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La main coupée (Отрезанная рука)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 00:30

Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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8 – AUX FRAIS DE L’ÉTAT RUSSE

« Bon Dieu que c’est haut. Si j’avais le temps, je me paierais un vertige de premier ordre. Deux étages bien servis. On voit qu’on ne ménage pas la place dans ce pays-ci, ce ne sont pas des appartements pour soles frites ou pour culs-de-jatte que construisent les architectes de la Côte d’Azur. C’est haut de plafond. Voyons, me voici déjà à moitié route, pour peu que cela continue j’atteindrai la terre ferme sans m’être rien démoli. Aïe, aïe.

Un craquement venait de se produire :

« Bon Dieu, voilà que je fais des dégâts. Ce sont les espaliers qui se brisent comme des allumettes, on va me fourrer tout ça sur ma note… Ouais, va-t’en voir. Ni vu ni connu, je t’embrouille ; et d’ailleurs le Casino est plus riche que moi. On n’a pas idée non plus de mettre des échelles juste bonnes à supporter les papillons et les pois de senteur. Ouf ! j’y suis. Pristi que la terre est dure et basse, on aurait bien pu mettre un édredon ou de la paille au moins. Sale affaire, j’ai failli me tourner le pied. Enfin je suis en bas et qui mieux est, je l’ai vue descendre. Ne perdons pas de temps. La voilà qui s’enfuit là-bas. Pardieu, je reconnais bien la jupe rose que j’apercevais par le trou de serrure du cabinet de M. de Vaugreland…

C’était Jérôme Fandor qui monologuait ainsi, bien qu’ayant eu à se tirer d’une position des plus périlleuses, mais le journaliste, dans les circonstances les plus difficiles de la vie, faisait invariablement preuve du plus imperturbable sang-froid.

Quelques secondes auparavant, Fandor avait brusquement traversé le cabinet directorial, avait enjambé la fenêtre ouverte et s’était élancé dans le vide, au risque de se rompre les os.

Heureusement pour lui le journaliste avait bien calculé son affaire ; il savait qu’en profitant des saillies de la maçonnerie, des moulures de la façade et aussi des espaliers dressés contre celle-ci pour permettre aux plantes grimpantes de s’y attacher, il pourrait sans trop de danger, gagner rapidement le sol.

Il venait de mettre pied à terre.

Mais déjà, au coin d’une allée, disparaissait la jupe rose.

Fandor s’élança sur ses traces, peu soucieux du désordre de sa toilette, indifférent aux accrocs que comportait son vêtement, aux poussières de plâtre tombées sur ses épaules.

Fandor avait aussi égaré son chapeau, mais peu lui importait. Il se sentait sur une piste intéressante, il fallait coûte que coûte suivre les traces et ne pas se laisser distancer.

Hélas, la réalisation de ce projet était difficile. Il était trois heures et demie environ, les promeneurs se faisaient nombreux dans les allées du joli jardin qui s’étend entre l’immeuble du Casino et la terrasse de la mer. À chaque instant, Fandor était obligé de couper son élan, de faire des détours, de s’arrêter pour repartir ensuite, de se glisser entre les groupes. Parfois, il trépignait sur place, impatient, rendu furieux par la présence de quelque vieille dame ankylosée ou de quelque monsieur obèse qui l’empêchait de passer.

La jupe rose gagnait insensiblement du terrain.

Mais elle aussi devait compter avec la foule des promeneurs.

Au bout de quelques instants, Fandor pistant toujours la fugitive, atteignit une allée ombreuse et déserte. En prenant le pas de course, il ne tarderait pas à rattraper la fuyarde, gênée sans doute par sa robe à la mode : une jupe entravée.

– Bon Dieu, jura Fandor, je saurai qui c’est et pourquoi diable elle nous a enfermés.

Mais à l’instant même, Fandor, qui avait la tête baissée, poussait un cri de douleur : le journaliste chancela, faillit tomber à la renverse, cependant qu’un grognement humain retentissait en face de lui.

Fandor, instinctivement, au lieu de s’excuser, monta sur ses grands chevaux.

– Bougre d’imbécile, vous ne pourriez pas faire attention.

