Текст книги "La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
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Иронические детективы
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– Guillaume. Vite. Entre là-dedans.
Le caissier ne se fit pas répéter l’invitation. Il disparut dans le placard. Sa maîtresse referma la porte sur lui.
– Mes vêtements, murmura le caissier, tu oublies mes vêtements.
– Chut.
En deux pas, Félicie était revenue vers le lit. Il lui fallut une seconde pour rétablir le désordre des oreillers, une seconde à peine pour saisir les vêtements de son amant qu’elle jeta sous le lit.
Cela fait, Félicie courut à la porte, ouvrit à son mari :
– Si tu savais comme je dormais bien.
Narcisse Lapeyrade n’en doutait pas.
– C’est vrai, ma chérie, eh bien, recouche-toi vite, prends garde de ne point prendre froid.
Tandis que Félicie regagnait son lit, Narcisse Lapeyrade se déshabillait tranquillement :
– Et alors ? demanda-t-il, en s’étendant à nouveau sous les couvertures, et alorsse, ma petite femme, rien de nouveau ? Té, c’est une bonne surprise, hein ? Je croyais ne revenir que demain à trois heures et me voilà de retour.
– Je tombe de sommeil, dit la jeune femme, nous causerons demain, si tu veux.
– Mais oui, mais oui, répondit le bon Narcisse, fais dodo, ma petite.
– Bonsoir Narcisse.
Dix minutes plus tard, Narcisse dormait à poings fermés, cependant que sa femme, sa petite femme, songeait avec angoisse :
– Ce pauvre Guillaume, comme il doit avoir froid. Comme il doit être mal, et comment tout cela finira-t-il ?
Félicie Lapeyrade réfléchit encore longuement à la terrible situation où elle se trouvait, mais petit à petit ses idées s’embrouillèrent, le sommeil qui l’avait fui d’abord finit par alourdir ses paupières. À son tour, elle s’était endormie.
Brusquement, la jeune femme s’éveilla.
Une main s’était posée sur son épaule. Une voix lui souffla à l’oreille :
– Ouvre-moi.
Félicie Lapeyrade avait déjà compris. Avec d’extrêmes précautions, la jeune femme se leva. Dans la pièce obscure, elle glissa jusqu’à la porte et, se servant de sa clef, elle fit jouer la serrure :
– Je te rendrai tes vêtements demain, souffla-t-elle, mon Dieu, qu’il est assommant.
– Oui, oui, prends garde.
Les deux amants chuchotaient.
Félicie Lapeyrade tendit les lèvres. Un baiser rapide. Une ombre s’éloigna le long du couloir, la jeune femme referma sa porte.
– Té mais qu’est-ce que tu fais, Félicie ?
La porte en se refermant venait d’éveiller Narcisse.
– Dors, répondit la lingère, je regardais si tu avais bien mis le verrou de sûreté.
Tranquillisée, Félicie Lapeyrade se recoucha près de son tendre mari.
***
Maintenant il faisait grand jour et Félicie Lapeyrade achevait de s’habiller en hâte tandis que son mari, éveillé, lui aussi, paressait tranquillement.
– Tu ne te lèves pas, Narcisse ?
– Hé non, ma petite. Je n’ai rien à faire ce matin, je reste là, bien douillettement. Au moinsse tu n’as pas besoin de faire le lit, je suppose ?
– Non, non, reste.
Prête, la jeune femme mit un peu d’ordre dans la pièce, jetant de furtifs coups d’œil dans la direction du lit pour s’assurer que les vêtements qu’y avait laissés son amant ne se voyaient pas.
D’ailleurs, après l’angoisse qu’elle avait éprouvée lors du retour de son époux, Félicie, maintenant, était toute disposée à rire de l’aventure qu’elle trouvait drôle. Son mari ridicule dormant avec béatitude, bien douillettement, comme il le disait, dans un lit qui recouvrait la preuve de son infortune : les vêtements de Guillaume. Était-ce assez farce.
Il n’y avait guère de risque à courir désormais. Elle allait descendre à la lingerie et quant à Narcisse, comme chaque jour, il resterait très tard au lit, s’habillerait vite vers les onze heures et irait, alors seulement, reprendre son service.
