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La main coupée (Отрезанная рука)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 00:30

Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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26 – DE L’ÉVASION AU GUET-APENS

Bouzille soliloquait :

– Si tant plus que ça va, si tant plus que c’est la même chose. On a beau partir en voyage, changer de pays, passer du nord au sud, les prisons sont pareilles, elles se ressemblent toutes. Les voilà bien les mêmes murs, bâtis en pierre meulière, les toits pointus, les grandes cheminées qui montent vers le ciel et aussi les barreaux aux fenêtres qui vous enlèvent toute idée de fiche le camp. Parbleu, maintenant que nous avons franchi la porte, je suis bien certain qu’il va falloir passer dans une espèce de tourniquet, histoire d’y retourner ses poches et d’y laisser un tas de signatures.

Le brave chemineau marchait pacifiquement entre deux gardiens de la paix qui, lentement, de leurs pas paisibles de montagnards, l’avaient conduit au fort Saint-Antoine, l’unique prison de la Principauté.

Sur les ordres de Juve, Bouzille avait été confié à la police et immédiatement incarcéré.

Bouzille n’avait compris qu’une chose, c’est qu’il s’était mis dans un mauvais cas en encourant la colère de Juve, mais le bonhomme, lorsqu’il interrogeait sa conscience, était obligé de reconnaître qu’il n’y avait guère eu moyen pour lui de faire autrement. Il se serait alors attiré la haine de l’officier russe et n’aurait pas obtenu de la générosité de ce prisonnier les trois louis d’or qui tintaient joyeusement au fond de sa poche.

Certes, il allait en prison, mais cette petite fortune était une consolation.

– Allons, Bouzille, avait déclaré l’un des hommes qui le conduisaient, au moment où le petit groupe arrivait dans un bureau à l’entrée de la prison, déclinez à monsieur vos nom, prénoms et qualités, afin que l’on soit fixé sur votre identité exacte.

– Je connais ça, fit Bouzille, cela se passe ici comme à Paris. Seulement on est moins de monde et puis les bureaux ne sont pas aussi bien tenus qu’à Fresnes ou à la Santé.

Et Bouzille, d’un air méprisant, surveillait le petit employé qui, émergeant d’un réduit obscur, examinait à la lueur de la lampe fumeuse les papiers crasseux que lui tendait le prisonnier.

Il demanda ensuite aux agents en les regardant craintivement par-dessus ses lunettes :

– Vous avez un mandat d’arrêt ?

Les gardiens de la paix produisirent un document et, aussitôt, le vieil employé, hochant la tête, appuya sur un timbre qui retentit au loin, dans la sonorité des couloirs vides.

Deux gardiens apparurent à l’entrée du greffe et saluèrent.

Le vieux petit employé ordonna :

– Conduisez ce détenu, cellule 32 à la 4e division.

Les geôliers aussitôt saisirent Bouzille par l’épaule et l’entraînèrent dans les couloirs cependant que, demeurés au greffe, les agents se faisaient donner décharge de leur prisonnier.

Bouzille, nullement intimidé, avec une curiosité amusée, considérait le bâtiment qu’il allait désormais habiter pour une durée indéterminée.

De temps à autre il grommelait, lançant des coups d’œil furtifs du côté de ses geôliers pour voir s’ils étaient décidés à lier conversation :

– C’est pas mal ici. C’est chauffé, c’est tranquille, ces messieurs de la direction ont l’air très aimable.

Mais comme les geôliers ne bronchaient, pas affectant un air sévère, et pour montrer aussi qu’il venait de loin, qu’il avait beaucoup voyagé, Bouzille ajoutait, parlant à haute voix :

– C’est tout de même moins bien qu’à Paris et même qu’à Bruxelles. On dirait plutôt une maison d’arrêt de province, comme celle de Lille, d’Avignon ou de La Rochelle.

Bouzille pensa tout bas :

– Pourvu que j’aie une bonne cellule et que je ne m’ennuie pas trop.

Le chemineau n’osait espérer qu’on lui donnerait un compagnon.

Aussi, lorsque les gardiens ouvrirent la porte de la cellule 32, le chemineau poussa-t-il un cri de joie :

La cellule était à deux places et déjà quelqu’un s’y trouvait.

– Entrez là, dit le gardien. Vous serez vite jugé ici, on ne fait pas beaucoup de prévention car les malfaiteurs sont rares, heureusement, et le tribunal ne tarde pas à statuer sur leur sort. La plupart du temps on les expulse ou on les renvoie dans les prisons de France. Et tâchez de vous tenir tranquille, nous n’aimons pas le tapage.

