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La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 13:29

Текст книги "La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Est-ce possible, Mademoiselle, s’écria-t-il, que vous soyez déjà rétablie ? ma parole, vous avez une veine extraordinaire. Recevoir un coup de revolver à bout portant le soir, et le lendemain il n’y paraît plus.

– C’est vrai, murmura Hélène en souriant aimablement, j’ai de la veine, pour une fois.

– Dans deux jours, poursuivit l’interne, vous serez sur pied et vous pourrez nous quitter. Ma foi, ce sera dommage, parce que ma petite, vous êtes une jolie fille et j’aime à croire qu’on ne doit pas s’embêter avec vous.

Cette soudaine familiarité étonna un peu Hélène, qui, cependant, n’en laissait rien paraître. Elle avait esquissé une légère moue lorsque l’interne lui avait dit qu’il lui faudrait encore quarante-huit heures de séjour à l’hôpital et elle allait discuter cette question, car elle se sentait en parfaite santé, mais Carnabesse ne lui en laissa pas le temps.

– Dites donc, fit-il, racontez-moi donc un peu votre aventure d’hier soir. Certes, on m’a déjà mis au courant, mais enfin, c’est amusant comme tout de savoir et puisque, finalement, vous n’êtes pas gravement blessée, donnez-moi donc quelques détails.

– Cela vous intéresse ?

– Mais oui. Oh, poursuivit l’excellent Carnabesse, vous pensez bien que nous avons l’habitude de ces sortes d’histoires, moi surtout… J’ai fait mes études à Toulouse, qui est, comme vous le savez, la capitale du Midi, puis, je suis venu travailler particulièrement la gynécologie à Bordeaux qui est, comme vous savez, une autre capitale d’un autre Midi, et enfin je me suis arrangé pour venir passer les six mois de la saison à Biarritz. Quand on est malin, on se débrouille. Tout cela pour vous dire d’ailleurs, que dans des villes comme celles-là on ne s’embête pas, parce qu’il y a de quoi faire la noce et rigoler avec les petites poules comme vous.

– Ah, vraiment ?

– Naturellement ! Partout où il y a de la femme, cela fait du grabuge, surtout dans le Midi où on a la tête près du bonnet. Heureusement que la plupart du temps ces batailles ne sont pas graves, et qu’une bonne nuit d’amour arrange tout ça. Alors, c’est votre amant, ce spahi ?

– Oh, mon amant, fit Hélène qui esquissait un geste de protestation.

– Oui, je sais qu’on nie toujours ces choses-là. À votre aise. D’ailleurs, ça ne me regarde pas. En tout cas, le gaillard est en prison maintenant, et avec une sale affaire sur les bras.

– Pas possible ?

– Dame oui. C’est le conseil de guerre pour lui, vous comprenez, un militaire. Surtout que ce n’est pas le premier venu. Je le connais, moi, ce garçon, il appartient à une excellente famille, les Altarès. Au fait, vous ne le connaissez peut-être pas plus que cela, votre amant ? Oui, Martial Altarès appartient à une très bonne famille du Midi. Il a une sœur mariée à M. Timoléon Fargeaux, propriétaire du château de Garros, un vieux château, ma chère, tout ce qu’il y a de bien, sur la ligne de Bayonne, à huit kilomètres de la Barre de l’Adour. Oui, et vous pouvez être sûre qu’il va trinquer, car on n’aime pas ces histoires-là au régiment. Surtout que vous allez certainement porter plainte.

– Je vais voir… Monsieur, je me sens décidément tout à fait bien, et je vous prierais de me signer mon bulletin de sortie.

– Comment, protesta Carnabesse, vous voulez nous quitter ? me quitter ?

– Mon Dieu oui.

– C’est embêtant, poursuivit l’interne, moi qui me préparais à vous faire la cour, mais enfin ça n’empêchera peut-être pas. Il est évident qu’au point de vue médical je n’ai aucune raison de vous retenir. Vous vous portez, ce matin, comme le Pont-Neuf, pas l’ombre de fièvre. Cependant, je ne vous accorderai votre exeat qu’à une condition.

– Vraiment, fit Hélène, et laquelle ?

