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La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Текст книги "La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Le magistrat préparait déjà un sourire aimable, mais il s’arrêta net, car la personne qui entrait dans son cabinet, brusquement, d’un bond, il ne la connaissait pas. C’était une femme que le procureur n’avait jamais vue.

– Jamais vue ? Si cependant.

Anselme Roche fronça le sourcil. Il n’aimait guère les visites de ce genre, et ceux qui s’y étaient aventurés une fois, étaient accueillis de telle sorte qu’ils ne recommençaient jamais. Anselme Roche, affectant donc son air le plus froid, s’inclina imperceptiblement.

– Vous désirez, Madame ?

– C’est à M. Anselme Roche que j’ai l’honneur de parler ?

Le magistrat pour préciser la nuance, répliqua :

– Vous êtes ici dans le cabinet du procureur général. Que désirez-vous ?

Sans répondre à sa question, la visiteuse déclara :

– Je suis Delphine Fargeaux, j’ai des aveux à vous faire.

– Est-ce grave ?

– Oui.

Le procureur se pencha vers elle :

– Remettez-vous, Madame, je vous en prie.

Mais à ce moment, le tintement grêle d’une sonnerie retentit. L’audience allait reprendre. Anselme Roche n’hésita plus.

– Veuillez m’attendre quelques minutes, Madame, dit-il à Delphine Fargeaux, et je suis à vous.

Le magistrat sortit de son cabinet dont il ferma la porte à clef par précaution. En deux mots, il expliqua au président, qu’une affaire grave l’empêchait de revenir à l’audience, il informa son substitut du rôle qu’il aurait à remplir et, quelques minutes plus tard, Anselme Roche regagnait son bureau.

– M me Fargeaux, je vous écoute, déclara-t-il, lorsqu’il eut obtenu de la jeune femme qu’elle relevât son voile.

Avec hésitation d’abord, s’enhardissant ensuite, M me Fargeaux parla.

M. Anselme Roche écoutait avec une satisfaction infinie cette histoire égrillarde qu’il interrompait pour demander des détails.

– Alors, vous étiez d’accord avec les caballeros pour vous faire enlever ?

– Oui, Monsieur.

– Mais pourquoi ?

– Mon Dieu, Monsieur, c’est bien simple : j’étais au rendez-vous de Son Altesse. Je me disais en effet : si mon mari s’aperçoit de quelque chose, je pourrai toujours prétendre et soutenir grâce à l’enlèvement dont j’aurai été victime, que je ne m’étais abandonnée à l’infant d’Espagne que contre mon gré. Comprenez-vous ?

– Oui, jamais un homme n’aurait trouvé cela. Il n’y a décidément que les femmes pour inventer des choses pareilles. Qui se douterait, en voyant une gentille petite personne comme vous, avec une aussi jolie figure, oui, qui se douterait ?

– Si je vous ai raconté tout cela, Monsieur le procureur, c’est afin d’excuser l’acte commis par mon frère, d’atténuer sa responsabilité, de l’innocenter même. Au lieu d’être un vulgaire meurtrier, comme on le croit actuellement, c’est un vengeur d’honneur, c’est un homme de devoir que l’on reconnaîtra en lui.

– Parfaitement, fit le magistrat, votre frère, je l’avais oublié.

– Mon malheureux frère est enfermé depuis quarante-huit heures dans une prison. Je suis venue vous raconter la vérité pour que vous puissiez décider, connaissant désormais les motifs qui ont guidé le bras de mon frère, de le faire remettre en liberté. Je ne doute pas un seul instant que vous ne soyez convaincu de ce que je vous raconte.

– Je vous crois parfaitement et ne demande qu’à vous être agréable, Madame Fargeaux. Malheureusement, il est une chose que je ne puis faire.

– Laquelle, Monsieur ?

– Mettre votre frère en liberté.

– Et pourquoi, Monsieur ?

– Mais, fit Anselme Roche, pour la bonne raison qu’il n’est pas en prison.

– Eh bien, par exemple. C’est fort ! Quand je pense que le malheureux garçon n’a pas eu plutôt tiré que deux agents de la Sûreté lui passaient les menottes et l’entraînaient avec eux. Pauvre Martial ! Il n’a pas regimbé. Il s’est laissé faire. Doux comme un agneau, tant il était atterré de ce qui venait de se passer.

