Текст книги "La mort de Juve (Смерть Жюва)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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– Eh bien, pour tout dire, si je n’ai pas tiré, c’est parce que je n’ai pas voulu. Après tout, Fantômas, ce n’était plus nos conventions. C’est lui, Juve, qui devait être pris, ligoté, immobilisé.
– Et alors ? fit Fantômas.
– Alors, poursuivit l’étrange sergent de ville, car une telle conversation était en effet étrange du moment qu’elle s’échangeait entre un représentant de l’autorité et le Génie du Crime, eh bien, voilà que c’est toi qui es immobilisé, ligoté à la place de Juve et prisonnier.
– Non, grogna Fantômas.
– Comment, interrogea l’agent, vous n’êtes pas captif ?
– Je suis libre, assura Fantômas, puisque tu es là.
L’agent se prit à sourire :
– Oh, oh, fit-il, ça, c’est pas dit que je te lâcherai.
Fantômas, à ces mots, grinça des dents :
– Es-tu donc un traître ?
– Non, répliqua simplement le gardien de la paix, homme qui véritablement avait des allures mystérieuses, non, je ne suis pas un traître, et si je le suis, peu importe. Je tiens surtout, dans la circonstance actuelle, à procéder d’une façon prudente et pratique.
Les deux hommes se toisèrent du regard. Des éclairs de menace brillaient dans leurs yeux.
Le gardien de la paix que Juve venait de poster à côté de Fantômas n’était autre que le cocher Prosper, merveilleusement grimé et que le policier n’avait pu reconnaître sous ce travestissement, étant à cent lieues de s’y attendre, de le soupçonner et surtout parce que Juve n’avait que très rarement entrevu le cocher Prosper.
Pourquoi ce dernier portait-il désormais l’uniforme de sergent de ville et s’était-il trouvé précisément dans la rue Bonaparte au moment où Juve avait éprouvé le besoin de requérir un représentant de l’autorité ?
Cela tenait à ce que Fantômas avait tout prévu. Non seulement le bandit, profitant des circonstances qui semblaient s’annoncer le mieux du monde pour lui, avait au dernier moment éloigné la concierge de l’immeuble en l’envoyant payer l’abonnement du téléphone, formalité négligée par le policier, mais encore il avait posté son complice dans les environs de la maison, se disant que la présence d’un faux gardien de la paix à proximité du théâtre de ses exploits pouvait avoir une utilité, quelle que fût l’issue de la bataille.
Fantômas, en effet, savait qu’il est préférable de laisser le moins possible de choses au hasard, et dans son idée, après s’être rendu maître de Juve, il aurait fort bien pu le faire emmener sans éveiller de soupçons, que Juve fût vivant ou mort, par son complice et subordonné dont l’uniforme n’aurait pas manqué d’inspirer confiance et de faire taire tous les soupçons qui auraient pu naître le cas échéant.
En faisant la leçon à Prosper, quelques heures auparavant, Fantômas lui avait dit :
– Tu te tiendras dans la rue à ma disposition et, au premier signe que l’on te fera du quatrième étage, ou même d’un autre appartement, tu monteras l’escalier et tu accourras. D’après ce que tu verras, il faudra agir, il est vraisemblable que tu trouveras Juve à mon entière discrétion, mort ou vivant.
La première partie du programme s’était remplie comme l’avait annoncé Fantômas. Toutefois, Prosper était demeuré abasourdi lorsque, pénétrant dans l’appartement du policier, il avait trouvé ce dernier debout, parfaitement libre, en excellente santé, tandis que Fantômas était étendu, immobile, sur le plancher, non seulement ligoté de telle sorte qu’il ne pouvait faire un mouvement, mais encore cloué sur le parquet au moyen d’énormes pointes enfoncées par Juve dans ses liens.
Désormais, en présence de cette situation, Prosper qui n’avait de respect que pour les gens qui réussissent, semblait parfaitement décidé à ne pas libérer Fantômas et paraissait ne vouloir chercher qu’une solution : se tirer personnellement d’affaire et laisser Fantômas se débrouiller avec l’inspecteur de la Sûreté et le renfort qu’évidemment Juve avait dû aller chercher.
Cependant, Fantômas fulminait contre Prosper, sans parvenir à triompher des hésitations de l’ancien cocher.
