Текст книги "La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
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Иронические детективы
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Lentement, Fandor porta à ses lèvres la main tremblante de M me Olivet, il y déposa un respectueux baiser. Puis, pour interrompre cette scène pénible, Fandor brusquement tourna les talons, sortit. D’une voix pleine d’angoisse, M me Olivet lui cria :
– Vous reviendrez me voir, dites ? Promettez-moi que vous ne m’abandonnerez pas ainsi.
Fandor ne répondit pas, il était loin.
15 – UN VOYAGE QUI FINIT MAL
Fandor était chez lui, échappé à l’amour malencontreux de M me Olivet. Le journaliste, heureux de retrouver la liberté de ses mouvements dont il avait été privé bien malgré lui, s’était hâté de rentrer à son domicile particulier où sa concierge, effarée de l’apercevoir, se répandait en exclamations :
– Comment, vous voilà ? Et, au moins, je pense que vous allez rester ici maintenant ? J’ai des piles de lettres pour vous. Vous ne repartez pas ?
Fandor avait éclaté de rire :
– Exquise et délicieuse Madame, s’était-il borné à répondre, dans exactement quarante-deux minutes, vingt-cinq secondes et trois cinquièmes, j’espère avoir à nouveau quitté mon domicile et m’être rendu à la gare. Cela dit, donnez-moi mes lettres, et à tout à l’heure.
Fandor, les bras chargés de prospectus, de journaux, de lettres, qu’une ironique mention indiquait comme « urgentes », était monté à son appartement et s’était tranquillement installé assis en tailleur sur le plancher pour lire son volumineux courrier.
– Les lettres urgentes, avait commencé par déclarer Fandor, ont ceci de bon qu’elles n’ont plus aucun intérêt pour moi. Puisqu’elles étaient urgentes, c’est qu’il fallait les lire dans les deux ou trois heures de leur arrivée à mon domicile, or, elles me parviennent avec quinze jours de retard, donc, laissons-les de côté.
Les lettres urgentes repoussées, Fandor avait encore écarté les prospectus et les journaux, dont il se souciait peu. Deux ou trois lettres d’amis l’avaient médiocrement attiré d’autre part, et il avait encore évité de lire ces écritures familières.
En revanche, du tas des lettres, tombait une série de télégrammes qu’il se hâta de décacheter. Le premier lui arrachait une exclamation de surprise :
Ce télégramme disait :
Viens d’urgenceImpérial Hôtel Biarritz.
C’était signé : Juve.
– Oh, oh, s’exclama Fandor, et c’est daté d’hier. Il n’y a pas à hésiter, c’est bien ce que je disais à ma respectable concierge : il faut que je reparte.
Un second télégramme, daté de l’avant-veille et émanant aussi de Juve, était non moins mystérieux :
Je t’attends le plus vite possible à Beylonque, Landes. Arrive.
– Décidément, remarquait Fandor, Juve a besoin de moi. Le pauvre, il doit se demander pourquoi je ne suis pas arrivé plus tôt.
Une autre dépêche, une première, avait dû être envoyée au moment où l’affaire Granjeard avait trouvé sa solution :
F… disparu, Granjeard innocentés. Havard m’expédie éclaircir une affaire mystérieuse, je te tiendrai au courant. Juve.
Cette troisième dépêche en mains, Fandor perdit quelques minutes à réfléchir, à méditer. Puis, avec son impétuosité de caractère habituelle, il se redressa et commença par jurer, saisi d’une subite et ironique colère :
– Ah bien, elle est raide, celle-là, murmurait le jeune homme, et l’on m’y reprendra à me balader sur des toitures vitrées pour, de là, tomber dans des bras de femme-médecin. Cette sacrée M me Olivet, avec son histoire de jambe cassée, vient de me jouer un sale tour. D’après ce que je trouve ici, Juve est encore lancé dans une série d’aventures intéressantes, et tandis que je buvais des tisanes trop sucrées, il avait besoin de moi et il m’appelait. Bougre de nom d’un chien ! Et de plus, Juve me parle de Fantômas. Crédibisèque !