– Eh bien, ma chère petite, c’est à la condition que vous dînerez ce soir avec moi. Nous ferons ensemble la fête, ça vous consolera de votre amoureux, et je vous prie de croire qu’on ne s’embête pas avec moi. Est-ce entendu ?

– Pourquoi pas ?

– Donc, rendez-vous à la gare de Biarritz, pour le train de 6 h. 32. N’ayez pas l’air de me reconnaître, car j’ai des relations ici et même un peu de famille, mais vous prendrez un billet pour Saint-Jean-de-Luz, et c’est là que nous nous paierons une bosse de rigolade.

Une heure après, Hélène quittait l’hôpital. Au fond d’elle-même la jeune fille était enchantée de se retrouver libre, et surtout d’avoir, en faisant bavarder l’interne, obtenu des renseignements sur son mystérieux agresseur.

– Par exemple, pensait-elle, si cet imbécile compte sur moi pour dîner avec lui ce soir, il se fait de rudes illusions. C’est qu’il m’a prise pour une petite grue.

Hélène monta dans une voiture, se fit conduire à la gare, et, dans la salle d’attente, étudia l’indicateur.

***

Cependant, au château de Garros, Timoléon Fargeaux était en tête-à-tête avec sa femme. Les époux s’expliquaient :

– Enfin, d’où viens-tu ? demandait Timoléon pour la dixième fois.

– Je te l’ai déjà dit, répliqua Delphine qui simulait la patience angélique. J’ai été voir ma tante à Dax, tu sais bien qu’elle est malade.

– Enfin, va-t-elle mieux ?

– Elle va mieux.

– Est-ce bien vrai, cette histoire-là ?

– Pourquoi ?

– Parce que, éclata Timoléon, je sais qu’hier, à la gare, au lieu de prendre le train pour Dax, tu as pris celui qui va dans la direction opposée.

– C’est pour gagner du temps. Je suis allée jusqu’à Bayonne prendre l’express qui va d’une traite à Dax.

– Ah, c’est donc ça. Je comprends maintenant.

– D’abord, tu ferais mieux de me dire à quoi tu as passé toi-même ta soirée et ta nuit ?

– Moi, je suis resté bien tranquille à la maison.

– Allons donc, je sais que tu es sorti.

– Eh bien, oui, c’est vrai, je suis sorti à neuf heures pour ne rentrer qu’à une heure du matin. Mais je n’ai rien fait de mal, j’ai simplement été faire un tour dans la propriété.

– Pourquoi ? demanda Delphine.

Timoléon refusa de répondre.

Timoléon Fargeaux, d’ailleurs, ramena la conversation sur l’absence de sa femme.

– Ouf, fit-il en se laissant tomber dans un fauteuil et en attirant tendrement Delphine près de lui, je suis bien content de tout ce que tu viens de me dire, car me voilà rassuré et je t’avoue franchement que, depuis hier, j’avais des inquiétudes.

– Des inquiétudes ? à quel sujet ?

– Je n’ose pas te le dire.

– Et moi, je veux que tu parles.

– Hier, ton frère est venu aussitôt après ton départ, et il m’a fait une scène terrible, m’accusant d’être un mari aveugle, m’affirmant que j’étais cocu.

– Mon frère est un imbécile.

– Non, fit Timoléon, c’est un brave garçon, seulement il est un peu vif, exagéré, et puis, s’il parlait ainsi, c’était dans notre intérêt, pour sauvegarder l’honneur de la famille.

– L’honneur de la famille… l’honneur de la famille… De quoi se mêle-t-il, maintenant, Martial ? Véritablement, c’est extraordinaire. Insupportable. J’en ai assez, entends-tu, Timoléon ? Si jamais Martial s’avise de te reparler de ces choses-là, tu le prieras de s’adresser à moi. Et je m’en expliquerai avec lui une bonne fois pour toutes.

– Oh, je ne demande pas mieux, moins il y aura d’histoires et plus je serai satisfait. L’essentiel, pour moi, c’est, en somme, d’être assuré que je ne suis pas cocu.

Il attira Delphine tout près de lui, lui serra tendrement la taille :

– Dis-le-moi, fit-il d’une voix émue.

– Quoi ?

– Eh bien, que je ne suis pas cocu.

La jeune femme ne répondit pas. On venait de frapper à la porte du salon. Elle s’arracha des bras de son époux.