– Il ne saura jamais, pensa Félicie, jamais il ne se doutera de rien. Il est trop bête.
Avisant pourtant les cartons à chapeau qu’elle avait sortis du placard au moment où elle avait caché son amant, Félicie Lapeyrade, avant de descendre, songea à les remettre en place. La jeune femme, causant toujours avec son mari, marcha donc vers le placard, s’apprêta à l’ouvrir. Elle ne fit que l’entrebâiller. C’est avec une hâte folle, avec une précipitation extrême qu’elle le referma, soudain livide et tremblante. Dans le placard, Félicie Lapeyrade avait aperçu Guillaume. Le caissier, son amant, était toujours là.
– Comment Guillaume est-il encore là ? réfléchissait la jeune femme, comment est-il là, puisque cette nuit je l’ai moi-même fait sortir ?
L’heure avançait, force était bien à Félicie de descendre prendre son service et Guillaume, lui aussi, aurait dû rejoindre sa caisse. Qu’allait-on dire si jamais il était absent, si on ne le trouvait pas dans sa chambre ? Que se passerait-il surtout si Narcisse avait la malencontreuse idée de chercher quelque objet dans le placard ?
Félicie Lapeyrade, d’une voix qu’elle s’efforçait vainement de faire tranquille et assurée, interrogea :
– Alors, tu ne te lèves pas, Narcisse ? Tu n’es pas honteux de paresser ainsi.
Le gros homme éclata de rire :
– Mais non, mais non, je ne suis pas honteux, té, autrement, sais-tu que c’est dans le lit que l’on est encore le mieux.
Il ajouta :
– Tu devrais descendre, Félicie, sais-tu, décidément, c’est l’heure pour toi.
La jeune femme ne répliqua pas. Sans un mot, elle quitta la pièce, elle s’éloigna.
Félicie Lapeyrade était à bout d’énergie. Elle expiait durement la faute qu’elle commettait en trompant son brave homme d’époux. Elle se demandait :
– Qui donc ai-je fait sortir cette nuit de ma chambre ? et que va-t-il arriver ?
12 – TRIBULATIONS DE JUVE
Alors que tous ces événements se déroulaient avec une extrême rapidité et une variété inconcevable, passant des scènes de drames aux incidents burlesques, Juve qui n’en n’avait pas connaissance, restait abasourdi, stupéfait, après avoir achevé son enquête et découvert d’une façon certaine que la mystérieuse victime du non moins mystérieux assassin n’était autre que Fleur-de-Rogue, la pierreuse bien connue, la farouche maîtresse du Bedeau.
Certes, Juve avait immédiatement songé que seul l’insaisissable Fantômas pouvait être l’auteur de ce crime, car, seul, il pouvait avoir eu intérêt à attirer dans ce lieu désert et lointain la malheureuse fille dont la vie ou la mort pouvait avoir à ses yeux une importance que, d’ailleurs, le policier voyait mal.
Juve sentait qu’en étayant son raisonnement sur des bases solides, il n’allait pas tarder à conclure que Fantômas était très certainement l’auteur de l’assassinat qu’il venait de découvrir. Mais à ce moment le policier avait eu l’attention détournée par un fait nouveau :
On lui avait apporté cette dépêche et il avait lu :
Le spahi arrêté pour tentative assassinat sur jeune femme actuellement hôpital Biarritz.
– Quelle est encore cette nouvelle affaire ? s’était demandé Juve qui commençait à être intrigué par la tournure que prenaient les événements. Le policier lut et relut le télégramme, remarqua qu’il ne portait pas de signature. Il ne lui vint pas un instant à l’idée que ce télégramme pût avoir été envoyé par quelqu’un d’autre que par Anselme Roche.
– C’est évidemment lui, pensa-t-il, qui m’adresse cette dépêche, puisqu’il est rentré hier à Bayonne. Allons, Anselme Roche avait raison, ce spahi était destiné à faire connaissance avec la paille humide des cachots et maintenant je regrette qu’on ne l’ait point appréhendé ici, nous aurions peut-être de la sorte évité le crime pour lequel on l’a mis en état d’arrestation. Mais quelle peut bien être cette femme qu’il a blessée, qu’Anselme Roche ne paraît pas connaître, puisqu’il ne la nomme point dans sa dépêche et qui se trouve actuellement dit-il, à l’hôpital de Biarritz ? Parbleu, rien n’est plus facile que de le savoir en allant là-bas. Je n’ai rien à faire ici pour le moment d’ailleurs. Filons !