– Votre frère, Martial Altarès, le spahi, n’est pas en prison, ça, j’en suis sûr.

– Monsieur, je suis sûre, moi, du contraire.

Le magistrat eut une hésitation, un scrupule. Certes, on lui communiquait tous les jours la liste des personnes arrêtées, il l’examinait régulièrement, et s’il avait vu figurer le nom de Martial Altarès, il l’aurait certainement reconnu. Néanmoins, le magistrat se demandait si la chose n’était pas passée inaperçue, si quelque employé n’avait pas fait une omission en établissant cette liste, si enfin le militaire n’avait pas cru devoir donner un faux nom aux agents qui l’appréhendaient.

M. Anselme Roche appela son garçon de bureau.

– Faites venir, dit-il, le double du registre d’écrou de la prison.

Puis, en même temps qu’il attendait ce document, M. Anselme Roche interrogeait Delphine Fargeaux :

– Au moment de l’accident, fit-il, votre frère était-il en uniforme ?

– Il est toujours en uniforme.

Anselme Roche songeait :

– C’est de plus en plus extraordinaire. Ça se remarque, un militaire, un spahi surtout.

Le magistrat fronçait les sourcils, sentait naître en lui une sourde colère à l’égard de ses subordonnés. Il pensa :

– Comment se fait-il que personne ne m’ait parlé de cette histoire-là ?

Anselme Roche n’hésita plus. Par le téléphone il se mit en communication avec l’ Impérial Hôtel.

C’était M. Hoch lui-même qui répondit au procureur et lui confirma en tous points le récit de la jeune femme, qui aurait tant désiré devenir la maîtresse de l’infant d’Espagne et qui n’avait pu y réussir.

Pendant dix bonnes minutes, Anselme Roche compulsa le livre d’écrou de la prison qu’on lui avait apporté, téléphona de droite et de gauche, interrogea le Parquet, le commissariat de police de Bayonne et de Biarritz, se livra à toutes sortes d’enquêtes, mais sans succès. Ou plutôt si, il acquit la conviction que jamais, au grand jamais, la police de la région n’avait arrêté de spahi à l’ Impérial Hôtelde Biarritz.

M me Fargeaux, comme lui, était convaincue maintenant que son frère n’était pas détenu. Mais Martial Altarès avait été emmené quand même les menottes aux mains.

– C’était pourtant, cria-t-elle, des agents de la Sûreté !

– Ou soi-disant tels, Madame.

– Ah Monsieur, s’écria-t-elle, vous m’ouvrez des horizons et maintenant, par ce que vous venez de me dire, j’imagine des choses que je voudrais n’être pas vraies, tant je les redoute, tant je les crains.

– Quoi, Madame, que savez-vous ? parlez !

– C’est très délicat, commença M me Fargeaux, il s’agit d’une personne qui me touche de près, de très près. Il s’agit de mon mari pour vous dire tout le fond de ma pensée. Puisqu’il semble prouvé que mon frère a été emmené par des gens qui ne sont pas de la police, et que par suite on doit considérer comme étant des agresseurs, je suis convaincue qu’il s’agit là d’un coup de mon époux, de Timoléon Fargeaux.

Le procureur, abasourdi, n’avait pas le temps de demander des explications à la jeune femme. Celle-ci, s’animant peu à peu, parlait avec une volubilité extrême, accusait terriblement le compagnon de son existence :

– Tenez, Monsieur le procureur, il se passe des choses extraordinaires dans notre propriété. On entend des bruits étranges dans la campagne. La nuit, on voit des lueurs sinistres sillonner le ciel, deux ou trois fois j’en ai fait la remarque à mon mari. Il s’est contenté de ricaner. J’en ai conclu que c’était un imbécile, et je me demande maintenant s’il ne cache pas son jeu et s’il n’est pas un malfaiteur.

Deux heures durant, M me Fargeaux parla sans discontinuer, racontant sa vie au procureur général, et il faut croire qu’elle avait communiqué des choses graves, car, à peine était-elle partie, que Roche enlevant sa toge, sonnait son garçon de bureau.