Au même moment on sonnait à la porte du petit appartement. Fandor courut ouvrir, un télégraphiste lui tendit une formule dont il déchira le pointillé en hâte. C’était une nouvelle dépêche de Juve.
Suis très inquiet de ne pas te voir, disait le policier, viens, il s’agit de F…, télégraphie si tu es malade.
Il s’agit de F… ?
Dans toute la dépêche, Fandor ne vit que cette ligne en apparence insignifiante. Mais F…, dans le langage convenu dont Juve et lui se servaient, désignait Fantômas. Si Juve télégraphiait à deux reprises différentes qu’il s’agissait de F…, c’est qu’une fois encore, le policier était sur la piste du bandit, c’est qu’aussi Juve avait réellement besoin de Fandor.
– Comment diable le prévenir ? songeait le journaliste, comment lui dire que j’arrive ?
Par mesure de sûreté, en effet, il était depuis longtemps entendu entre les deux amis que lorsqu’il s’agissait d’affaires policières, ils ne devaient jamais, l’un ou l’autre, se télégraphier, sauf à leur domicile parisien. D’après cette convention, Fandor ne devait pas envoyer de dépêche à Juve, et cela était assez naturel, car il était logique de redouter qu’un autre avant Juve prît connaissance du télégramme.
– Tant pis, murmurait Fandor, après avoir réfléchi, il m’attendra encore aujourd’hui, parbleu. Il y a un train ce soir, je serai demain matin, pas trop tard, auprès de mon vieil ami, et à nous deux…
Fandor n’acheva pas. Une hâte fébrile s’emparait de lui.
Quatre à quatre, il dégringolait ses étages, allait chercher sa concierge, l’appelait :
– Eh, jolie Madame, Vénus manquée, tâchez de vous grouiller un peu. Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, je pars en voyage. Il faut faire ma valise, allez, hop ! Soyez aussi leste que vous êtes belle.
La brave femme qui était la concierge de Fandor n’était plus à s’étonner des écarts de langage. Elle savait de longue date que Fandor plaisantait toujours et que si, en apparence, il semblait se moquer d’elle, en réalité, il était bon garçon et tâchait de lui donner satisfaction chaque fois qu’elle avait besoin de lui.
– Voilà, voilà, Monsieur Fandor, je monte tout de suite ! Sortez les affaires dont vous avez besoin, je vais venir vous les ranger dans votre valise.
Fandor, en toute hâte, remontait ses étages. Mais quand, un quart d’heure plus tard, la brave concierge, ayant fini de préparer son dîner, monta rejoindre le journaliste, elle le croisait qui descendait quatre marches par quatre marches, traînant un lourd et grand sac.
– Seigneur, Dieu, Jésus, s’écria la pipelette, vous êtes donc prêt, Monsieur Fandor ? Vous avez donc fait votre valise ?
– Parbleu, répondit le journaliste, passant en trombe, j’ai tout pris et j’ai tout flanqué dedans au hasard. Dame, ça doit être une jolie salade. Mais ça n’a pas d’importance. J’ai un train dans une demi-heure, il ne faut pas que je le manque.
– Et vous allez loin ?
– Je ne sais pas.
– Vous reviendrez bientôt ?
– Je l’ignore.
– Mais vos lettres ? Votre courrier ?
– Zut !
Sur cette dernière réponse péremptoire, Fandor, qui avait atteint le bas de l’escalier, se hâta de sortir de chez lui. Il héla un fiacre, lui jeta l’adresse de la gare, puis enfin souffla un peu.
– Tout de même, murmurait Fandor, quand je pense que mon rêve est d’arriver à devenir gras, je crois qu’il serait bon que j’y renonce. Quelle vie, seigneur Dieu, quel métier !
À la gare, Fandor ahurissait la buraliste préposée à la distribution des billets :
– Donnez-moi un aller première classe pour Biarritz, demandait-il, je vais me faire réserver un wagon couchette, mais j’exige qu’il n’y ait avec moi ni curés, ni femmes. Tous les curés que j’ai connus, et je n’en ai d’ailleurs connu qu’un seul, étaient d’abominables bandits. Quant aux femmes, je suis si joli garçon qu’elles deviennent amoureuses de moi et cela me casse bras et jambes, ou plutôt non, les jambes seulement. Vous comprenez, Mademoiselle ?