En réalité, Juve n’était pas autrement fâché de quitter la Maison Borel où il venait de passer de longues et maussades journées, de vivre des heures perpétuellement tourmentées par le souci de découvrir le secret du mystère qui le préoccupait tant. C’était chose faite.
Juve, après ce travail, estimait qu’il avait le droit de s’accorder quelques heures de tranquillité et de se reposer tout au moins en changeant d’occupations. Il décidait d’aller à Biarritz.
À l’aube, le policier prit un train qui, en moins de deux heures le descendit à la gare de la célèbre ville qui résume toutes les beautés pittoresques de la côte du sud-ouest et qui est considérée, à juste titre, comme la reine des plages du golfe de Gascogne. Le policier, sans toutefois s’attarder au charme de la gracieuse cité où l’on flânerait éternellement, se fit conduire en voiture jusqu’à l’hôpital civil, juché tout au haut de la ville. Il se fit annoncer au directeur, et celui-ci, fort aimablement, s’arracha un instant à ses occupations pour le mettre en rapport avec la seule personne, disait-il, qui pût lui fournir de bons renseignements. Quelques instants après, introduit dans la salle de garde, Juve faisait la connaissance de l’interne de service, le Toulousain Carnabesse.
Celui-ci, vint à lui, la main tendue :
– Eh, té, mon bon Monsieur, déclara-t-il, je suis heureux de vous écraser les doigts dans les miens. Troun de l’air ! vous êtes un homme comme je les aime. On m’a dit, n’est-ce pas, que c’était à M. Juve, le célèbre inspecteur de la Sûreté à qui j’allais avoir l’honneur de parler.
– C’est moi, en effet.
– Ah, tant mieux, cela me fait plaisir de vous voir, on a tellement parlé de vous, il vous est arrivé de telles aventures que vous êtes un véritable héros. Permettez-moi de vous serrer encore la main !
L’interne, de plus en plus enthousiaste, broya dans les siennes les phalanges de Juve :
– Je vous en prie, Monsieur, murmura celui-ci, vous êtes trop aimable, vous exagérez, au surplus, permettez. Je suis malheureusement très pressé et j’ai bien des choses à vous demander.
– Mais, répliqua Carnabesse, je vous écoute, mon cher ami, je ne fais que cela.
– Eh bien, dit Juve, gagné malgré lui par la faconde familière du jeune médecin, pourriez-vous me donner d’abord des nouvelles de la femme qui a été avant-hier victime d’un attentat, de la part d’un spahi et si ce n’est pas trop exiger, ne pourriez-vous me conduire auprès d’elle ?
– Ah, par exemple. Vous en avez de bonnes ! Non, mais ça, c’est drôle. Vous conduire auprès de la petite, vous dire son état de santé. Impossible, mon cher carabinier.
– Pardon, interrompit Juve, pourquoi m’appelez-vous carabinier ?
– Mais, parce que vous êtes comme les carabiniers d’Offenbach, vous arrivez trop tard.
– Sapristi, ce n’est pas de chance. Ne savez-vous pas où je pourrai la retrouver ? Cette femme a-t-elle laissé quelque adresse ? A-t-on à son sujet un indice quelconque qui permette… ?
Juve s’interrompit, l’interne lui avait fait signe de se taire :
– Écoutez, fit-il, je vais vous donner un tuyau, mais vous serez discret. N’en parlez à personne. Car je pourrais avoir des ennuis, tout le monde me connaît à Biarritz.
– Soyez sans crainte, Monsieur.
– J’ai confiance en vous. Voilà. Lorsque cette petite est venue, je lui ai prodigué mes soins, naturellement les plus dévoués, les plus assidus et j’aime à croire que je ne me suis pas trop mal tiré de mes pansements, puisque arrivée mourante la veille au soir elle était sur pied le lendemain matin.
– C’est merveilleux.
