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La mort de Juve (Смерть Жюва)
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Текст книги "La mort de Juve (Смерть Жюва)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Irma de Steinkerque ? c’est vous qui êtes Irma de Steinkerque ?

À cette question, la pauvre femme se troubla :

– Ça va mal finir, pensait-elle, ce monsieur va me flanquer à la porte.

Et à voix haute :

– Oui, monsieur, c’est moi, ou pour mieux dire, c’était moi.

Suivit un véritable acte de foi, celui de la pécheresse repentie.

– Oh, oh, se dit Juve, c’est la Providence qui m’envoie cette femme, il va s’agir de la faire bavarder.

Et Juve l’invita à dîner.

14 – UN COUP DE CHAPEAU

Dehors il faisait nuit noire avec pluie battante et bon vent, c’est-à-dire mauvais, mais Fandor, insensible aux intempéries, allait et venait hors de l’hôtel, au hasard, et repassait en esprit les données du problème :

– Enfin quoi, se répétait le journaliste, personne n’a pu entrer pour assassiner Martel. Mieux, un homme qui n’a pas de bras ne peut donner un coup de poignard. Or, vu la rapidité du drame, on est bien forcé d’admettre que seul le manchot a pu tuer. Seul l’impossible est logique…

Tout en songeant, Fandor surveillait la mer entrant dans le port.

Une eau noire affleurait au niveau même des jetées et Fandor suivait, dans le reflet blafard d’un bec de gaz, la lutte des divers petits courants.

Soudain, tournoyant au milieu, un objet. Le journaliste crut reconnaître sa nature :

– Mais sapristi, on dirait un chapeau haut-de-forme, dit-il. Un haut-de-forme comme celui du manchot. Tiens, le manchot serait-il tombé à l’eau ? l’avait-on jeté dans la mer ? suicide ou nouveau crime ?

Fandor s’attendait à voir surgir des eaux noirâtres quelque vestige plus inquiétant encore. Sous la moindre vague que soulevait le vent, il croyait voir un corps gonflé par l’eau saumâtre. Le chapeau, toutefois, à demi submergé, s’avançait doucement, gagnait comme en valsant le bout de la jetée.

Fandor, déjà, s’était jeté dans une barque du rivage, faisait force de rames et ne tardait pas à atteindre sa proie. Il se saisit du chapeau : il était incroyablement lourd. Le journaliste imagina d’abord que ce poids insolite était dû au séjour dans l’eau du chapeau haut-de-forme. Il le secoua, tâcha de le vider de son mieux, mais le chapeau restait aussi lourd.

Soudain, il poussa un hurlement d’effroi. Alors qu’il en effleurait le sommet, du bout des doigts, le chapeau comme attiré par un puissant ressort, s’aplatit à la manière d’un accordéon ou d’un chapeau claque. Du haut de la coiffure sortait une pointe acérée, une véritable lame d’acier qui luisait à la lueur blafarde des becs de gaz.

– Eh bien, je connaissais, dit-il, les cannes à épée, les étuis de pipes qui contiennent des revolvers, mais j’ignorais l’existence du chapeau-poignard. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? et à quelle fin a-t-on pu fabriquer cet extraordinaire instrument ? Mais parbleu j’y suis, c’est enfantin, simple comme bonjour. C’est le chapeau du manchot, cet homme qui n’avait pas de bras, a tué avec sa tête. Je ne suis qu’un idiot, et j’aurais dû déjà m’être fait ce raisonnement : Parbleu, c’est encore plus simple que je ne l’imaginais. Fantômas est l’auteur de ce crime, lui et nul autre, et Fantômas est le manchot. Seulement, pour se disculper d’avance de l’éventuelle inculpation du meurtre qui allait évidemment tomber sur lui puisqu’il était seul avec Hervé Martel, et pour être sûr aussi que celui-ci ne se méfierait pas, il s’est fait passer pour manchot et il s’est dissimulé les bras sous ses vêtements, Fantômas a fait l’infirme pour tuer avec plus de sécurité, plus certainement et rester impuni.

Le journaliste hésita une seconde à emporter cette pièce à conviction. D’ailleurs, Fantômas devait être aux aguets. Fandor avisant une cachette ménagée par le hasard sous les échafaudages en bois constituant l’estacade qui terminait la jetée, y dissimula donc le chapeau-poignard, puis, sortant de la barque, il regagna la terre ferme.