La jeune préposée, évidemment, ne comprenait pas. Sans mot dire, elle donna à Fandor le billet que celui-ci réclamait, et Fandor la supplia, en réponse, de bien faire attention à ses paroles.
– Surtout, lui criait-il, surtout, ne vous mettez pas à m’aimer, cela ne servirait à rien, j’ai les deux jambes solides, et je suis très pressé. Bonsoir !
Fandor, à la vérité, était d’excellente humeur. Il adorait les voyages d’abord, et ce n’était pas un déplaisir pour lui, tout au contraire, que d’embarquer à bord du Sud-Express et de s’en aller jusqu’à Biarritz. Enfin, à Biarritz, Juve l’attendait, Juve l’attendait impatiemment même. Le policier, d’après ses propres dires, étudiait d’importantes affaires, se débattait avec des mystères compliqués, c’était largement suffisant pour que Fandor fut enchanté d’aller le rejoindre, pour qu’il se sentît guilleret et satisfait.
– Dans combien de temps le départ exactement ? demanda-t-il au chef de train.
– À trente-trois, Monsieur.
– Je le pense bien, ripostent Fandor, tous les trains partent à trente-trois ou à quarante-deux. Mais quelle heure est-il ?
– Trente et une, Monsieur.
– Décidément, je suis exact.
Dans l’une des luxueuses voitures du rapide, Fandor s’introduisait avec peine, car sa valise, fort lourde et fort encombrante, ne pouvait facilement passer par l’ouverture des petites portes et le long des couloirs étroits.
Fandor tirait, poussait, jurait, mais, un quart d’heure après, il était définitivement installé, en possession d’une couchette, dans un compartiment où ne logeait, selon son désir, ni curé ni femme.
– Et voilà, conclut Fandor, s’apprêtant à prendre quelque repos en s’étendant sur le petit lit dont il disposait.
Soudain, il sursauta.
– Ah, Crédibisèque, je sais bien pourquoi ma valise est si lourde. J’ai complètement oublié d’enlever les deux haltères que j’y avais rangées, ne sachant où les mettre. Diable. Il est vrai qu’en revanche, je n’ai pas pensé à emporter de faux-cols. Oh, ça ne fait rien.
Cela n’avait pas grande importance, en effet, dans l’esprit de Fandor, et ne devait pas l’empêcher de dormir, car, une heure plus tard, tandis que le Sud-Express, à toute allure, s’enfonçait dans la nuit, Jérôme Fandor ronflait à poings fermés, ayant complètement perdu notion des choses et des gens.
***
– Vos billets, Monsieur, s’il vous plaît ?
Fandor ouvrit les yeux, brusquement réveillé par un contrôleur apparu dans son compartiment. Il commençait à faire petit jour, mais Fandor n’avait que des idées vagues tant il était encore abruti de sommeil :
– Dites donc, vous, répondit-il, je ne vous demande pas l’heure qu’il est, moi. On ne réveille pas les gens comme ça. D’abord, je relève de maladie, je viens d’avoir la jambe cassée.
– Vos billets, Monsieur ?
– Mes billets ? Mes billets ? Je n’en ai pas une douzaine, sapristi, j’en ai un, et je ne sais même pas où je l’ai mis. Attendez, cher Monsieur, veuillez attendre. D’ici une petite heure, je crois que j’aurai quelque idée à ce sujet.
Redressé, assis sur sa couchette, Fandor, qui aimait exaspérer son prochain, entreprenait méthodiquement de se fouiller. Il demanda :
– Dites donc, où sommes-nous ? J’ai pioncé depuis Paris avec une profonde conviction.
– Vous venez de passer Bordeaux, Monsieur.
– Ah, très bien, alors nous sommes dans les pins ?
– Oui, Monsieur.
– De mieux en mieux. L’atmosphère des pins est salutaire pour les bronches. Comme ça, vous voulez mon billet ? Vous me le rendrez, au moins ?