Il ajouta, paternel et conciliant :

– Avez-vous mangé, ce soir ?

– Ma foi, dit Bouzille, j’ai bien avalé quelques radis en guise d’apéritif, mais il ne me déplairait pas de m’introduire une bonne soupe dans l’estomac.

– Il n’y a pas de soupe, fit le gardien, il y a des haricots, si vous en voulez.

– Va pour les haricots, dit Bouzille. Et il ajouta :

– C’est toujours la même chose. Les prisons c’est comme les wagons-restaurants : on ne change jamais de menu. Par exemple, c’est moins cher pour la clientèle que dans les trains de luxe.

L’un des gardiens, qui s’était éloigné pour aller chercher à Bouzille sa marmite de légumes secs, revint au bout d’un instant.

Bouzille ne s’était pas encore avancé dans la cellule.

Lorsqu’il fut en possession de son dîner et aussi de la cruche d’eau destinée à le désaltérer, deux tours de clef donnés vigoureusement lui apprirent qu’il était désormais incarcéré et dès lors Bouzille se préoccupa de lier conversation avec son compagnon :

– J’ai bien l’honneur, fit-il, de saluer monsieur et je dois dire à monsieur que je m’appelle Bouzille, des fois qu’il aurait entendu parler de moi.

L’homme, qu’interpellait ainsi le chemineau se retournait d’une pièce et Bouzille en l’apercevant poussa un cri de stupéfaction.

– Ah, par exemple, s’écria-t-il, comme on se retrouve, mais c’est le signor Mario Isolino. Vrai, ça me fait plaisir de vous revoir. Décidément, il n’y a pas comme les prisons pour y retrouver les aminches.

Le bonneteur, après avoir été surpris de cette brusque et cordiale apostrophe reconnut, lui aussi, son interlocuteur.

– Io souis bien content de vous voir, Bouzille, io souis bien content.

Le bonneteur expliqua au chemineau que depuis huit jours il se trouvait sur la paille humide du cachot, représentée d’ailleurs par un parquet bien ciré et un lit de sangle, un peu étroit, sans doute, mais propre et confortable.

Toutefois, Bouzille s’évertuait en vain à obtenir les confidences du bonneteur.

Celui-ci ne tenait pas à raconter les motifs pour lesquels il avait été incarcéré et au surplus, il paraissait tellement soucieux, qu’évidemment aucune autre idée nette et précise que celle qui le préoccupait ne pouvait alimenter son esprit :

– Mario, insista cependant Bouzille qui désormais adoptait le tutoiement, Mario, tu me caches quelque chose, jamais je ne t’ai vu aussi lugubre.

Pris d’une crainte subite, le chemineau demanda :

– Est-ce que par hasard les gens d’ici sont sévères ou désagréables ? Est-ce qu’on vous fait des misères ?

– Io souis ici comme le coq dedans la pâte. Io souis plus heureux qu’un roi, dit Mario, mais io souis triste pour une autre raison.

– Laquelle ?

Mario Isolino se leva, mit un doigt sur sa bouche, puis mystérieusement vint confier à l’oreille du chemineau :

– Io souis obligé de m’évader cette nouit.

– De t’évader, s’écria Bouzille, mais c’est très agréable.

– Hélas, proféra le bonneteur, en levant les yeux au ciel et en joignant les mains dans une attitude de prière désespérée, io souis zépouvanté à cette idée car oune chose terrible m’attend après mon évasion.

– Raconte.

Le récit de Mario revenait à ceci :

À peine entrait-il en prison qu’il avait reçu dans sa cellule la visite d’une dame appartenant, disait-elle, à la Société de Relèvement des Criminels Endurcis. Elle était autorisée à visiter ceux-ci dans leurs cachots et à leur prodiguer des principes de Morale et de Devoir destinés à faciliter leur réhabilitation.

Pendant quarante-huit heures, Mario Isolino avait dû écouter en silence des sermons édifiants, qui l’avaient fait bâiller.

Une fois qu’il s’était profondément endormi pendant le discours de la dame, il avait été réveillé en sursaut par une sensation étrange et assurément inattendue.

– Cette dame, déclarait alors Mario Isolino, elle venait de me donner oune baiser sur la bouche.