– Entrez.

La bonne se présenta.

– C’est l’institutrice.

– Quelle institutrice ?

– Celle que Madame a fait venir de Bayonne.

– Eh, tu t’y prends de bonne heure, ma Delphine. Tu engages des institutrices, et nous n’avons pas encore d’enfants.

M me Fargeaux ne répondit pas à son mari, mais elle demeura tout interloquée, ahurie, ne comprenant rien à ce qu’annonçait la bonne.

– Vous êtes sûre que c’est pour moi ?

– Oui, Madame, précisa la servante, c’est une jeune dame qui est venue comme ça sonner à la porte du château, et elle m’a dit : « Prévenez M me Fargeaux que l’institutrice qu’elle veut engager est arrivée. »

Delphine était bien trop intelligente pour ne pas se douter qu’il y avait là quelque mystère qu’il lui fallait élucider avec adresse.

– Faites entrer cette personne dans le petit salon, dit-elle, je vais aller la rejoindre.

La bonne obéit. Timoléon Fargeaux se disposait à suivre sa femme dans le petit salon, et il n’était pas autrement fâché à l’idée de voir l’institutrice.

M me Fargeaux l’en empêcha :

– Toi, fit-elle, reste ici, ça n’est pas l’affaire des hommes de s’occuper du personnel de la maison, et ça m’agace de t’avoir tout le temps sur mes talons.

– Bien, bien, répondit l’excellent Fargeaux, qui renonça aussitôt à son projet. Ne te fâche pas, je n’irai pas voir la personne, seulement je sors pour aller fumer ma pipe dans le jardin.

– C’est cela, va fumer ta pipe.

Quelques instants après, M me Fargeaux pénétra dans le petit salon. À peine y fut-elle entrée qu’elle poussait un cri :

– Ah mon Dieu, la femme de cette nuit.

M me Fargeaux reconnaissait en effet la mystérieuse personne qu’elle avait trouvée en tête à tête avec l’infant d’Espagne, dans les appartements de ce dernier, à l’ Impérial Hôtel. M me Fargeaux tressaillit de colère :

Par exemple, c’était plus fort que tout :

– Eh bien, Madame, s’écria-t-elle, incapable de rester calme, devant cette personne, vous avez un fameux toupet. Non seulement je vous trouve hier soir là où je devais être, mais je vous revois aujourd’hui, chez moi. Vous avouerez que c’est un peu raide, et que je suis en droit de me fâcher. D’abord, que voulez-vous ?

– Vous auriez pu commencer. Madame, par me demander ce que je voulais, cela vous aurait évité des paroles inutiles, et quelque peu compromettantes, non pas tant pour moi que pour vous.

– Il suffit. Alors Madame, que voulez-vous ?

– C’est, bien simple, fit Hélène, je veux que vous m’accordiez pendant quelques jours, votre hospitalité.

– Vous êtes folle ?

– J’ai mon entière raison. Toutefois, pour dissimuler ce que la chose pourrait avoir d’étrange, vous me ferez passer pour l’institutrice de vos enfants.

– Mais je n’ai pas d’enfants.

Hélène réprima un sourire :

– Peu importe, Madame, je serai alors gouvernante de votre personnel, la sœur de la femme de chambre, la lingère chargée de quelques réparations. Je n’ai pas de vanité. Je passerai pour ce que vous voudrez. L’essentiel pour moi, c’est d’habiter ici, chez vous.

– Vous vous moquez du monde, Madame ?

– Je vous assure que non.

– Madame, je ne veux plus entendre vos propositions, allez-vous-en.

– Je ne sortirai pas.

– Pourtant, il le faudra bien.

Les deux femmes se mesurèrent du regard. Hélène reprit d’un ton très posé :

– Vous allez accepter de me garder chez vous. Si vous vous y refusez encore, j’irai de ce pas, révéler à votre mari, votre conduite de cette nuit.

Delphine Fargeaux baissa les yeux, se tordit les mains :

– C’est du chantage, fit-elle.