– Je m’absente, lui déclara-t-il, toutefois je vous laisse mon adresse, dans le cas où l’on aurait besoin de moi.

Et d’une main fébrile, Anselme Roche traça sur un carton, ces mots :

Le procureur général est au château de Garros, qu’il ne quittera que pour revenir à son domicile, ou au tribunal.

***

Pendant ce temps, Juve jouissait de la considération du personnel de l’ Impérial Hôtel.

Pour jouer son rôle au sérieux et aussi parce qu’il éprouvait le besoin de se reposer, le policier s’était installé dans cette chambre depuis le commencement de la journée. Vers six heures du soir, le policier arpentait son appartement, aux dimensions fort exiguës, avec une fébrile impatience. Encore qu’il eût de fortes préoccupations, Juve était satisfait des heures passées et entrevoyait avec sérénité les heures à venir. Il avait, au cours de l’après-midi, rédigé un rapport circonstancié et expliqué tout au long par suite de quelles ingénieuses constatations il en était arrivé à établir que les vestiges humains découverts dans la maison du crime ne provenaient et ne pouvaient provenir que de l’infortunée Fleur-de-Rogue, la maîtresse du Bedeau.

Ce rapport, destiné à M. Havard, était un chef-d’œuvre de précision scientifique et de clarté. Juve se frottait les mains :

– Voilà, déclara-t-il qui en bouchera un coin à Fandor.

Le policier se réjouissait aussi à l’idée que dans quelques instants il allait revoir cet excellent ami, ce vaillant compagnon d’infortune. Qu’était devenu Fandor depuis une quinzaine de jours ?

Juve avait télégraphié deux ou trois fois et n’avait pas reçu de réponse. Il en avait été presque inquiet jusqu’au moment où il avait reçu de Paris un télégramme de Fandor lui annonçant non seulement qu’il existait toujours, mais qu’il arrivait par un prochain train. C’est ce train-là dont Juve attendait l’arrivée, c’est pour cela qu’il restait à l’hôtel où Fandor, sitôt hors du wagon, devait le rejoindre.

Juve, indépendamment du plaisir qu’il allait éprouver à revoir son ami, était aussi très satisfait de pouvoir causer avec lui de l’affaire de la Maison Borel.

Il y avait un point à élucider, sur lequel Fandor serait évidemment pour Juve de précieux conseil. Il s’agissait de savoir ce qu’était devenue Hélène depuis le moment où elle avait quitté Fleur-de-Rogue. Car le policier savait désormais, par des renseignements recueillis à la Sûreté, que la fille de Fantômas était venue de Paris à Rion-des-Landes avec la pierreuse.

Évidemment, Hélène n’avait pas cru devoir faire connaître ses faits et gestes à Juve, pour lequel elle n’éprouvait qu’une médiocre sympathie. Mais il était bien certain que Fandor devait être renseigné sur les pérégrinations de la fille de Fantômas.

Juve allait donc savoir. Il avait cru un moment que la victime du spahi n’était autre qu’Hélène. Le portrait que lui en avait fait l’interne de l’hôpital lui faisait changer d’opinion, néanmoins le policier aurait bien voulu retrouver cette femme, et en tout cas, il se promettait d’aller dès le lendemain voir Anselme Roche, pour obtenir l’autorisation de communiquer avec le spahi.

Juve en était là de ses réflexions, lorsqu’on frappa à sa porte.

– Entrez.

C’était M. Hoch. Juve, désormais, était du dernier bien avec le gérant de l’hôtel, dont il avait gagné les bonnes grâces en lui offrant un cigare après le déjeuner et en lui disant sa profession.

M. Hoch nourrissait une admiration respectueuse et sans bornes à l’égard de toutes les autorités. Plus particulièrement, il tenait en haute estime la police en général et spécialement les services de la Sûreté.

– Si je n’étais pas hôtelier, avait-il dit à Juve, je serais inspecteur de police.

M. Hoch venait se renseigner auprès de son client :

– Peut-être pourrez-vous me donner une explication ?

– De quoi s’agit-il ? fit Juve.