Quelqu’un l’interpellait :

– Faudrait voir à ne plus vous gêner. Prendre comme cela le transatlantique de Dégueulasse. C’est des manières ça ? Bonsoir m’sieur dame. Des explications tout de suite siouplaît !

– Hein quoi ? fit Fandor au nez de celui qui l’interpellait, sorte de grand diable dégingandé, aux vêtements sordides, aux mains et au visage noirs de suie, titubant d’ailleurs.

« C’est un pochard », pensa Fandor qui, sans la moindre considération pour lui, l’écarta de la main.

Mais l’homme l’agrippait par le bras et laissait peser sur l’épaule de Fandor son corps démesuré :

– Non, disait-il, très peu, faudrait voir à ne pas te débiner comme ça. C’est-y des manières, je te demande un peu ? dirait-on pas que tu as envie de cavaler sans seulement payer un verre à Dégueulasse, car je t’assure que je ne t’en veux pas, si tu payes un verre, on fait la paix et même on devient copains comme cochons.

Pour se débarrasser de l’importun, Fandor fouillait sa poche, allait lui donner quelque menue monnaie, mais l’individu, entre deux hoquets, continuait son monologue :

– Comment ça se fait que je ne te connais pas ? Tu n’est pas d’ici ? Probable que t’appartiens encore à la bande du Norvégien qui prétend comme ça ramasser la marchandise au fond de l’eau du cargo des Angliches ? Ah ouiche, en voilà du boniment, des trucs à épater les Parisiens, et si on savait ce qu’en pense le brave père Pastel, un costaud celui-là, et qui le connaît, le fond d’la mer, aussi bien que je connais le fond des bouteilles, le Norvégien aurait vite fini de monter le coup aux braves bougres.

– Qu’est-ce qu’il raconte donc le père Pastel ? demanda Fandor.

– Paie un verre à Dégueulasse – Dégueulasse c’est moi – et je te le fais connaître, le père Pastel, et il t’en dégoisera de belles et des pas mûres sur le Norvégien.

– Béssif, dit Fandor.

Et bras dessus, bras dessous, Dégueulasse et lui entrèrent dans le bar enfumé, à deux pas.

Ils y arrivaient quand un autre individu aussi répugnant en son genre que Dégueulasse, s’était jeté dans les bras de ce dernier.

– Voilà Fumier, mon vieux copain, s’écria Dégueulasse de sa voix de tonnerre.

Dans d’autres circonstances, Fandor eût ri. Ce soir, le temps pressait. Il songea d’abord à gagner la porte. Allait-il réellement pouvoir tirer quelque chose de ces atroces pochards ? Les ramener au sujet ? Pour l’instant, le hideux Dégueulasse cherchait surtout à prouver au journaliste que l’immonde Fumier était, après lui, le plus beau et le meilleur garçon du monde.

– Tant pis, se dit Fandor, je payerai à boire et j’attendrai ce qu’il faudra, je sens que ça doit en valoir la peine.

Ils se mirent à une table déjà très peuplée. Et Fandor, aussitôt, fut tranquillisé sur le succès de ses entreprises. À côté de lui, en effet, il avait aperçu un visage entièrement rasé au-dessus de la barbe poivre et sel, visage de vieux pêcheur normand qui garde les boucles d’oreilles de sa jeunesse, mais qui a réussi, à en juger par le vêtement de bourgeois et la chaîne au gilet : Pastel, le « vieux père Pastel » comme disaient les autres.

La conversation s’engagea. Pastel ne demandait qu’à parler et il avait à dire.

– Lorsque le nommé Hervé Martel est venu me trouver, dit il à Fandor, pour que j’aille repêcher dans les cales du Triumphla cargaison qu’il avait assurée, j’ai d’abord été voir le fourbi. Je suis descendu à vingt mètres sous l’eau, et comme de juste, j’ai ouvert mes quinquets. Vous pensez si le père Pastel est arrivé à sa cinquantième année sans avoir fait des plongées, sans avoir retiré du fond de la mer plus d’un bibelot que l’on croyait perdu pour toujours ? Quand je suis remonté, j’ai dit à Hervé Martel :

– Rien à faire, cher monsieur, je pourrais vous demander de l’argent pour entreprendre le sauvetage mais je ne vous en demande pas, car je sais que je n’y arriverais pas. La cale des marchandises est à l’arrière du Triumph, et l’arrière du Triumphest enfoncé dans la vase, soit dit sauf vot’ respect, plus profond qu’un mort de cent dix ans au cimetière de Cherbourg. Ça coûterait bien plus cher de faire les travaux que de payer le dégât. Vos marchandises sont fichues. Laissez-les donc là où elles sont.

