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La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Текст книги "La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Que voulait faire Fandor ?

Son plan était simple.

– Puisqu’on m’a donné de quoi manger hier soir, supputait le jeune homme, il est probable qu’on m’accordera encore une pitance quelconque aujourd’hui. Je suis dans le noir et je ne peux pas apercevoir mon geôlier, mais j’ai des allumettes, ce dont il ne se doute pas.

Quand on viendra, je craquerai l’un de mes tisons, je verrai la tête de cet individu, ce sera toujours une satisfaction.

Le raisonnement était juste et, après de longues heures d’attente, Jérôme Fandor eut le plaisir en effet d’entendre quelqu’un s’approcher de la grille.

– Monsieur, commença la voix qui lui avait déjà parlé, la voix de femme.

Fandor ne répondit pas.

– Monsieur, continuait-on, voici votre déjeuner.

– Crac.

Fandor venait d’enflammer une allumette tison. Or, dans l’auréole que dessinait la mince petite flamme, Jérôme Fandor aperçut, très distinctement, le visage de la femme qui se penchait sur la grille.

Et c’étaient deux cris, deux cris de surprise qui jaillissaient dans le phare :

– Lady Beltham !

– Jérôme Fandor !

Fandor, qui se brûlait les mains consciencieusement, se hâta de craquer une autre allumette, mais déjà sa geôlière avait disparu.

Le journaliste ne pouvait que s’emporter d’une colère soudaine :

– Lady Beltham, hurla-t-il, ah, j’aurais dû m’en douter, c’est lady Beltham qui est ma gardienne. C’est bien cela. Plus de doute, je suis aux mains de Fantômas. Bougre de bougre, me voilà frais.

Et il cria plus fort :

– Lady Beltham ? Lady Beltham ? Venez, j’ai à vous parler.

Fandor cria longtemps. Il allait cesser d’appeler, épuisé, lorsque la maîtresse de Fantômas réapparut enfin.

La grande dame, blanche comme un linge, tremblante, effarée, entra dans la pièce située au-dessus de la prison de Fandor. Elle avait des gestes d’automate, et Fandor ne pouvait s’empêcher de penser en lui-même :

– Dieu, qu’elle est belle et comme elle paraît malheureuse.

Lady Beltham, en effet, ayant été reconnue par le journaliste, ne prenait plus la peine de se cacher. Elle tenait une lampe dont la lumière aveuglait Fandor. S’approchant de la grille, elle lui dit d’une voix qui tremblait ;

– Ne m’interrogez pas. Ne me demandez rien, je ne peux pas vous répondre, je n’ai qu’à obéir : voici votre déjeuner. Adieu, Jérôme Fandor.

Mais Jérôme Fandor ne l’entendait pas ainsi :

– Fichtre comme vous y allez, lady Beltham. Ne m’interrogez pas, dites-vous ? Ah si, par exemple, je suis là pour ça. Voyons, où suis-je ? dans un phare ? qui m’a fait mettre là ? Fantômas ?

On eût dit vraiment que lady Beltham était hypnotisée par les paroles de Fandor. Elle ne s’écartait pas de la trappe, elle restait immobile, elle ne chercha point à fuir, mais ses lèvres ne se desserrèrent pas.

– Madame, insista Fandor qui s’énervait, vous pouvez bien me dire si tout cela est exact ? D’autant plus que je ne sais rien moi, que je ne comprends rien à ce qui se passe. J’allais rejoindre Juve pour m’occuper du meurtre d’une certaine M me Borel et…

Cette fois les lèvres blanches de lady Beltham s’entrouvraient :

– M me Borel n’est pas morte, déclarait la maîtresse du bandit, M me Borel c’est moi.

– Vous ?

Fandor avait prononcé ce vous avec un tel accent de stupéfaction qu’un pâle sourire se dessina sur le visage de lady Beltham :

– Oui, répondait-elle, c’était moi. J’avais pris ce nom pour disparaître à nouveau, me faire oublier. Jérôme Fandor, je tiens à vous dire que je suis innocente de tout ce qui est arrivé et que…

Il y avait une telle angoisse dans les paroles de lady Beltham que le journaliste en fut ému. Chose curieuse, alors qu’il était prisonnier et que la maîtresse de Fantômas était sa geôlière, Jérôme Fandor se sentait sans colère envers la grande dame.