– Voici : il y a quarante-huit heures, lorsque ce soldat d’Afrique a tiré sur la jeune femme, deux agents se sont précipités. L’un d’eux était l’agent de l’infant d’Espagne, et l’autre appartenait à la police de Biarritz. Du moins c’est ce que je croyais. Or, il n’y a pas cinq minutes, M. le procureur général Anselme Roche m’a fait l’honneur de me téléphoner pour me demander si cette arrestation avait bien eu lieu dans mon hôtel.

« Oui, Monsieur le procureur général », lui ai-je répondu, et alors, à son tour, M. Anselme Roche m’a déclaré : « C’est très étonnant, parce que ce spahi qui a été arrêté il y a quarante-huit heures n’a pas encore été conduit au poste, et encore moins à la prison ». Monsieur Juve, qu’est-ce que vous pensez de tout cela ?

À la vérité, Juve n’en pensait rien, et se sentait assez perplexe. Que signifiait tout ça ?

M. Hoch attendait une réponse qui d’après lui ne devait pas tarder à venir. Cet Allemand respectueux croyait à l’infaillibilité et se disait que du moment que Juve était inspecteur de la Sûreté, il devait posséder la clef de l’énigme qui le préoccupait. Si Juve ne répondait pas, c’en était fait de sa réputation auprès de M. Hoch. Mais Juve n’eut pas à courir ce risque. On frappait à la porte de la chambre. Quelqu’un entrait. C’était le courrier de l’ Impérial, Narcisse Lapeyrade, l’infortuné mari. Il voulait à toute force voir le patron.

– Ah Monsieur Hoch ! s’écria-t-il, quelle chose épouvantable…

Il s’arrêtait, hésitant à continuer en présence d’un tiers. Mais M. Hoch lui dit :

– Parlez, Narcisse ! Monsieur n’est pas de trop. De quoi s’agit-il ?

– D’un accident, Monsieur, d’un terrible accident. L’express…

– L’express de Paris ?

– L’express de Paris, oui, Monsieur.

– Racontez ! Vite !

– Voilà, Messieurs, ce que j’ai entendu dire à la gare : l’express de Paris, au moment où il traversait les Landes, a été arrêté par un incendie. On a fait descendre les voyageurs qui ont marché à côté du train. On ne les avait pas laissés dans les wagons, pour le cas où la voie, minée par en dessous, se serait effondrée. Seulement, au lieu de remonter, les voyageurs sont restés là, parce que le train est reparti sans les attendre.

– Il est reparti tout seul ?

– Oui et non, expliqua Narcisse. C’est-à-dire qu’on a fait un coup : le chauffeur et le mécanicien ont été retrouvés asphyxiés sous des tas de charbon, dans le tender. Ce n’est donc pas eux qui ont pu faire partir le train.

– Mais qui a pu faire tout cela ? et dans quel but ? demanda M. Hoch.

– Le vol, patron, poursuivit Narcisse. Tous les bagages des voyageurs ont été fouillés de fond en comble. Les bijoux, l’argent, les objets de valeur, tout a disparu.

Juve était pâle. C’était en effet par ce train que Fandor devait arriver. Il demanda :

– Pas d’accident de personnes, à part ces deux malheureux ?

– Je ne crois pas. Monsieur, on ne me l’a pas dit.

– Mais enfin, poursuivit Juve, et le train, qu’est-ce qu’il est devenu ?

– Oh, c’est bien simple. Après avoir parcouru cinq ou six kilomètres, il s’est arrêté près de Dax. On l’a trouvé immobile, freins bloqués. Il n’y avait pas d’autre accident à redouter ni de télescopage, car le block-system fonctionnait.

– Mais… fit Juve.

Le policier allait interroger encore, il s’arrêta. Une troisième personne entrait dans sa chambre, cette fois c’était un télégraphiste.

– Monsieur Juve ? demanda-t-il.

– C’est moi, donne, petit, fit le policier prenant la dépêche.

– Évidemment, pensait Juve, c’est Fandor qui me télégraphie. Non, ce n’est pas lui, c’est Anselme Roche.

Juve murmura, comme frappé de stupeur :

– Le spahi est retrouvé. Mais…

– Mais quoi ?

