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La main coupée (Отрезанная рука)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 00:30

Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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22 – JE MEURS SI TU ME SUIS

Fandor marchait à grands pas dans une ville déserte.

Le journaliste réfléchissait aux incidents qui venaient de se produire, quelque peu préoccupé par le coup de force dont il venait d’assumer la responsabilité, en procédant à l’arrestation arbitraire du commandant du Skobeleff.

Soudain, au détour d’une route, Fandor qui s’était dirigé dans la direction du Casino dont il apercevait déjà au lointain les éblouissantes lumières, réprimait un geste de surprise, puis pressait le pas :

– Par exemple, s’était-il écrié, voilà encore quelqu’un que je n’attendais point, que peut-elle faire ici ?

Fandor avait aperçu, se dissimulant dans l’ombre, rasant les murs, la silhouette d’une femme élégante, jeune, fine, distinguée : la fille de Fantômas.

Étouffant le bruit de ses pas, Fandor s’était approché d’elle. Il n’était plus qu’à quelques mètres de la jeune fille, il allait l’atteindre, la saisir, l’obliger à lui parler, à lui répondre lorsque celle-ci, devinant peut-être la poursuite dont elle était l’objet, se retourna brusquement.

La fille de Fantômas aperçut une ombre dissimulée derrière elle :

– Arrêtez-vous, cria-t-elle.

Au même instant un coup de revolver, une balle sifflait aux oreilles du journaliste.

– Merci, mademoiselle, répondit Fandor. S’il vous en reste d’autres, Jérôme Fandor est à votre disposition.

Et bravement, courageusement, le journaliste reprit sa course, se rapprochant de la jeune fille qui, désormais, ne tirait plus.

Fandor allait l’atteindre, il la voyait nettement désormais, car les phares d’une automobile qui débouchait au milieu de la route l’éclairaient à pleine lumière. La fille de Fantômas était vêtue d’un complet sombre, d’une jupe trotteuse courte. Elle était coiffée d’une toque de fourrure qui parait délicieusement sa chevelure blonde et vaporeuse.

Mais comme Fandor la touchait presque, preste, légère, rapide et audacieuse aussi, la fille de Fantômas, bondissant, traversa la route, frôlant pour ainsi dire les roues de l’automobile qui passait à toute allure.

Ce fut l’affaire d’une seconde.

Une seconde, en effet, après, Fandor, aveuglé par la poussière que venait de soulever la voiture, s’essuyait les yeux, maugréant contre le véhicule :

– Satanée mécanique, jura-t-il, elle va faciliter sa fuite.

À tout hasard, Fandor traversa. Puis il avait la satisfaction, au bout de quelques instants, de revoir la silhouette élégante et jolie de la jeune fille à qui il livra une chasse effrénée.

Brusquement, Denise disparut, ayant tourné à droite, s’étant enfoncée, semblait-il, dans l’épaisseur d’un muretin surmonté d’une haie touffue.

Et Fandor comprit qu’elle venait de pénétrer dans un jardin.

Il n’hésita pas à la suivre.

Fandor, d’ailleurs, reconnaissait les lieux. Il venait d’entrer derrière la fille de Fantômas dans la villa de la demi-mondaine : Isabelle de Guerray.

– Que peut-elle avoir à faire ici ?

Mais ce n’était pas le moment de s’interroger.

Le journaliste, remettant à plus tard le soin de comprendre, poursuivait son galop à travers les allées et les massifs. Il observa, comme l’avait fait Juve dix minutes auparavant, que les appartements du rez-de-chaussée étaient plongés dans l’obscurité et que seule une pièce au premier étage paraissait éclairée.

Fandor ayant contourné la maison se trouva face à face avec la jeune fille, l’arme au poing, au clair de lune.

– Halte, dit Hélène.

Et comme Fandor refusait d’obéir, la jeune fille tira deux coups de revolver.

Le journaliste n’avait même pas baissé la tête. Il avait compris que la fille de Fantômas voulait simplement l’effrayer et tirait en l’air.

– Écoutez-moi, dit Fandor.