– Mourante, vous savez, c’est une façon de parler. En réalité elle n’avait qu’une éraflure insignifiante à l’épaule, mais enfin si la balle, au lieu de lui écorcher la peau, lui avait traversé la poitrine, elle ne serait pas en train de se balader en ce moment, – je parle de la petite femme, – et il est probable que nous ne plaisanterions pas tous les deux à son sujet.
– C’est évident.
– La petite étant guérie le matin, je suis venu prendre de ses nouvelles et comme elle était gentille, nous avons taillé une longue bavette ensemble. Elle m’a raconté toutes ses histoires. Voyez-vous, ce spahi, Martial Altarès, était évidemment un amant éconduit qui a manifesté sa jalousie en jouant du rigolo. C’est rigolo, pas vrai. Ha ! ha ! ha ! Quand j’ai vu le type que c’était, je n’y ai pas été par quatre chemins et j’ai pris rendez-vous avec elle pour dîner le soir même.
– Ah, et alors ?
– Alors, conclut l’interne, avec une moue piteuse, elle m’avait bien promis qu’elle viendrait, mais le soir, bernique ! Personne ! Croyez-vous, cher Monsieur, elle m’avait posé un lapin et un beau. Depuis, pas de nouvelles.
– Et c’est tout ce que vous savez ?
– Que voulez-vous que je sache de plus ?
– Au revoir, Monsieur.
Deux secondes plus tard, Juve, furibond, avait quitté l’hôpital. Il rageait, il serrait les poings.
– Quand je pense que je suis resté plus de vingt minutes à écouter les sottises de ce bavard sinistre pour ne rien apprendre, c’est vraiment malheureux.
Assurément, Juve ne savait rien, mais il y avait pis pour lui. Le portrait qu’avait fait de la blessée le jeune interne était tel que Juve, désormais, aurait été à cent lieues de pouvoir admettre, s’il l’avait supposé un instant, que la victime du spahi était bien la fille de Fantômas.
Juve n’avait pas à hésiter désormais, il n’avait rien trouvé d’intéressant à l’hôpital, mais il lui restait une excellente ressource, c’était d’aller voir le procureur à Bayonne.
Le policier prit le tramway qui le transportait en vingt minutes à la ville voisine. Mais il devait y éprouver une nouvelle déception. M. Anselme Roche était sorti, il n’était même pas à Bayonne, on ne le trouvait pas plus à son domicile qu’au tribunal. Juve était de plus en plus furieux, mais il ne se lassait pas. La matinée était loin d’être achevée et il pouvait parfaitement bien revenir à Biarritz pour poursuivre son enquête. Il restait, en effet, un lieu à visiter, et ce lieu n’était autre que l’ Impérial Hôtel.
Juve, en reprenant le tramway qui le ramenait à Biarritz, sentait peu à peu renaître sa bonne humeur.
– Après tout, se disait-il, c’est par un manque de logique que j’ai péché et j’en suis puni. Il ne faut pas essayer de remonter le courant des fleuves, il s’agit au contraire d’aller à leur source et de suivre leur flot. Je n’aurais pas dû commencer par l’hôpital, ni continuer par une visite au procureur, c’est par l’ Impérial Hôtelqu’il aurait fallu débuter. Faisons table rase du passé. À l’ Impérial !
***
M. Hoch, gérant de l’ Impérial Hôtel, était ce matin-là en grande discussion avec le majordome de l’Infant d’Espagne, le marquis del Riva Corte. Les deux personnages, en tête-à-tête, dans le bureau de l’hôtel, discutaient avec vivacité.
Têtu, comme tous ses compatriotes, M. Hoch depuis vingt minutes soutenait :
– Vous étiez treize, Monsieur le marquis, treize personnes.
Le majordome de l’infant, accompagnait sa protestation de grands gestes indignés.
– Pas le moins du monde, nous étions douze.
Et, à l’appui de ses dires, il recommençait le compte des personnes qui composaient la suite de Don Eugenio : mais il s’arrêtait toujours, car M. Hoch, énervé, ou alors perpétuellement dérangé par le téléphone, les tuyaux acoustiques, le personnel de l’hôtel, ne lui permettait jamais d’achever le calcul qui aurait dû avoir toute l’attention du gérant de l’ Impérial Hôtel.