Lady Beltham, c’était aux yeux du journaliste une victime plus qu’une coupable. Elle aimait Fantômas. C’était son seul crime, et Fandor ne pouvait pas lui en vouloir.

– Bon, bon, interrompit l’ami de Juve, vous êtes innocente, je le veux bien, mais il y a autre chose, je m’ennuie, moi, où je suis. Faites-moi sortir, hein ?

Or, lady Beltham ne répondit pas, elle s’écarta de la trappe, secouant lentement la tête, disparut.

Jérôme Fandor vécut alors de longs jours d’un ennui pesant, d’une perpétuelle anxiété. Dans l’étroite cellule où il était enfermé où il continuait à vivre dans une obscurité rigoureuse, il sentait que la folie rôdait autour de lui. À intervalles réguliers, Lady Beltham apparaissait près de la trappe, et lui passait, à travers les barreaux, des provisions. Elle ne répondait jamais à ses questions, elle se contentait de répéter :

– Jérôme Fandor, je suis innocente.

***

Combien de temps Fandor resta-t-il prisonnier ? combien de temps allait-il le rester encore ? Il n’en savait rien.

N’ayant, pour mesurer le temps, d’autres ressources que de compter les apparitions de sa geôlière, il estimait qu’il était depuis plus d’une semaine enfermé dans le phare, lorsqu’il se réveilla un beau matin, bien décidé à risquer le tout pour le tout et à livrer une grande bataille pour recouvrer sa liberté.

Jérôme Fandor, en effet, pendant sa monotone captivité, avait employé ses loisirs à fouiller les ballots qui s’y trouvaient. Il n’avait pas trouvé d’objets bien intéressants d’abord, car la plupart des caisses contenaient du goudron, des signaux, des cordages, des engins nécessaires au phare lorsqu’on ouvrant une petite caissette, il s’était aperçu, à l’odeur qui s’en exhalait, qu’elle était remplie de poudre.

Jérôme Fandor avait aussitôt pensé à utiliser cette poudre :

– Lady Beltham, hurlait-il, descendez donc, j’ai absolument besoin de vous parler.

Il hurla l’appel pendant toute la journée et s’étonna de ne point recevoir de réponse, d’autant que la grande dame n’était pas venue lui apporter son déjeuner, chose à laquelle elle n’avait jamais manqué jusque là.

Jérôme Fandor était donc fort inquiet, soupçonnant qu’il y avait du grabuge dans le phare, lorsque enfin lady Beltham apparut :

En un clin d’œil Jérôme Fandor fut sur les caisses qui lui servaient d’échafaudage :

– Écoutez-moi, commença-t-il, j’ai deux mots à vous dire et je veux vous parler très sérieusement.

Lady Beltham ne lui laissait pas le temps d’achever.

– Jérôme Fandor, faisait-elle, je m’excuse de ne point être venue vous apporter votre repas. Vous êtes dans un phare, comme vous l’avez deviné, la mer est démontée. J’ai été obligée de passer toute la journée dans la lanterne que je n’osais pas abandonner. Il y avait des vaisseaux en perdition, j’ai sauvé des centaines d’existences.

L’excuse était bonne évidemment et Jérôme Fandor aurait eu mauvaise grâce à ne point le reconnaître.

– Très bien, fit le journaliste, je me moque tout à fait de n’avoir pas déjeuné et vous avez eu raison de rester dans la lanterne du phare si votre présence y était utile, mais il ne s’agit pas de cela. Écoutez-moi bien, lady Beltham, voici ce que j’ai découvert et voici ce que je vous propose : j’ai trouvé dans ma cellule deux caisses remplies de poudre noire, destinée probablement à des signaux. Sur moi il me reste cinq allumettes-tison. De deux choses l’une : ou vous allez immédiatement me remettre en liberté, ou immédiatement, je frotte l’une de ces allumettes-tison et je la jette sur la poudre. Le phare saute, je saute et vous sautez, lady Beltham. J’ajoute que si Fantômas est ici…

– Il n’est pas là.