Le contrôleur finit par sourire : il avait d’abord pris Fandor pour un grincheux, ensuite, pour un farceur, il commençait à se demander si le jeune homme n’était pas tout simplement fou.
– Oui, Monsieur, répondit-il. Je vous rendrai votre billet.
Il se saisit du coupon de Fandor, l’examina rapidement, le pointa d’un petit trou rond, puis, tandis que le journaliste s’esclaffait ;
– Encore un confetti de plus sur la terre.
Le contrôleur ajouta très digne :
– Monsieur est prévenu d’avoir à boucler sa valise et à préparer ses bagages. La forêt brûle à une quarantaine de kilomètres d’ici. Il est probable que le train devra stopper et les voyageurs devront faire un kilomètre à pied car le remblai menace ruine.
– Comme moi, répondait Fandor. Mais, dites donc, racontez-moi donc un peu ce que vous venez de me dire d’une façon laconique et brève. La forêt brûle ? Le remblai menace ruine ? En avant marche ! Qu’est-ce que c’est que tout ce boniment-là ? J’ai payé pour être mené en chemin de fer jusqu’à Biarritz. J’espère bien que la Compagnie ne va pas me faire trotter à pied pendant longtemps.
– Non, Monsieur. Vous aurez tout juste à faire un ou deux kilomètres.
– Alors, ça va, respectable employé. Car, voyez-vous, ne l’oubliez pas, je viens d’avoir une jambe cassée.
Excédé, le contrôleur s’enfuit.
– Et allez donc, chantonna Fandor, cependant que le malheureux contrôleur refermait les portes, je l’ai bien embêté, ce pauvre diable. Pour l’argent qu’il gagne et même pour un peu plus. Si tous les voyageurs lui en faisaient voir autant…
Fandor, cependant, tiré de son somme, n’avait plus guère envie de dormir. Il vérifia sa montre : quatre heures du matin.
– Zut. Je me lève comme les poules. Tant pis. Tâchons de nous préparer.
Sorti de son compartiment, le journaliste se dirigea vers le petit cabinet de toilette mis à la disposition des voyageurs. Il allait y atteindre, lorsque, dans le couloir même, il devait se croiser avec un autre voyageur dont la seule vue le fit tressaillir.
Brusquement, le jeune homme s’arrêta, peut-être même pâlit un peu.
Fandor, toutefois, était trop maître de lui pour longtemps donner des signes de surprise. Il se domina, continua à siffloter une valse lente, poursuivit son chemin. Seulement, Jérôme Fandor n’était pas arrivé dans le petit cabinet de toilette, il n’avait pas tiré la porte sur lui que sa physionomie joyeuse une minute avant se rembrunit singulièrement.
– Ah çà, monologuait-il, je ne suis pas victime d’une hallucination. Ce voyageur que je viens de croiser ? Je l’ai vu quelque part, où diable, par exemple ? Dans la pègre à coup sûr, parmi les apaches que fréquentait le Bedeau. Qui est-ce donc ? Qui est-ce donc ?
Jérôme Fandor se plongea le visage dans l’eau glaciale du lavabo, il fit consciencieusement sa toilette, moins assurément dans un désir de propreté qu’avec l’envie de se réveiller tout à fait. Soufflant, s’ébrouant, tandis qu’il refaisait son nœud de cravate, Jérôme Fandor songeait toujours :
– Il est absolument invraisemblable qu’un membre de la pègre se ballade dans le Sud-Express. Et pourtant, pourtant…
Le journaliste abandonna le lavabo, regagna sa place par le petit couloir, jeta en passant des coups d’œil interrogateurs dans les autres compartiments, espérant découvrir encore le mystérieux voyageur qui, quelques minutes avant, l’avait si fort intrigué. Mais Jérôme Fandor en fut pour ses peines. Il ne vit personne. Partout les rideaux bleus étaient tirés sur les vitres et force lui fut de rentrer dans son compartiment sans avoir pu se retrouver face à face avec l’homme croisé une première fois.
– Zut, se déclara Fandor au bout de quelques instants de réflexion, j’ai rêvé et voilà tout.