– Était-elle jolie au moins la dame de Relèvement des Criminels Endurcis ?

Isolino leva les bras au ciel :

– Zolie, fit-il, non pas, elle est vieille, grosse, laide, affreuse. Peut-être, Bouzille, que tu la connais ? c’est Mme Héberlauf.

– Mme Héberlauf, répondit le chemineau, mon pauv’ vieux.

L’épouse de l’ex-pasteur éprouvait pour Mario une furieuse passion et dès le surlendemain du jour où ils avaient fait connaissance, Mario Isolino n’avait plus eu à affronter les sermons, mais bien à se défendre désespérément des entreprises de la terrible personne.

– Pas en prison, pas en prison, s’était écrié Mario Isolino pour sauvegarder sa vertu.

Et dès lors, Mme Héberlauf, merveilleusement inventive, comme le sont les amoureuses, avait soudain mis au point cet admirable projet d’évasion de Mario Isolino.

Tout d’abord le bonneteur avait refusé, il ne se trouvait pas mal en prison, il ne redoutait pas une grosse condamnation et s’il était surpris en train de se sauver – ce qui arriverait probablement – l’aventure ne manquerait pas d’aggraver son cas.

Mais la situation devenait intenable dans la cellule où Mme Héberlauf passait désormais le plus clair de ses journées et Mario Isolino, pour fuir ses assiduités, avait consenti à accepter le principe d’une fuite.

La femme de l’ex-pasteur s’était souvenue alors qu’elle avait jadis, mieux que son mari, dirigé la police secrète en Hesse-Weimar.

Elle avait apporté successivement au prisonnier une petite lime bien aiguisée qui allait lui permettre de scier l’un des barreaux de sa fenêtre, puis une solide corde en plusieurs morceaux que Mario Isolino dissimula dans son matelas et dont il devait se servir pour descendre le long d’un mur haut de vingt mètres dans le ravin au-dessus duquel se dressait le fort Saint-Antoine.

Or, c’était précisément pour cette nuit-là que la tentative d’évasion était prévue. Mme Héberlauf avait annoncé qu’elle se tiendrait dissimulée derrière un rocher au sommet du ravin. Lorsque Mario Isolino l’aurait rejointe, ils partiraient tous les deux pour l’Italie afin d’y vivre leurs premières amours. Mario Isolino avait consenti. Il lui était d’ailleurs impossible de faire autrement, mais c’était la mort dans l’âme qu’il regardait sa montre et s’apercevait que l’heure se rapprochait.

– Io vais me rompre les os, déclarait-il naïvement à Bouzille, et si ze vois le vide, ze tomberai car z’ai toujours eu lou vertize…

Bouzille, brave homme, encourageait l’infortuné :

– Il ne faut pas se frapper comme cela, tout ira bien et lorsque tu seras dehors, rien ne t’empêchera d’abandonner cette excellente Mme Héberlauf.

– Bouzille, s’écria le bonneteur, tou vas venir avec moi.

– Ah ça, jamais, par exemple, protesta le chemineau, d’abord je ne suis pas aimé, et puis je t’avoue que je ne suis pas fâché de me reposer un peu. À mon âge les grandes aventures sont fatigantes et je ne prends guère le chemin de la tranquillité que je souhaitais avoir en prenant le chemin de Monaco.

Minuit sonna.

C’était l’heure qu’avait fixée Mme Héberlauf pour l’évasion du prisonnier.

– Si ze ne pars pas, soupira le malheureux bonneteur, elle sera ici dès demain matin et ze ne saurai plus comment m’en défaire.

Il n’y avait pas à hésiter.

Sans grande difficulté, le bonneteur, aidé de Bouzille, coupa un des barreaux de la fenêtre, il assujettit solidement à ceux qui restaient la grosse corde de chanvre fournie par Mme Héberlauf.

Au moment de partir, ses yeux se mouillèrent de larmes :

– Bouzille, s’écria-t-il, en prenant dans ses bras le chemineau, adieu mon ami, mon frère.

Les deux hommes s’étreignirent. Puis se hissant péniblement jusqu’à l’appui de la fenêtre, le bonneteur l’enjamba, disparut dans le vide… Bouzille le regardait descendre, lui prodiguant ses conseils, lui signalant de temps à autre les anfractuosités de la muraille où il pouvait prendre appui.