– Mais je n’ai plus un instant à perdre. Monsieur Hoch, faites préparer ma note, je vous prie, pendant ce temps-là, que quelqu’un aille me chercher une voiture automobile.

17 – LA COLLINE DE SABLE

Voici ce qui s’était passé quelques jours auparavant alors que le spahi avait blessé Hélène :

Au moment où Martial Altarès tombait à genoux, l’un des deux hommes qui l’entraînaient en lui passant les menottes lui avait soufflé à l’oreille :

– Inutile, n’est-ce pas, de rouspéter. Tâchez de marcher droit, on vous tient, mon gaillard !

C’était là une recommandation parfaitement inutile. Martial Altarès était bien trop profondément bouleversé pour songer le moins du monde à opposer une résistance quelconque à ceux qui l’emmenaient.

Docilement, il avait suivi les deux hommes qui l’entraînaient en hâte dans les couloirs de l’ Impérial Hôtel, où les domestiques et les voyageurs se bousculaient, attirés par la détonation.

– Allons. Dépêchez-vous.

L’un des deux agents, car ce ne pouvait être évidemment que des agents qui lui avaient passé les menottes, semblait surtout désireux que le prisonnier se dépêchât. L’autre ne soufflait mot, mais Martial Altarès sentait ses doigts s’incruster dans la chair de son bras. L’homme le tenait solidement.

Sorti de l’hôtel, le jeune spahi avait été poussé plutôt que conduit vers une automobile fermée qui stationnait à quelque distance, le long du trottoir :

– Montez.

Martial Altarès avait obéi ;

– Quelle terrible affaire, songeait le malheureux soldat. Ma sœur n’était donc pas coupable ? et cette malheureuse jeune fille que j’ai blessé, l’ai-je atteinte grièvement ?

La voiture, cependant, filait sur les routes poudreuses qui avoisinent Biarritz et qui, très vite, les faubourgs de la ville passés, serpentent entre des forêts de pins.

Et brusquement, dans l’esprit du jeune homme, une inquiétude nouvelle prenait naissance : de quelle aventure fantastique allait-il être encore le héros ? Il avait trouvé tout naturel, à la minute même du drame, qu’on l’arrêtât, qu’on l’entraînât au poste, qu’on le jetât en prison, mais comment se faisait-il que les agents pussent le conduire hors de Biarritz. Et c’était incontestable, la voiture venait bien de quitter la station balnéaire.

– Où me menez-vous ? demanda le prisonnier à ceux qui l’emmenaient.

Pour toute réponse, les deux agents qui le surveillaient, l’un assis à côté de lui et tenant la chaîne de ses menottes, l’autre, installé sur un strapontin et semblant prêt à lui sauter à la gorge, éclatèrent de rire :

– Où me menez-vous ?

– Tais-toi.

– Je me tairai si je veux, et vous allez me répondre. Où me menez-vous ?

Un cri de douleur termina la phrase du spahi. Traîtreusement, à l’improviste, l’homme avait tordu la chaîne.

En même temps, l’argousin se penchait sur le soldat, et le regardant avec des yeux effroyablement fixes et volontaires, il répétait :

– Tais-toi. Je n’ai pas l’habitude de parler quand je ne le veux pas, et il me déplaît de te renseigner.

– Et moi… commença Altarès, mais il dut s’arrêter, vaincu par la souffrance.

– Je crois qu’on ne fera plus le méchant. Tu as compris qu’il fallait être sage ?

Un flot de sang empourpra le front du soldat. Ses yeux jetaient des éclairs, il était frémissant :

– J’ai compris, criait-il, que vous êtes des lâches et des bandits, vous n’êtes pas des agents de la Sûreté, vous êtes…

Mais il devait se taire. Sans même s’être consultés du regard, les deux hommes qui l’avaient enlevé à l’ Impérial Hôtels’étaient jetés sur lui. L’individu qui lui faisait face, ayant pris place sur le strapontin, tira de sa poche un long foulard qui lui servit à le bâillonner. Celui qui paraissait être le chef pendant ce temps passait autour des bras du spahi une mince cordelette qui le liait par des nœuds savants. Martial Altarès ne pouvait plus ni bouger, ni parler.