– Halte, dit la jeune fille.

Puis elle ajouta d’une voix presque suppliante :

– Fuyez. Un instant de plus ici et vous êtes à la merci de Fantômas.

La jeune fille reprit sa course folle, refit le tour de la maison, franchit la grille du jardin, se retrouva sur le boulevard.

Fandor l’avait perdue de vue un instant, mais il la rattrapa.

À l’extrémité du boulevard, la fille de Fantômas tournait à gauche et comme elle voyait Fandor qui la suivait, elle tira encore.

Le journaliste frémit cette fois, le coup de feu avait été tiré de très près et il s’étonnait presque, étant données les qualités de tireuse qu’il connaissait à la fille du bandit, de ne point tomber baigné dans son sang.

Cette fois Denise semblait avoir assez de la lutte.

Elle s’arrêta, croisant les bras sur sa poitrine. À la lueur d’une lampe électrique qui éclairait faiblement le boulevard, elle considéra le journaliste :

– Que me voulez-vous ?

Fandor, poliment, s’inclina devant elle :

– Il est dangereux pour une jeune personne, même pour une personne aussi téméraire que vous, d’errer seule dans les rues à cette heure de la nuit. Tout à l’heure, vous avez failli vous faire écraser par une automobile et vous pénétrez dans les villas privées, avec – permettez-moi de vous le dire – un sans-gêne et une inconséquence qui pourraient vous valoir une fâcheuse réception.

Tandis que Jérôme Fandor parlait, la fille de Fantômas, dont la poitrine palpitait, regardait fixement le journaliste.

– Aucun doute, fit-elle, vous êtes brave.

– Brave ? interrogea Fandor, profondément étonné en apparence, pourquoi donc ?

– Vous avez essuyé sans frémir plusieurs coups de feu. Il y a une minute à peine, j’ai tiré sur vous, à bout portant. Vous ne vous êtes pas écarté d’une ligne de votre chemin.

– Bah, fit Fandor, on ne meurt qu’une fois et mourir de votre main serait une mort glorieuse. Je n’ai d’ailleurs pas à me prévaloir de courage, vous avez tiré en l’air, je l’ai vu, une fois, deux fois.

– Mais la troisième ? interrompit la fille de Fantômas.

– J’ai pensé, avoua Fandor, que vous recommenceriez.

Le journaliste regarda la jeune fille à son tour.

Celle-ci paraissait toute troublée, une vive rougeur lui montait aux pommettes. Elle eut un regard d’une infinie douceur pour Fandor, lorsque soudain, elle tressaillit tandis que le journaliste prêtait l’oreille.

On entendait des bruits, des pas précipités, le ronflement d’une automobile, des appels de corne.

Toute tremblante, la fille de Fantômas prit le bras de Fandor :

– Vous êtes perdu. Nous sommes perdus tous les deux. Il s’est aperçu que nous étions là, il est à nos trousses.

– Fantômas nous poursuit, s’écria Fandor, soit, je l’attends de pied ferme.

Avec une vigueur que l’on n’aurait pas soupçonnée de l’apparence frêle de la jeune fille, celle-ci avait pris le journaliste par la main et l’entraînait malgré sa volonté.

– Il ne faut pas, je ne veux pas que vous vous rencontriez avec Fantômas, il vous abattrait comme un chien.

– Ou c’est moi, répliquait Fandor, qui l’étendrais raide mort.

La jeune fille réprimait un cri d’angoisse.

– Je ne veux ni l’un ni l’autre. Au surplus, est-ce bien Fantômas qui vous poursuit ? Venez, il le faut, je le veux.

Fandor et la jeune fille avaient à peine fait quelques mètres dans l’obscurité, que soudain, ils s’apercevaient que la rue dans laquelle ils s’étaient engagés était une voie sans issue.

De trois côtés, de hauts murs empêchaient toute fuite. Il fallait ou rester là ou rebrousser chemin.

Ils hésitèrent un instant, cherchant machinalement une cachette, car Fandor, troublé par les mystères dont il ne comprenait point l’importance, se rendait compte que peut-être la jeune fille avait raison et qu’il importait dans leur intérêt commun de n’être pas découverts.