Au même moment, un spectacle féerique venait tirer le journaliste de ses préoccupations. À un tournant de la voie, le train qui, depuis Bordeaux, à peu près, roulait à toute vapeur, au centre d’une forêt de pins immense et monotone, venait de forcer son allure. L’air se chargeait d’une fumée âcre, prenante, qui sentait le goudron et la résine.
Le contrôleur qui avait réveillé Fandor n’avait à coup sûr point menti. Ainsi qu’il arrive fréquemment, quotidiennement presque, les forêts de pins devaient, à quelques distances, être incendiées. Le vent rabattait des tourbillons de fumée, l’air devenait chaud. Il y avait des bandes d’oiseaux qui fuyaient et qui passaient dans le ciel bleu, encore sombre, car il n’était que quatre heures et demie.
Jérôme Fandor ouvrit sa fenêtre :
– Mettons le nez au balcon, se déclara le journaliste. Ça doit être joli, très premier acte du Châtelet. L’incendie dans la forêt, ma parole on se croirait à la Course aux Dollars [2].
De minute en minute, l’air qui, d’abord, n’avait été que parfumé de senteurs de résine, se faisait plus lourd, plus suffocant, si âpre à respirer qu’une toux secoua Fandor.
– Je ne vois rien, clamait le journaliste. Ça empeste et puis voilà tout. Ah bien, il est joli mon spectacle !
Mais, au même moment, Fandor regrettait ce qu’il venait de dire. La voie avait encore une fois tourné. Et brusquement, à l’improviste, le train pénétrait dans la zone incendiée de la forêt.
Fandor apercevait, travaillant avec une énergie fébrile, de braves petits soldats convoqués d’urgence pour tâcher de limiter le sinistre. Puis, le train passa. La forêt devenait déserte. Elle ne brûlait pas encore en entier, mais il y avait des massifs incendiés, de véritables torches d’où les flammes montaient en crépitant.
– Absolument épatant, commença Fandor.
Il n’acheva pas.
Dans le couloir du wagon, un employé passait à ce moment.
L’homme heurta à la porte du compartiment qu’occupait le journaliste.
– Fermez votre fenêtre, Monsieur, dépêchez-vous, nous arrivons en plein incendie.
Fandor se hâta de relever la glace et, de fait, il était temps. La voie, très étroite, courait maintenant au centre même de la forêt en flammes. En une seconde, le train fut environné de flammes de plus de dix mètres de haut. Il semblait que le convoi fût lui-même en feu, tant l’incendie le serrait de près, tant il roulait au centre d’une fumée noire, épaisse, irrespirable, asphyxiante.
– Bougre, cela devient grave, remarqua Fandor.
Quittant son compartiment où il suffoquait car la chaleur était devenue intense, Jérôme Fandor alla rejoindre, dans le couloir longeant le train, les autres voyageurs qui regardaient le sinistre, l’air mal rassuré.
Il n’y avait pas grand monde, ce jour-là, à bord du Sud-Express, et c’était chose heureuse.
– Jud, criait une petite femme, se cramponnant au bras d’un gigantesque mari dont les favoris roux attestaient l’origine tudesque, Jud, bien sûr que nous allons tous brûler, j’ai peur, j’ai peur !
La panique, en effet, commençait. Le train avait beau forcer l’allure, il était évident qu’il n’allait pas pouvoir voyager longtemps sans dommage, au centre de l’incendie. Déjà, il était impossible d’appuyer la main contre les vitres des portières. Elles étaient brûlantes. D’autre part, des flammèches, des branches incendiées tombaient de temps à autre sur le toit même des wagons. N’y avait-il pas risque qu’elles y communiquassent le feu ?
– Cela va mal, pensa Fandor, cela va très mal. J’ai déjà assisté à deux ou trois incendies pareils, mais jamais je n’avais rien vu d’aussi fort. Nous allons être rôtis dans la perfection.
À ce moment, des employés longeaient les wagons, criant :
– Préparez-vous à descendre, messieurs, dames, le train va stopper dans dix minutes, préparez-vous à descendre.
Fandor ronchonna. Au passage, il arrêtait l’un de ceux qui avertissaient ainsi :
– Dites donc, demanda-t-il, pourquoi faut-il descendre ?
