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La main coupée (Отрезанная рука)
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Текст книги "La main coupée (Отрезанная рука)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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PIERRE SOUVESTRE

ET MARCEL ALLAIN

LA MAIN

COUPÉE

10

Arthème Fayard

1911

Cercle du Bibliophile

1970-1972

1 – UN JOUEUR D’ÉLITE

Depuis quelques minutes, dix heures et demie du soir avaient sonné à la grande horloge placée dans le hall du Casino de Monaco, au sommet de deux gigantesques pilastres de marbre blanc, mais à l’intérieur du bâtiment, cependant, malgré l’heure avancée, il régnait encore une grande activité, une fiévreuse activité même, car les roulettes continuaient leurs rondes fantastiques, guettées, suppliées, maudites par les joueurs hallucinés que la Chance enrichissait, ou ruinait, comme à plaisir…

Il n’y avait plus là, toutefois, que les joueurs entêtés, ceux-là qui, chaque jour, se retrouvaient autour des tables, ceux-là, qui en une seule nuit, faisaient ou défaisaient leur fortune, assoiffés d’émotions et perpétuellement ballottés entre l’existence heureuse et fortunée qu’ils convoitaient et l’existence lamentable de misère et de honte qu’ils risquaient…

On ne voyait que mines fatiguées, visages pâlis : les hommes avaient ces yeux tirés et noircis qui sont les yeux de tous les noctambules, une fièvre de convoitise s’allumait dans leur regard. Les femmes, elles, étaient dépeignées, hideuses ; des contractions nerveuses ridaient leurs physionomies, faisant craquer le fard, striant, sur les joues, la poudre de riz.

Le Casino de Monaco ressemblait, ce soir-là, à un cercle envahi par une foule de joueurs frénétiques, de ces joueurs qui sont en réalité des automates, incapables de vivre et de penser dès qu’ils ne sont pas assis autour de tables à jeux, dès lors que les injonctions, les exclamations professionnelles des croupiers ne retentissent pas à leurs oreilles.

Dans l’Atrium, qui longe la salle de spectacle et aboutit au salon de jeu proprement dit, il n’y avait pas grand monde. À peine, trois ou quatre groupes discutaient-ils passionnément, une « série » remarquable qui venait de « sortir » à l’une des tables de roulette :

Et des exclamations s’entrecroisaient :

– Cinq fois de suite, le quatre est venu. C’est incompréhensible.

– Il ne peut y avoir de martingale qui résiste à la façon dont la noire a passé ce soir.

– Vous êtes décavé ?

– Presque.

Un peu plus loin, dans les salons de jeu proprement dits, au contraire, une foule dense, acharnée à jouer, à gagner ou à perdre ne paraissait nullement se douter que la nuit avançait.

– Faites vos jeux Messieurs, allons, faites vos jeux ? Messieurs, mesdames. Faites vos jeux. Rien ne va plus.

Dans ces salons où les croupiers lançaient les indications d’une voix monotone, on entendait le cliquetis des pièces d’or jetées sur les tapis verts des tables, puis le léger frôlement des râteaux, ramenant dans les tiroirs de la banque les mises perdues par ceux que le Hasard n’avait pas favorisés.

Il régnait dans ces salles une atmosphère lourde, surchauffée, indéfinissable.

Les parfums, en relents troubles, s’y mélangeaient ; une vague odeur de cigare s’y mêlait, provenant des fumoirs… et c’étaient les mêmes bruits, inlassables, les mêmes exclamations :

– De la monnaie, caissier ?

– Encore la rouge.

– Mon Dieu, je perds plus de cent louis, cette fois-ci. C’est coquet. Aucune combinaison ne peut tenir.

– Faites vos jeux, messieurs. Vous avez misé, monsieur ?

– Sur le trois, oui.

– C’est entendu ! Rien ne va plus.

Et le ronronnement de la bille, ce ronronnement discret mais saccadé que les joueurs ne peuvent entendre sans une secrète angoisse, reprenait, inlassable, s’enflant d’abord, puis, petit à petit, s’atténuant, se taisant, au moment où la bille se posait, aveugle et maligne, sur le numéro gagnant.

***

– Mon Dieu, qu’il fait donc chaud là dedans. Et quelle sotte soirée. Trois fois sotte. J’aurais mieux fait… Bah, ce qui est, est et je n’y changerai rien. Il ne me reste plus… Enfin, il fait meilleur ici.