– Mais, interrogea Fandor, il me semblait, père Pastel, que depuis quarante-huit heures déjà, on s’occupait de rechercher la cargaison du Triumph ?

– C’est précisément ce qui me fiche en colère. Sacré millions de sabords. Moi je commence par vous le dire, je suis un honnête homme, vous pouvez demander ce qu’on en pense du père Pastel, on vous répondra qu’il n’a jamais arrangé personne. Donc, quand j’ai dit au courtier Hervé Martel qu’il n’y avait rien à faire pour sauver la cargaison du Triumph, je lui ai dit la vérité. Il n’a pas voulu me croire, c’est tant pis pour lui. Un espèce de type que je ne connais pas, dont jamais je n’ai entendu parler, un Norvégien avec un nom à coucher dehors, s’est amené tout d’un coup après moi. Il a fait le boniment à M. Hervé Martel. Il lui a raconté je ne sais quoi. Toujours est-il qu’il l’a embobiné, qu’il l’a décidé à convenir d’un prix de sauvetage avec lui et qu’il a commencé censément les opérations.

– Mais pourtant, père Pastel, le Norvégien a réussi à quelque chose ? J’ai appris que cet après-midi il avait retiré une première caisse, qui contenait une grosse somme en or. On dit même que selon les conventions intervenues, la banque qui fait les règlements du courtier lui a payé aussitôt, en bons et beaux billets bleus, la valeur des trois quarts de la marchandise sauvée, conformément au contrat ?

– Bougre de nom de nom, c’est justement ça qui me fiche en rogne. Je n’y comprends rien de rien. C’est bien sûr que ce Norvégien de malheur a ramené une caisse avec lui et qu’il a touché de l’argent pour, mais quand je vous dis moi, que c’était impossible d’aller la chercher la caisse dans la cale du navire coulé, alors ? Voulez-vous m’expliquer comment il s’y est pris ? Vous le savez vous ?

– Bernique, père Pastel.

– J’vas vous dire, monsieur, tout ça, c’est des trucs pas ordinaires. Le Norvégien a embauché tout un personnel de sauveteurs qui viennent de je ne sais où, et qui ne s’y connaissent pas. On s’en aperçoit rien qu’à les regarder manœuvrer. Alors je me demande s’il n’y a pas là-dedans des combinaisons avec le diable.

– Non, père Pastel, trouvez autre chose, le diable ne renfloue pas.

Le père Pastel se penchait à l’oreille du journaliste :

– Ne cherchez pas. C’est trouvé ou tout comme. Hein, qu’est-ce que vous diriez si je vous racontais que j’ai la conviction que ce Norvégien de malheur est en train de fourrer tout le monde dedans et qu’il fait tout simplement un sauvetage fictif ?

– Un sauvetage fictif ?

– Fictif, oui, répliqua le père Pastel, vous ne savez peut-être pas ce que veut dire ce mot, des fois que vous n’auriez pas beaucoup d’instruction ? Sans doute, que je ne suis pas un savant moi non plus, mais après cinquante ans d’âge, on connaît bien des petites choses. Je m’en vais vous l’expliquer, moi, ce que cela signifie, un sauvetage fictif.

Zut, voilà qu’on les avait interrompus. Des matelots de L’Œuf, le sous-marin attaché au port de Cherbourg.

– Ça va, le père Fouille-Vase ? et les affaires ?

– Rigolez toujours, les gars, n’empêche que j’ai fait deux fois le tour du monde avant que vous ayez fini de téter votre mère. Et c’était encore sur des frégates à voile. Où on se remuait plus que dans vos boîtes à sardines.