– Tant pis, il aurait sauté lui aussi. Enfin voilà. Mon parti est pris. Vous avez dix minutes pour réfléchir. Donnez-moi la liberté ou je fais tout exploser.

De pâle qu’elle était, lady Beltham était devenue livide. La grande dame, en effet, connaissait suffisamment l’énergie du reporter pour ne pas douter de ses paroles. Ce que Fandor disait il le ferait, il fallait ou se résigner à la mort ou lui rendre la liberté.

Pendant quelques minutes il sembla qu’un étrange combat se livrait dans l’âme de la maîtresse de l’Insaisissable. C’était d’une voix extraordinaire, d’une voix sans sonorité, qu’elle finissait par répondre :

– Jérôme Fandor, j’ai juré sur mon honneur que, quoi qu’il arrive, je ne vous remettrai pas en liberté.

– Alors, nous allons sauter.

– Laissez-moi achever. J’ai juré sur mon honneur que je ne vous remettrais pas en liberté et moyennant ce serment j’ai obtenu des apaches qui vous ont amené ici, qu’ils se contentent de vous emprisonner sans vous torturer, sans vous crever les yeux, comme ils en avaient l’intention. Je suis donc engagée par serment à vous garder prisonnier et je ne manquerai pas à la parole donnée. Vous me menacez de faire sauter le phare, soit. Faites ce que bon vous semblera. Si vous êtes prêt à la mort, j’y suis prête aussi, autant que vous, plus que vous peut-être. Mais il y a quelque chose dont je vous fais juge : la nuit tombe en ce moment, Jérôme Fandor, la mer est démontée, je vous l’ai dit, vous entendez comme elle hurle, comme elle frappe avec violence les murailles de votre cellule. Eh bien, Jérôme Fandor, si vous faites sauter le phare cette nuit, il y a certainement de pauvres pêcheurs, de grands bateaux aussi qui feront naufrage, car ils n’auront plus le feu dont je suis la gardienne pour se guider. Réfléchissez à cela. Vous pouvez très bien faire sauter le phare, c’est entendu, je vous demande de ne le faire sauter que demain matin, quand il fera jour, une fois la mer calmée.

Sans ajouter un seul mot, lady Beltham se retira. Dans sa cellule, Jérôme Fandor avait fait la grimace :

– Nom de Dieu de nom de Dieu, grommelait le journaliste, en voilà une aventure, c’est qu’elle a raison, si je flanque le feu aux poudres maintenant il va y avoir des sinistres. Bah, attendons jusqu’à demain matin.

***

Alors qu’elle quittait Fandor, lady Beltham remontait par une petite échelle dans la salle basse du phare. Elle parvenait ainsi au centre même de la haute tour. Là, se dressait à l’intérieur du pylône creux un étroit escalier qui, accolé contre la muraille, permettait d’atteindre la lanterne où le phare brillait.

Or, comme lady Beltham commençait à gravir les degrés de cet escalier pour aller prendre son poste près du feu, comme elle gravissait les premières marches, s’attendant presque à ce que Jérôme Fandor, dans sa cellule, mît ses menaces à exécution et occasionnât la formidable explosion qu’il projetait, lady Beltham entendit une voix terrifiée qui lui criait :

– Montez vite, montez vite, le feu est éteint. Je ne peux pas le rallumer.

Qui donc parlait ainsi ?

Lady Beltham, défaillante, venait de s’appuyer contre la muraille à bout d’énergie.

– Le feu est éteint !

Qui lui parlait ?

Lady Beltham le savait bien, c’était Anselme Roche.

La veille, en effet, alors que la mer semblait d’huile, tant elle était paisible, une voile blanche avait cinglé sur le récif.

Anselme Roche avait pris pied sur l’écueil, était entré dans le phare avant que lady Beltham, occupée dans la lanterne eût pu s’opposer à son arrivée. Une scène dramatique, courte mais terrible, s’était alors produite.