Mais le marquis s’acharnait, il reprit enfin :
– Voyons, M. Hoch, comptez avec moi. Il y a d’abord Son Altesse Royale… je suppose que malgré la haute personnalité de don Eugenio, infant d’Espagne, cousin de Sa Majesté le Roi et possesseur d’autres titres nobiliaires que je ne veux point énumérer, ça fait un.
– Nous sommes d’accord, Monsieur le marquis…
– Bien. C’est déjà quelque chose. Je continue, Son Altesse Royale et moi, cela fait deux, n’est-il pas vrai ? deux personnes ?
– Nous sommes d’accord, Monsieur le marquis, dit M. Hoch.
– Il y avait les trois caballeros, cela fait cinq, plus quatre valets de chambre, neuf, plus trois chauffeurs, douze. Sommes-nous d’accord, Monsieur Hoch ?
– Nous sommes parfaitement d’accord, Monsieur le majordome.
– Eh bien alors, s’écria celui-ci triomphant, c’est moi qui ai raison, vous le voyez bien M. Hoch, douze et non pas treize.
– Pardon, Monsieur le marquis, vous oubliez quelqu’un.
– Qui cela ?
– Mais l’agent secret.
– L’agent secret ? que voulez-vous dire ? je ne le connais pas.
– Naturellement, fit M. Hoch, puisque c’est un agent secret.
– Mais qui est-ce ? où est-il ?
– Mai foi, je n’en sais rien, poursuivit M. Hoch, cet homme, qui est arrivé en même temps que vous a disparu de l’ Impérialprécisément depuis le soir où il a arrêté le spahi.
– Chut, Monsieur Hoch, silence, ne parlez pas de cette affaire. Pour l’amour de Dieu, ne laissez pas ébruiter l’histoire. C’est l’essentiel. Car il n’y aura pas de scandale à Madrid à propos de ces aventures de femmes qui se sont si tragiquement terminées. Mais encore, M. Hoch, pourquoi était-il là, cet agent secret ?
– Je ne puis vous le dire, Monsieur le marquis, je n’en sais rien, ce ne sont pas mes affaires.
– Il ne nous était d’aucune utilité.
– Pardon, Monsieur le marquis, mais cet agent secret a arrêté le meurtrier de la jeune femme qui se trouvait avec Son Altesse Royale, ils étaient même deux, lui et sans doute un de ses collègues.
– M. Hoch, ah, par exemple, cela devient trop fort ! Vous allez en compter quatorze maintenant et pour peu que ça continue.
– Non, Monsieur le marquis, dit le gérant, vous ne me laissez pas finir ma phrase. Je disais que l’arrestation a été opérée par votre agent, l’agent secret c’est-à-dire la treizième personne qui figure sur ma note et probablement par un de ses collègues, un policier de Biarritz qui n’a point fait de dépenses à mon hôtel et que je ne fais point figurer sur mon relevé.
– Que voulez-vous ? fit le marquis, d’un air désespéré, il faudra bien que je me résigne. Voyons la note de ce treizième. Qu’a-t-il dépensé ? Mais c’est scandaleux ! Effrayant ! Tous les jours une bouteille d’un premier cru, des cigares de luxe, des liqueurs fines, et dire qu’on ne m’a ouvert un crédit que pour douze personnes !
– Vous avez du profit, Monsieur le marquis, fit observer doucement le gérant, puisque je vous consens un escompte personnel.
– C’est vrai, reconnut le majordome, j’ai dix pour cent sur la note, mais s’il faut que je paie pour ce treizième je ne gagne plus rien.
Cela était parfaitement indifférent au gérant de l’ Impérial Hôtel, qui essayait de conclure l’entretien en appelant le caissier pour prendre l’argent qu’avec regret le marquis tirait de sa poche :
Celui-ci se lamentait :
– Tout mon bénéfice y passe, en entier. Décidément ce séjour à Biarritz ne nous a été profitable, ni à Son Altesse Royale, ni à moi.
M. Hoch eut pitié du pauvre grand seigneur.
– Vous réclamerez un supplément pour cet agent supplémentaire.
– Oui évidemment, dit le marquis, qui ne s’en allant pas, impatientait le gérant. Évidemment je réclamerai au ministère de l’Intérieur, mais vous ne les connaissez pas aux Finances de Madrid. Ils sont capables de me rembourser en pesetas et alors je perdrais au change.