– Çà, reconnut un matelot, vous avez raison. Surtout lorsqu’on est embarqué à bord des sous-marins. Y a pas grand chose à faire pour naviguer. On s’en va droit devant soi, sous l’eau, dans l’obscurité. Ça marche comme ça veut. Comme ça peut. Ça fonce au hasard.

– On m’a dit comme ça, les gars, que vous alliez faire bientôt des expériences avec un nouveau projecteur lenticulaire qui permettra de voir sa route à dix mètres sous l’eau. C’est-y vrai cette histoire-là ?

– Tout ce qu’il y a de vrai, répondit le premier des marins, à preuve qu’on va s’en servir demain pour aller reconnaître l’épave que l’on doit faire sauter.

– L’épave ? quelle épave ?

– Celle du Triumphnuisible pour la navigation. Alors ça a été décidé par le service de l’Amirauté. Demain à marée basse, reconnaissance avec L’Œuf, et après-demain sans doute, bombardement avec feux d’artifice sous la mer, histoire de faire rigoler les marsouins.

– Amenez-vous, vous autres, je paye un verre, cria Pastel en se frottant les mains, à la santé de l’explosion ! Tout de même, il y a un bon Dieu, il y a une justice. Ah, on a décidé de faire sauter l’épave, ça, c’est joliment bien. Comme ça, ce sacré Norvégien pourra pas continuer.

Fandor ne l’écoutait plus. Le journaliste avait pris à part un jeune matelot, qu’il interrogeait minutieusement :

– C’est intéressant à voir une plongée sous-marine ?

– C’est selon. Naturellement quand on a l’habitude, on ne fait plus attention, mais pour du jamais vu, c’est intéressant.

– Pendant que L’Œuffera sa reconnaissance, est-ce qu’on continuera les opérations de sauvetage ?

– Naturellement, ce n’est qu’après demain qu’on les interdira si l’on fait sauter le navire.

– Comment s’appelle votre commandant ?

– Le lieutenant de vaisseau de Kervalac.

– Où demeure-t-il ?

Le matelot donna une adresse.

Quelques instants plus tard, le journaliste se levait :

– Il faut, coûte que coûte, songeait-il, que j’obtienne de cet officier l’autorisation de monter à bord. Non, ce lieutenant ne voudra jamais. Il vaut mieux que je télégraphie au ministère de la Marine. Là, j’ai quelques relations, j’aurai plus de chance de réussir.

Fandor ne songea plus, dès lors, qu’à quitter le bar. Mais comment allait-il se dépêtrer de tous ses nombreux et nouveaux amis ? Les circonstances, heureusement, vinrent à son aide. Pastel avait suffisamment bu, il quitta la table, vint sur le seuil.

Et soudain, le visage jovial du sauveteur se rembrunit. Fandor suivit son regard, qui s’était arrêté sur deux hommes qui passaient sur la jetée.

– S’il n’y avait pas entre eux et nous de quoi faire flotter deux bateaux de cinq cents tonneaux, comme j’irais leur dire ma façon de penser à ces gaillards-là.

– Vous les connaissez ?

– Parbleu, oui, fit Pastel, c’est le Norvégien et son second.

– Ah. Vous croyez ?

– J’en suis sûr, affirma le vieux sauveteur.

Mais soudain, Fandor le quittait, courait à toutes jambes, s’efforçant de trouver la passerelle qui lui permettrait d’atteindre l’autre côté du bassin et de rejoindre les deux hommes signalés.

Fandor eut beau courir à perte d’haleine, lorsqu’il parvint sur l’autre bord, les deux hommes avaient disparu.

Pourquoi aurait-il voulu les approcher ? Parce que le journaliste avait reconnu ceux que Pastel prenait pour le Norvégien et son second. Le premier était sûrement l’apache Bébé. Quant à l’autre, inutile de le nommer.

15 – SUR « L’ŒUF »

Fandor tira sa montre de sa poche, hésita une seconde, puis se décida à entrer dans le petit café de modeste apparence que désignait à l’attention des passants une enseigne tricolore : «  Au Vaisseau Amiral ».

– Cinq heures, monologuait le jeune homme, je suis en avance d’une bonne demi-heure, et je vais m’ennuyer comme un rat mort en attendant Hélène. Mais qu’y faire ?

– Monsieur désire ?

– Rien du tout, répondit Fandor au garçon, donnez-moi un café pour vous faire plaisir.

