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La main coupée (Отрезанная рука)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 00:30

Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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27 – DANS LE VIDE

– C’est vous, monsieur Juve ?

– Oui, M. de Vaugreland, c’est moi. Vous m’avez fait appeler ?

– En effet, je désirais vous entretenir. Prenez un siège.

M. de Vaugreland semblait avoir retrouvé une assurance qu’il était loin d’avoir possédée depuis un mois. Ce n’était plus l’homme accablé, anéanti, que Juve avait longtemps connu, ce n’était plus le directeur qui n’osait donner un ordre, exprimer seulement un désir, c’était tout au contraire un chef, qui recevait le policier.

Que voulait dire ce changement ?

Juve était à cent lieues de s’en douter, mais sa tranquille philosophie n’était pas prête à s’émouvoir d’un changement d’attitude de la part d’un quidam dont, en somme, l’opinion lui importait peu. Juve, qui se rendait parfaitement compte de la nature de l’accueil qui lui était fait, s’assit donc fort tranquille dans l’un des fauteuils qui se trouvaient devant le bureau directorial et attendit que M. de Vaugreland voulût bien lui faire part de la communication qu’il avait à lui faire.

– M. Juve, vous rendez-vous bien compte de la marche des événements ?

– Dame, il me semble, répondit Juve.

– Alors, que comptez-vous faire ?

– Comment ce que je compte faire ?

– Je veux dire, cher monsieur – et M. de Vaugreland haussait la voix pour donner plus de poids à ses paroles – que je serais fort heureux d’apprendre si vous avez un nouveau plan d’enquête ?

– Un nouveau plan d’enquête ?

– Oui. Si vous avez décidé, en d’autres termes, d’agir un peu plus habilement que vous ne l’avez fait jusqu’ici ?

– Cher monsieur, vous me demandez si j’ai l’intention d’agir plus habilement que par le passé ? Hé, je ne crois pas avoir été si maladroit.

Mais Juve n’eut pas le temps d’achever.

Ce n’était plus un mouton que Juve avait devant lui, mais un mouton enragé.

M. de Vaugreland tapa un coup de poing formidable sur le bord de son bureau :

– Vraiment ? hurla-t-il, vous trouvez que vous n’avez pas été maladroit ? Ma parole, monsieur Juve, je me demande si vous avez bien réfléchi à tout ce qui s’est passé ici depuis un mois ?

– Ne jurez pas, monsieur de Vaugreland. Je vous certifie que j’y ai parfaitement réfléchi.

– Et ce sont ces réflexions qui vous ont amené à trouver que vous n’étiez pas maladroit ?

– Absolument, M. de Vaugreland.

– Eh bien, vous en avez de bonnes.

Juve, à son tour, donna quelques signes d’impatience :

– Il est possible que j’en aie de bonnes, en effet, mais tout de même, monsieur de Vaugreland, je voudrais savoir ce qui vous fait parler ainsi ?

M. de Vaugreland se leva. Il joignit les mains… puis, après cette mimique muette, il reprit :

– Mais tout, monsieur Juve, tout, sans exception.

Et comme, sur la figure de Juve, une expression de stupéfaction se peignait, M. de Vaugreland poursuivit :

– Réfléchissez donc, que diable. Comment, il se passe ici un crime mystérieux, l’assassinat de Norbert du Rand. Pour éclaircir cet assassinat, j’écris à la Sûreté de Paris et je la prie de m’envoyer un inspecteur habile…

– Sur quoi la Sûreté de Paris m’a envoyé.

– Justement ! et l’on vous expédie ici. Or, je vous le demande, depuis votre arrivée, que s’est-il passé ? Un sénateur a été tué. Mon caissier a été tué. La maîtresse de mon caissier a été tuée. Enfin, les scandales se sont multipliés à tel point que la Principauté devient un repaire de criminels. Voilà ce que m’a valu votre arrivée, monsieur Juve. Ai-je le droit d’être satisfait ? suis-je fondé à penser que vous n’êtes pas de taille à éclaircir ce que l’on appelle déjà « les Mystères du Casino » ?

Juve gardait un sourire au bord des lèvres.