Au surplus, les bruits de voix des gens qui s’acharnaient sur leurs traces, éloignés d’abord, se rapprochaient, venaient dans leur direction.

La fille de Fantômas, soudain, avisa une énorme plaque de fer au ras du sol.

La jeune fille se baissa vivement, s’efforça d’en soulever un côté et, soudain, elle poussa un cri de joie, sa tentative était couronnée de succès. Cette plaque de fer recouvrait une sorte de petit escalier dont les marches descendaient dans le noir. C’était une ouverture ménagée pour permettre l’accès aux égouts, vraisemblablement creusés depuis peu de temps dans cette partie encore neuve de la ville.

Fandor et la fille de Fantômas s’introduisirent rapidement dans cette cachette, refermant sur eux la plaque de fer et, dans ce réduit obscur et froid, se touchant, ils attendaient, anxieux.

Les deux jeunes gens n’avaient eu que le temps de se dissimuler.

L’instant d’après, ils entendaient rouler au-dessus de leurs têtes l’automobile mystérieuse dont la poursuite les menaçait. Puis la voiture s’arrêta, quelqu’un descendit. Ils entendirent vaguement une conversation.

On les cherchait. Si les poursuivants s’avisaient de soulever cette plaque de fer…

Mais au bout de quelques secondes d’émotion, ils reprirent confiance et courage.

Ils entendirent, en effet, l’automobile tourner, le mécanicien passer ses changements de vitesses. Peu à peu les ronflements du moteur s’atténuaient.

La voiture était partie, mais quelqu’un restait-il à proximité pour les épier, pour les surprendre au bon moment ?

Pendant près d’un quart d’heure, ils demeurèrent immobiles, retenant leur souffle, écoutant.

Toujours aucun bruit. Fandor le premier décida de sortir de la cachette.

Lentement, il souleva la plaque, passa la tête, regarda autour de lui.

Ne voyant rien, le journaliste s’enhardit, remonta l’escalier, offrant la main à la fille de Fantômas qui d’ailleurs n’hésita pas à la prendre.

Les deux jeunes gens étaient revenus à la surface du sol.

– Pour vous, mademoiselle, dit Fandor, j’ai consenti à me dissimuler. Mais peut-être ai-je perdu une belle occasion de m’emparer de Fantômas.

– Fantômas, qui nous prouve que c’était lui et pourquoi ne serait-ce pas Juve ou quelque autre policier ? dit la jeune fille.

– Juve, s’écria Fandor, mais j’imagine qu’il doit être encore au Casino : qu’il poursuit son enquête sur l’assassinat de Louis Meynan.

La fille de Fantômas parut atterrée.

– Louis Meynan, s’écria-t-elle, est mort ?

– Il est mort, répliqua Fandor, c’est le dernier crime de Fantômas. Le plus récent du moins.

– Le plus récent, puissiez-vous dire vrai.

– Vous savez quelque chose ?

– Peut-être, avoua la fille de Fantômas.

Puis, soudain, son visage redevint dur et elle ajouta :

– Et si cet autre crime s’est produit, la responsabilité vous en incombera.

– Pourquoi ?

– J’allais peut-être empêcher un malheur d’arriver lorsque vous vous êtes jeté à mes trousses.

– Il fallait me le dire, s’écria Fandor, je vous aurais aidée.

La fille de Fantômas eut un amer sourire :

– Vous m’auriez aidée, sans doute, c’est possible, mais il ne fallait pas que vous sachiez. Il ne fallait pas que vous puissiez approcher du coupable, cela, jamais, non jamais je ne vous le faciliterai.

– Ah, gémit Fandor, c’est encore Fantômas qui a tué. Toujours Fantômas.

La jeune fille ne répliqua rien. Elle paraissait trop émue.

Après un silence, elle ajouta pourtant :

– Fantômas n’est pas le seul suspect à vos yeux, et surtout aux yeux de vos amis.