Anselme Roche, qui avait la bonne foi candide des amoureux, s’était précipité vers celle qu’il considérait toujours comme étant seulement M me Borel et, à mots entrecoupés, lui avait dit :

– Votre amant, c’est Fantômas. Oui, c’est l’abominable Fantômas. Quittez-le. Je vous aime. Vous referez votre vie. Séparez-vous de ce misérable !

À ces paroles ardentes, M me Borel, lady Beltham, plutôt, n’avait d’abord rien répondu. Elle savait bien, elle, la grande dame, que M. Borel n’était autre que Fantômas, elle savait bien aussi qu’Anselme Roche était épris, profondément épris d’elle. Était-ce suffisant pour qu’elle pût trahir l’amant qu’elle aimait toujours ?

Lady Beltham eut donc pour le magistrat des paroles vagues. Elle ne dit ni oui ni non, elle ne refusa ni n’accepta les offres que multipliait le magistrat. Et puis, la nuit était venue, une saute de vent avait bouleversé l’Océan tranquille jusqu’alors, le canot qui avait amené Anselme Roche se brisa contre l’écueil et, par la nuit de tempête, lady Beltham et son compagnon ne purent plus échanger un mot, occupés seulement à rallumer le feu, tant les rafales de vent soufflaient, à manœuvrer la sirène, à sauver les navires qui passaient au large.

Comme la tempête redoublait vers la fin du jour, lady Beltham songeait à Fandor qui, depuis la veille, n’avait reçu d’elle aucune provision.

C’était alors que le journaliste la menaça de faire sauter le phare, et quand elle remonta de la cave où Fandor était prisonnier, Anselme Roche, demeuré dans la lanterne, lui hurla le lugubre avertissement :

– Le feu est éteint. Il y a un navire en perdition. Que faire ?

Lady Beltham, une seconde, s’affola. Son parti, toutefois fut vite pris.

Elle savait qu’en cas de danger, en cas d’avarie survenant au feu, un mécanisme était prévu qui permettait d’actionner une puissante sirène remplaçant l’éclat de la lanterne. Mais cette sirène était lourde à mettre en action. Jamais ni elle ni Anselme Roche n’arriveraient à la faire mouvoir. Lady Beltham n’hésita pas. Elle revint trouver Fandor. Elle ouvrit la trappe :

– Vous nous ferez sauter demain, lui dit-elle, si vous le voulez, mais venez, vous êtes courageux, j’ai confiance en vous, il faut que vous m’aidiez, il s’agit de sauver un navire.

Suivant la grande dame qui lui expliquait la manœuvre, Jérôme Fandor se précipita dans l’escalier en colimaçon qui grimpait vers la lanterne du phare :

– Vite, vite, criait lady Beltham, le passage est si mauvais qu’en un instant un navire peut s’y engloutir. Lady Beltham et Fandor, quelques minutes plus tard, haletants, hors d’haleine, atteignaient la lanterne. Or, comme ils y parvenaient, à travers les vitres de la chambre dé garde, ils aperçurent Anselme Roche qui, debout sur l’étroit balcon entourant le phare, agitait éperdument une cloche en dépit des embruns qui lui sautaient au visage, des rafales de pluie qui l’aveuglaient.

Mais lady Beltham et Fandor n’eurent qu’une seconde à peine le temps d’apercevoir le courageux magistrat.

Sans qu’ils pussent se rendre compte de ce qui se passait, ils virent Anselme Roche soudain arraché au balcon par quelque chose qui heurta le phare à grand fracas.

Le corps du malheureux était entraîné dans le vide.

Un paquet de mer un instant, dissimula l’horizon. L’endroit où s’était trouvé Anselme Roche quelques secondes auparavant, était vide, brusquement.

Le vent, la tempête, autre chose peut-être l’avaient emporté, arraché, lancé à la mer.

27 – QUATRE CRIS DANS LA TOURMENTE

Que s’était-il donc passé ?

Une heure environ avant que Fandor et lady Beltham eussent vu le procureur Anselme Roche si extraordinairement enlevé du haut de la galerie du phare, par une sorte de perche qui avait semblé surgir du sein des flots, Juve, qui depuis le début de la soirée était sur les traces de Fantômas, avait fini par rejoindre le bandit au moment où celui-ci arrivait au Port-Vieux à Biarritz.