« Pourquoi, diable, se demandait le policier, M. de Vaugreland me fait-il cette scène stupide et déplacée ? Il y a deux jours, il ne jurait encore que par moi. Qui a pu me démolir dans son esprit ?

Mais à cette question qu’il se posait, Juve ne trouvait pas de réponse…

Et, en effet, Juve, quelle que fût la puissance de ses qualités policières, ne pouvait imaginer que l’attitude à son endroit du directeur de la Société des Bains, provenait tout bonnement de la visite récente que Fantômas avait osé faire à M. de Vaugreland. Allez inventer ça.

Toutefois, il fallait répondre quelque chose au directeur.

– Ma foi, monsieur, déclara toujours très tranquillement Juve, il est de fait que depuis que je suis à Monaco, depuis que nous sommes à Monaco, plutôt, mon ami Fandor et moi, les scandales se sont multipliés. Mais il me semble que vous oubliez que mon intervention n’a pas toujours été inutile ?

– Rappelez-moi donc les services rendus ?

– Très volontiers. Avez-vous perdu souvenir de certain truc que j’expliquais relativement à votre table de roulette, où le 7 sortait avec une régularité ruineuse pour la banque ? Je crois que ce jour-là, monsieur de Vaugreland…

– Ce jour-là, répondit M. de Vaugreland, vous vous êtes conduit comme le dernier des maladroits. Vous avez fait preuve d’une incapacité absolue. Il y avait truquage, c’est entendu. Était-il bien nécessaire de le crier sur les toits comme vous l’avez fait ? Tenez, vous auriez voulu nuire au Casino que vous n’auriez pas agi autrement.

Juve, cette fois, ne répondait pas.

Il savait bien, l’excellent Juve, que ces reproches de M. de Vaugreland n’étaient pas fondés.

Les crimes s’étaient multipliés, c’est vrai, mais le policier était sûr d’avoir, par sa seule présence, empêché d’autres crimes.

Et puis, enfin, ces meurtres mystérieux, c’était lui qui les avait expliqués.

C’était lui qui avait découvert la façon dont Louis Meynan avait été tué, lui encore qui avait reconstitué l’assassinat d’Isabelle de Guerray.

Et tout cela allait conduire, sans doute très prochainement à l’arrestation des coupables.

Dès lors, pourquoi M. de Vaugreland fulminait-il ?

« Il est furieux, se disait Juve, mais ce n’est pas naturel, qui diable a pu l’exciter ? Il faut que je l’asticote à mon tour.

Et Juve, tout bonnement, comme M. de Vaugreland finissait de parler, se décidait à interroger à son tour :

– Ah çà, où diable voulez-vous en venir ? j’imagine bien que vous ne m’avez pas convoqué uniquement pour me laver la tête ? Alors ? parlez franchement, que voulez-vous ?

– Où je veux en venir ? à ceci : que si dans quarante-huit heures l’assassin n’est pas sous les verrous, parbleu, j’en aurai beaucoup de regret, mais je ne pourrai pas hésiter. J’écrirai de nouveau à la Sûreté de Paris et je demanderai que l’on m’envoie un de vos collègues. Vous serez libre, vous, monsieur Juve, vous et votre ami, votre extraordinaire secrétaire, de vous désintéresser de l’affaire.

– En somme, déclarait Juve, c’est un ultimatum que vous me posez, monsieur de Vaugreland ? À votre avis, il faut, ou que j’arrête le coupable dans les quarante-huit heures, ou que je m’en aille ?

– Oui, c’est ça.

– Eh bien, malheureusement, monsieur le directeur, je crois que votre ultimatum restera sans effet. D’abord, et ceci dit sans vous offenser, permettez-moi de vous rappeler que ne suis nullement à vos ordres et que par conséquent, quand même vous me diriez de m’en aller, je serais parfaitement libre de rester. Ensuite, songez bien qu’il n’y a pas de policier au monde qui puisse s’engager à arrêter un assassin, quel qu’il soit, dans un délai de quarante-huit heures. Ce coupable, je puis l’appréhender dans dix minutes, dans dix jours ou dans dix ans, nul ne le sait, et moi, moins encore que personne. Enfin, monsieur de Vaugreland, songez bien encore que si à l’arrivée de votre dépêche, on m’a envoyé, moi, Juve, à Monaco vous joindre et vous aider, c’est qu’à la Préfecture on a estimé que j’étais seul capable d’arrêter l’assassin de Norbert du Rand. Supposez-vous véritablement, maintenant, qu’un seul télégramme de vous puisse faire changer d’avis mes chefs ? Non, monsieur le directeur, votre ultimatum n’offre aucun intérêt. Je ne sais pas pourquoi vous essayez de vous débarrasser de moi, mais je dois vous prévenir que vous n’y arriverez pas aussi facilement que vous semblez le croire.