Hélène rougit. Elle répliqua embarrassée, mais sur un ton d’absolue sincérité :

– Vous avez dit le mot, Madame, c’est du chantage, mais soyez assurée qu’il n’est inspiré par aucun mauvais sentiment, bien au contraire. Je ne tiens pas à vous trahir, et cependant, il est indispensable que j’obtienne de vous ce que je veux. Il est nécessaire que j’habite votre maison pendant quelques jours, il y a, à cela, des motifs graves que je ne puis vous révéler pour le moment. Je m’en excuserai plus tard auprès de vous, je me justifierai, et vous reconnaîtrez que si j’ai agi de la sorte c’est parce que j’y étais contrainte et forcée, il y va d’ailleurs de votre intérêt et de votre honneur.

– Qu’est-ce qu’ils ont tous, à s’occuper ainsi de mon honneur ?

Néanmoins, se rendant compte que cette jeune femme avait décidément des motifs graves, pour lui faire son étrange requête avec autant d’insistance, Delphine Fargeaux répondit :

– Soit, en principe, je ne dis pas non. Supposons donc que j’accepte de satisfaire à votre désir et que vous allez passer désormais pour la gouvernante de la maison. Est-ce tout ce que vous voulez ?

Hélène hocha la tête :

– Non, Madame, il y a autre chose.

– Quoi, grands dieux ?

– Il s’agit de votre frère. M. Martial Altarès, spahi, est bien votre frère, n’est-ce pas ?

– Oui.

– Savez-vous qu’il est arrêté ?

Cette question était si brusque que Delphine Fargeaux vacilla sur ses jambes et dut s’asseoir sur un fauteuil.

– Que racontez-vous là, Madame ?

– Mademoiselle.

M me Fargeaux reprit :

– Que racontez-vous là. Mademoiselle ? Mon frère est arrêté ? Pourquoi ? qu’a-t-il fait ?

– Il a tiré sur moi un coup de revolver et m’a blessée à l’épaule.

Delphine, en effet, ne savait rien de ce qui s’était passé sitôt après son départ des appartements de Son Altesse Royale, qu’elle avait quittés précipitamment. Elle avait connu le début du vaudeville qui s’était déroulé entre elle, Hélène et l’infant d’Espagne, elle avait ignoré le drame dont son frère, jaloux de l’honneur de la famille avait été le héros principal et Hélène, la victime qui n’en pouvait mais.

Cette dernière mit rapidement M me Fargeaux au courant de l’aventure. Hélène avait compris ce qui s’était passé en apprenant par l’interne que Martial Altarès était le frère de Delphine Fargeaux et elle s’était rendu compte qu’elle avait été victime d’une erreur. Le spahi avait voulu tirer soit sur sa sœur fautive, soit sur l’infant coupable. Il avait atteint un tiers, par le plus grand des hasards.

Delphine Fargeaux écoutait ce récit, qu’elle n’interrompait que d’interjections étouffées, d’exclamations plaintives, et soudain, une pensée lui vint à l’esprit :

– D’abord, interrogea-t-elle, en fixant Hélène dans les yeux, comment étiez-vous là, à l’ Impérial Hôtel, en tête-à-tête avec l’infant ?

– Cela, avoua la jeune fille, je dois dire que je n’en sais absolument rien. C’est un mystère que j’éclaircirai sans doute un jour. Pour le moment, je ne puis vous renseigner. Mais, revenons à notre sujet. Il faut, Madame, que vous sauviez votre frère. Il est actuellement sous le coup d’une grave accusation, il risque un châtiment terrible, celui des assassins vulgaires, il est indispensable que vous le sachiez.

– Que dois-je faire ?

– Il faut, déclara celle-ci, que vous alliez dire la vérité tout entière à la Justice.

– Mon Dieu, mais c’est épouvantable, c’est affreux, la situation dans laquelle je me trouve est unique au monde, il n’en est pas de plus atroce.

– Pourquoi ?

– Parce que si je dis la vérité, je suis perdue.

– Votre frère sera sauvé. Si on le juge sous l’inculpation d’avoir tiré un coup de revolver sur une inconnue, il passera pour une simple brute et il sera durement condamné, tandis que si on connaît les motifs qui ont armé son bras, si l’on sait que c’est pour protéger sa sœur, pour la défendre contre un amoureux entreprenant, si l’on apprend que ce militaire a fait feu pour sauvegarder l’honneur de sa famille, on lui pardonnera, il sera remis en liberté.