Cependant, il reconnaissait un calvaire que l’on dépassait à toute allure.

– Qu’est-ce que cela veut dire ? songeait Altarès, voilà que l’on m’emmène sur la route de Beylonque ? Ah çà, mais qui sont donc les gens qui se sont emparés de moi ?

Quelques kilomètres plus loin, nouveau changement d’itinéraire. La voiture abandonnait la grand-route qui unit Biarritz au petit village de Beylonque, elle s’engageait dans un étroit chemin de traverse que le frère de Delphine reconnut aussitôt.

– Mais on me mène à Garros, songeait-il, chez Delphine, au château, chez mon beau-frère. On me mène chez mon beau-frère.

Avançant toujours et fort habilement conduite, l’automobile, cependant, après avoir suivi le petit chemin de traverse, venait de franchir à une allure rapide les premières allées des terrains enclos de murs qui entouraient le château de Garros. Elle avait traversé le petit bois. Brusquement elle obliquait sur la droite, elle s’approchait d’un pavillon isolé laissé à l’abandon et devant lequel elle stoppait définitivement.

Les deux hommes qui avaient entraîné Martial s’étaient levés. Celui qui paraissait être le chef jetait sur les yeux du spahi un voile qui l’aveuglait. Hors d’état de se défendre, le soldat sentait qu’on le soulevait par les épaules, par les pieds, qu’on l’emportait.

– Que vont-ils faire de moi ? Timoléon veut donc qu’on m’assassine ?

Et, connaissant merveilleusement l’endroit où on le transportait, le spahi ne se trompait pas à l’itinéraire que suivaient ses ravisseurs :

– Ils montent les marches du perron. Nous sommes dans le vestibule. Où vont-ils ? Ah, cette porte, cet air frais, miséricorde, on me descend dans la cave.

On le jeta sur le sol. Il sentait que l’on ouvrait le cadenas qui fermait ses menottes. Puis un pas s’éloignait. Il allait donc rester seul avec un unique gardien ? C’était Timoléon Fargeaux que l’on avait été chercher probablement.

– Monsieur Altarès, vous m’entendez ?

D’en dessous son bâillon, le spahi poussait un grognement affirmatif.

– Très bien, je vais vous enfermer où vous êtes. À droite contre le mur vous verrez, car en somme on voit dans cette cave, le soupirail y laisse pénétrer une clarté suffisante, vous verrez que j’ai fait déposer une cruche pleine d’eau et trois pains. Vous êtes fort, vous êtes robuste, vous n’êtes plus lié que par des cordes, vous n’aurez donc aucune difficulté à recouvrer votre liberté de mouvements. Cela je ne vous l’interdis pas. En revanche, et je vous prie de bien faire attention à mes paroles, je vous préviens que vous êtes ici prisonnier, prisonnier jusqu’à ce que j’ai décidé ce qu’il faut que je fasse de vous. Inutile, quand je vais être parti, de tenter de vous échapper. La porte est solide, les murs sont épais, vous vous fatigueriez inutilement. Donc, restez tranquille, méditez, réfléchissez et préparez-vous à la mort, si le cœur vous en dit.

La voix qui avait parlé se tut. Martial Altarès entendait qu’on refermait son cachot improvisé à l’aide de serrures très compliquées, et qui certainement n’étaient pas posées depuis longtemps sur la porte de la cave : il était seul.

Martial Altarès, plus de deux heures dut se débattre, bander ses muscles, meurtrir sa chair, s’écorcher effroyablement avant d’arriver à libérer un seul de ses bras.

De la main qu’il venait de dégager des cordes qui l’emprisonnaient encore, le spahi arracha le bandeau qui gênait ses yeux, le bâillon qui l’étouffait. Il voyait.

Martial Altarès ne s’était pas trompé. Il était bien dans la cave du pavillon isolé. Aucun meuble ne garnissait ce cachot. Un jour rare pénétrait à peine par le soupirail percé très haut. Il y avait bien trois pains et une cruche pleine d’eau.

– Timoléon veut donc me détenir ici jusqu’à ce que je sois devenu fou ? se dit le soldat.