Et tout en parlant, Juve continuait à sourire, point trop fâché, somme toute, d’avoir eu l’occasion de remettre à sa place, un peu vigoureusement peut-être, le vaniteux directeur de la Société des Bains.

Juve était même très content de la leçon donnée à M. de Vaugreland, lorsque la porte du cabinet directorial s’ouvrit.

C’était un huissier qui pénétrait dans la pièce, il avait vainement frappé, ni Juve, ni M. de Vaugreland n’avaient entendu son appel, tant ils étaient occupés par leur propre discussion :

– Que voulez-vous ? demanda M. de Vaugreland…

– Vous remettre une dépêche urgente, monsieur le directeur. C’est le sémaphore qui vient de la faire porter, avec prière de vous la remettre immédiatement.

– Bien, passez-moi ça.

M. de Vaugreland qui, dans son for intérieur, était très satisfait de n’avoir point de réponse immédiate à faire à Juve, décacheta vivement le télégramme, y jeta les yeux.

Or, tandis qu’il lisait le texte de la dépêche, M. de Vaugreland, qui était un brave homme, ne pouvait s’empêcher de frémir. Juve le voyait pâlir un peu, et, lui aussi, oublia ses ressentiments pour s’informer d’une voix soudain alarmée :

– Pas de fâcheuse nouvelle, j’espère ? Il ne s’agit pas…

Sans précautions oratoires, M. de Vaugreland qui achevait de déchiffrer le télégramme, répondit :

– Il s’agit de votre ami Fandor. Ah, c’est abominable. Lisez, monsieur Juve, lisez vite. Si je comprends bien, on serait en train de l’assassiner.

Il s’agissait de Fandor.

Juve arracha le télégramme, y jeta un coup d’œil. Ce télégramme était presque incompréhensible :

« Du croiseur Skobeleff où je me trouve, je crois urgent de signaler à la direction du Casino de Monaco pour quelle en avertisse qui de droit et spécialement le policier Juve, des faits suivants : actuellement, à la pointe nord de la falaise, on aperçoit de mon bord un homme qui semble être suspendu dans le vide au bout d’une corde et qui, assurément, court les plus grands dangers. Autant qu’il a été possible d’observer les événements, étant donnée la grande distance où nous nous trouvons, il a semblé à l’officier de quart qui m’en a fait rapport que l’individu qui est ainsi suspendu dans le vide a été attaché là de force par une bande de rôdeurs aux accoutrements inquiétants. Il est impossible du Skobeleff de distinguer exactement les traits de l’homme ainsi en danger de mort, mais toutefois il peut être intéressant de signaler que sa silhouette paraît être celle du journaliste Jérôme Fandor. Je câble ces détails par télégraphie sans fil et signe de mon nom et de mes qualités.

Ivan Ivanovitch, Commandant du Skobeleff.

Était-ce possible ?

Fandor courait-il un danger épouvantable ? C’était Ivan Ivanovitch, précisément, qui faisait avertir Juve ? N’était-ce pas un piège que l’officier russe voulait tendre au policier ?

En courant au secours de Fandor, Juve n’allait-il pas tomber dans un guet-apens ?

Juve, bouleversé, relisait la dépêche, lorsque M. de Vaugreland l’interrompit :

– Eh bien ? À quoi diable pensez-vous, monsieur Juve ? Vous ne courez pas au secours de votre ami ?

Visiblement, Juve hésitait :

– Si, si, dit-il, au contraire, je me précipite.

Et tout en parlant de la sorte, Juve, qui relisait toujours le télégramme et s’étonnait de sa signature, quittait, sans se presser, le bureau de M. de Vaugreland.