– Mais alors, si je parle, je me déshonore à tout jamais, car il me faudra dire les motifs pour lesquels je me trouvais auprès de l’infant.

– Il vous faudra dire la vérité, Madame, le devoir de tout être humain c’est de dire la vérité et vous le ferez quoi qu’il arrive, n’est-il pas vrai ?

Un instant, Delphine Fargeaux réfléchit. Tout son être se crispa.

– Je serai courageuse, murmura-t-elle enfin, vous avez en effet raison. J’irai dès cet après-midi à Bayonne, je verrai les gens de justice et je leur parlerai. Toutefois, poursuivit-elle, en essuyant une larme, plus jamais, au grand jamais je n’oserai reparaître ici, me montrer à mon mari. Pauvre Timoléon, que va-t-il penser de moi lorsqu’il saura… Je vous remercie. Mademoiselle, des bons conseils que vous m’avez donnés. Il me reste à vous demander une faveur.

– Laquelle, Madame ?

– Eh bien, voici : en sortant du Tribunal, cet après-midi, je partirai pour l’étranger, j’irai loin, très loin. On ne saura jamais ce que je suis devenue. Alors, je compte sur vous pour dire à mon mari… Mon Dieu, tout ce qui vous plaira. À la condition simplement, qu’il ne sache point ce qui s’est passé, qu’il conserve toujours un souvenir tendre et pur de sa petite Delphine.

M me Fargeaux ne pouvait plus continuer. À demi écroulée sur le plancher, elle sanglotait éperdument ; Hélène eut pitié de cette grande douleur. Elle s’approcha, lui prit les mains :

– Madame… commença-t-elle.

Mais la jeune fille s’interrompit. La porte du petit salon s’était entrebâillée et par cette ouverture, apparaissait une silhouette masculine, la grosse tête ronde de Timoléon Fargeaux qui roulait des yeux étonnés.

– Vous en faite un tapage, commença-t-il, on vous entend toutes les deux depuis…

Timoléon Fargeaux s’arrêta net. Delphine avait bondi et, redevenant acariâtre, les poings crispés, elle s’était écriée :

– Toi, d’abord, fiche-nous la paix.

Prudent et rapide, Timoléon Fargeaux avait battu en retraite.

– Bon, bon, murmura-t-il, en balbutiant encore quelques vagues excuses qui se perdaient dans le couloir.

– Croyez-vous qu’il est assommant, s’écria machinalement M me Fargeaux.

Hélène ne put s’empêcher de rire. Elle était un peu étonnée par ce caractère de femme méridionale au tempérament excessif, et qui passait en l’espace d’une seconde de l’extrême douceur à la plus vive colère ou à la plus franche gaieté.

– Si tel est votre mari, Madame, dit Hélène, je crois qu’il sera inutile d’en venir aux extrémités fâcheuses que vous méditiez tout à l’heure. Je maintiens qu’il est indispensable que vous alliez au plus tôt dire la vérité à la justice et faire libérer votre frère, mais que votre départ est inutile, et qu’il vous suffira pour assurer définitivement la paix de votre ménage, de quelques bonnes paroles dites au bon moment à l’excellent homme que doit être votre mari.

11 – UN RAT D’HÔTEL

Il était à peu près neuf heures du soir, et par la fenêtre à tabatière, il ne tombait plus dans la chambre mansardée du caissier principal de l’ Impérial Hôtel, qu’un jour rare et misérable, un jour qui n’éclairait que d’une très indécise lumière la petite pièce, simplement meublée où l’employé modèle venait se reposer, son travail terminé.

Guillaume n’était pas encore remonté de la caisse, attardé sans doute par des comptes difficultueux ou encore par un bilan exigé, à l’improviste, du gérant qui, de temps à autre, adressait ainsi des demandes de vérification, prétendant que c’était pour le bon ordre et n’ayant en réalité qu’une envie : trouver Guillaume en faute, obtenir un motif pour le congédier car, sans raison, il ne l’aimait pas.

Si Guillaume n’était pas dans la chambre, un autre personnage y était installé dont la seule vue eût révélé la qualité.