– Eh bien, qu’est-ce que vous diriez si au lieu de vous faire votre note en francs, je l’avais comptée en marks qui valent vingt-cinq sous ? Et c’était mon droit après tout, puisque l’ Impérial Hôtelest, en somme, une société allemande. Estimez-vous donc bien heureux, Monsieur le marquis et au plaisir de vous revoir.
L’infortuné majordome, machinalement, serra la main que lui tendait le gérant et s’en alla tête basse, porte-monnaie vide. Mais, sitôt dans le hall de l’hôtel, comme il y apercevait quelques jolies femmes, il retroussa la moustache, tendit le jarret. Ce n’était plus le majordome qui venait de régler ses comptes avec le gérant de l’hôtel, c’était le Grand d’Espagne qui passait.
Cependant le personnage qui avait écouté, depuis le début, cet entretien, non sans avoir failli à maintes reprises éclater de rire, n’était autre que Juve.
Toutefois, si le policier avait été amusé par les mesquines récriminations du majordome espagnol et les calculs brutaux de l’employé allemand, quelque chose dans tout cela l’avait fortement intrigué.
– Drôle de police, avait-il pensé en premier lieu que cette police espagnole dont les inspecteurs ne paient pas leurs notes et les font porter sur le compte des grands personnages qu’ils suivent.
Mais, après un instant de réflexion, Juve était revenu sur cette opinion.
– Cette histoire d’agent secret, se disait-il à lui-même, m’apparaît suspecte. Et puis, quelle coïncidence bizarre… Cet agent chargé de protéger l’infant d’Espagne et qui disparaît aussitôt après avoir arrêté un militaire qui vient de tirer sur une femme avec laquelle Son Altesse Royale avait évidemment rendez-vous, tout cela me paraît louche.
Juve eut encore une autre pensée :
– Peut-être, songea-t-il, ce Monsieur Hoch a-t-il des instructions précises pour dire au majordome que l’agent secret était parti, alors qu’il n’en est rien ?
Juve, en effet, avait appris par quelques paroles prononcées par les domestiques qui passaient et repassaient dans le hall, que si don Eugenio d’Aragon avait quitté l’hôtel depuis une heure, quelques gens de sa suite s’y trouvaient encore. Il était donc fort possible que l’agent secret ne fût pas encore parti. Juve s’approcha du cabinet de M. Hoch :
– Monsieur, dit-il, je serais fort désireux de voir la personne que vous désignez sous le nom d’agent secret, agent de la police espagnole sans doute ?
Juve se faisait aimable, espérant qu’il pourrait avoir le renseignement sans être obligé de révéler sa qualité d’inspecteur de la sûreté. Ceci n’était pas nécessaire en effet. M. Hoch, tout en signant des lettres, en acquittant des factures, en vérifiant des menus et en épongeant d’un coup de tampon buvard les lignes tracées à la hâte sur un énorme livre répliqua d’un ton bourru :
– L’agent secret ? Parti.
– Depuis combien de temps, s’il vous plaît, Monsieur ?
– Trois jours, depuis l’arrestation du…
Mais M. Hoch qui jusqu’alors semblait avoir répondu sans réfléchir, s’arrêta brusquement d’écrire, se tourna vers Juve.
– Au fait, interrogea-t-il, et jetant sur le policier un coup d’œil hautain et soupçonneux, qu’est-ce que cela peut bien vous faire et que désirez-vous ?
Mais Juve avait de la présence d’esprit. Cessant d’être aimable et parlant à son tour comme quelqu’un qui n’a pas d’ordre à recevoir, il répliqua :
– Je veux, fit-il, de son ton le plus méprisant, que vous me fassiez donner une chambre. Et quelque chose de bien, je vous prie.
Comme électrisé, M. Hoch qui s’aperçut qu’il avait affaire à un client, se levait de son fauteuil pour venir s’incliner très bas devant le nouvel arrivant.
13 – QUI TROMPE QUI ?
– Donnez-moi une chambre.
Juve comprenait de moins en moins les événements qui venaient de se dérouler à l’ Impérial Hôtel, mais dans l’impossibilité où il était de tirer ces affaires au clair, il choisissait la seule solution qui lui parût rationnelle : il s’installerait à l’ Impérial, avec l’intention bien nette de n’en partir qu’une fois documenté.