– C’est vrai, répandit pensivement Fandor, je sais que certains vous soupçonnent.

– Il ne s’agit pas de moi. Je compte si peu et je saurai toujours me tirer d’affaire. Mon sort n’est pas intéressant ou du moins il ne doit pas vous intéresser. Celui dont j’ai voulu vous parler, c’est Ivan Ivanovitch.

– Mais je puis vous certifier qu’Ivan Ivanovitch – en admettant qu’il ait été coupable, ce dont je doute – n’a pu commettre aucun crime ce soir.

– Et pourquoi cela ?

– Parce qu’il est mon prisonnier.

– Vous perdez la tête, Fandor, c’est impossible.

– C’est tellement vrai, déclara le journaliste, qu’il y a une heure à peine, au moment précis où je vous rencontrais, je sortais de la tanière de Bouzille, à quelque cent mètres d’ici et que je venais d’y laisser, dans cette tanière, Ivan Ivanovitch ligoté de mes propres mains et sous la garde du chemineau.

Celle qui dans la famille Héberlauf s’était fait connaître sous le nom de Denise, à la déclaration que lui faisait Fandor, ouvrit des yeux de plus en plus ébahis :

– Est-ce vrai, Fandor ? est-ce vrai ? jurez-le moi, fit-elle.

Et comme le journaliste le réaffirmait :

– Bravo, laissa échapper la fille de Fantômas, ce que vous avez fait là est superbe.

Mais elle ajoutait aussitôt :

– Il faut le relâcher. Allez le remettre en liberté. Dépêchez-vous.

– Mais pourquoi donc faut-il que je lâche Ivan Ivanovitch ? Avez-vous des raisons d’avoir peur pour lui ?

La fille de Fantômas se rapprocha de Fandor, elle lui parla de près, de tout près :

– Il ne faut pas qu’Ivan Ivanovitch soit trouvé par Juve. Ce serait épouvantable.

– Pourquoi ?

– Parce que Juve le tuerait.

Fandor, interloqué, ne trouva rien à répondre. Cependant que la fille de Fantômas poursuivait :

– C’est bien Ivan Ivanovitch que vous avez fait prisonnier ? le commandant du Skobeleff, celui-là même que vous avez rencontré dans les jardins du Casino, qui vous a fait, ces jours derniers, appréhender par les marins de sa baleinière ?

– Mais, dame, évidemment.

La jeune fille posa encore quelques questions, puis, voyant Fandor de plus en plus convaincu de l’exactitude de ses dires, elle poussa un soupir de satisfaction.

– Vous avez raison, fit-elle, et je suis folle de m’inquiéter ainsi. Cet officier peut rester votre prisonnier et même si Juve s’en empare, il ne lui arrivera pas de mal.

– Mademoiselle, supplia Fandor, expliquez-vous, je ne comprends rien à vos énigmes.

Mais le journaliste n’obtint aucune réponse, la jeune fille désormais se renferma dans un mutisme absolu.

Et soudain, une idée, une idée extraordinaire germa dans l’esprit de Fandor.

Existait-il, par hasard, deux Ivan Ivanovitch ?

L’un qui aurait été le réel, le vrai officier, commandant le Skobeleff, l’autre qui aurait été un faux Ivan, Fantômas lui ayant emprunté son apparence, sa personnalité ?

Dans ce cas, l’attitude de la jeune fille s’expliquait.

Fandor échafaudait cette théorie sans, d’ailleurs y croire énormément. Il allait néanmoins en faire part à la jeune fille, lorsque celle-ci, brusquement, s’écarta de lui.

– Adieu, monsieur, fit-elle simplement.

– Ah non, s’écria Fandor, vous ne partirez pas. Je ne dois pas vous laisser partir, où que vous alliez je vous suivrai, car rien au monde ne pourrait m’empêcher…

La jeune fille, qui venait de s’écarter de quelques pas, se rapprocha du journaliste. Son visage exprimait une froide résolution :

– Quelque chose vous empêchera de continuer à me suivre, quoi que vous en disiez.

– Quoi ?