Fantômas un instant, semblait-il à Juve, avait eu l’idée de pénétrer dans l’auberge de José Farina. Il était vraisemblablement trop tard, les volets, les fameux volets du cabaret étaient hermétiquement clos et le bandit, qui certainement se sentait poursuivi, avait dû se rendre compte qu’il n’aurait pas le temps de se faire ouvrir avant d’être rejoint.

Fantômas prenant une décision rapide, se perdit alors dans une ruelle étroite et sombre qui faisait l’angle de la maison de José Farina. Cette ruelle conduisait au port. Fantômas la suivit en courant, il n’avait pas le droit de s’attarder, derrière lui, en effet, il entendit le bruit des pas précipités de Juve et l’insaisissable bandit devait redouter d’être capturé enfin.

Fantômas s’élança sur la jetée qui menait à l’entrée du port et, dès lors, à la lueur vacillante des lampadaires électriques, Juve, qui s’en rapprochait de plus en plus, pouvait le voir courant devant lui. C’était un spectacle impressionnant que celui de ces deux hommes dont l’un poursuivait l’autre et qui couraient sur cette jetée étroite, rendue glissante par les vagues qui y déferlaient.

La mer était très dure, on entendait au lointain le grondement de l’océan en furie, la plainte brutale du vent auxquels se mêlaient le long cri plaintif des sirènes actionnées par les navires qu’inquiétaient la tempête, au loin.

Lorsque se produisait une accalmie, le vent apportait par bribes les échos lointains de l’orchestre de tziganes du Casino aux salons brillamment illuminés.

Juve songeait, cependant que, frileusement, il refermait son pardessus qu’arrachait la tempête :

– Que va faire Fantômas ? Il n’est point d’issue à l’extrémité de cette jetée et, comme je doute qu’il se jette à la mer, j’imagine qu’il va se retourner, que nous allons nous livrer, seul à seul devant l’immensité, une lutte d’homme à homme.

Juve, surexcité par la poursuite à laquelle il se livrait et se sentant tout près d’atteindre le but, éprouvait au fond de lui-même une satisfaction intense à l’idée que le dénouement qui approchait désormais était inévitable.

– À nous deux, Fantômas ! cria-t-il.

Mais, à ce moment, Juve poussa un juron. Le bandit venait de disparaître. Il avait sauté de la jetée, semblait s’être perdu dans la mer. Juve se précipita jusqu’à l’extrême pointe de la digue avancée au milieu des flots.

– Il ne sera pas dit que Fantômas m’échappera, s’écria-t-il.

Et Juve sauta à son tour par-dessus le parapet, s’élança à la poursuite de Fantômas, car Juve, en un éclair, avait compris ce qui se passait. Et, avec une témérité sans pareille, il avait décidé de poursuivre coûte que coûte le Maître de l’Effroi dans ses périlleuses entreprises.

Un bateau à vapeur, de petites dimensions, que Juve n’avait pas remarqué jusqu’alors, avait évolué dans le port au moment où la poursuite prenait place. Il dansait sur les vagues, ballotté comme une coque de noix, cependant que sa cheminée vomissait des torrents de fumée qui venaient, en nuages d’encre, se perdre dans l’obscurité de la nuit. Or, au moment précis où Fantômas atteignait l’extrémité de la jetée, ce vapeur doublait la digue, la rasant de près. Et Fantômas avait bondi, en un saut prodigieux.

Mais le bandit ne s’échappa pas de la poursuite que lui livrait son audacieux adversaire, car Juve, une seconde après, n’écoutant que son courage et au risque de tomber dans les flots qui battaient furieusement le pied de la digue, bondit à son tour pour tomber lui aussi sur le pont du navire. Le policier fit une chute invraisemblable. Arrivé sur un paquet de cordes, il fut projeté par un coup de roulis, la tête contre un bastingage, et son bras, fortement contusionné lâcha, sous la violence de la douleur, le revolver qu’il tenait à la main.

– Crénom de bonsoir, jura Juve en se relevant, me voilà mal parti dans cette affaire !