Puis, le bonneteur disparut dans l’ombre et, à un moment donné la corde étant redevenue souple, le chemineau resté seul dans sa cellule se rendit compte que l’évadé avait atteint le fond du ravin. Bouzille alors dénoua la corde et l’envoya rejoindre le fugitif.

Tant bien que mal il remit en place le barreau coupé ; il ne voulait pas avoir d’ennuis, il ne devait pas laisser croire que lui aussi pouvait avoir eu l’intention de se sauver.

Le chemineau alors, étouffant un bâillement, s’étendit sur son matelas.

Puis, avant de s’endormir, il déclara en guise de conclusion :

– Bah, j’avais envie d’avoir un compagnon, et voici que je suis content qu’il soit parti. Certes, ce Mario Isolino n’est pas un mauvais homme, mais enfin je ne le connais pas plus que ça, il aurait pu me voler mes vêtements ou me faire quelques tours pendant mon sommeil. Pour se reposer tranquille quelque part, il vaut mieux être seul.

Là-dessus Bouzille se souhaitait bonsoir à lui-même puis s’endormit profondément, seul prisonnier peut-être de toute cette prison, véritable prison familiale d’ailleurs où nul ne se préoccupait des prisonniers, où l’on ne faisait pas la moindre surveillance pendant la nuit, convaincu que ceux qui s’y trouvaient n’auraient jamais l’intention de s’en aller.

***

Mario Isolino, descendu dans le ravin, trébucha, se déchira la peau aux broussailles. Des ronces lui ensanglantèrent le visage, il se piqua les doigts aux épines :

– Sale aventoure, sale aventoure, grogna-t-il et dire qu’en sortant d’ici io vais trouver la mère Héberlauf.

Pour un peu et si Bouzille n’avait pas détaché la corde Mario Isolino aurait réintégré sa cellule.

Néanmoins, courbant la tête et résigné à sa situation, le bonneteur poursuivait son chemin, remontant par un sentier rocailleux et plein d’embûches au sommet du ravin.

Mais lorsqu’il y fut parvenu, une surprise inattendue l’attendait.

Ce n’était pas Mme Héberlauf qu’il trouva en face de lui, c’était un homme, un homme enveloppé d’un long manteau noir, un masque sur le visage :

– Approche, avait commandé cet homme, en voyant Mario Isolino émerger du ravin.

Le bonneteur stupéfié par cette apparition se traînait plutôt qu’il n’approchait aux pieds de l’inconnu :

– Ze vous demande bien pardon, faisait-il, ze ne veux pas vous faire de mal.

– Parbleu, s’écria l’homme en ricanant, il ne manquerait plus que cela.

Mais le mystérieux personnage continuait :

– Tu t’es mis dans un bien mauvais cas, mon garçon. Lorsqu’on s’évade d’une prison on encourt des peines sévères et s’il me plaît de te reconduire dans quelques instants à tes geôliers, tu seras jeté dans une véritable oubliette, et chargé de fers.

– Grâce, pleura Mario Isolino.

L’homme le releva d’un coup de pied :

– Je t’épargnerai, peut-être, si tu obéis.

– Ze zouis à vos ordres.

– Lorsqu’on obéit aux ordres de Fantômas on s’en trouve toujours bien.

Mario Isolino crut s’évanouir. Comment, c’était Fantômas.

Cependant que Mario Isolino, de plus en plus terrorisé, considérait avec respect celui que la rumeur publique avait baptisé le Génie du Crime, Fantômas ordonnait :

– Tu vas partir, Mario Isolino, tu vas descendre jusqu’à la côte, tu vas rejoindre une bande qui attend au bord de la mer mes ordres définitifs. Tu rencontreras ces braves gens auprès de la grotte où habite Bouzille.

Le célèbre bandit tira alors de dessous son manteau une sorte de filet aux allures de filet de pêche, il le remit au bonneteur.

Il ajouta encore :

– Tu demanderas à parler au Bedeau. Tu lui diras : « Je suis envoyé par Fantômas », et tu lui donneras ce filet.

« Il sait ce que cela veut dire.

« Après quoi, Mario Isolino, quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne, tu obéiras aveuglément aux ordres du Bedeau et souviens-toi toujours que si tu commettais quelque incartade ce serait à Fantômas que tu devrais en rendre compte. Allez, fous le camp.

***

Mario Isolino dégringola rapidement le sommet du ravin, se dirigea au pas de course dans la direction de la falaise.