Le journaliste était en face d’un homme contre la poitrine duquel il venait de se heurter. C’était un gaillard robuste et bien planté, large d’épaules, au visage embroussaillé d’une grande barbe, aux yeux clairs, à la chevelure noire.

– Imbécile vous-même, dit le barbu quelque peu estomaqué.

Fandor n’avait pas de temps à perdre, il contourna le fâcheux promeneur, s’efforçant de passer à sa droite. Mais l’homme, nullement apaisé pour autant, rattrapa Fandor par le bras :

– S’il vous plaît, monsieur, un instant.

Fandor s’efforçait vainement de se dégager :

– Idiot, crétin, cria-t-il, furieux, lâchez-moi. Vous voyez bien que je poursuis quelqu’un.

– Ça m’est bien égal, répondit l’interlocuteur, vous êtes un malotru, vous méritez un châtiment, je vous enverrai mes deux témoins.

– À votre aise, répondit le journaliste, je m’appelle Jérôme Fandor, et je demeure à l’hôtel.

Mais Fandor s’arrêta, interdit. Le personnage qui le gênait ainsi venait de se nommer aussi, et dès lors, Fandor le considéra stupéfait, ouvrant de grands yeux ahuris :

L’homme avait dit, en effet :

– Je suis le commandant Ivan Ivanovitch.

– Ah bah, fit-il, ah c’est vous ! Ah par exemple ! Eh bien, ça n’est pas banal. Mais peu importe, nous nous retrouverons tout à l’heure. Pour le moment, je file.

Le journaliste, toujours maintenu par la manche, décochait un coup de poing à l’officier pour se faire lâcher, mais le Russe ne broncha pas.

– Qu’avez-vous donc à poursuivre cette jeune fille ?

– Cette jeune fille, répliqua Fandor, quelle jeune fille ?

– Parbleu, fit l’officier, Mademoiselle Denise.

Une fois encore Fandor demeura interdit :

– Ah, c’est mademoiselle qui… que… la jupe rose là-bas, c’est Mademoiselle Denise ?

– Dame, vous le savez bien, je suppose, puisque vous courez après elle comme un fou ?

– Nom de Dieu, voulez-vous oui ou non me lâcher ? hurla Fandor au comble de l’exaspération.

Le journaliste trépigna sur place.

Malgré sa situation précaire, incompréhensible, les pensées se pressaient en foule dans son esprit. Décidément les événements le servaient, et en l’espace de quelques instants il venait de faire deux rencontres de la plus haute importance.

L’officier russe d’abord, cet Ivan Ivanovitch, dont l’attitude mystérieuse et le rôle dans les histoires confuses survenues à Monaco avaient déterminé son départ de Paris, puis cette jeune fille non moins mystérieuse, qui, quelques instants auparavant l’avait enfermé, lui, Fandor, dans le cabinet de M. de Vaugreland, avec Juve.

Le journaliste, édifié désormais, était moins pressé de courir après la jeune fille. Il savait le nom de la fugitive et la retrouverait sans peine.

Fandor abandonnait donc son projet de poursuivre immédiatement l’énigmatique personne, mais en revanche il éprouvait une violente colère à l’égard de l’officier russe qui, non seulement l’avait interrompu dans sa poursuite, mais encore le brutalisait sérieusement.

– Parbleu, se dit Fandor, il ne faut pas que je me laisse faire par ce moujik. S’il est plus fort, tâchons d’être plus malin. Payons d’audace.

Le Russe ne lâchait pas le brave Fandor, mais Fandor, à charge de revanche appréhendait l’officier par son vêtement.

– Permettez, fit-il d’une voix autoritaire, M. Ivan Ivanovitch, j’éprouve le très vif désir de m’expliquer avec vous, et cela immédiatement.

– Où donc, monsieur ?

– Au poste de police.

– Soit… De la sorte vous laisserez peut-être Mademoiselle Denise tranquille.

« Tiens, pensa Fandor, on dirait que ça l’intéresse.

Et tout haut :

– Mademoiselle Denise, je saurai bien où la retrouver par la suite, allons, monsieur.

Toutefois, au moment de mettre son projet à exécution, Fandor se sentait très gêné d’aller avec l’officier au poste de police, car le journaliste ignorait totalement l’endroit où se trouvait le bureau du commissaire.

Le Russe toutefois avait rebroussé chemin et entraînait Fandor par un petit sentier.