Dans l’encadrement de boiseries sculptées que dessinait la porte faisant communiquer l’Atrium avec les salons de jeux, la porte qui est réservée aux personnages qui sont régulièrement admis dans les salles de roulette et de trente et quarante, venait d’apparaître un homme à la figure ravagée, aux traits contractés par l’émotion, qui tremblait violemment, encore qu’il fît effort sur lui-même.

Il pouvait avoir une quarantaine d’années. Sa chevelure d’un noir d’ébène, sa moustache fournie, retombant sur des lèvres grosses et sensuelles, se mêlant à sa barbe, portée longue, en éventail, frisée et fournie, lui composaient un visage qui retenait, qui attirait, qui surprenait aussi.

Mince, mais bien musclé, on devinait cet homme robuste et souple sous l’habit qu’il portait avec aisance, en homme du monde habitué aux vêtements d’apparat.

Le personnage resta une seconde à peine immobile, considérant l’Atrium semi désert.

Puis, fronçant les sourcils, d’une façon volontaire, à grands pas, il s’avança vers un groupe de jeunes gens. On s’étonna de le voir :

– Ivan Ivanovitch, vous ! encore ici, à cette heure ? Auriez-vous donc gagné la forte somme ?

– Ou formidablement perdu, mon cher, vous oubliez qu’il y a au moins deux explications à la présence d’un homme au Casino à onze heures du soir ?

– Et quelle est celle qui s’applique à votre présence, Ivan Ivanovitch ? En perte ou en gain, Commandant ?

Le personnage intrigant qui venait de répondre au nom de Ivan Ivanovitch, le Russe, qui n’avait point paru surpris de s’entendre appeler « Commandant », haussa les épaules, dans un geste de suprême dédain :

– Peuh, fit-il, vous demandez si je suis en perte ou en gain ? Je ne m’en souviens plus. J’ai joué très tard, J’ai besoin de repos, et…

– Et à demain les affaires sérieuses ?

– Comme vous dites, mon cher.

– De sorte que vous retournez à bord ?

Le Russe que questionnait familièrement, sur un ton d’intimité ou de camaraderie, un élégant jeune homme, jeta un regard rapide et furtif vers la rade de Monaco.

Au large, à deux kilomètres environ du quai, on devinait la silhouette d’un bâtiment de guerre peint en gris sombre.

Le Russe, encore une fois haussa les épaules :

– Non, se contenta-t-il de répondre, je ne retournerai pas ce soir, à bord du Skobeleff.

– Mon Commandant, on vous voit rarement sur votre navire.

Cette phrase, était dite d’un ton de plaisanterie. Le Russe y répondit d’un ton bref, net, rien moins qu’aimable :

– Je ne dois de comptes qu’au Tsar, mon Maître, fit-il, et suis, quand je le veux, à mon bord.

Puis, Ivan Ivanovitch tourna les talons, saluant légèrement.

– Fichtre, monologua en aparté le jeune homme qui venait de s’attirer cette réponse un peu brusque, le commandant Ivan Ivanovitch est bien nerveux. Est-ce que Dame Roulette, par hasard, ne l’aurait pas favorisé ?

***

Qu’Ivan Ivanovitch, fût fort nerveux en effet, cela ne faisait pas de doute.

Traversant l’Atrium de son grand pas d’homme de mer, Ivan Ivanovitch se dirigeait vers les jardins.

Là, il alla au hasard, avant de se heurter à des massifs terminant l’allée qu’il suivait, et formant une sorte de baie ouverte sur la rade. Il s’y pencha :

Le Skobeleff, murmura-t-il, mon navire, le cuirassé que S. M. l’Empereur m’a confié et que j’étais si fier de commander…

Longtemps, le marin considéra le vaisseau. Il le regardait avec des yeux fixes, qui par moments, s’embuaient.

Puis, à la fin, il mâchonna un sourd juron, pointant l’index, bien qu’il fût seul, dans la direction du bâtiment :

– Parbleu, s’écria-t-il, j’ai là des canons qui sont des merveilles, des pointeurs qui sont les meilleurs pointeurs de toute la Marine russe. C’est un fier navire, que le Skobeleff, il faudra…

Mais comme si l’officier eût de lui-même renoncé à ce qu’il méditait à la minute précise, il fronça encore les sourcils, haussa les épaules, semblant vouloir s’arracher à sa préoccupation.

– Le plus pressé d’abord. Les hommes.

Ivan Ivanovitch rebroussa chemin. Il jeta sur ses épaules le pardessus qu’il avait jusqu’alors tenu sur le bras, puis il descendit à grands pas en direction du port.

L’officier avait à peine fait la moitié du trajet, il se trouvait à mi-côte, lorsqu’il s’arrêta.