Certes, il était fort ennuyé d’être embarqué dans une aventure mystérieuse manigancée par Fantômas, mais cette aventure avait cela de bon, tout au moins, qu’elle l’arrachait momentanément, et, peut être pour toujours, aux sympathies exagérées, à l’amour excédant, à la farouche passion de l’excellente Mme Héberlauf.

***

– Jérôme Fandor.

– Ouf, qu’y a-t-il ?

– Allons, pas de manières. Debout.

– Maïs que me voulez-vous ?

– T’occupe pas, jeune homme, obéis, sans quoi le rigolo va parler.

Brusquement arraché au sommeil, Jérôme Fandor voyait braqués sur lui plusieurs canons de revolver :

Ah çà, par exemple, que lui arrivait-il encore ?

Avec stupéfaction le journaliste regardait l’homme qui le menaçait ainsi et derrière lequel se trouvaient trois ou quatre individus aux mines farouches, qui semblaient fort décidés à ne pas laisser le journaliste s’écarter d’un pouce de la ligne de conduite qu’on voulait lui imposer.

– Bougre, pensa Fandor, voilà qu’il y a encore de « l’eau dans le gaz », que signifie cette nouvelle histoire ?

Jérôme Fandor était exténué par ses marches, contremarches, courses folles pendant toute la nuit.

Fandor, depuis qu’il avait arrêté et ligoté Ivan Ivanovitch, pourchassé la fille de Fantômas, fui avec elle devant Juve, couru retrouver le policier, pour repartir sur les traces de Fantômas, n’avait pas fermé l’œil.

Les incidents du Casino ne devaient pas contribuer à lui rendre le calme.

Le journaliste avait encore couru à perdre haleine.

Enfin, vers deux heures du matin, alors que de guerre lasse il se rapprochait de la tanière de Bouzille, il était tombé sur un talus de verdure, à l’ombre de grands arbres, il s’y était endormi du sommeil du juste.

À présent, il se frottait les yeux et regardait ses agresseurs.

– Hé, s’écria-t-il, soudain, d’une voix qu’il voulait rendre aimable, hé, parbleu, mais c’est l’ami le Bedeau qui braque sur moi son rigolo.

Le Bedeau ne broncha pas.

Il hocha la tête affirmativement, mais sur ses lèvres il y avait un sourire féroce.

Fandor continua son identification par le Barbu qu’il reconnut aussi.

Puis il s’écria :

– Mais décidément nous sommes en plein pays de connaissances, voilà, si je ne me trompe, ce brave Œil-de-Bœuf, l’ancien copain de Bec-de-Gaz.

Tous ces hommes n’avaient plus ces allures d’apaches qui leurs étaient propres lorsqu’ils habitaient Paris.

Pour « opérer » à Monaco, ils s’étaient mis à l’unisson de l’élégante clientèle de la Côte d’Azur. Ils s’étaient habillés, les uns en cochers de bonne maison, les autres en conducteurs d’automobile.

Fandor reconnut aussi le quatrième individu qui se tenait à quelques mètres en arrière :

C’était Mario Isolino.

– Le bonneteur, s’écria-t-il, stupéfait de le voir en liberté.

Mario Isolino, fort ennuyé d’être identifié, se rapprocha d’un pas et par prudence il allait protester qu’il ne tenait qu’un rôle de figurant dans toute cette affaire, mais le Bedeau, d’une poussée brusque, le renvoya en arrière :

– Toi, le macaroni, hurla-t-il, tâche de la boucler, on ne te demande pas ton avis.

Mario Isolino ne se le fit pas répéter.

Il pirouetta sur les talons et se tint prudemment à l’écart, décidé, cette fois, à ne plus souffler mot.

L’Italien avait scrupuleusement exécuté les ordres de Fantômas.

Au lieu indiqué, il avait trouvé la bande, il avait remis le filet au Bedeau, puis suivi celui-ci et ses compagnons, le Bedeau lui en ayant donné l’ordre.

Les paroles cordiales de Fandor ne faisaient aucune impression sur ses agresseurs. Le journaliste s’en rendait compte et considérait avec un ennui croissant les canons de revolver braqués sur sa poitrine. Que lui voulait-on ?

Fandor était intrigué au plus haut point.

Il n’allait pas tarder à le savoir.

– Fandor, interrogea le Bedeau, bas les masques aujourd’hui. Tu sais ce que c’est qu’une mouche ?

– Ma foi, dit Fandor, je m’en doute du moins. Ça a des ailes, ça bourdonne.