Or, à peine Juve avait-il fermé sur lui la porte du cabinet directorial, à peine s’était-il engagé dans la longue galerie qui y menait, que le policier sursauta : Juve venait d’apercevoir Ivan Ivanovitch qui descendait l’escalier devant lui, sifflotant un petit air. Juve s’arrêta, changea d’idée, s’élança, pour s’arrêter aussitôt. Lui sauter au collet ? On risquait d’apprendre que rien n’empêchait le commandant en second du Skobeleff de signer du nom de son chef les radiotélégrammes expédiés du bord.

– Et puis même, se disait Juve, ai-je des preuves formelles contre lui ?

Le policier se contenta de mettre la main à la poche et d’y tâter son inséparable revolver :

– Ma foi, grommelait-il, il est à peu près certain que l’on veut m’attirer dans un guet-apens. Mais il est à peu près certain aussi que l’on s’attend à m’y voir accourir, éperdu d’effroi, volant au secours d’un de mes amis, nullement prêt à me méfier ou à me défendre. Tout cela indique assez ce que je dois faire. Si je laissais s’éloigner cet extraordinaire officier russe et si tout tranquillement je me rendais à l’endroit de la falaise que l’on me désigne ? Un homme averti en vaut deux. Qui sait ? voilà un guet-apens qui pourrait coûter cher à Ivan Ivanovitch et, n’en doutons pas, à Fantômas. Marchons.

28 – AMIS PLUS QUE JAMAIS

Même s’il s’agissait d’un complot et qu’on voulait donner exprès dans le panneau afin de mieux faire face et, comble de ruse, feindre d’être dupe, des précautions s’imposaient.

Et, réfléchissant de la sorte, Juve décida qu’il valait mieux se rendre à l’endroit désigné en passant par la grève, c’est-à-dire par le bas des rochers.

Sitôt dit, sitôt fait. Juve, sans souci des obstacles qui paralysaient sa marche, s’avança, redoublant de précautions à mesure qu’il approchait.

Le point désigné à Juve dans le radio-télégramme était le théâtre rêvé pour une embuscade, lieu désert, à l’écart des routes, négligé des curieux puisque le paysage qu’on découvrait n’était pas très différent de la vue que l’on trouvait un peu plus loin sur la route facilement accessible de la Corniche.

La falaise à cet endroit avait près de soixante mètres de haut, tombait à pic, battue par des flots du large, par gros temps, et à peine séparée des eaux par un étroit sentier taillé à même le rocher, lorsque la mer était calme. C’était sur ce sentier que Juve, hâtant sa marche de minute en minute, avançait.

Soudain, comme le policier débouchait d’une sorte de crique creusée à même les roches, il sursauta, s’arrêta, joignait les mains, puis, en une course folle, se précipitait en avant…

Juve venait, en vérité, d’apercevoir le plus affolant des spectacles.

Devant lui, à moins de cent mètres de distance, il avait vu au milieu de la falaise, à mi-hauteur, lourd fardeau perdu entre les immensités du ciel et de la mer, le corps d’un homme attaché à l’extrémité d’un long filin, que le vent paraissait ballotter en tous sens : Fandor.

Juve ne pouvait avoir aucune idée de la tentative criminelle dont Fandor avait été victime.

En ce moment, le journaliste ne courait aucun danger immédiat. À vrai dire sa situation ne présentait rien de confortable. Il devait, au bout de sa corde, souffrir les affres d’un vertige abominable, plus même, il devait être à moitié étourdi par les coups violents qu’il recevait lorsqu’il se heurtait comme un fétu de paille aux pierres de la falaise, mais il ne courait aucun risque.

« Et pourtant, songeait Juve, ce n’est pas pour rien qu’on l’a conduit ici et suspendu de la sorte.

Mais que faire pour la victime ? Comment aider Fandor à sortir de cette fâcheuse situation ? Le jeune homme était suspendu à quelque cinquante mètres au-dessus de la tête de Juve.

Ce dernier avait levé les yeux, l’angoisse au cœur, de grosses gouttes de sueur qui lui roulaient sur le front, quand il lui fallut retenir un cri d’effroi :

Sur l’extrême bord de la falaise, à vingt mètres d’où partait la corde qui maintenait le pauvre Fandor, une silhouette de femme. Juve ne distinguait pas ses traits, mais parfaitement ses mouvements : elle épaulait une carabine dont le canon bronzé étincelait au soleil. Elle épaulait, elle se disposait certainement à faire feu.