– Parce que, sur deux kilomètres, le remblai menace ruines. Le train passera à vide, vous remonterez plus loin.
– Il est très gentil, ce monsieur, pensa Fandor. Il invite les poulets que nous sommes à se rendre d’eux-mêmes à la broche. Comment diable veut-il que l’on descende là-dedans ?
Et Fandor, des deux côtés de la voie, regardait les pins se tordre sous les rafales de feu. Fandor, pourtant, avait tort. Très souvent, il arrive, en effet, que les forêts des Landes soient incendiées et toujours les Compagnies de chemins de fer emploient le même système. Les dangers d’incendie que court un train passant au milieu d’un sinistre de cette nature sont infimes, en effet. En revanche, sous l’effort des flammes, les rails de la voie se tordent quelque peu et des déraillements sont à craindre. Quand il y a incendie, les services techniques surveillent très attentivement les remblais, et, ainsi qu’il est prudent de le faire, on décide que les trains passeront à vide en ces endroits mauvais ou dangereux, que les voyageurs remonteront à bord, ces parties de voies une fois franchies.
L’express, déjà, ralentissait. Brusquement, les freins criaient, une secousse violente jetait les voyageurs les uns contre les autres.
La forêt, de chaque côté du convoi, brûlait, mais l’endroit de la halte avait été soigneusement choisi. On avait fait arrêter le train en un point où les pins s’écartaient suffisamment de la voie pour que les voyageurs pussent descendre en toute tranquillité sans entrer dans l’incendie lui-même.
– Pressons-nous, Messieurs, dames, pressons-nous.
Fandor, un des premiers, avait sauté sur le remblai.
Il jouissait, en amateur de pittoresque et de beaux spectacles, du superbe coup d’œil de cette forêt incendiée.
Pour lutter contre la chaleur torride qui régnait à l’intérieur des wagons, les voyageurs s’étaient composés de curieux costumes, les hommes arrachaient leur faux-col, dépouillant veste et gilet, les femmes dégrafaient les deux premiers boutons de leur corsage, certaines même ayant quitté leurs jupes, n’avaient conservé que des jupons.
– Hé, hé, songeait Fandor, si le feu est encore un peu plus chaud et qu’il faille un peu plus se déshabiller, ça deviendra tout à fait rigolo.
Les employés, pourtant, se donnaient infiniment de mal pour rassembler les voyageurs, les grouper en une troupe à peu près régulière.
– Mesdames et Messieurs, annonçait un personnage qui devait être un chef de gare embarqué à Bordeaux, voici comment nous allons procéder. Le train va partir lentement, en avant. Vous voudrez bien me suivre, et marcher scrupuleusement entre les rails, il n’y a aucun danger. Dans un kilomètre vous pourrez remonter en voiture.
– Un petit bravo pour l’orateur, répondit Fandor.
Mais, gavroche comme il l’était, le journaliste, bien entendu, ne voulait pas se plier à la consigne.
– Plus souvent, pensait-il, que je vais me mettre en rang, pour aller au réfectoire. Il m’embête, le pion.
Fandor, sans s’occuper des appels qu’on lui adressait, s’écartait du groupe des voyageurs et entreprit de remonter le long du train pour se rendre compte des dégâts que lui avait occasionné la chute des branches incendiées.
– C’est épatant, pensait-il, rien n’a brûlé. C’est mieux ignifugé qu’un décor de théâtre.
Mais, brusquement, comme il suivait l’une des grandes voitures qui composaient le Sud-Express, voilà que Fandor tressaillit. Tout le monde avait dû descendre du train. Il avait entendu des employés contraindre les voyageurs les plus récalcitrants à quitter leurs compartiments. Or, Fandor apercevait précisément, à l’intérieur de l’un des wagons, deux individus, deux individus qui ouvraient une valise, qui semblaient y fouiller, qui y fouillaient même certainement.
– Qu’est-ce qu’ils font, ces cocos-là ? pensait Fandor.