À sa rencontre, montait un officier de marine, en tenue qui, visiblement, l’avait reconnu et se hâtait vers lui.

L’officier traversa la chaussée pour se rendre sur le trottoir où se trouvait Ivan Ivanovitch. Il fit le salut militaire, puis, dans une pose correcte et pleine de déférence, semblait attendre que son supérieur lui adressât la parole :

– Vous venez aux ordres, monsieur ?

– Oui, mon Commandant ; je venais m’informer de vos intentions relativement au canot de service. Les hommes de la baleinière doivent-ils vous attendre ?

– J’allais les prévenir qu’ils pouvaient rallier le bord.

– Bien, mon Commandant. Devront-ils venir vous chercher un peu plus tard ?

– Non point. Monsieur le Commissaire, vous allez immédiatement réembarquer et porter ce message à M. le Commandant en second.

– Quel message, mon Commandant ?

– Celui-ci. Vous lui direz de consigner rigoureusement tout le monde à bord, de donner un quart de vin supplémentaire en compensation, à l’équipage, vous le prendrez sur ma cave personnelle. Je ne veux de permissionnaires, ni demain, ni la nuit prochaine.

– Bien, mon Commandant.

– Je compte sur vous, n’est-ce pas ? Pas de permissionnaires. C’est bien compris ? les officiers consignés à bord. Vous pouvez disposer, monsieur. Vous n’avez rien à me signaler ?

– Vous m’excuserez, mon Commandant, mais la paye ?

– C’est juste. Vous ferez annoncer la paye pour demain soir. Tard, quand j’aurai rallié le bord.

– Bien, mon Commandant.

Le Commissaire, – car l’officier qui venait de s’entretenir avec Ivan Ivanovitch, commandant du cuirassé russe Skobeleff, en station à Monaco, n’était autre que l’officier d’administration du bord, – s’effaça poliment, après avoir salué son chef.

Pour Ivan Ivanovitch, très aimablement, ce qui n’était point dans ses coutumes, car il était d’ordinaire, dans les rapports du service, rude, brusque et presque dur, il rendit le salut à son subordonné, puis, rebroussant encore une fois chemin, il se redirigea vers le Casino.

Ivan Ivanovitch, toutefois ne rentra point dans l’Atrium.

Parvenu sous le péristyle du Casino, il se dirigeait vers les salons de lecture et là, s’asseyant à une petite table, tirant son portefeuille et y prenant du papier à lettre à en-tête du Skobeleff, il se mit en devoir d’écrire une lettre, une lettre dont il semblait peser tous les mots et qu’il rédigeait d’une écriture appliquée, ferme, qui marquait le papier comme d’une gravure faite au burin…

Sa lettre finie, – il avait écrit pendant près d’une demi-heure – Ivan Ivanovitch la signa de son nom et de ses qualités, appuyant un large paraphe, qui rayait la blancheur du papier, d’un trait épais et volontaire, la glissa dans sa poche.

Ivan Ivanovitch, quelques secondes, la tête appuyée dans ses mains, semblait alors s’absorber dans une réflexion profonde, si profonde, qu’il devenait en réalité complètement indifférent à tout ce qui l’environnait, qu’il ne s’apercevait même pas que deux personnages qui se tenaient dans le salon de lecture, à quelque distance de lui, le regardaient, avec une inquiétude habilement dissimulée.

– Mon cher, souffla l’un de ces inconnus, se penchant à l’oreille de son voisin, je crois que le commandant Ivan Ivanovitch supporte mal les pertes de cette nuit.

– Et qu’en conséquence, pour éviter tout scandale, il serait bon de le suivre ? C’est ce que vous pensez, mon bon ami ?

Les deux noctambules, fort bien habillés, à apparence de gens du monde, qui devisaient de la sorte, n’étaient autres en réalité que deux des inspecteurs que le Casino entretient en grand nombre avec mission spéciale de surveiller tous les joueurs décavés et cela à seule fin de s’opposer aux actes désespérés.

Avaient-ils raison, les deux surveillants ?

Ivan Ivanovitch, qui ne s’était nullement aperçu du manège des deux inspecteurs, se redressait bientôt, brusquement, repoussant sa chaise avec une violence si soudaine qu’elle manqua trébucher sur le tapis.

– Bah, murmura l’officier, je suis ruiné, je serais déshonoré si je n’avais fait ainsi, et de plus… je vais rendre service à des milliers et des milliers de joueurs. Donc, ne soyons pas lâche, et faisons face au destin.