– Laissons-nous conduire, se dit Fandor, le Russe sait peut-être après tout où se trouve l’endroit où je veux l’amener.

L’un tenant l’autre, les deux hommes parcoururent quelques instants encore une allée déserte qui s’inclinait par une pente rapide et abrupte vers le rivage.

– Mais nous allons au bord de l’eau, pensa Fandor, c’est curieux, je n’aurais jamais imaginé qu’à Monaco le commissariat se trouvait dans le voisinage du port.

Et Fandor regardant autour de lui, remarquait à part lui-même :

– Je n’aperçois que des cabines de bain.

Brusquement, ayant contourné un rocher, ils s’arrêtèrent au ras des flots.

Le sentier qu’ils suivaient était coupé net.

Fandor, surpris, trébucha, et il serait infailliblement tombé à l’eau si une embarcation ne s’était trouvée là.

Le Russe, d’ailleurs, d’une violente poussée l’envoya sur le bateau, et Fandor s’affala dans les bras d’une demi-douzaine de marins.

Le journaliste était si abasourdi de ce qui venait de se passer qu’il n’avait pas eu le temps de dire une seule parole. Déjà Ivan Ivanovitch avait donné ses ordres :

– Ce monsieur désire absolument faire une promenade en mer. Vous allez l’emmener. Il veut se promener pendant six heures consécutives, après quoi vous le ramènerez ici. Sous aucun prétexte, ne rentrez avant.

Dans une langue incompréhensible pour Fandor, un quartier-maître reconnaissable à ses galons, répondit quelque chose au commandant.

Puis, à force de rames, l’embarcation, – une jolie baleinière – s’écartait du rivage.

– Ah çà, jura Fandor qui reprenait peu à peu possession de lui-même, mais ces gens-là se foutent de moi.

Et le journaliste, dans un mouvement d’irrésistible colère, tenta de se jeter à l’eau pour regagner la terre.

Quatre vigoureux gaillards l’assirent de force sur une banquette.

Fandor ne pouvait plus faire un geste, et au fur et à mesure que les secondes s’écoulaient, il voyait s’éloigner la côte.

– Eh bien, pensa le journaliste résigné, voilà une aventure qui n’est pas ordinaire. Mais puisque je ne suis pas le plus fort il faut céder. Attendons. J’en ai paraît-il, pour six heures. Pourvu que ces sauvages ne soient pas assez brutes pour me débarquer au milieu de la mer. C’est égal, je me demande ce que veut dire tout cela ?

***

Peut-être Fandor aurait-il été renseigné si au lieu de s’en aller faire une promenade hygiénique et involontaire dans une baleinière de l’État russe, au beau milieu de la Méditerranée, il avait pu rester à terre et suivre l’officier qui, désormais débarrassé de son encombrante personne, remontait paisiblement par le petit sentier qui longeait la falaise.

Ivan Ivanovitch était soucieux.

Regrettait-il son coup de force ?

Exécutait-il un ordre ?

Avait-il pris sur lui de procéder ainsi ?

Ivan Ivanovitch erra environ pendant une heure, et sans but précis, sans but apparent, dans les jardins du Casino. Après quoi, ayant fait un crochet en ville, il se rendit lentement dans le quartier des villas et prit l’allée des Rosiers, dans laquelle se trouvait non seulement la fameuse Conchita Conchas, la danseuse espagnole, mais encore la villa, placée juste en face, des époux Héberlauf, directeurs de la pension de famille où demeurait Mademoiselle Denise.

L’officier sonna chez les Héberlauf, le domestique vint ouvrir :

– Mademoiselle Denise, demanda le commandant, est-elle rentrée ?

– Je ne sais pas, monsieur, répondit le valet de chambre, monsieur veut-il se donner la peine d’attendre un instant ?

Le Russe resta dans le jardin, où quelques jours auparavant sa jeune et mystérieuse amie lui avait fait d’amers reproches relatifs à ses pertes au Casino.

Il n’y avait pas tennis cet après-midi-là, et la tonnelle était déserte.

De la maison Héberlauf, ordinairement si bruyante, ne s’échappait nul bruit.

Au bout de quelques minutes, le domestique revint et s’adressa à l’officier :

– Si monsieur veut me suivre, Mademoiselle Denise est prête à le recevoir.