Il allait monter d’autorité à bord de la voiture, pour aller constater quels étaient les voyageurs demeurés dans le train en dépit des règlements, lorsqu’il crut entendre, tout près de lui, deux voix qui murmuraient :
– Dis donc, est-ce qu’ils y sont, les copains ?
– Tout ce qu’il a de plus, mon vieux. Ah, la belle combine. On va en faire un chopin [3] !
Cette fois, Fandor ne put plus hésiter. Il se baissa, il regarda en-dessous des wagons, de l’autre côté du train, il aperçut les jambes de deux individus qui se hâtaient, marchant vers la locomotive.
– Bougre de bougre, jura Fandor, mais si je ne suis pas complètement fou, il me semble que la chose est claire, il y a ici une bande d’individus qui profitent de l’incendie pour piller les bagages.
Et Fandor, songeant à la face de l’homme qu’il avait rencontré lorsqu’il allait au lavabo, avec un de ces subits rappels de mémoire que l’on a parfois, se rappelait le nom de l’homme :
– Mais, sapristi, se disait-il à lui-même, je sais qui c’est. C’est mon ancien professeur, c’est le père Grelot, le maître de vol à la tire, en personne.
Et Fandor prit sa course. Depuis qu’il s’occupait d’affaires policières, il avait acquis un véritable flair, un véritable instinct, qui lui permettait de deviner, de pressentir les drames, les affaires louches.
– Il se passe ici, murmurait Fandor, quelque chose d’invraisemblable, de très peu catholique. Tâchons de voir quoi.
Fandor, que les employés, fort occupés à rassembler les voyageurs, ne surveillaient guère, s’élança vers la locomotive. Le journaliste venait habilement de décider une manœuvre fort simple. Puisque les individus qui causaient de l’autre côté du train, se dirigeaient eux-mêmes vers la machine, Fandor allait passer devant cette machine, et forcément les rencontrer, les voir et peut-être les reconnaître.
Ce plan était peut-être bien combiné, il ne devait pas réussir cependant. En effet, au moment même où Jérôme Fandor arrivait à la hauteur de la machine, le train démarrait.
– Je suis semé, se dit Fandor.
Mais il était bien trop têtu pour renoncer à une chose, une fois décidé à un projet. Comme le train démarrait, Jérôme Fandor, le plus lestement du monde, sautait sur le marchepied du fourgon à bagages attelé au tender.
– Attention, se dit en même temps le journaliste. Il ne s’agirait pas que je me fasse pincer là-dessus, on s’imaginerait à coup sûr que moi-même je suis cambrioleur.
Le train, déjà, roulait plus vite. Fandor, cramponné à une main-courante, réfléchissait à la conduite qu’il devait tenir, lorsqu’un grand cri, un cri d’homme épouvanté, un cri qui s’étouffait immédiatement, retentissait à ses oreilles.
Fandor prêta l’oreille, mais il n’entendit plus rien. Seulement, le train accélérait sa marche. Alors qu’il eût été logique, étant donné que le remblai était d’une solidité douteuse, que le convoi passât très lentement, il marchait à toute allure.
– Qu’est-ce que cela veut dire ? pensa Fandor.
À ce moment, sur le tender, une figure apparaissait, une figure que le journaliste reconnut :
– Je suis foutu, pensa l’ami de Juve, s’il me voit… Mais c’est Bébé qui est là. Est-ce donc la bande de Fantômas qui…
Jérôme Fandor, comme toujours, était victime de son courage. Au moment même où il reconnaissait le terrible apache Bébé, il abandonna le marchepied du fourgon à bagages.
Réussissant des prodiges d’adresse et risquant vingt fois de se laisser tomber sur la voie où il eût été infailliblement écrasé, négligeant les flammèches que l’incendie, redevenu tout proche, lui jetait au visage, Jérôme Fandor parvint, par les tampons d’attelage, à se hisser sur le tender. Le train, à cette minute, lancé à toute vapeur, marchait à folle allure. Jérôme Fandor se cramponna sur les briquettes de charbon. Il glissait en avant, il allait apercevoir les mécaniciens, lorsqu’un cri d’horreur s’échappait de sa gorge.