Juve comprenait : Fandor allait servir de cible. C’était une vengeance d’apaches, ça. L’un après l’autre, ils allaient faire feu sur le jeune homme. Fandor était perdu. Juve ne pouvait rien pour Fandor.

Brusquement, Juve se redressa…

– Ah, s’écria-t-il avec un accent de rage terrible, il ne sera pas dit que je n’aurai rien tenté pour sauver Fandor.

Et en même temps Juve tirait de sa poche son revolver, ajustait à son tour le personnage qui ajustait Fandor. Juve prit à peine le temps de viser. Juve lâcha les six coups de son revolver. Hélas, il avait mal calculé sa distance. La femme qui visait Fandor se trouvait hors de portée de revolver.

À peine si, aux détonations du revolver, l’inconnue qui visait Fandor avait tressailli. Juve alors se voila les yeux de ses mains. Désarmé, ne pouvant plus rien, il songea que Fandor était condamné sans retour. Allait-il donc le laisser périr sans rien faire pour adoucir son trépas ? Juve, dans l’angoisse qui l’étreignait à cette minute, trouvait les seuls mots capables de réconforter celui qui allait mourir.

– Fandor, hurla-t-il, et l’écho répéta ses paroles en les amplifiant, Fandor, je te pardonne.

Mais les paroles de Juve résonnaient encore dans le grand silence tranquille de la mer infinie et des champs solitaires qu’avec un claquement sec, une détonation avait retenti.

La femme, du haut de la falaise, ayant minutieusement assuré son coup, venait de faire feu. Fandor était mort.

Juve, qui surveillait les gestes de l’inconnue, ne comprenait point qu’elle poussât un « vivat » joyeux, qu’elle agitât les mains en signe d’allégresse. Il n’osait à peine détourner la tête pour regarder ce qui était advenu du journaliste… Tiens, la voix de Fandor ?

– Hé, Juve, criait-elle, vous êtes bien gentil de me pardonner, c’est très généreux à vous. D’autant que je n’ai rien à me reprocher. Mais fichtre de nom d’un chien, je vous serais bien plus obligé encore si vous preniez seulement la peine de venir me décrocher. J’en ai assez, moi, vous savez, de jouer les suspensions.

***

Une demi-heure plus tard, Juve et Fandor étaient réunis au sommet de la falaise, sains et saufs.

Juve, sitôt le mystérieux coup de feu parti, sitôt l’appel de Fandor entendu, s’était précipité vers une échelle disposée quelque cent mètre plus loin pour les besoins du service des douanes et, courant au flanc des rocs, il l’avait gravie, il avait atteint le sommet de la falaise. Sans difficulté alors, il avait trouvé l’arbre auquel on avait attaché la corde au bout de laquelle se balançait Fandor, il l’avait halée, cette corde, il avait remonté le journaliste attaché, pieds et poings liés. Sauvé !

De la femme qui avait fait feu sur Fandor, nulle trace.

Et Juve, maintenant, anxieusement, interrogeait le journaliste :

– Mais que t’est-il donc arrivé ? quelle était cette femme qui tirait sur toi ?

Fandor, que Juve venait de déligoter, s’étirait consciencieusement, rétablissait dans ses bras endoloris la circulation, d’abord, n’avait rien dit.

Puis, il avait tendu sa main, large ouverte, à Juve et comme le policier, en dépit de son ressentiment, y plaçait la sienne, franchement, cordialement, les deux hommes avaient échangé une étreinte.

– Mon bon Juve.

– Mon pauvre Fandor.

Mais décidément Juve ne voulait pas se laisser attendrir :

– Cette femme qui a tiré sur toi, c’était Denise ?

Or, à la question du policier, Fandor qui, en vérité, n’était jamais long à reprendre son sang-froid, se contenta de sourire :

Taquin, le journaliste s’amusait à exciter l’anxiété de Juve.

Ce n’est qu’à la troisième interrogation du policier qu’il se décida à répondre.