Or, au moment même où Juve, tranquillement, priait le gérant qui venait de le recevoir de mettre une chambre à sa disposition, dans le grand escalier débouchant au centre du hall, un vacarme naissait, d’abord indistinct, puis peu à peu augmentait, se faisait assourdissant.
C’étaient des cris, des bruits de pas, des appels, et encore comme un piétinement sourd, comme des heurts, une bousculade.
Le gérant entendant ces bruits, quittait Juve, courut à l’escalier.
– Ah çà, cria-t-il, cherchant à voir ce qui pouvait bien se passer aux étages supérieurs, qui donc se permet ?
Juve avait accompagné, naturellement, son interlocuteur. Le policier arriva juste, dans la cage de l’escalier pour y saisir, prononcées par une voix tremblante de colère, des interjections terribles :
– Bandit, canaille, misérable, assassin.
En même temps, une autre voix lui répondait :
– Taisez-vous donc imbécile. Tout le monde va savoir.
L’autre voix, la première, continuait à hurler :
– Ignoble personnage, satyre, faux camarade, gredin, que tout le monde sache ? Je m’en fiche bien. Vous devriez être pendu en place publique. Allez descendez.
Et, de temps à autre, couvrant les deux voix qui discutaient, d’autres cris retentissaient, cependant que des éclats de rire fusaient de tous côtés, que des exclamations ironiques, semblaient provenir de gorges féminines :
– Ah qu’il est vilain !
– Hou, hou le vieux !
C’était absolument incompréhensible. Le gérant, pale de colère, sauta dans l’ascenseur :
– Attendez-moi, dit-il, se tournant vers Juve, je reviens à l’instant.
Mais Juve n’eut garde d’obéir. Loin d’attendre le gérant, il monta dans l’ascenseur, lui aussi, et l’appareil s’éleva rapidement.
Les cris, cependant, continuaient :
– Sapristi, laissez-moi donc m’habiller.
– Descends, descends. Attends un peu que je te montre si j’ai peur de toi !
Le premier étage que rencontrait l’ascenseur en montant semblait désert. Des femmes de chambre, des voyageurs, des voyageuses aussi, attirés par le tapage, s’étaient groupés sur le palier.
– Que se passe-t-il, mon Dieu ? interrogea le gérant.
L’ascenseur s’élevait toujours plus vite.
Or, comme il arrivait à hauteur du second, M. Hoch saisit brusquement la corde de l’appareil, l’immobilisa.
Point n’était besoin, à coup sûr, de monter plus haut. Descendant du troisième, une troupe d’hommes apparaissait, une troupe composée aussi bien de serviteurs et d’employés de l’hôtel que de voyageurs amusés. En tête se trouvaient deux personnages qui se disputaient furieusement. L’un n’était autre que le gros Narcisse Lapeyrade, le malheureux mari de la jolie lingère, l’autre était le caissier Guillaume, et ce dernier apparaissait dans le plus simple des accoutrements.
Guillaume, le fidèle Guillaume, l’employé correct et modèle, avait pour tout vêtement, une chemise de nuit dont les pans flottaient au hasard de la lutte furibonde qu’il soutenait avec Narcisse, et au pied droit une chaussette dont la jarretelle brinqueballait, au risque de le faire tomber.
Pâle de rage, les yeux jetant des éclairs, le gérant avait bondi au-devant des deux hommes.
– Guillaume ! appela-t-il, Narcisse ! Voyons, que signifie ?
Haletant, le gros pisteur envoya d’une secousse le caissier rouler contre le mur. Narcisse Lapeyrade à ce moment, était beau : la colère lui prêtait le regard impérieux, l’attitude hautaine.
– Monsieur le gérant, répondait Narcisse, il se passe ceci : c’est que Monsieur – et il désignait Guillaume – vient de m’outrager.
– Il vous a quoi ?
Une petite bonne qui riait à quelques marches de là, expliqua la chose :
– Tiens, parbleu, s’exclamait-elle, c’est pas difficile à deviner : Guillaume a trompé Narcisse avec Félicie.