– La verseuse pour un, à l’as.

Fandor était plongé dans de profondes méditations, lorsqu’un second serveur s’approcha de lui, la cafetière en main :

– Nature, monsieur ?

– Eh, nature, si vous voulez.

La tasse remplie, Fandor pensait enfin pouvoir être tranquille. Il se trompait, il lui fallut encore refuser un alcool.

– On ne me fera jamais croire, avait dit le sauveteur, qu’on peut retirer les caisses d’or du trou d’eau où elles sont tombées. Si le Norvégien ramène des caisses à la surface, c’est qu’il procède par supercherie, mais je ne croirai jamais que ce sont les caisses d’or du Triumphqu’il repêche.

Pour Fandor, cela avait été le trait de lumière.

– Admettons, se disait le journaliste, que Fantômas soit, comme il est indubitable, le sauveteur norvégien. Admettons, comme l’affirme Pastel, que les caisses d’or du Triumphsoient impossibles à repêcher. Que va faire Fantômas ? Son contrat dit : deux cent mille francs par caisse d’or. Hé, hé, la somme en vaut la peine. Si Fantômas pouvait immerger de la fausse monnaie, repêcher cette fausse monnaie, puis réclamer pour chaque caisse la somme convenue, le joli bénéfice. Sans risque d’ailleurs car personne ne pourrait avoir l’idée que les caisses repêchées ne sont pas les véritables caisses expédiées de New York. Il est certain que Fantômas a pris toutes ses précautions pour que ses caisses à lui soient absolument identiques aux véritables.

Fandor était d’autant plus convaincu que le Roi du Crime devait être le fameux Norvégien, que le matin même, à la direction du port, Fandor avait appris que l’on allait faire sauter l’épave du Triumphqui gênait la navigation. Or, le pseudo sauveteur norvégien, ce sauveteur que Fandor ne pouvait pas rencontrer, car il restait perpétuellement à bord de ses pontons, ce sauveteur-là avait fait de pressantes démarches pour obtenir que l’on reculât la date de l’explosion du Triumph.

– Parbleu, se disait Fandor, c’est Fantômas, et il est naturel qu’il cherche à faire durer.

Fandor revoyait dans son esprit l’enchaînement logique par lequel il s’efforçait de faire cadrer tous les faits qui se produisaient, lorsqu’il sursauta, arraché à sa rêverie par le contact d’une petite main qui se posait sur son épaule :

– Vous, Hélène ?

– Moi, Fandor.

Un regard muet, un long regard s’échangea entre les deux jeunes gens qui, depuis quelques jours, depuis la mort du malheureux Hervé Martel, se voyaient avec facilité et cependant ne s’habituaient pas à pouvoir se rencontrer librement, à pouvoir s’aimer en paix, sans crainte d’extraordinaires cataclysmes. Le courtier mort, Hélène avait été priée par le fondé de pouvoirs d’Hervé Martel, qui avait provisoirement pris la charge en main, de demeurer à Cherbourg pour le tenir au courant des opérations de sauvetage tentées. Fandor, de son côté, s’était multiplié, avait fait déménager la jeune fille, l’avait installée dans une maison de famille tranquille. Et, depuis lors, des jours extraordinaires passaient, où Fandor et Hélène se rencontraient souvent, discutaient âprement du passé, s’efforçaient de prévoir l’avenir et sentaient le présent leur échapper.

– Qu’avez-vous ? Ne niez pas, vous êtes aujourd’hui plus préoccupé que ces jours derniers ? demandait Hélène à Fandor.

– Ma pauvre amie, il ne faut pas m’en vouloir, mais j’ai peur, j’ai peur de ce qui va se passer.

– Peur de quoi ?

– De vous faire mal.

– Vous allez me causer un chagrin ? Pourquoi ? Comment ? Mon Dieu, est-ce que vous sauriez quelque chose sur mon père ? Vous croyez que mon père est mêlé au meurtre d’Hervé Martel ? Vous croyez que Fantômas agit ou va agir ? Allons, répondez.

– Je suis certain de ce que j’avance, commença Fandor.

Il dit alors tout ce qu’il soupçonnait des machinations du faux Norvégien et des caisses d’or camouflées.