Mais le policier n’eut pas le temps de réfléchir. Une lame qui secouait le navire et le faisait frémir jusqu’au fond de ses flancs, mouilla Juve des pieds à la tête et le projeta contre l’une des poutrelles qui soutenaient une sorte de dunette, où un homme venait de monter. On entendit dans la tempête les commandements retentir :

– Barre à tribord, toute.

Puis des bruits de chaînes, commandant le gouvernail, et qui prouvaient que l’ordre avait été exécuté. D’autres commandements. C’étaient des indications relatives à la vitesse des machines. Le porte-voix les transmettait dans les entrailles du navire d’où s’élevaient des bruits sourds, cependant que sur les flots qui le ballottaient, naissait à l’arrière du vapeur un bouillonnement d’écume toute blanche, déterminé par le battement des hélices.

Quelques instants s’étaient à peine écoulés que Juve se rendait compte que la jetée était déjà loin. On était en mer. Où allait-on ? à bord de quel navire Juve se trouvait-il ? sur quel terrain allait-il avoir à soutenir la lutte suprême avec Fantômas ?

Mais le policier ne réfléchit pas longtemps. Pour résister au tangage qu’accompagnait le roulis, il s’était fortement accroché à la colonne de fer qui soutenait la passerelle. Soudain, à quelques mètres de lui, une silhouette se dressa, un homme se dressa, qui l’interpella :

– Eh bien, Juve, vous voilà ?

– Vous voilà, Fantômas ?

Juve était furieux contre lui-même. Ah, que n’avait-il pu conserver son revolver. S’il avait eu son arme à ce moment, il aurait froidement tiré, tiré à bout portant. Il aurait, sans discussion préalable, abattu comme un chien l’être effroyable et terrible qu’il poursuivait depuis tant d’années. Juve ne pouvait rien. Il était désarmé. Il se tut.

Quelqu’un, cependant, du haut de la passerelle, appelait :

– Patron, quelle direction cette nuit ?

C’est à Fantômas que l’on s’adressait évidemment, car le sinistre bandit de sa voix claironnante et narquoise, répliqua aussitôt :

– Comme toujours, sur le phare de l’Adour. Puis, quand tu seras arrivé, mets en panne devant la pignada du château de Garros.

Malgré tout son courage et son sang-froid inébranlable, Juve frémit. Fantômas dictait des ordres au pilote du navire, c’est donc qu’il n’était pas par hasard à bord de ce vapeur. Son enlèvement avait été combiné à l’avance et il s’était merveilleusement exécuté. On avait tendu à Juve une souricière et, en poursuivant Fantômas, il était tombé dans le piège. Ce navire, évidemment, était mené par les hommes du Génie du Crime.

– Ça y est, pensa Juve, cette fois, je suis foutu.

Résigné à son sort, n’essayant pas même de se précipiter sur Fantômas, qu’il devinait armé, qu’il sentait entouré de complices tout prêts à le défendre à la première attaque, Juve ne broncha pas. Cependant, Fantômas s’adressait à nouveau à lui :

– Vous êtes mon prisonnier, Juve.

Sa voix dominait le bruit de la tempête, le grondement sourd des machines, le clapotement des flots sur les flancs du navire.

– Votre prisonnier ? répondit Juve, jamais !

– Vous résisterez donc ? demanda Fantômas.

– Je résisterai jusqu’à la mort.

Il y eut un silence. Un coup de sifflet retentit. Puis le navire s’écarta de sa ligne, faisant une embardée terrible, embarquant un large paquet de mer.

Et Juve, à ce moment, se demanda s’il ne valait pas mieux en finir tout de suite, s’il n’était pas préférable pour lui de chercher un trépas volontaire en se précipitant dans les flots. Mais il connaissait son devoir, il devait jusqu’au bout se conserver vivant, jusqu’à son dernier souffle, il devait garder l’espoir de soutenir la lutte, et de triompher.

Fantômas s’était tu, et il semblait à Juve que ces secondes tragiques duraient des siècles.

Enfin, le bandit reprit, et désormais c’est d’une voix toute changée, qu’il s’adressait au policier. Fantômas fit même un pas vers lui, pour lui dire :

– Ce n’est pas la mort, Juve, que je vous offre, c’est la paix. J’ai besoin de vous.