Tête basse, les mains derrière le dos, tenant négligemment entre le pouce et l’index l’enveloppe dans laquelle il avait glissé sa lettre, Ivan Ivanovitch, discrètement suivi par les deux inspecteurs, sortit du salon de lecture.

– Attention, souffla l’un des policiers, ce commandant russe va décidément faire parler la poudre.

Et les policiers tournaient dans la direction du perron, s’attendant à ce qu’Ivan Ivanovitch à l’instar de bien des malheureux ruinés par la roulette, se rendît dans les jardins, prêt à se loger une balle dans la tête.

Telle ne devait pas être pourtant l’intention du Commandant du Skobeleff.

Ne prêtant nulle attention à ceux qui l’épiaient, il se dirigeait le plus naturellement du monde vers les locaux réservés à l’administration du Casino.

Un huissier veillait à l’entrée d’un vestibule, il demanda :

– Vous désirez, monsieur ?

– Pourrais-je parler au directeur ?

– À quel sujet, monsieur ?

– Pour affaire importante et urgente.

Le directeur n’est pas là, monsieur. Il est trop tard. Mais, monsieur trouvera certainement à qui parler en s’adressant au Secrétariat, au premier étage, la porte au fond.

Ivan Ivanovitch, d’un signe de tête, remercia, puis s’engagea dans l’escalier somptueux que l’huissier venait de lui indiquer. Le Commandant parvint au haut de l’étage, longea une longue galerie, à cette heure encore déserte, et il s’apprêtait à frapper au Bureau du Sociétariat lorsqu’un huissier apparut dans l’embrasure d’une porte :

– Vous désirez, monsieur ?

– Remettre cette lettre à M. le Directeur du Casino ou à la personne qui le remplace.

La consigne, en pareil cas, était de ne jamais s’étonner et de ne demander aucune explication.

Veuillez me suivre, monsieur. Je vais voir si je trouve l’un de ces messieurs. Au cas contraire, monsieur serait obligé de revenir vers les onze heures demain matin ?

– Allez voir.

L’huissier s’éloignait après avoir introduit Ivan Ivanovitch dans un petit salon discrètement meublé de tentures sombres, d’épais tapis et dont les portes étaient matelassées.

***

Allait-il, à cette heure-là, se trouver encore au Casino quelqu’un pour lui répondre ?

Ivan Ivanovitch se le demandait, lorsque, lentement, la porte du cabinet où il attendait s’ouvrait pour livrer passage à un homme fort grave, fort digne, probablement l’un des directeurs de la maison de jeux.

Le personnage avait à peine salué l’officier que celui-ci, brusquement, venait de se redresser, se levant de son fauteuil où, quelques instants avant, il était encore dans une pose accablée, anéantie.

– J’ai le plaisir, s’informait Ivan Ivanovitch, de causer à l’un des directeurs de la Société des Bains, à l’un des dirigeants de la maison des Jeux ?

– Vous avez, je crois, monsieur, une « communication » à faire tenir à la Direction ? Voulez-vous me la confier ?

Et il tendait la main d’un geste si naturel, si tranquillement assuré, qu’Ivan Ivanovitch, comme instinctivement, lui confia en effet la lettre qu’il venait d’écrire quelques minutes auparavant.

– Ce message est pour la Direction, monsieur… pour la Direction…

Mais, bien que l’officier russe insistât tout spécialement sur ces mots « pour la Direction », il vit son interlocuteur, tranquillement, continuer d’ouvrir l’enveloppe.

– Asseyez-vous donc, monsieur, déclara froidement le personnage, je vous en prie. Et veuillez m’excuser de prendre connaissance de cette lettre, c’est précisément en raison de sa destination que je me permets de l’ouvrir.

À cela, il n’y avait rien à répondre, Ivan Ivanovitch s’inclina.

À mesure qu’il lisait, cependant son interlocuteur, lui, donnait des signes d’une stupéfaction qui tenait de l’ahurissement.

Il avait lu la lettre, maintenant, d’un bout à l’autre, sans en sauter une ligne et il bégayait, tenant ses yeux toujours attachés sur le papier qui tremblait dans ses mains :

– Mais, c’est impossible. Je deviens fou. Mon Commandant, vous ne songeriez pas ? Ah, monsieur ! Véritablement, quelles menaces ! Ce n’est pas possible ?

Très nette, la voix d’Ivan Ivanovitch domina ce monologue effrayé. Le commandant du Skobeleff affirmait :

– C’est tout à fait possible, monsieur, si possible, que cela est certain !

– Vous ne le feriez pas ?

– Je le ferai dès ce soir.

– Mais c’est abominable.

– C’est justice.

– C’est pire qu’un assassinat.