– Eh bien, oui, avoua Fandor, c’était Denise qui visait, la fille de Fantômas. Seulement, Juve, où vous êtes complètement loufoque, c’est quand vous accusez cette enfant d’avoir fait feu sur moi.

– Quoi ? ce n’était pas toi qu’elle ajustait ?

– Jamais de la vie, et même c’est elle qui m’a sauvé encore plus que vous.

– Ah çà.

– Mon cher Juve, tâchez de vous taire deux minutes et écoutez-moi.

Suivait le récit des aventures de Fandor, enlevé par les apaches sur l’ordre de Fantômas, et condamné à mort :

– Seulement, mon cher Juve, ces bougres-là ont des idées d’outre-monde. Au lieu de me tuer tout simplement, et c’était facile puisque je ne pouvais remuer pieds ou pattes, ils avaient inventé un supplice affolant. Oh, je ne m’en plains pas. Sans leur invention biscornue, je serais certainement de l’autre côté du Styx. Mais écoutez-moi cela : voilà ce qu’ils ont fait. Mon bon Juve, à peine étais-je pris qu’ils m’ont attaché, roulé dans un filet, au bout de la corde que vous venez si gentiment de haler. Bon. Je me voyais suspendu au bout de ce fil et ça n’avait rien d’agréable, mais après tout il y avait encore de l’espoir. Ah, ouiche, je me trompais de la belle manière. Savez-vous ce qu’ils avaient combiné ?

– Dis.

– Eh bien, Juve, ils avaient flanqué, accroché à la falaise, une énorme loupe. Cette loupe était arrangée de telle sorte – oh, je n’ai pas tardé à m’en rendre compte – qu’à un moment donné, à midi, je pense, elle devait concentrer ses rayons sur un point de la corde, et crac, j’étais précipité dans le vide. C’est d’ailleurs pour cela, entre nous, que j’imaginai de me balancer comme un possédé au bout de ma corde. Ma situation n’avait rien de gai. Ah, vous avez cru que c’était le vent qui m’agitait ainsi ? Erreur, Juve, c’était bel et bien moi qui provoquais ces bonds désordonnés, histoire de soustraire la corde à l’action de la loupe et d’éviter la culbute.

– Mais le coup de fusil, Fandor ? cette femme qui a tiré ? Cette Denise ?

– Ah, Denise ? elle vous inquiète. Eh bien, je vous le répète, c’est elle qui m’a sauvé. Tandis que j’étais en train de m’agiter comme un diable dans un bénitier, j’ai vu arriver Denise, la carabine à la main. D’où venait-elle ? comment avait-elle su le danger que je courais ? ma foi je n’en sais rien. Toujours est-il que Denise a vu ce qu’il fallait faire pour me sauver. Mon bon Juve, si vous voulez savoir la vérité, Denise ne tenait assurément pas à haler cette corde. Vous m’accusez de m’entendre avec elle ? c’est archifaux. La vérité est que Denise me fuit. Donc, comment allait-elle me sauver ? Elle n’a pas hésité. La fille de Fantômas a épaulé sa carabine juste comme vous arriviez et pan, elle a visé la loupe, elle l’a fracassée en mille morceaux, flush royale d’emblée ! Comme vous arriviez, elle me savait sauvé. Ouf.

***

Malheureusement, ce sujet de discussion épuisé, les deux hommes se retrouvèrent face à face, ayant à aborder d’autres questions, plus graves.

Certes, Juve avait volé au secours de Fandor. Certes, il avait fait tout ce qu’il était en son pouvoir pour sauver le journaliste d’une mort affreuse. Mais Juve ne pouvait oublier cependant que Fandor avait trahi, que Fandor l’avait trompé à plusieurs reprises. Et maintenant que Juve avait cédé à l’impulsion naturelle de sa vieille amitié, il se sentait réenvahi, petit à petit, par la colère qu’il nourrissait contre Fandor pour les trahisons dont il l’accusait.

Or, c’était précisément Fandor qui devait ramener ce sujet sur le tapis.

– Juve, déclara le journaliste qui, lui, tout à la joie de causer à son excellent ami, ne paraissait plus se souvenir des graves motifs de division qui existaient entre eux, Juve, il faut que je vous raconte quelque chose d’invraisemblable.