L’homme était vêtu des pieds à la tête d’un costume extraordinaire. Son corps était moulé dans un maillot de laine noire dont le col remontait jusqu’au visage qui disparaissait entièrement sous une cagoule, une cagoule noire.

Le personnage était légendaire. La silhouette était célèbre. Silhouette de nuit, silhouette de crime, silhouette de meurtre. Si le maillot noir eût put faire croire à un ordinaire rat d’hôtel, la cagoule, de forme bien particulière, ne pouvait permettre l’hésitation, l’individu qui se trouvait dans la chambre de Guillaume, c’était Fantômas, c’était le bandit terrifiant, c’était le Maître de l’Épouvante.

Comment Fantômas s’était-il introduit dans la chambre ? Le passe-partout qu’il tenait encore à la main et qu’il enfouissait dans sa poche suffisait à l’expliquer.

Le Roi du Crime avait tranquillement ouvert la serrure, tiré la porte sur lui. Maintenant, il était seul et de dessous sa cagoule, on entendait son rire résonner lugubrement.

– Me voici dans la place, disait Fantômas, jetant un rapide coup d’œil autour de lui, je crois que mon entreprise ne présentera aucune difficulté et j’imagine que demain les gens de l’hôtel en se réveillant…

Mais un bruit de pas résonna dans le couloir. Fantômas, rapidement prit son parti :

– Ce doit être Guillaume qui remonte, songea-t-il. Méfiance…

Dans le demi-jour de la pièce, sa silhouette noire avait quelque chose de fantastique, de diabolique même. Par moments, elle se découpait en lignes précises sur la fenêtre, en d’autres, elle disparaissait complètement, semblait s’évanouir, se mêler à l’ombre, se fondre en elle.

Le bruit de pas se rapprochait :

– C’est bien Guillaume, répéta Fantômas, c’est bien le caissier.

Le bandit se baissa, se jeta à plat ventre sur le sol, sans un bruit, en rampant avec une souplesse extraordinaire, il se glissa sous le lit de fer du caissier.

Fantômas ne s’était pas dissimulé dans cette cachette que la porte de la chambre s’ouvrait. C’était bien Guillaume, le caissier, fatigué d’une longue journée de travail, regagnant sa chambrette. L’employé, d’ailleurs, ne paraissait aucunement se douter du sinistre visiteur qui, quelques secondes auparavant, s’était glissé chez lui. Son attitude était celle d’un homme pressé mais non préoccupé.

La porte ouverte, à tâtons, Guillaume avait atteint le commutateur de l’électricité. L’ampoule, pendue au plafond s’illumina. Guillaume bâilla, puis alla à sa table de toilette.

Il se donna un coup de brosse sur les cheveux, rectifia le nœud de sa cravate, puis, revenant vers la cheminée, choisit dans une petite boîte une cigarette qu’il alluma, dont il tira avec béatitude quelques bouffées.

Dans la pièce, on n’entendait aucun bruit. Fantômas épiait.

Le caissier cependant, ayant fumé, parut hésiter quelque peu. Il eut le haussement d’épaules d’un homme qui se décide à une démarche peu agréable, il se déchaussa, il prit ses souliers à la main, revint vers la porte de sa chambre, il sortit. La porte se referma sur lui dans un claquement sec.

Or, au moment même où la porte se refermait, fébrilement, Fantômas sortit de sa cachette. Le bandit, lui aussi, se releva. Il courut à la porte. Son passe-partout à la main, il l’ouvrit facilement, sans que la serrure eût grincé le moins du monde, puis il sortit, il se glissa dans le couloir, il se coula à la suite du caissier.

– Ah ça, songeait Fantômas, pourquoi diable ce maudit Guillaume est-il sorti d’ici ? Où peut-il aller ? Que médite-t-il ? et que signifie l’extraordinaire façon dont il s’est déchaussé, dont il a pris ses souliers à la mains ?

Fantômas avança sur les traces du caissier.

Guillaume, au sortir de sa chambre, avait tourné à droite, dans un grand corridor qui longeait toutes les chambres affectées aux employés de l’ Impérial Hôtel. Le corridor n’était pas éclairé, à peine y voyait-on, de place en place, aux endroits où des vasistas percés dans la toiture laissaient passer la faible clarté du dehors.