– La mort, dit la fille de Fantômas.

– Il ne tient qu’à vous, mademoiselle, de me tuer, vous avez une arme, et je ne me servirai pas de la mienne pour vous combattre.

– Je ne tue pas, monsieur, vous n’avez rien à craindre pour vous, mais écoutez-moi bien…

La fille de Fantômas à ce moment porta la main à ses lèvres et sembla introduire dans sa bouche une petite boule, un bonbon.

Ayant, sans hâte, fait ce geste, elle poursuivit :

– C’est, déclara-elle, une ampoule de verre. Cette ampoule contient un poison immédiatement mortel. Maintenant que vous êtes prévenu, deux choses peuvent se passer : ou vous ne ferez pas un mouvement, un pas, un geste avant cinq minutes, montre en main, auquel cas je disparaîtrai sans que vous puissiez me rejoindre. Ou vous esquisserez le plus léger mouvement, et, sans me retourner, sans vous adresser la parole, sans esquisser la moindre supplication ou prière, je briserai cette ampoule de verre entre mes dents et je tomberai pour ne plus me relever. Vous m’avez bien comprise, n’est-ce pas, monsieur Fandor. À vous de décider du sort de la fille de Fantômas, du sort de celle…

La jeune fille n’acheva pas sa phrase.

Gravement elle salua le journaliste d’une légère inclinaison de la tête, puis, tournant les talons, partit d’un pas tranquille.

Fandor terrifié, certain que l’audacieuse petite personne n’hésiterait pas une seconde à mettre son projet à exécution, observa une rigoureuse immobilité, paralysé par la surprise et l’émotion.

– La fille de Fantômas, celle qui… se répétait Fandor. Peut-être a-t-elle voulu dire, celle qui vous aimait, qui vous aime.

23 – LE DIABLE REND VISITE

– Monsieur le directeur ?

– Quoi ?

– Quelqu’un demande à vous parler…

– Quelqu’un me demande ? Je n’y suis pas.

– Monsieur le directeur m’excusera, mais monsieur le directeur a tort de ne pas vouloir recevoir cette personne, d’ailleurs elle a bien insisté.

– Mais qui est-ce donc ?

– Monsieur le directeur, ce visiteur m’a donné cette lettre.

– Donnez.

M. de Vaugreland venait d’interrompre l’huissier dans la description qu’il commençait, il tendit la main, se saisit de l’enveloppe.

– Ce monsieur vous a-t-il dit que c’était pour moi ? pour moi personnellement ?

– Oui, monsieur le directeur.

– C’est bien, attendez.

Avec un petit soupir de résignation et de fatigue, M. de Vaugreland se décida :

Il prit sur son bureau un coupe papier d’argent, il le glissa dans l’enveloppe, il ouvrit celle-ci :

– Qui diable peut m’écrire ? murmura-t-il.

M. de Vaugreland du bout de ses doigts tira de l’enveloppe une feuille de papier à lettre.

– Lui, bégaya le directeur du Casino, blême soudain, ce n’est pas possible. Je suis victime d’une plaisanterie. Ah, ce serait épouvantable.

– Faut-il faire entrer ce monsieur ?

– Non, non, grands dieux non.

– Alors, il faut le flanquer à la porte ?

– Vous êtes fou ? Ne faites surtout pas ça.

– Mais s’il ne faut ni le recevoir, ni le flanquer à la porte, monsieur le directeur, qu’est-ce qu’il faut faire ?

– Mais…

– Permettez, monsieur le directeur, recommença l’huissier, c’est peut-être qu’il faudrait envoyer ce monsieur au secrétariat ?

– Au secré…

M. de Vaugreland n’acheva pas.

Tout le temps qu’avait duré cette courte scène, l’huissier était demeuré sur le pas de la porte, prêt à aller chercher le visiteur. Or, la porte venait de s’ouvrir dans son dos. Et pendant que l’huissier, heurté par le battant, trébuchait, un homme entrait, qui, le chapeau à la main, s’inclinait fort correctement.