– Me croyez-vous ? demanda-t-il pour finir, et, d’une voix vibrante, Hélène répondit :

– Non, Fandor, pas du tout.

Et la jeune fille était sincère. Ce qu’inventait Fandor, ce que Fandor imaginait, Hélène ne pouvait pas l’admettre. Cela lui semblait à la fois trop monstrueux et trop compliqué.

– Je vous croirais, Fandor, si je pouvais admettre que mon père eût su d’avance que le Triumphallait couler. Il aurait pu, alors, je l’admets, préparer la fausse monnaie, mais vous oubliez que le naufrage de ce bateau est dû au gros temps, à la mer démontée, que mon père, par conséquent, ne peut pas en être rendu responsable, et qu’il n’aurait pas eu le temps de préparer la fausse monnaie. Je vous croirai, Fandor, quand j’aurai vu, de mes yeux vu, le sauveteur, et quand je me serai persuadée que c’est…

– Écoutez, Hélène, je tiens à agir loyalement avec vous. Ce que je vous ai dit, j’en suis certain, mais je n’en ai pas de preuve, Cette preuve, je vais pourtant vous la fournir. Écoutez-moi bien. Vous savez que la direction du port veut faire sauter l’épave du Triumph. Ce soir même, d’ici une heure, un sous-marin, L’Œuf, va aller reconnaître la situation et préparer l’opération. Au prix de mille difficultés, j’ai obtenu de Paris l’autorisation d’embarquer à bord. Il est certain que celui-ci passera sous les pontons de renflouement. Je ne doute pas qu’au cours de sa croisière, quelqu’un de prévenu ne puisse acquérir la certitude rigoureuse de ce que j’avançais tout à l’heure. Eh bien, voulez-vous embarquer à ma place, aller à ma place chercher ces preuves que vous me demandez ? Je ne vous demande pas de m’aider à m’emparer de votre père, je vous demande d’aller loyalement acquérir la conviction que je n’invente rien, que je ne me suis point trompé, que j’ai raison de le poursuivre.

***

Hélène venait d’arriver à bord du sous-marin L’Œufet le lieutenant de Kervalac, bien que surpris de l’autorisation donnée par le ministère de la Marine, n’avait fait aucune difficulté à l’admettre dans son petit bâtiment, étant assez amusé par l’idée qu’il allait piloter une femme sous les flots.

– Mademoiselle, expliqua le lieutenant, conduisant Hélène à l’un des compartiments étanches de l’étroit bâtiment, vous n’avez certainement jamais effectué de plongée. Vous m’excuserez par conséquent de vous donner quelques indications sur la façon dont vous devez vous acquitter de votre rôle de passagère. Vous allez vous installer sur ce pliant, je regrette de n’avoir pas mieux à vous offrir, mais notre installation est rudimentaire. Par ce hublot, vous pourrez observer, sur la droite du bâtiment, tout ce qui se passera, car L’Œuf, que j’ai l’honneur de commander, est muni de puissants projecteurs qui permettent d’explorer le fond de la mer assez facilement. Enfin, je vous recommande de ne pas bouger, quoi que vous entendiez, sauf si je vous en donne l’ordre. J’ajoute que vous ne courez aucun risque, que vous ne devez éprouver aucune émotion, mais enfin deux prudences valent mieux qu’une, et il n’arriverait jamais d’accident à bord des sous-marins si chacun exécutait exactement les consignes.

Le lieutenant de Kervalac, abandonnant sa passagère au poste qu’il lui avait assigné, se dirigea vers le blockhaus où le périscope allait lui permettre de diriger son bateau.

– En avant, doucement.

L’hélice trépida, la coque de noix gagna le milieu de la passe.

– En avant, à toute allure.

– Les panneaux sont fermés ?

– Oui, commandant.

– Eh bien, mes enfants, ouvrez les vannes, inclinez les gouvernails, en plongée par fond de dix mètres.