– Vraiment, Fantômas ? Ne savez-vous donc pas à qui vous vous adressez pour oser faire une proposition semblable ? Sachez que je n’aurai pas pitié de vous si je suis le plus fort, je ne m’abaisserai jamais à vous demander grâce.

– Juve, poursuivit Fantômas, il ne s’agit pas de ça. Je connais trop la noblesse de votre âme pour supposer un seul instant que vous seriez capable de venir solliciter ma pitié. C’est moi qui sollicite votre appui, me comprenez-vous bien ?

– Je ne vous comprends pas, fit Juve, et je souhaite que nous en finissions.

– J’ai besoin, vous dis-je, de votre appui, et c’est pour cela que je vous accorde la vie sauve. Il faut que vous m’aidiez dans une entreprise honnête.

Fantômas insista sur ce dernier mot, avec l’évidente intention de le faire remarquer.

– Rien de ce qui vient de vous ne peut être honnête. Je refuse.

Et il y avait une telle volonté, une telle résolution dans le ton de ces paroles, que Juve considéra que désormais l’entretien ne pouvait être que terminé.

Instinctivement, il ferma les yeux, s’attendant à être frappé, il pensa à Fandor. Mais Fantômas n’avait pas cessé de parler. D’une voix qu’étranglait l’émotion, il insista encore, suppliant presque :

– Il s’agit de ma fille, dit-il, d’Hélène.

Fantômas n’acheva point. Un bruit terrible venait de se produire, c’était une des manches à air qui, arrachée par une vague, venait de s’écrouler sur le pont du navire.

Juve s’écarta machinalement. Une seconde de plus et le lourd cylindre de fer, qui roulait vers le bastingage, l’écrasait, l’entraînait avec lui dans sa chute. La manche à air fit un bond, tomba dans les flots qui l’engloutirent.

La mer était toujours démontée. Des matelots affairés allaient et venaient sur le pont, sans interruption. Du haut de sa lunette, le pilote donnait les ordres, d’une voix calme et énergique. Le policier perdit de vue Fantômas. Il fit quelques pas, trébuchant sur le navire, ne sachant trop ce qui allait advenir, souhaitant presque que la mer qui déferlait avec furie lui donnât le coup de grâce et ne décidât d’engloutir avec lui ce tragique bateau et son mystérieux équipage. Il ne devait pourtant pas en être ainsi.

Le navire triompha de la mer démontée, il vola littéralement sur la crête des vagues.

Juve s’était réfugié à l’avant du bateau, cramponné à une bouée. Il entendit encore Fantômas qui discutait avec le pilote :

– Approchons-nous ? demandait le bandit, nous devrions être arrivés.

Mais le pilote répondait :

– C’est sûr que nous devrions être arrivés, mais il faut croire que le bateau ne gouverne plus, car je vois les feux du phare qui sont au moins à dix milles de nous. Nous avons dû être entraînés au large.

– La boussole, interrogea Fantômas, que dit-elle ?

– Cassée, répliqua le pilote, cassée par la manche à air.

Le bandit grommela, cependant que le pilote, après avoir vérifié son gouvernail, s’écria d’une voix triomphante :

– Non, la barre tient encore, on va pouvoir se redresser, je pointe droit sur le phare.

Qu’il était loin ce phare, et que ce voyage paraissait long. Les hommes discutaient tout en faisant la manœuvre.

– Pas possible, grommela l’un d’eux, c’est pas le phare de l’Adour que nous voyons ici, le phare de l’Adour doit être beaucoup plus près de nous.

Mais son compagnon :

– Imbécile, s’il était plus près de nous, on verrait son feu tournant.

Juve, en s’agrippant à droite et à gauche, était parvenu jusqu’à l’ouverture qui donnait dans l’intérieur de la cale avant.