Guillaume, tenant toujours ses bottines à la main, avançait avec précaution en homme qui craint de faire du bruit. Il marchait vite. Il avait lancé autour de lui des regards circulaires, il s’était assuré que nul ne l’observait.

Le couloir était désert quand Guillaume était sorti de sa chambre, mais deux minutes après un personnage suivit le caissier, un personnage qui était Fantômas. Fantômas frôla les murs, traversa vif comme l’éclair les endroits illuminés et, au contraire, s’attarda dans les parties sombres du corridor.

Si Guillaume faisait peu de bruit en marchant, Fantômas, lui, n’en faisait pas. Il incarnait véritablement la Nuit, la Nuit qu’on ne voit pas, la Nuit lugubre. Quand même Guillaume se fût retourné il n’eût pas aperçu le bandit qui s’attachait, lui, à ne pas le perdre de vue.

– Où va-t-il ? se demandait Fantômas, toujours sur les talons du caissier.

Soudain, le Maître de l’Effroi songea :

– Que je suis bête ! Parbleu, Guillaume le caissier s’en va rejoindre Félicie Lapeyrade, sa maîtresse.

Dans l’hôtel, au bout du corridor que suivaient le caissier et Fantômas, habitait un couple marié d’employés de l’administration, les Lapeyrade. Félicie Lapeyrade était une accorte lingère qui avait épousé, il y avait longtemps de cela, un gros bonhomme, Narcisse Lapeyrade, employé lui-même en qualité de pisteur officiel par l’ Impérial Hôtel.

Narcisse Lapeyrade était naturellement, en raison des exigences de sa profession, continuellement en voyage. Sa femme, au contraire, demeurait fidèlement à l’hôtel et les mauvaises langues n’étaient pas sans affirmer que tout était pour le mieux de la sorte, car Félicie Lapeyrade pouvait, avec la plus grande facilité, recevoir le caissier, le beau Guillaume avec qui elle trompait le plus souvent possible et le mieux du monde, son excellent époux.

Le caissier cependant, était arrivé tout au bout du corridor de l’ Impérial Hôtel. Il écoutait, l’oreille collée à une porte, puis il frappait trois petits coups, puis encore un coup, puis encore trois autres coups.

– De mieux en mieux, songeait Fantômas, voici le mot de passe.

– C’est toi Guillaume ? tu viens bien tard ce soir.

– J’ai été retenu au bureau, ma chérie. Et puis je ne savais pas si ton mari…

– Oh, pas de danger pour ce soir, répliquait la jeune femme. Nous n’avons qu’à l’oublier complètement. Narcisse ne revient pas avant demain trois heures.

Des baisers s’échangèrent entre les deux complices, puis Félicie demandait encore :

– Dis, tu n’as rencontré personne en venant ?

– Personne.

– On ne t’a pas surveillé ?

– Mais non, mais non !

– Alors, tout est pour le mieux.

La porte, doucement s’était refermée. Félicie, par prudence, tira le verrou, puis elle alla clore soigneusement les rideaux de sa fenêtre et alors, alors seulement, elle ouvrit l’électricité.

Félicie Lapeyrade était vraiment charmante. Elle avait d’ailleurs toute la séduction qui émane de la femme réellement amoureuse : elle noua ses bras autour du cou de son amant, l’embrassa avec passion.

– Guillaume, mon chéri, sais-tu que j’avais peur que tu ne viennes pas ?

Tandis qu’à mots entrecoupés elle interrogeait son amant, Fantômas profitant de l’ombre, merveilleux d’audace, fou de témérité, s’était introduit dans la chambre des amants.

Au moment où Félicie Lapeyrade ouvrait le commutateur de l’électricité, le sinistre Maître de l’Effroi était déjà tapi sous le grand lit garnissant le fond de la pièce. Comme il avait épié quelques minutes avant dans la chambre du caissier, il était tapi maintenant dans la chambre où s’envolaient les paroles d’amour.

***

– Non, ne parle plus, il faut être sage Guillaume, demain tu dois prendre ton service de bonne heure, je ; ne veux pas que tu sois fatigué. Allons, dors mon chéri.

Elle tourna le commutateur, l’électricité s’éteignit, la chambre s’emplit d’ombre.