Abattu, immobile, le malheureux spahi tout d’abord ne songeait même plus à se servir de sa main libre pour achever de défaire ses cordages. Mais cette défaillance, aussi bien morale que physique, ne dura que quelques secondes. Martial Altarès se ressaisissait déjà. Une colère nouvelle montait en lui, lui infusant une nouvelle énergie :

– Je saurai, hurlait-il, je saurai ce que Timoléon veut au juste.

Il défit en hâte ses derniers liens. Les membres libres, il patienta quelques secondes pour laisser à la circulation le temps de se rétablir. Bientôt pourtant ses membres retrouvèrent leur souplesse. Il pouvait agir.

Alors, Martial Altarès se releva comme un furieux. Il courut à l’intérieur de la cave, tapant du poing les murs, ébranlant la porte, vociférant. Nul écho ne lui répondit. Le pavillon abandonné était tout au fond du parc, le prisonnier pouvait bien appeler, crier, il était vraisemblable que personne, jamais, ne l’entendrait, ne viendrait lui porter secours.

Tout autre eût désespéré. Martial Altarès, soudain, prit son élan. D’un bond il sauta jusqu’au soupirail. Souple et leste, il l’atteignit, sa main saisit l’un des barreaux qui grillageaient l’étroite ouverture, et là, se tenant tant bien que mal en équilibre, il regarda dans le parc, vers les lointains, vers la liberté.

***

… Quand les petits oiseaux

Ont besoin de mouron…

Ils s’en vont dans les champs

Se percher sur les bran… anches…

D’une voix déplorablement fausse, qui tenait un juste milieu entre la voix d’un homme complètement ivre et la voix d’un enfant furieusement en colère, d’une voix qui était par moments perçante et criarde et qui, en d’autres, avait des intonations graves et enrouées, Bouzille tentait de se distraire du travail auquel il se livrait.

Bouzille avait connu bien des ennuis.

Le philosophe qu’il était s’était évidemment fort bien accommodé des soupçons injustes qui avaient plané sur lui, à Beylonque, lorsque le malheureux idiot Saturnin Labourès avait été trouvé noyé dans la mare aux sangsues.

– Les hommes, avait alors sentencieusement déclaré Bouzille chez un marchand de vins de l’endroit, sont ingrats et malfaisants. Si j’ai été voler des sangsues, c’est uniquement pour rendre service à l’humanité souffrante. Quel remerciement en ai-je ? Tout simplement on m’accuse d’avoir noyé un enfant. C’est à dégoûter de braver les lois pour faire le bien.

Mais si Bouzille avait accepté avec sa résignation habituelle la réprobation dont les habitants de Beylonque l’avaient entouré, alors même qu’il avait été remis en liberté sur l’ordre de Juve, Bouzille avait supporté avec moins de facilité les visites bientôt quotidiennes que lui avait rendues un important fonctionnaires du village, et qui n’était autre que l’huissier du pays.

Si Bouzille se souciait assez peu des condamnations civiles qui étaient prononcées contre lui, – que pouvait bien lui faire une condamnation de deux mille francs d’indemnité, alors qu’il ne possédait jamais plus de deux sous à la fois ? – il avait cependant été fort ennuyé par la dernière visite de l’huissier qui lui avait tranquillement signifié l’ordre d’avoir à déguerpir de sa maison.

Bouzille, furieux, avait voulu résister.

On avait immédiatement eu recours, non pas au garde champêtre, mais à un procédé plus simple. Bouzille, en rentrant, avait un beau soir trouvé sa maison sans porte ni fenêtre. Il commençait à faire froid, on rendait le logis inhabitable, il allait bien falloir que Bouzille se résignât à ne plus y demeurer.

Bouzille, heureusement, avait plus d’un tour dans son sac. Il était allé voir les plaignants et obtenus des délais.

– Prenez au moins un métier qui me garantisse que vous me paierez un jour, avait fini par demander le propriétaire du terrain.

Bouzille s’était écrié :

– Que je prenne un métier, mon bon Monsieur ? mais à quoi bon. Je n’en ai pas de métier, j’en ai dix, vingt, trente, j’en change tous les jours, et malheureusement toujours inutilement. Jamais je ne ferai fortune, c’est invraisemblable, mais c’est ainsi.