L’officier, dont le cœur battait à se rompre, monta rapidement deux étages derrière le domestique et fut introduit dans un boudoir tendu de toiles de Jouy.

Sur une bergère, Mademoiselle Denise.

Le visage de la jeune fille était loin de présenter son calme ordinaire.

C’était en vain qu’elle s’éventait pour chasser le rouge qui lui était monté aux pommettes. C’est en vain qu’elle faisait de longues et profondes aspirations pour atténuer l’essoufflement qui lui agitait la poitrine.

Sans répondre aux salutations du Russe, elle lui désigna de la main un siège et demanda :

– Que voulez-vous ?

– Qu’avez-vous donc, mademoiselle Denise, fit-il, vous semblez tout émue… Vous est-il arrivé quelque chose ?

Denise rougit jusqu’à la racine des cheveux. Elle demeura quelques instants sans répondre, puis, du ton embarrassé d’une personne qui dissimule la vérité, elle expliqua :

– Je viens de subir une vive émotion, expliqua-t-elle, c’est au sujet de cette danseuse qui demeure en face, cette Conchita Conchas. M. et Mme Héberlauf ont échangé des paroles violentes, et comme j’aime beaucoup ces braves gens et que j’assistais à cette dispute, vous comprenez ma surprise, mon émotion, n’est-ce pas ?

Plus la jeune fille parlait, plus elle s’embarrassait.

– Mademoiselle Denise, dit Ivan Ivanovitch, je ne vous comprends pas. Je sais bien qu’il se passe depuis quelque temps des choses peu ordinaires, extraordinaires même. Nous avons l’air d’y être mêlés l’un et l’autre, sans pouvoir nous expliquer pourquoi ni comment. Hélas, il y a dans ma vie, depuis quelques jours, un secret, un secret formidable que je ne puis révéler, mais que vous importe. D’ici peu, d’ailleurs, dans quelques jours, dans quelques heures, je serai relevé de ma promesse, car je le veux, je me le suis juré.

Comme la jeune fille ne bronchait pas, Ivan Ivanovitch, qui mourait d’envie de lui parler, de lui ouvrir son âme, insinua :

– Si vous y teniez, pourtant, je pourrais vous dire…

Mais Denise s’était levée soudain, frémissante, devant lui. Elle étendit le bras, tourna la tête :

– Non, fit-elle, non, je ne veux pas connaître votre secret. Ivan Ivanovitch, puisque vous avez donné votre parole, respectez-là et soyez homme d’honneur jusqu’au bout.

Mais quelques instants après, l’officier reprenait :

– Mademoiselle Denise, j’ai autre chose à vous dire et cette fois je dois parler. Je puis le faire, rien ne m’en empêche.

– De quoi s’agit-il donc ? interrogea Denise qui tremblait.

– Quelqu’un, fit à mi-voix Ivan Ivanovitch, comme s’il eût redouté d’être entendu, quelqu’un vous en veut. Quelqu’un vous pourchasse. Vous étiez, n’est-il pas vrai, voici deux heures environ, dans les jardins du Casino ? Vous aviez une robe rose, vous l’avez changée depuis, mais à ce moment vous fuyiez. Est-ce vrai ?

– C’est vrai.

– J’ai pensé que vous ne vouliez pas rencontrer cet homme qui courait derrière vous, puisque vous vous étiez aperçue de sa poursuite et que vous vous sauviez.

– Alors ? interrogea Denise en se rapprochant de l’officier, si près que ses épaules touchaient presque les siennes.

– Alors, fit Ivan, je l’ai empêché de continuer, je l’ai conduit jusqu’à la mer.

– Ah, mon Dieu, hurla la jeune fille, incapable de maîtriser son émotion. Ivan Ivanovitch, qu’avez-vous fait ?

Le Russe eut un bon sourire :

– Rien de bien méchant, mademoiselle, j’ai confié cet homme à mes marins. Ils le promènent actuellement en barque avec, pour ordre précis, de ne le ramener à terre qu’à dix heures du soir. J’ai pensé que pendant ce délai je pourrais vous aviser et que vous décideriez de la conduite à suivre.