Hélène sentit le navire s’affaisser, couler sous elle, cependant qu’un bouillonnement marquait sa disparition de la surface des flots, cependant que l’on entendait les réservoirs formant contrepoids s’emplir à grands fracas. Étrange, épouvantable, angoissant au suprême degré. Hélène avait un peu pâli, elle serrait les dents, mais ne bronchait pas. Qu’allait-elle voir ? Fandor avait-il eu raison ? Ah, L’Œufpouvait s’enfoncer dans la profondeur opaque des eaux glauques, L’Œufpouvait couler dans le grand océan, ce n’était pas à cela que songeait la fille de Fantômas. Elle se demandait si son fiancé avait eu tort ou raison, si c’était son père, si c’était l’infernal Fantômas, l’auteur des drames qui bouleversaient encore une fois sa vie, qui menaçaient d’éloigner d’elle, une fois de plus, le bonheur. Qu’allait-elle voir ? Après dix minutes peut-être de marche silencieuse, soudain le lieutenant de Kervalac cria un ordre :

– Le projecteur avant droit, pleins feux.

Le visage collé au hublot, Hélène vit tout un fourmillement d’êtres surprenants, des bancs de poissons qui se sauvaient, des poulpes qui tordaient leurs tentacules, des méduses incendiées de mille reflets, une forêt sous-marine dans laquelle L’Œufglissait à vive allure. La jeune fille, toutefois, n’eut pas longtemps le loisir de contempler le paysage de rêve éclairé par le projecteur.

Un ordre résonna :

– Un quart à tribord, les machines à demi-vitesse.

Le petit navire pivota sur lui-même, ralentit sa marche et soudain, dans le silence de sa coque d’acier, une exclamation étonnée retentit :

– Ah sapristi, que diable cela veut-il dire ?

Le lieutenant de Kervalac, de son poste de commandement, avait aperçu quelque chose d’extraordinaire, quelque spectacle surprenant :

– Timonier, ordonnait-il, passez-moi la barre.

Le lieutenant, au gouvernail, manœuvra lentement, savamment, et bientôt, dans l’encadrement rond de son hublot, Hélène vit ce qui avait motivé la surprise de l’officier. L’Œufvenait de parvenir à la hauteur de l’épave du Triumph. Le vaisseau coulé avait dû toucher le fond en s’inclinant sur le flanc. Mais il était tombé sur un fond de vase, et la vase, déjà, l’avait englouti, à tel point que seuls les mâts apparaissaient, dressés dans l’eau, comme plantés sur le fond même de la rade.

Et le lieutenant de Kervalac, du haut de sa tourelle, criait à sa passagère :

– Regardez donc, mademoiselle, c’est extraordinaire. C’est invraisemblable, ce que nous voyons. Le Triumphest déjà à cinq mètres sous la vase, et pourtant le sauveteur norvégien prétendait encore aujourd’hui même que ses scaphandriers atteignaient la cale du bâtiment. Il en donnait pour preuves les caisses d’or repêchées. Miséricorde. Je me demande comment il a pu faire pour les retirer, ces caisses d’or ? En haut, délestez du quart, laissez battre à demi-vitesse.

Le sous-marin, allégé par la manœuvre, regagna la surface.

– Stop, commanda le lieutenant.

Le navire s’immobilisa lentement et de nouveau le lieutenant de Kervalac attira l’attention de la fille de Fantômas :

– Ah bougre de bougre, mais c’est encore plus extraordinaire que n’importe quoi. Regardez, mademoiselle, nous sommes à côté des pontons de renflouement, et, tenez, voyez-vous, en dessous du plus gros, à droite, il y a cinq caisses qui se balancent à bout de cordes. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?

Le lieutenant parlait en toute tranquillité d’âme, car il était à coup sûr fort éloigné de deviner le trouble où ses paroles jetaient sa passagère.

Ainsi, c’était vrai, le sauvetage des caisses d’or était impossible puisque le Triumphétait envasé. Les caisses d’or ramenées à la surface ne provenaient pas de ses cales. Fandor avait eu raison.

– Vous voyez, mademoiselle ? criait le lieutenant de Kervalac.

Mais une détonation l’interrompit, le claquement que produit un coup de revolver.

Un matelot posté à l’un des hublots de l’arrière hurlait déjà, affolé :

– Commandant, une torpille vient sur nous. Trajectoire directe. Commandant, on est foutu.

Ils étaient neuf, et tous les neuf, au mot de « torpille », eurent devant les yeux la vision effroyable de la mort affreuse qui les menaçait. Si la torpille atteignait L’Œuf, ce serait l’explosion formidable, le navire broyé, les hommes déchiquetés, à moins encore que la coque du petit bâtiment pût, par miracle, résister. Mais alors le sous-marin serait atteint dans ses œuvres vives. Il coulerait et, sur le fond de vase tout à l’heure exploré, il irait s’engloutir, vivant cercueil.