Et Fandor, le plus naïvement du monde, fit à Juve le récit stupéfiant de l’attitude qu’avait eue Ivan Ivanovitch devant lui : l’officier russe refusant une enveloppe bourrée de billets de banque que lui apportait un huissier du Casino.

– Je pense, concluait Fandor, je pense, Juve, que vous vous rendrez compte maintenant que ce n’est pas l’attitude d’un coupable ?

Mais tandis que Fandor parlait, Juve était demeuré muet d’étonnement.

Sans une exclamation, il avait écouté le récit de son ancien ami, à peine s’il retrouva la parole pour manifester sa surprise.

– Ah ça, Fandor, déclarait Juve, que me chantes-tu ? Tu as vu Ivan Ivanovitch refuser une enveloppe bourrée de billets de banque ? Mais, crédieu, moi, moi, Juve, tu m’entends bien, je l’ai précisément vu accepter une enveloppe, une enveloppe en tous points analogue à celle que tu me décris et précisément bourrée de billets de banque. Lequel de nous deux à la berlue ?

– Juve, Juve, cria-t-il vous ne pouvez pourtant pas croire que je suis une crapule ? Vous savez bien dans le fond de vous même, que je ne mens pas ? vous ne pouvez pas me refuser votre amitié ?

– Ah ! Fandor !

Juve n’ajouta rien, mais il lui ouvrit les bras, il lui ouvrit les bras grands et larges, parce qu’en vérité Fandor venait de dire les seuls mots qui pouvaient toucher Juve. Des mots contre lesquels aucun raisonnement ne pouvait prévaloir.

– Fandor.

– Juve.

– Pardonne-moi, Fandor.

– Non, vous Juve, pardonnez-moi, j’ai manqué de confiance.

– Et moi je t’ai soupçonné.

– Petit, c’est moi qui ai eu tous les torts. Tiens, je m’en accuse. Depuis que nous sommes dans cette maudite principauté de Monaco, je ne suis plus le même. J’ai joué, Fandor, je me suis laissé prendre à la griserie du jeu. Voilà ma faute.

– Et moi, Juve, j’ai été faible envers Denise, j’aimais la fille de Fantômas.

– Je te pardonne, Fandor.

– Juve, ce n’était pas votre faute.

Ces deux hommes qui, pendant dix ans, avaient affronté ensemble les périls les plus épouvantables, qui n’avaient reculé devant aucun danger, qui avaient porté aux limites les plus reculées les efforts de leurs héroïsmes, étaient timides entre eux comme des enfants.

L’attendrissement pourtant de ces natures énergiques ne pouvait durer longtemps, Fandor, impétueux, revint à la charge :

– Juve, quand vous avez vu Ivan Ivanovitch – car je ne doute pas de vous – quand vous l’avez vu accepter de l’argent, qu’avez-vous fait ?

– Je me suis précipité vers lui, Fandor, mais il a fui à la course. Je n’avais pas de preuve, je n’étais pas en état de l’arrêter, je l’ai laissé fuir.

– Et depuis ?

– Depuis, je ne l’ai pas revu. Sauf tout à l’heure.

– Écoutez, Juve, quand je vous ai dit qu’Ivan Ivanovitch était prisonnier, prisonnier dans la tanière de Bouzille, je ne vous ai pas menti. Quand je vous ai dit que j’avais vu Ivan Ivanovitch dans la galerie Sud, je ne vous ai pas menti davantage. Or, je le sais bien, vous non plus, vous ne mentiez pas en soutenant le contraire. Il faut donc que nous soyons victimes, tous les deux, de quelque chose d’incroyable. Tout notre malheur vient de ce que cette ruse, nous ne pouvons arriver à la deviner. Juve, nous n’avons qu’un moyen de tirer ces affaires au clair : ne plus nous exposer à de semblables contradictions. Il ne faut plus nous quitter. Il ne faut plus nous séparer l’un de l’autre, fût-ce une minute.

Juve qui venait d’écouter Fandor avec la plus grande attention, hochant la tête approbativement à chacune de ses paroles, tendit encore une fois sa main au journaliste :

– Viens, Fandor, tu as raison, j’ai confiance en toi, viens. Ne nous quittons plus, luttons ensemble, nous triompherons ensemble.


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