Le Bedeau l’interrompit :

– Ça bavarde aussi et bien trop souvent. Et les mouches, sais-tu ce qu’on en fait ?

– Ma foi, poursuivit Fandor qui commençait à s’inquiéter sérieusement, j’imagine qu’on ne s’en occupe guère et qu’on les laisse aller et venir…

– Non, interrompit encore le Bedeau qui ajouta d’une voix féroce :

– Une mouche, quand on la tient, on l’écrase. On les détruit les mouches, comme nous allons te détruire, comme des sales bêtes qu’elles sont, comme une sale bête que tu es.

« Ah, parbleu, poursuivait l’apache en s’animant, s’il y a des copains qui se baladent aujourd’hui à la Nouvelle, s’il y en a d’autres qui pourrissent en Centrale, s’il y en a d’autres qui attendent leur passage au tourniquet, s’il y en a même qui ont été envoyés au champ de navets, c’est bien rapport à toi, Fandor, rapport à ta crapule d’ami Juve. Nous autres, on te guigne depuis longtemps, on te tient, ton affaire est claire. Faut payer, Fandor. L’heure est venue. On raque d’avance. C’est ta peau qu’il nous faut.

– Bon, pensa Fandor, ça va mal. Et à haute voix, il leur jeta :

– Vous êtes des salauds et des lâches. Tuez-moi donc puisque vous le pouvez. Je vous jure que si c’était en mon pouvoir, je ne manquerais pas d’en descendre quelques-uns. Eh bien, tire donc, Bedeau de malheur, si tu ne veux pas que je t’abatte comme un chien.

Fandor avait fait un bond en arrière.

Résolu désormais à lutter sauvagement, à défendre son existence avec une indomptable énergie, il avait d’un geste rapide, porté la main à sa poche, y avait saisi son revolver.

Mais son bras aussitôt avait été arrêté, il avait reçu sur le poignet un choc si violent qu’il dut lâcher son arme :

– Ça y est, jura-t-il, je suis foutu.

Instinctivement, Fandor ferma les yeux, pensa à Juve.

Il eut un tendre souvenir pour la fille de Fantômas.

Les secondes lui parurent des heures.

Et le journaliste, encore qu’il fût immobilisé, sans se rendre compte comment ni pourquoi, encore qu’il fût par terre, le visage enfoncé dans la poussière, n’entendait pas claquer le revolver.

Il entendait ses agresseurs parler :

– Ça va bien pour les cordes, déclarait le Bedeau… et maintenant le filet.

Fandor, attaché par les pieds et les poings, vit alors Mario Isolino qui s’approchait, sur un signe du Bedeau, et étendait par terre, à côté de lui, future victime des apaches, un grand filet aux mailles serrées, aux fils solides et résistants, sorte de nasse de pêche ou de hamac.

– Que diable vont-ils faire de moi ? pensa Fandor dont le cœur battait à lui rompre la poitrine.

Comme s’il avait deviné sa pensée, le Bedeau le renseigna avec un sourire sardonique. Il expliqua :

– Les revolvers font du bruit et l’on retrouve ceux qui ont tiré rien qu’à la blessure faite qui détermine la grosseur des balles. Tu connais ça, pas vrai, Fandor, l’apprenti policier ? Nous aussi. Faut pas croire que nous sommes des imbéciles. D’ailleurs on a des ordres pour ne pas trouer la peau, mais il y a mieux à faire et tu vas bien voir.

Le Bedeau se tourna alors du côté de ses compagnons :

– Allez, vous autres, le Barbu, Œil-de-Bœuf, empoignez-moi ce colis et en route pour la falaise. Moi je passe devant pour faire, s’il le faut, la trouée. Macaroni fermera la marche.

En un clin d’œil, Fandor, de plus en plus immobilisé, roulé, cousu pour ainsi dire dans son filet, était hissé sur les épaules des deux lieutenants du Bedeau.

Il comprenait le sort qui l’attendait.

On allait le précipiter du haut d’un rocher dans la mer.

Mais peu lui importait à ce moment.

L’issue terrible de l’aventure qu’il prévoyait ne l’émotionnait pas, car Fandor, des propos tenus par le Bedeau, n’avait retenu qu’une chose :

C’est que l’apache avait reçu des ordres et qu’il s’y conformait.

Les ordres de qui ?

Parbleu, il n’y avait pas moyen d’en douter, ce n’était, ce ne pouvait être que Fantômas.


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