La jeune fille respira profondément, elle eut un regard attendri pour le robuste colosse :

– Pourquoi donc, interrogea-t-elle, faites-vous tout cela ? Pourquoi vous intéressez-vous de la sorte à mon insignifiante personne, monsieur Ivanovitch ?

– C’est parce que je vous aime.

Denise lui posait déjà une autre question :

– Son nom, fit-elle, le nom de cet homme, à la poursuite duquel vous m’avez arrachée ?

L’officier se recueillit un instant, regarda Denise dans les yeux bien franchement pour savoir quelle serait l’impression que lui produirait la révélation qu’il allait faire :

– Cet homme, déclara-t-il, m’a dit s’appeler Jérôme Fandor.

Certes le nom du journaliste, célèbre dans bien des milieux, ne disait rien, ou peu de chose, à l’officier russe, mais il pensait que peut-être Denise éprouverait quelque émotion en l’apprenant.

Ou il se trompait, ou sa mystérieuse interlocutrice était experte en l’art de dissimuler, car à l’énonciation du nom de Jérôme Fandor, pas un muscle de son charmant visage ne tressaillit.

– Ivan Ivanovitch ? dit doucement Denise.

– À vos ordres, mademoiselle.

– Ivan Ivanovitch, j’ai un service à vous demander. Un grand service qu’il faut me rendre, absolument, entendez-vous ?

– À vos ordres.

– Ivan Ivanovitch, reprit la jeune fille, d’une voix aussi nette que possible, je veux que ce soir vous conduisiez ici M. Jérôme Fandor. À quelle heure vos marins le ramèneront-ils à terre ?

– À dix heures précises, mademoiselle. Nous pouvons être à dix heures et quart ici. De gré ou de force, je vous l’amènerai.

– Je crois, Ivan Ivanovitch que la force ne sera pas nécessaire. Dites-lui simplement que Mlle Denise désire lui parler.

9 – ENCORE LA MAIN COUPÉE

Tandis que Fandor s’enfuyait dans les jardins du Casino de Monte-Carlo, Juve demeurait en tête à tête avec M. de Vaugreland.

Juve, une seconde, demeura au milieu de la pièce, n’osant tenter un geste.

Bientôt cependant, son caractère emporté reprit le dessus :

– Ah, sacré nom, jura Juve.

Et en même temps, à l’exemple de Fandor, le policier bondit à la porte. La porte était fermée, bien fermée, on l’avait sans nul doute fermée de l’extérieur.

Juve retraversa la pièce et, comme Fandor, allait bondir à la fenêtre. Or, au moment précis où le policier passait devant le bureau de M. de Vaugreland, celui-ci à son tour sortit de l’hébétement où l’avait plongé la fuite inopinée du journaliste.

Et voyant que Juve se dirigeait vers la fenêtre, redoutant à juste titre que le policier disparût, comme avait disparu Fandor, sans lui donner le moindre renseignement, M. de Vaugreland voulut s’élancer, le saisir par le bras, l’empêcher d’enjamber la barre d’appui.

Mais le directeur était à ce moment debout derrière son bureau, c’était donc par-dessus le meuble qu’il se pencha pour saisir Juve, il ne put empoigner le policier que par les basques.

Or, si Juve était pressé de rejoindre Fandor, le policier ne perdait pas, toutefois, ses habituelles qualités de sang-froid et de raisonnement :

– Pour être parti de si extraordinaire façon, songeait Juve à cette seconde, il faut que Fandor ait eu un motif grave. Qui dit motif grave dit motif dangereux, méfions-nous.

Et Juve, au moment même où le directeur du Casino l’empoignait, avait tiré de sa poche son revolver, à tout hasard.

Voir subitement disparaître par la fenêtre de son cabinet un personnage qui s’est donné comme le secrétaire d’un policier, voir ensuite ce policier se précipiter comme un fou sur la porte fermée, vers une fenêtre ouverte, essayer de l’attraper au passage, lui voir brandir un revolver, il y avait là, évidemment de quoi surprendre même un homme peu émotif.

Juve avait à peine pris son revolver en main que M. de Vaugreland, effrayé par l’apparition de cette arme, se rejetait violemment en arrière, fiévreusement ouvrait l’un des tiroirs de son bureau, un tiroir où par prudence, il gardait toujours à portée de sa main son propre revolver.