Au même moment, attirée à son tour par le bruit, Félicie Lapeyrade qui, depuis le matin, sachant la situation tragique où elle avait laissé son amant, n’était pas tranquille, parut sur le seuil de la lingerie.
Le gérant foudroya du regard la jeune femme.
– Félicie, lui jeta-t-il, votre mari est devenu fou ?
Guillaume, cependant, s’était relevé. Toujours en chemise et l’air piteux, il tenta de bégayer une excuse :
– Monsieur le gérant, commençait-il, je vous prie de croire que tout ceci provient d’un malentendu.
Mais il n’eut pas le temps d’achever. Au comble de la colère, Narcisse Lapeyrade l’interrompit :
– Taisez-vous, lâche, bandit, voleur d’honneur, hurla-t-il. Ah, vous appelez ça un malentendu ? Eh bien, par exemple !
Et, courant au gérant, qui était tellement interloqué qu’il ne savait que dire, le saisissant par le revers de sa redingote, Narcisse Lapeyrade continua :
– Savez-vous où je l’ai retrouvé, votre caissier ? dans les chapeaux de ma femme.
Le gérant, pour le coup, ne comprenait plus rien à l’aventure. Que Guillaume eût trompé Narcisse avec la jolie Félicie, c’était possible, vraisemblable, cela n’avait en tout cas rien de surprenant, mais qu’on l’eût découvert dans les chapeaux de Félicie, cela ne pouvait s’admettre.
Guillaume, d’ailleurs, protesta :
– C’est faux, j’étais dans un placard, et…
Narcisse l’interrompait déjà :
– C’est la même chose. Il était dans le placard des chapeaux. Oui, Monsieur, dans ma chambre, dans ma propre chambre, et tel que vous le voyez, en chemise ! Et je ne me doutais de rien. J’aurais juré que ma femme…
Le gérant, d’une secousse brusque, parvint à se dégager de l’étreinte de Narcisse :
– Vous, cria-t-il, commencez par vous taire. Bien entendu, vous êtes à la porte. Guillaume, vous vous expliquerez tout à l’heure. Allons. Montez vous habiller.
Or, à ce moment, une Anglaise, pesamment arrivée du rez-de-chaussée en soufflant à chaque marche, qu’elle ébranlait de son pas masculin, lorgnait précisément Guillaume à travers un face-à-main gigantesque, tout en répétant :
– Oôah !
Guillaume, lui, eût bien voulu obtempérer aux ordres du gérant. Plus que tout le monde, il souffrait du scandale occasionné, mais le moyen d’aller se rhabiller ?
– Monsieur le gérant, commença le malheureux caissier, je ne peux pas remonter dans ma chambre, je n’ai plus mes habits et mes clés sont dedans. Il faudrait que quelqu’un…
– Où sont vos vêtements ? demanda le gérant.
– Ils sont, commença le malheureux caissier, ils sont, mon Dieu, sous le lit de M. Lapeyrade.
Au même moment, Félicie qui n’avait point tardé à s’éclipser, apparaissait en haut de l’escalier, porteuse du veston et du pantalon du caissier.
– Enfile-moi ça, Guillaume, cria-t-elle.
Cette seule parole, hélas ! suffit à redoubler la colère du mari trompé.
Il bondit sur sa femme, qu’il empoigna par les épaules. Il la secoua terriblement.
– Tu… tu… tu… commença-t-il étouffant presque, tu l’appelles Guillaume, de… de… devant moi ?
C’eût été comique, si la douleur du pauvre homme n’avait fait peine à voir. Félicie, sans répondre, échappa aux mains de son mari, courut se jeter derrière Juve, seul personnage qui parût garder, au cours des événements, un imperturbable sang-froid.
– Félicie, clama toujours le malheureux mari trompé. Je ne sais pas si je pourrai jamais te pardonner. Non, je ne le sais pas…
La lingère, de son côté, contait des choses mystérieuses à l’oreille de Juve, saisie d’un besoin subit de confidences.
– Guillaume s’était caché dans le placard, expliquait elle, mais, il y a quelque chose d’extraordinaire, c’est que j’ai fait sortir quelqu’un de ma chambre, quelqu’un que j’avais pris pour mon amant et qui n’était pas lui, puisque ce matin encore Guillaume n’était pas parti et que mon mari est tombé dessus.