui couraient.

– Les gens aux coups de revolver, songea Juve…

Puis comme l’inspecteur tendait au commissaire plusieurs feuilles de papier sur lesquelles il avait relevé minutieusement les empreintes, Juve en prit possession, les examina attentivement.

Il s’absorba, prit dans sa poche divers objets : un petit mètre gradué, un compas, il mesura, nota.

Il hochait la tête parfois, murmurait de temps à autre :

– C’est cela, c’est bien cela, il n’y a pas de doute…

– Ces empreintes, interrogea M. Amizou, vous apprennent-elles quelque chose ?

– Non, je dois l’avouer, pas grand’chose.

C’est qu’en réalité Juve venait d’éprouver une effroyable commotion.

Dans les traces des mystérieux individus qui assurément quelques instants auparavant s’étaient tiré des coups de revolver, puis avaient disparu dans la nuit et que Juve avait en vain cherchés, trompé par l’écho dans sa poursuite, Juve venait de reconnaître les traces de quelqu’un qu’il connaissait bien. Les traces de Fandor.


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