Juve, pendant ce temps, hurlait :

– Lâchez-moi, lâchez-moi, car Vaugreland continuait de le retenir par les basques.

Mais Juve avait à peine eu le temps d’arracher le pan de son habit des mains du directeur et de bondir vers la fenêtre, qu’au lieu de l’enjamber brusquement, il s’arrêtait, se retournait vers le bureau directorial, interrogeant à son tour, d’une voix hagarde :

– Allons bon, qu’est-ce qu’il y a encore ? Mais répondez.

Le directeur en effet, venait de pousser un cri, plus qu’un cri, un hurlement, un hurlement épouvantable, le hurlement d’un homme au comble de la stupeur, au comble de l’effroi. Le directeur du Casino se trouvait dans une attitude étrange.

Il s’était rejeté en arrière, contre le mur, et les deux mains tendues en avant, blême, décomposé, il répétait en haletant :

– Là, là, oh mon Dieu. Regardez.

Comprenant que M. de Vaugreland était hors d’état de le renseigner et haussant les épaules, Juve se précipita vers le bureau.

– Et bien quoi ? Qu’est-ce que…

Mais il n’en dit pas plus long.

À son tour, il pâlit. À son tour il devint blême, interdit, ne sachant que penser.

Pour prendre son revolver, dans le sentiment qu’il allait avoir à se défendre contre Juve, M. de Vaugreland avait ouvert le premier tiroir de son bureau-ministre. Il renfermait, outre cette arme, du papier blanc.

Or, Juve voyait, se détachant sur ce papier blanc, une main humaine, une main amputée, une main à la chair violacée, aux doigts crispés, à demi momifiés.

Comment cette main était-elle là ?

Quel macabre mystificateur avait pu trouver moyen de glisser dans le tiroir cette pièce anatomique ?

Tandis que M. de Vaugreland, à bout de nerfs, se laissait tomber sur un siège, Juve, en dépit de son propre émoi, examina de plus près la main du mort :

– C’est une main gauche. Dans l’aiguillage d’Arles, Fandor et moi, nous avons retrouvé une main droite. Dois-je conclure qu’elle provient du même cadavre ?

Juve, bientôt se redressa. À la vérité, le policier, déjà, avait retrouvé tout son calme, déjà surtout, se sentait l’esprit traversé d’un soupçon.

S’éloignant du meuble où il venait de faire cette découverte sinistre, Juve s’approcha du directeur.

– Monsieur de Vaugreland, fit-il, d’une voix sifflante et impérieuse, voilà qui va singulièrement compliquer notre enquête. Je vous le disais tout à l’heure : dans le train, où nous nous trouvions, mon secrétaire et moi, nous avons découvert à la suite d’un accident, une main de mort. Aujourd’hui, dans votre propre bureau, je trouve une autre main de mort. Comment expliquez-vous cela ?

– Co… Comment… j’ex… plique ?…

– Il faudrait pourtant que vous trouviez moyen de me répondre. Secouez-vous, que diable, cette main ne va pas vous étrangler. Vous vous conduisez comme une femme. Voyons ? Êtes-vous plus calme ?

M. de Vaugreland, toujours livide, hocha la tête affirmativement, essayant de prendre sur lui.

– Alors, continuait Juve, renseignez-moi. Ce bureau, c’est bien votre bureau personnel ?

– Sans doute.

– D’autres personnes que vous peuvent-elles y travailler ?

– Non, aucune.

– Est-ce que vous fermez ce tiroir à clef, d’ordinaire ?

– Toujours.

– Quand l’avez-vous ouvert pour la dernière fois ?

– Mais, hier soir, je pense.

– De sorte que cette macabre trouvaille reste pour vous un mystère ?

– Oh, un mystère.

– Monsieur de Vaugreland, vous devez bien imaginer quelque chose ? former une hypothèse ? je suis chez vous en ce moment, vous connaissez mieux que moi les personnes qui sont susceptibles de pénétrer dans cette pièce, et par conséquent…

– Mais qu’a donc vu votre secrétaire ? peut-être est-ce que…

– Vous avez raison.

Alors, Juve, en une seconde, se décida :

– Vous, cria-t-il, sans façon à M. de Vaugreland, ne bougez pas d’ici que je ne sois revenu. Je vais chercher Fandor.