Devant lui, à quelques centimètres peut-être, cachés par une manne d’osier dans laquelle du charbon était empilé, Jérôme Fandor découvrait, quoi ? Deux cadavres, les cadavres du chauffeur et du mécanicien.
– Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Au risque de tomber, Fandor se dressait tout à fait, il était à moitié du tender. Il allait voir ceux qui conduisaient la machine maintenant. Jérôme Fandor vit. Mais, au moment même où il distinguait les traits de ceux qui dirigeaient le convoi, où il reconnaissait avec une horreur sans nom les deux terribles criminels qu’étaient le Bedeau et Bébé, les deux lieutenants de Fantômas, Jérôme Fandor se sentit brusquement pris aux épaules, courbé en avant avec une force irrésistible.
La tête du malheureux journaliste heurtait des briquettes de charbon, puis une main se posa sur son crâne, on l’étouffait en l’appuyant contre le poussier. Jérôme Fandor entendit à peine une voix qui murmurait :
– Lie-lui les pattes. Tiens bon. Ah mince alors, son compte est clair à celui-là. Tu te rappelles les instructions ?
Fataliste et philosophe, Jérôme Fandor se dit :
– Eh bien, voilà. Je suis foutu. Ça devait arriver.
Le train filait toujours à toute allure.
16 – ÉCLAIRCISSEMENTS OU COMPLICATIONS
« Monsieur le président. Messieurs,
« C’est au nom de la Société moderne, de la Morale, au nom de l’Équité, que je requiers aujourd’hui contre le prévenu que vous avez amené à cette audience, l’application rigoureuse de la loi. Il faut que la justice se montre, non seulement sévère, mais encore impitoyable. Il est temps de réprimer toutes ces déprédations et d’en finir avec les malfaiteurs que n’arrête aucune interdiction et que n’émeut aucun châtiment. »
Ce prologue achevé, M. Anselme Roche, procureur de la République, jeta un regard circulaire sur l’auditoire nombreux qui l’écoutait.
Ce jour-là, en effet, il y avait foule à l’audience du tribunal correctionnel de Bayonne. Le procès qui se jugeait était cependant loin d’être retentissant et l’accusé, affalé et grotesque, avait peu l’allure d’un dangereux criminel.
Il faisait un temps superbe, mais les Bayonnais préféraient sans doute venir s’enfermer au palais de justice plutôt que d’aller se promener. Toujours est-il que M. Anselme Roche, déversant sur eux des flots d’éloquence, les impressionnait et, plus même, les effrayait quelque peu.
Le prévenu était un voleur de résine. Il avait eu la malencontreuse idée, ce pauvre diable, de s’attaquer, non pas à des propriétés privées, mais à une portion de territoire national. Son délit, de ce fait, prenait les proportions d’un méfait grave.
M. Anselme Roche chargeait l’accusé. Il semblait vraiment prendre plaisir à s’acharner ce jour-là.
Qu’avait-il donc contre le prévenu ?
M. Anselme Roche était d’une humeur massacrante et il se vengeait sur l’inoffensif voleur de résine de ses déboires personnels. Amoureux de M me Borel, il se trouvait privé de ses nouvelles, et qui plus est, atteint à son endroit d’une jalousie féroce. Ne soupçonnait-il pas le spahi Martial Altarès d’avoir eu avec celle qu’il aimait des relations intimes et suivies ?
Cependant, réveillés par l’arrêt subit du discours de l’orateur, le président et les assesseurs se consultaient du regard. Puis avant de rendre leur jugement, estimant l’heure venue d’aller fumer une cigarette, ils décidèrent de lever l’audience. Anselme Roche, de son côté, se dirigea vers son cabinet de travail. Il y était depuis quelques instants déjà, lorsqu’un huissier se présenta :
– C’est une dame, fit-il d’un air mystérieux, une dame fort élégante, qui demande à parler à M. le procureur.
L’arrivante ne pouvait être que M me Borel.
– Faites entrer, répondit Anselme Roche, cependant qu’il jetait au loin sa cigarette et que, d’un geste machinal, il arrangeait les plis de sa robe, assez satisfait de se montrer à la femme qu’il aimait dans l’apparat solennel des attributs de sa profession.