– Monsieur le directeur, disait-il, je suis au regret de forcer l’accès de votre cabinet mais il me semble que vous deviez hésiter à me recevoir ? Et, je vous l’assure, la visite que je vous fais est de la plus haute importance. Je viens vous rendre un grand service.

L’inconnu, tout en parlant, avec l’aisance parfaite de l’homme du monde, s’était approché du bureau. Il jeta d’un geste aisé son chapeau et ses gants sur un fauteuil, puis releva les pans de sa jaquette, se renversa sur un pouf et du ton le plus naturel demanda :

– Voulez-vous que nous causions, Vaugreland ? Oui ? alors faites-moi donc le plaisir d’ordonner à votre huissier de se retirer. Les choses que nous avons à traiter ne regardent que vous et moi.

L’inconnu parlait avec une telle autorité qu’il semblait plutôt donner des ordres qu’en solliciter.

Ne comprenant rien à se qui se passait, l’huissier s’effaça. On entendit retomber sur lui, avec un claquement sourd, les portes rembourrées.

– Causons. Une première question. Vous êtes bien persuadé, n’est-il pas vrai de mon identité ? Vous saviez sans doute que j’étais dans la Principauté ? Vous attendiez ma visite ? Répondez-moi donc, cher monsieur ? Vous faites une mine, à la vérité, bien peu engageante. On dirait presque que je vous fais peur ?

– Mais !… mais !… vous ?… vous !… ah !… par pitié ?… ne me tuez pas !… que désirez-vous ?

– Là, calmez-vous donc. Que diable, suis-je si terrible à voir ? Je me suis pourtant, jusqu’à présent, je vous assure, fort bien conduit à votre égard… Et si je suis ici, c’est pour vous rendre un service, je le répète.

– Un service ?

– Oui, un service important.

– Je ne comprends pas.

– Évidemment que vous ne me comprenez pas. Le moyen de vous en vouloir, d’ailleurs ? Je me rends parfaitement compte qu’il peut vous sembler bizarre au premier abord de recevoir ma visite, de vous dire que vous êtes en présence de Fantômas et que Fantômas vient vous rendre un service. Et pourtant, cela est.

– Mais vous êtes donc bien Fantômas ?

– Parfaitement.

– Mais que voulez-vous ?

– Pas si vite. Avant de vous dire, cher monsieur, ce que je veux de vous, il faut que je vous dise ce que je viens de faire pour vous. Donnant donnant. J’ai un tout petit service à vous demander en échange de quoi vous allez me devoir des actions de grâce. Tenez, reconnaissez-vous ceci ?

Fantômas qui avait repris son ton calme et parlait du bout des lèvres, ayant l’air de plaisanter, tira du gousset de son gilet une petite clef qu’il jeta sur le buvard, devant M. de Vaugreland.

– Reconnaissez-vous ceci ?… Oui ?… C’est la clef des caves du Casino, n’est-ce pas ? C’est la clef qui a été volée à votre malheureux caissier : Louis Meynan ? Allons, restez tranquille, ne faites pas de sottises. N’essayez pas de sonner, je suis ici avec les meilleures intentions du monde, mais si vous m’occasionniez quelques désagréments, je n’hésiterais pas à vous réduire au silence. C’est compris ? oui ? Alors causons encore.

M. de Vaugreland subjugué, répondit simplement au gentleman d’une quarantaine d’années, fort élégant, d’une parfaite distinction :

– Causons.

– Donc je vous rapporte cette petite clef. Demandez-vous pourquoi. Écoutez. Il y a quinze jours, horrible assassinat de Norbert du Rand. Télégramme à Paris. Arrivée ici de Juve et de Fandor. Là, parole de bandit, vous avez frôlé la mort, monsieur le directeur.

– Mon Dieu, mon Dieu…

– Bah, je me rends compte que vous n’aviez pas réfléchi, Vaugreland, je vous pardonne. Malheureusement, depuis, pour tout ce qui est arrivé, Juve et Fandor ont conclu que c’était moi le coupable. C’est énervant à la fin.