Et, pour la seconde fois, Juve se dirigea vers la fenêtre dont il enjamba la barre d’appui.

Malheureusement, si Fandor avait pu sauter dans les jardins du Casino, usant de toute son habileté de gymnaste consommé, l’entreprise n’était plus possible pour Juve.

Fandor, pour s’enfuir, s’était agrippé au feuillage touffu d’un espalier, qui montait jusqu’à la croisée.

Or, sous le poids du jeune homme, les branches avaient cédé, la plante s’était arrachée du mur. Maintenant, Juve n’avait plus de point d’appui pour l’aider dans sa descente.

Vexé, furieux, le policier qui n’avait qu’un désir, rejoindre Fandor, coûte que coûte, demeura hésitant sur le rebord de la fenêtre, se rendant compte que s’il tentait de sauter, il allait se rompre les os, infailliblement.

Et force était à Juve, au bout de quelques minutes, de décider qu’il lui était impossible de s’échapper du cabinet directorial par la voie rapide qu’avait suivie son ami.

Juve traversa la pièce en courant, retourna à la porte, cogna dessus de toutes ses forces :

– Eh là, y a-t-il quelqu’un ? ouvrez, ouvrez.

Dans la galerie qui menait au cabinet de M. de Vaugreland, c’était aussitôt un brouhaha affairé. Aux cris de Juve, des huissiers se décidèrent à accourir.

À travers la porte, Juve parlementa :

– Ouvrez, nom d’un chien.

– Ouvrir ? Comment ouvrir ?

– Mais oui, nous sommes enfermés.

Juve, la porte à peine ouverte, – elle avait été fermée d’un simple tour de clef, et la clef était restée dans la serrure, – commença une enquête rapide :

– Avez-vous vu quelqu’un venir de ce côté ?

– Non, monsieur, personne.

– Vous ne savez pas qui a pu fermer cette porte à clef ?

– Oh, ma foi non.

– Ce n’est pas l’un de vos collègues, par hasard ?

– Non, monsieur, non. Depuis un quart d’heure, nous étions tous en bas, à prendre les ordres du chef du personnel.

Juve, renonçant à éclaircir la façon mystérieuse dont la porte avait été fermée, allait s’élancer dans la direction de l’escalier et se précipiter enfin à la recherche de Fandor, lorsque, dans la galerie, un nouveau personnage fit son apparition, tout en sueur, haletant, essoufflé, au comble de l’énervement : Maurice, l’un des croupiers les plus estimés des tables de roulette.

– Qu’est-ce qu’il y a ? cria Juve, qui, rien qu’à l’attitude de l’individu, soupçonnait encore quelque chose d’extraordinaire. Que se passe-t-il ?

Le croupier, qui ne connaissait pas Juve, bouscula presque le policier pour pénétrer dans le cabinet de M. de Vaugreland.

– M. le directeur ? Où est M. le directeur ?

– Quoi ? me voilà, qu’est-ce qu’il y a ?

Et Juve qui était revenu sur ses pas pour suivre le croupier demandait de son côté :

– Parlez donc, bon sang. Qu’est-ce que vous lui voulez au directeur ? qu’est-ce qui se passe ?

Alors d’une seule traite, le croupier annonça :

– Il se passe, monsieur, que c’est affolant. Voilà dix-sept fois de suite que le 7 sort à la table 7 de roulette. C’est à n’y rien comprendre. La banque perd tout ce qu’elle veut.

***

Le croupier, qui avait un peu retrouvé son calme, donnait à M. de Vaugreland, plus tranquille, lui aussi, les explications nécessaires :

– Monsieur le directeur, je vous assure qu’il se passe quelque chose de mystérieux, d’effroyablement mystérieux, dans les salons de jeux. Depuis dix ans que je suis ici, j’ai assisté à des séries invraisemblables, mais enfin, jamais, au grand jamais, je n’ai vu un numéro revenir avec la régularité affolante que le 7 met à sortir en ce moment.

– Question de hasard ?

– De hasard ? oui, évidemment. Il le faut bien, puisque les joueurs ne peuvent tricher à la roulette, puisqu’on ne peut même pas admettre qu’un croupier, si habile soit-il, puisse truquer un coup…

– Eh bien alors ?