– Pardon, monsieur, c’est une exécution.

– Mais vous êtes fou !

– Je suis parfaitement raisonnable.

– Mais je vais appeler ? Vous ne vous rendez pas compte ?

– Si, monsieur. J’ai tout pesé, tout calculé. Et vous n’appellerez point. Et vous vous soumettrez. Car vous oubliez ceci.

Et en disant « ceci », l’officier tirait de sa poche un minuscule revolver qu’il braquait sur son interlocuteur épouvanté.

Alors, un lourd silence pesa sur les deux hommes.

Mais tandis qu’Ivan Ivanovitch demeurait fort calme, tandis que sa main braquant le revolver n’avait aucun tressaillement, celui qu’il menaçait s’écroulait littéralement dans un fauteuil, livide, blême, les yeux dilatés, tout le corps agité d’un violent tremblement.

À la fin, le malheureux reprit :

– Voyons, mon Commandant, ce n’est pas possible. Tout cela, c’est un cauchemar ? Vous êtes homme d’honneur. Non, non, je ne puis croire. Tenez, dites-moi que vous avez écrit cela dans un moment d’aberration ?

– Je vous répète, monsieur que j’ai pesé longuement chacun de mes mots. D’ailleurs, relisez, je vous prie, ma lettre, vous verrez qu’elle émane d’un homme qui reste de sang-froid. Allons, relisez, monsieur. Le temps passe et cette affaire presse.

Ivan Ivanovitch parlait avec un tel calme, une autorité si tranquille, que son interlocuteur, semblant supporter sa domination, presque hypnotisé par lui, hors d’état de discuter, obéit à son ordre.

D’une voix blanche, sans intonation, qui résonnait étrangement dans le petit salon, il lut à haute voix la lettre d’Ivan Ivanovitch. Cette lettre était ainsi conçue :

Monsieur le Directeur,

Je me nomme Ivan Ivanovitch. Je suis commandant par la volonté du Tsar, mon maître, du cuirassé russe Skobeleff, ancré devant votre casino.

J’ai l’honneur de porter à votre connaissance les faits suivants : j’ai joué à la roulette, joué et perdu non seulement 300.000 francs représentant ma fortune personnelle mais encore 300.000 francs constituant la caisse de mon bâtiment.

Je n’ai point l’intention d’échapper au juste châtiment que mérite mon crime, mais j’entends qu’au moins soit remboursé l’argent que j’ai soustrait à mon État, à la caisse du Skobeleff.

Ce remboursement je le veux et vous le ferez.

Considérez donc cette lettre comme un ultimatum : Rendez-moi les 300.000 francs que j’ai dilapidés alors qu’ils ne m’appartenaient pas. Rendez-les-moi avant l’aube ou je braque les canons du Skobeleff sur le Casino de Monte-Carlo que je fais sauter.

Choisissez :

Restitution des 300.000 francs qui représentent mon vol, ou bombardement.

Je signe de mes qualités, monsieur le Directeur.

Ivan Ivanovitch, Commandant du Skobeleff.

Il se tut.

– Que choisissez-vous, alors, reprit le Commandant, le remboursement ou le bombardement ?

El tel était le ton de sa voix qu’il n’y avait pas à s’y tromper.

– C’est abominable. C’est inouï. C’est monstrueux, Laissez-moi réfléchir. Laissez-moi…

Une imperceptible moquerie perça dans le ton d’Ivan Ivanovitch :

Ce n’est que trop juste, déclara-t-il.

Mais au moment même où il acquiesçait de la sorte, avec une brutalité inouïe, une force que décuplait son énervement, Ivan Ivanovitch se précipita sur sa victime :

– Réfléchir, cria-t-il, c’est bien, mais vous défendre ? non !

En une minute, l’officier qui, sans doute, avait longuement prémédité son attentat, tira de sa poche une cordelette et lia sur son fauteuil le représentant du Casino de Monaco. L’homme, mis hors d’état de bouger, Ivan Ivanovitch s’inclina encore devant lui :

– Allons, réfléchissez, monsieur. Décidez-vous : ou la restitution, ou le bombardement. Vous avez une demi-heure.

Ivan Ivanovitch, comme fort à l’aise, salua encore très bas celui dont il venait de se rendre maître…

En fermant la porte du petit salon écarté, où il allait laisser « réfléchir » sa malheureuse victime, il se contenta de répéter :

– À bientôt. À tout à l’heure.

Et, un rictus au coin des lèvres, presque un sourire, Ivan Ivanovitch, commandant du Skobeleff s’en alla fumer une cigarette dans le corridor voisin.


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