Là-dessus, Bouzille, avait fini par s’engager solennellement à récolter des champignons et à les vendre tous les jours, pour payer l’acquisition de son terrain. Bien entendu, Bouzille n’avait pas tenu parole. Il récoltait bien des champignons, parce qu’il aimait baguenauder dans les bois, flâner à droite et à gauche, il les vendait bien de temps à autre, quand la cueillette était bonne, mais il buvait l’argent ou s’achetait des cigares. Bouzille se fût déshonoré s’il avait réellement payé un terrain dont il désirait la propriété.

Ce jour-là, il vagabondait dans les bois du château de Garros où il y avait beaucoup de champignons et peu de gendarmes.

Or, tandis qu’il chantonnait, voilà que Bouzille sursauta :

Pour la deuxième fois, il venait d’entendre appeler :

– Hé là-bas, au secours !

Bouzille se retourna.

Le parc était désert. Personne en vue. Qui donc pouvait l’appeler ?

Bouzille, le nez en l’air, son panier de champignons derrière le dos, chercha d’où provenait l’appel :

– Par ici. Approchez-vous du pavillon !

Cette fois, il n’y avait pas à s’y tromper. C’était bien du pavillon abandonné qu’on l’appelait. Bouzille opéra une brusque volte-face, considérait la petite maison délabrée.

– Mais où diable c’est-il donc que vous êtes caché ? demanda Bouzille, et qui c’est-il que vous êtes et quoi que vous me voulez ?

Bouzille, ayant formulé toutes ces demandes, attendit une réponse. Elle vint, ahurissante :

– Je suis prisonnier, enfermé dans la cave, au secours, Bon Dieu, venez !

D’émotion, Bouzille, lâchait son panier. Il y avait un prisonnier dans la cave du pavillon ? Ça n’avait pas de bon sens. Bouzille, en trottinant s’approcha. Guidé par la voix, il trouvait vite le soupirail d’où rappelait Martial Altarès.

– Alors quoi ? demanda-t-il, c’est pour un faisan ou un cerf ?

Car Bouzille n’hésitait pas une seconde, si quelqu’un était enfermé dans la cave, ce ne pouvait être dans son idée, qu’un braconnier, conduit là par quelque garde-chasse.

– Mais non, c’est pour une femme, expliqua le spahi.

– Eh bien, ça ne vaut pas le coup, déclara le chemineau et qu’est-ce que vous lui avez fait à cette femme ?

Mais Martial Altarès, n’avait aucune envie de causer. Tandis que Bouzille s’asseyait sur son panier et s’apprêtait à tailler une petite bavette, le spahi lui demanda :

– As-tu des allumettes ?

– Oui. Pourquoi ?

– As-tu une scie ?

– Il y a une scie à mon couteau. Pourquoi ?

– Passe-moi ta scie.

– Non, faut pas l’abîmer, qu’est-ce que vous voulez en faire ?

– Il faut que je sorte d’ici.

Bouzille, déjà s’était levé.

– Hé, hé, je ne dis pas, mais ça va-t-il me causer des ennuis si je vous aide ?

– Je te donnerai cent francs, mille francs, ce que tu voudras.

Bouzille, n’était point si exigeant :

– Ça, c’est des paroles. Donnez-moi cent sous tout de suite, j’aime mieux ça.

Pour toute réponse, Martial jeta son porte-monnaie à Bouzille qui l’explora consciencieusement :

– Eh bien, j’ai fait ma journée, moi. Attendez voir un peu, donnant donnant, ça ne vas pas être long que je vous tire de là. Il y a moyen d’en sortir.

Bouzille ne mentait pas. Alors que le barreau de fer était impossible à arracher de l’intérieur du cachot, il était en réalité facile à desceller de l’extérieur. Bouzille qui était beaucoup plus robuste qu’on ne l’eût cru à le voir, l’arracha en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

– Maintenant, déclara-t-il, enlevant le barreau après une dernière secousse, maintenant, tendez-moi la main. Vous n’êtes pas gros, hein ? Vous pourrez vous glisser par là ?


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