– Eh bien, monsieur, que voulez-vous, c’est peut-être le hasard, en effet, mais c’est un hasard impressionnant, et c’est pourquoi j’ai tenu à vous informer, monsieur le Directeur. C’est le sept qui sort tout le temps, monsieur le Directeur, le sept. Si seulement c’était un autre numéro.

Juve protesta :

– Cela ne change rien à l’affaire ?

– Eh si, monsieur, parce que le sept, le sept, mais c’est le numéro qui avait fait gagner ce malheureux jeune homme. Ce jeune homme qui a été assassiné. Même c’est encore heureux que ce soit le sept qui sorte ainsi. Ce numéro-là maintenant, il y a peu de gens qui osent le miser. Sans ça, avec la série qu’il fait, nous aurions perdu encore bien plus, nous devrions, à l’heure qu’il est, mettre les meubles au clou et prendre des hypothèques sur les bâtiments.

***

Une heure plus tard, Juve se trouvait encore dans les salons de jeux.

Renonçant à rattraper Fandor, Juve était descendu dans la salle de jeu.

– Le sept sort d’une façon extraordinaire, s’était dit Juve, il doit y avoir une raison à cela. Et puis, franchement, il se passe trop de choses « extraordinaires », dans ce Casino, pour que je ne cherche pas à comprendre.

Et Juve se promenait dans les salons de jeux, faisant de son mieux pour passer inaperçu, surveillant la table de roulette, qu’avait signalée le croupier Maurice.

Mais le 7 ne sortait plus.

***

– Monsieur Durand ? Non, Monsieur Duval ? Ah c’est peut-être bien Monsieur Dupont ?

– C’est vous, mademoiselle, comment va ?

– Ma foi, mon cher, la santé n’est pas mauvaise. Et toi ? Cela va mieux, dis ?

– Comment, cela va mieux ? je n’ai jamais été malade.

– Non, c’est vrai, mais ça fait très bien de demander ça à ses amis. Dis donc, mon coco, tu gagnes ou tu perds ?

Louppe, qui, familièrement, venait de prendre le bras de Juve, et semblait en grande intimité avec le policier, qu’elle continuait à tutoyer, n’attendit même pas la réponse :

– Et puis tu sais, achevait-elle, c’est rigolo comme tout, c’est farce, en diable, ce pays-là. Figure-toi, mon loup, que j’ai déjà retrouvé ici des tas de connaissances ? Isabelle de Guerray est là, tu l’as vue ?

– Mais vous vous trompez, ma chère, ce n’est pas moi qui connais Mme de Guerray, c’est mon ami.

– Ah oui, le petit jeune homme ? celui qui est si taquin ? Tiens, où est-il donc ? Au fait, c’est indiscret ce que je vous demande là, monsieur Dupont. Dis donc, mon cher, veux-tu que je te présente à Isabelle ? Justement elle donne ce soir un grand dîner où on va s’amuser ferme. Et on manque d’hommes. Veux-tu que je te fasse inviter ?

– Mais vous n’y songez pas, ma petite amie. Me faire inviter chez Mme de Guerray ? Ce serait de la dernière indélicatesse de ma part. Je n’y connaîtrais personne, à ce dîner.

– Mais si, mais si. Tu y connaîtras tout le monde, au contraire. Écoute, il y aura là, d’abord, moi, et puis encore Daisy Kissmi, ça, tu sais, c’est une assurance que les vins sont bons. Daisy ne vient que dans les maisons où la cave est excellente. Et puis il y aura encore… tiens, parbleu, mon amant, le vieux, tu sais le député et puis Mario, l’amant de Kissmi. Tu n’auras l’air de rien, hein ? tu ne feras pas de gaffe ?

– Mais non, mais non.

– Alors, c’est dit, hein. Tu viens ? Attends. Isabelle était tout à l’heure à la roulette, mais je suis sûre qu’elle a un peu perdu. Elle a dû cesser de jouer… Nous la retrouverons au thé. Je vais te présenter.

– D’ailleurs, expliquait Louppe, enchantée de son idée, tu vas peut-être lui tourner la tête à Isabelle. Elle aime les gens un peu trapus. Ça ne serait pas bête, tu sais, c’est une bonne fille.


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