Malgré ses préoccupations, malgré l’émotion intense qu’il éprouvait, il demeurait penché sur cette ouverture, tant il était stupéfait, intrigué par les choses qu’il découvrait à l’intérieur de cette cale. Elle était illuminée par de nombreux falots, il y avait là une demi-douzaine d’hommes qui, indifférents en apparence à la tempête qui les secouait, se livraient à une besogne étrange : ils remuaient de gros boulets de fonte, les transportaient vers un endroit ignoré de Juve. Toutefois, c’étaient des boulets spéciaux, ils étaient fendus en deux, et s’ouvrant à l’intérieur ils étaient creux, et cependant que les uns transportaient ces boulets, les autres les remplissaient, littéralement les bourraient d’objets que Juve ne tardait pas à identifier : des rouleaux de dentelles.

Juve était tellement intéressé que, penché sur l’ouverture pour regarder ce qui se passait dans la cale, il n’entendit pas Fantômas venir. Celui-ci, toutefois, hésitait à s’approcher de Juve.

Certes, à ce moment, il semblait que si Fantômas eût voulu, il n’avait qu’un pas de plus à faire, et, qu’en toute sécurité, il pouvait frapper le dos de Juve d’un coup de poignard ou le transpercer d’une balle. Fantômas frappant par derrière, n’était-ce pas là une attitude naturelle du bandit ?

Eh bien, ce geste, Fantômas ne le fit pas. Car Juve exerçait sur lui un tel ascendant, que Fantômas avait peur, oui peur, d’attaquer le policier.

Il s’écarta, vint se mettre en face de lui, de l’autre côté de l’orifice qui faisait communiquer la cale avec le pont. Puis, de sa voix gouailleuse comme toujours, Fantômas interrogea :

– Cela vous intéresse, Juve ?

Le policier se redressa, vit le bandit en face de lui. Il ne répondit pas. Fantômas continua :

– Je veux bien vous l’avouer, fit-il désormais, qu’est-ce que je risque ? Et je vais vous apprendre un bon tour de ma façon. Tel que vous me voyez, Juve, je fais de la contrebande, mais non point à la manière de ces pauvres hères qui se donnent un mal inouï pour passer des marchandises à travers la montagne, sur le dos de mules, qui fuient à l’approche des douaniers. Non, je fais mieux que cela, il n’est pas de frontières pour Fantômas. Et c’est à coups de canon que je transporte ma marchandise, d’un pays à l’autre.

– À coups de canon ?

– Oui, fit Fantômas, j’ai pour habitude depuis déjà pas mal de temps d’envoyer par la voie des airs et l’intermédiaire d’un canon, des boulets chargés de dentelle espagnole, sur le sol de France. Notre tir, poursuivit-il, est admirablement réglé. Nous pointons du large, où nous nous trouvons en ce moment, sur une colline de sable qui constitue pour nous un but idéal. Mais, au fait, Juve, vous la connaissez mieux que personne, cette colline de sable ? À sa base, s’élève le pavillon de chasse qui dépend du château de Garros. Si vous aviez pris la peine de fouiller le sol de cette colline, vous auriez constaté qu’il était miné par nos boulets.

– Des boulets, dit Juve, dont les idées désormais commençaient à s’éclaircir.

Il entrevoyait confusément encore, mais d’une façon certaine, la clef du mystère qui l’avait si longtemps intrigué. Et il comprenait presque maintenant la plaisanterie de Fantômas lorsque celui-ci avait voulu faire remettre à l’infortuné Timoléon Fargeaux un éclat d’obus en échange de vingt-cinq mille francs.

Fantômas, d’ailleurs, précisa à l’intention de Juve :

– Nous avions choisi cette colline au sol meuble et aux environs déserts pour éviter les accidents. Hélas, on ne fait pas toujours ce que l’on veut, et il est arrivé qu’un jour, un malheureux être, qui, d’ailleurs, le méritait, puisqu’il enfreignait mes ordres et trompait ma surveillance, a reçu un de ces boulets en pleine poitrine et en est mort. Vous savez qui je veux dire, Juve ? Il s’agit de Martial Altarès, le spahi.

– Misérable, hurla Juve, qui, désormais comprenait en effet, et qui sentait monter en lui une effroyable colère.

Désormais, incapable de se dominer, Juve, au risque d’être frappé d’une balle en plein cœur, se précipita sur Fantômas. Mais, à ce moment, une secousse effroyable fit trembler la navire. Un cri retentit :


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