– À vos postes ! hurla Kervalac, sans même que sa voix tremblât. À la barre, timonier !

Puis il se précipita, il traversa la cloison étanche de l’arrière, courut au hublot d’où la vigie avait signalé la torpille. Elle n’était plus loin. Sa trajectoire, facile à déterminer, devait l’amener à frapper L’Œufau beau milieu de sa coque. Son mécanisme d’horlogerie fonctionnait à merveille, elle avançait, elle progressait, elle était à quarante mètres, à trente, à vingt. La mort était inévitable. Le lieutenant de Kervalac savait que, dans la position où il était, L’Œufne pouvait se dégager. Au-dessus de lui, se trouvait l’un des pontons de renflouement. Devant lui, les cordes lestées par les caisses formaient une sorte de filet infranchissable. En dessous du sous-marin, enfin, les mâts du Triumphpointaient, prêts à le défoncer s’il se laissait couler.

La mort était de tous côtés. Le lieutenant de Kervalac choisit la mort brutale et franche de la torpille.

– Les vannes ouvertes en grand, hurla-t-il, les machines à toute vitesse arrière.

Alors, providentiellement, la manœuvre réussit. En même temps que le sous-marin coulait, il dévia obliquement. Dans sa chute, L’Œufheurta l’un des mâts du Triumph, mais il réussit à le briser. La torpille frôla le petit bateau, ne l’atteignit point, et, à l’instant précis où L’Œuftoucha la vase, s’y engloutit à moitié, l’explosion formidable eut lieu. Le sous-marin fut secoué en un tourbillon irrésistible, la machine s’arrêta, faussée, le gouvernail cessa d’obéir, les hommes, jetés les uns sur les autres hurlèrent d’effroi.

Cramponné au blockhaus, le lieutenant de Kervalac cria un dernier ordre :

– Lâchez les plombs ! Lâchez les plombs !

16 – LE SUICIDE D’HÉLÈNE

Tout sous-marin comporte en effet un certain nombre d’appareils de sûreté, prévus par les ingénieurs pour remédier, dans la mesure du possible, aux accidents toujours à craindre. D’ordinaire la plongée s’effectue, tant en raison d’un alourdissement obtenu par le remplissage de soutes à eau, que par la manœuvre des gouvernails de profondeur. D’ordinaire, un sous-marin revient à la surface en refoulant, au moyen de pompes puissantes, l’eau garnissant ses soutes, en manœuvrant les gouvernails de plongée, mais on a prévu le cas où, les appareils ne fonctionnant plus, il peut être nécessaire que le bateau soit rapidement ramené à la surface de la mer. C’est pour cela que tout sous-marin comporte, solidement maintenus à sa quille, de très lourdes barres de plomb qui constituent, sous un volume réduit, un lest considérable. Une manœuvre facile permet de l’abandonner. Il importe peu, alors, que les réservoirs d’eau soient ou non évacués, il importe peu que les pompes fonctionnent, du moment que le plomb est lâché, le navire remonte tel un bouchon.

– Lâchez les plombs, avait crié le commandant de Kervalac, et les marins de L’Œuf, au milieu même de leur terreur bien compréhensible, gardaient encore assez de confiance en leur chef pour exécuter cet ordre. Dans le sous-marin désemparé, au milieu des instruments brisés, les hommes s’étaient précipités pour desserrer les boulons. Tandis qu’ils lâchaient les plombs, le commandant de Kervalac se hissait dans le petit blockhaus, son poste de commandement. La violence de l’explosion l’avait jeté contre le tableau de bord. Son front saignait, balafré, mais il ne sentait pas la douleur. L’angoisse lui tenaillait le cœur. Qu’allait-il se produire ? L’Œufallait-il se relever, bondir à la surface ? Était-ce le salut, ou bien, dans quelques secondes faudrait-il se résigner ? Tombé de haut, précipité avec force, L’Œufallait il s’enliser dans la vase ? Prisonnier du sol mouvant, allait-il demeurer là, par trente brasses de fond ?


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