C’était évidemment ce qu’attendait Fantômas. Pourtant, avec son sang-froid habituel, il ne se hâta pas d’accomplir ce qu’il avait sans doute résolu. Toujours tapi sous le lit, il patienta une grande heure pour être certain que Félicie Lapeyrade et Guillaume étaient plongés dans un profond sommeil. C’est seulement lorsqu’il entendit les deux respirations régulières des dormeurs, lorsqu’il fut assuré qu’ils étaient réellement inconscients de ce qui pouvait se passer autour d’eux que Fantômas passa à l’action.

Lentement, très lentement, Fantômas rampa sous le lit, en sortit à moitié, avançant vers la chaise sur laquelle, en se déshabillant, le caissier Guillaume avait jeté ses vêtements.

Le bandit se redressa, fouilla dans les poches du veston du caissier. C’est en toute tranquillité qu’il explora la doublure du veston, nulle exclamation de triomphe ne trahit sa voix au moment où il sentait, dissimulée près de la poche à portefeuille, une petite pochette, fermée d’un bouton et dans laquelle il découvrit une clé, une mince petite clé de forme spéciale, une clé de sûreté, la clé des coffres de l’hôtel.

Fantômas d’ailleurs ne prit rien d’autre. Il respecta les papiers du caissier, sa montre, son porte-monnaie cependant lourd et devant contenir une certaine somme.

Fantômas n’était pas et ne voulait pas s’abaisser à être un voleur vulgaire. Il avait suivi le caissier pour s’emparer de la clef des coffres de l’ Impérial Hôtel. Cette clef, il la possédait maintenant. Qu’avait-il besoin d’autre ? Fantômas, son vol accompli, s’était recouché à plat ventre sur le sol et réfléchissait. Que faire ? À coup sûr, il avait réussi dans son entreprise puisque la clef des coffres était maintenant en sa possession, mais cependant le succès n’était pas définitif, la chambre était fermée, n’avait-il pas à craindre, en faisant jouer la serrure, en tirant le verrou, de donner l’alarme ?

Du lit où reposaient Félicie Lapeyrade et son amant, la respiration régulière des dormeurs montait de façon rassurante. Mais sans doute, le moindre craquement réveillerait l’un des deux amants ?

Fantômas allait se décider à tenter l’aventure, à s’approcher de la porte, à l’ouvrir en appelant à son aide toute sa science, toute son adresse, lorsqu’un événement imprévu vint ruiner son projet.

Un poing robuste heurtait précisément la porte, en même temps qu’une voix, une grosse voix, une voix bon enfant, criait avec un fort accent marseillais :

– Té, c’est moi Félicie, ouvre donc, ma jolie, allons, réveille-toi pas moins. J’ai oublié ma clef, décidément.

Fantômas entendant cela, plus vif que l’éclair, se rejeta sous le lit.

Hélas, au même moment, Félicie Lapeyrade et Guillaume se réveillèrent en sursaut :

Qui frappait ?

Ils n’hésitèrent ni l’un ni l’autre à le deviner. C’était Narcisse Lapeyrade, c’était le mari.

Guillaume, le caissier, assis dans le lit, les yeux encore fermés par le sommeil, eut un sourd juron :

– Ah bon sang de bon sang !

Félicie Lapeyrade gémissait :

– Mon Dieu, mon Dieu.

Or, de l’autre côté de la porte, l’excellent Narcisse s’étonnait que sa femme ne se réveillât point :

– Té, tu ne m’entends donc pas, Félicie. Ouvre ma petite. C’est moi, c’est ton Narcisse, ouvre donc, ma bonne.

Félicie Lapeyrade garda tout son sang-froid.

– Nous sommes pris dit le caissier.

– Non, tais-toi, tu vas voir.

Rusée, pour gagner du temps, Félicie se hâta d’ajouter à voix haute :

– C’est toi, Narcisse ? c’est toi qui rentres ?

– Hé oui c’est moi, tu rêvais donc, ma mignonne. Alorsse, tu m’ouvres ?

– Oui, oui, je t’ouvre.

Elle sauta en bas du lit.

La jeune femme courut, pieds nus, jusqu’à un grand placard garnissant un angle de la chambre.

Fébrilement, elle en tira une pile de cartons à chapeaux qu’elle posa sur le tapis :


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