– Mais…

– Ne m’interrompez pas, mon nom de Fantômas, bien sûr, évoque aventures, mais, enfin, comme tout le monde, on a besoin d’un peu de calme de temps en temps. J’étais venu me reposer à Monaco, voilà que Juve et Fandor viennent m’y relancer.

– Mais…

– Laissez-moi parler, à la fin. J’en viens à notre marché, monsieur le directeur. Donnant donnant. Je vous restitue la clef sans laquelle vous seriez bien empêché d’ouvrir le Casino ce soir, – c’est un service considérable – et vous, de votre côté, vous décidez Juve et Fandor à quitter la Principauté. Qu’ils partent pour Paris, au diable, où vous voudrez. Mais qu’ils me laissent en paix ici. Car, je vous le répète, je suis « en vacances ». Sommes-nous d’accord ?

– Je… je… je ne sais que vous répondre.

– Pourtant ?

– Vont-ils vouloir partir ? S’ils partent, le scandale va continuer ? Il faut que l’assassin…

Le gentleman avait éclaté de rire :

– Rassurez-vous, monsieur le Directeur. Pour votre tranquillité, l’assassin doit être arrêté. Il le faut pour la Société des Bains de Mer… Voyons, ce n’est pas le départ de Fandor et de Juve qui peut empêcher l’heureuse issue de cette affaire ? Voyons, cher monsieur de Vaugreland, voulez-vous faire ce que je vous dis ? Voulez-vous suivre mes conseils ? Je me propose de rendre la tranquillité à Monaco. Je vous assure que je me propose de le faire sans appeler à l’aide ou Juve ou Fandor. Êtes-vous disposé à écouter mes avis ?

– Sans doute, mais…

– Bon. Combien, d’après vous le Casino donnerait-il pour être entièrement délivré du personnage inconnu qui le met à feu et à sang ?

M. de Vaugreland n’hésita pas une seconde :

– Oh, le casino donnerait une fortune pour rétablir le calme. Je mets bien volontiers cinq cent mille francs à la disposition de qui arrêtera le coupable.

– Ne vous emballez pas.

Fantômas se leva, Il se promena de long en large puis il revint auprès de M. de Vaugreland, s’appuya au bureau et, le regardant dans le blanc des yeux :

– Voyons, nous avons assez perdu de temps. En conclusion : Secret absolu sous peine de mort. Ensuite vous allez immédiatement commencer à persuader à Juve et à Fandor de retourner à Paris. Je vous accorde cinq jours pour les y décider. Enfin, puisque vous êtes disposé à payer cinq cent mille francs afin d’obtenir la tranquillité dans Monaco vous allez, immédiatement, et de votre plus belle écriture, donner l’ordre à l’un de vos caissiers de mettre sous enveloppe une liasse de cinq cents billets de mille francs. Cette liasse vous la ferez porter, sans aucune explication, à l’officier russe commandant le Skobeleff, à Ivan Ivanovitch.

– À Ivan Ivanovitch, mais que voulez-vous dire ?

– Rien, monsieur le directeur, rien. Ne cherchez pas à comprendre. Faites ce que je vous dis et, croyez-moi… tout ira désormais le mieux du monde.

– Mais enfin…

– Non, pas un mot.

Puis, comme M. de Vaugreland demeurait muet de stupéfaction, Fantômas se hâtait d’ajouter :

– N’imaginez rien, même, n’essayez point de comprendre. Faites remettre cet argent à Ivan Ivanovitch et vous verrez que cet officier, misérable et miséreux, s’empressera de lever l’ancre et de repartir vers son pays, vous verrez. Et ne vous effrayez plus, cher monsieur, si quelque jour je vous fais passer ma carte. Ce serait tout bonnement que j’aurais une communication intéressante à vous faire et non point, croyez-le bien, que je redeviendrais le bandit que l’on a connu.

Dans un éclat de rire diabolique, Fantômas ajouta :

– Parbleu, monsieur de Vaugreland, si vous n’étiez pas si timide, vous marqueriez d’une croix blanche cette journée où Fantômas devient un peu votre associé.


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