– Écoute, fit Fantômas, que veux-tu, Prosper, pour me rendre la liberté ?
– Heu, fit l’ancien cocher, je ne tiens pas plus que ça à te voir libre, Fantômas, car s’il n’est guère avantageux d’être au nombre de tes ennemis, il n’est pas beaucoup plus rassurant de faire partie de tes complices. Les uns et les autres sont également exposés à périr sous les coups de tes effroyables colères.
– C’est injuste, ce que tu dis là, je n’ai jamais trahi mes amis.
– Je ne suis pas de ce nombre, répliqua le faux agent de police, tu me traites comme un subordonné, un domestique.
– Mais non, fit Fantômas, tu sais bien que j’ai pour toi de l’affection, de la sympathie, une extrême sympathie même.
– Non, non, répliqua Prosper, tout cela, c’est du boniment. Mais, ajouta-t-il après un moment de silence, peut-être y a-t-il un moyen de s’arranger.
– Parle, répondit Fantômas résigné, je suis prêt à t’accorder tout ce que tu voudras.
– Eh bien, suggéra Prosper en dissimulant mal un sourire ironique, je sais que le seul moyen d’être épargné par toi est de posséder une certaine chose à laquelle tu tiens énormément, pour laquelle tu commettrais toutes les imprudences et toutes les platitudes. Il s’agit des papiers de ta fille. Tu es venu les reprendre à Juve, donne les-moi. Après quoi, nous pourrons causer.
– Ah, s’écria Fantômas, c’est mon cœur que tu veux m’arracher, mais tu sais bien, Prosper, que je ne suis pas dans une situation à te les refuser. Défais mes liens, prends-les dans mon vêtement, ils sont là, dans une poche, sur ma poitrine.
Prosper posa son arme sur un fauteuil voisin, s’agenouilla sur le plancher, palpa de ses mains noueuses la poitrine du bandit.
Puis lentement il se releva, hocha la tête :
– Non, Fantômas, dit-il, rien à faire avec moi. Tu cherches à me monter le coup, mais je ne suis pas si bête. Ces papiers, tu ne les as pas, tu as été roulé sur toute la ligne, roulé par Juve auquel, non seulement tu n’as pas repris les papiers de ta fille, mais sous les coups duquel tu as succombé, puisqu’il t’a fait prisonnier.
Avec une voix qu’étranglait l’émotion, des intonations d’une douceur extrême, presque attendrissante, Fantômas avoua :
– C’est vrai, Prosper, je t’ai menti, je n’ai pas ces papiers, mais j’en souffre, oui, cruellement, plus qu’il n’est possible de souffrir au monde. Écoute, je suis sûr que Juve ne les a pas emportés, qu’ils sont ici, cherche-les, suis mes indications, fouille la pièce, démolis les meubles, force les serrures.
– Ça reconnut Prosper, cela rentre bien dans mes opérations habituelles. Je ne demande pas mieux que de faire une visite minutieuse de l’appartement, et si je trouve les papiers ?
– Eh bien, si tu les trouves ?
– Eh bien, nous verrons si l’on peut s’entendre, répliqua le faux gardien de la paix, et dès lors, je te libérerai peut-être.
Prosper lentement se mit au travail. Il tira de sa poche tout un jeu de fausses clés, les essaya dans les serrures, réussit sans grande difficulté à ouvrir des tiroirs dont il vida le contenu au hasard sur le plancher.
Fantômas suivait des yeux son complice, mais, soudain les deux hommes qui parlaient s’arrêtèrent, prêtèrent l’oreille :
– Entends-tu ? fit Prosper…
– Non, déclara fermement Fantômas, dissimulant ses appréhensions…
Prosper reprit le travail, mais, au bout d’un instant, il s’arrêta encore.
– Pour sûr, fit l’ancien cocher, qu’il se passe quelque chose de pas ordinaire, j’ai entendu comme des craquements, des bruits de pas.
– Il n’y a personne qui puisse venir nous déranger, te dis-je, affirma Fantômas. Néanmoins, par prudence, va fermer à clé la porte d’entrée.
– Oui, reconnut Prosper.
Le cocher, quelques instants après, revint.
– C’est égal, fit-il, si jamais quelqu’un s’amenait par l’escalier, j’ai eu beau boucler la porte, on ne tarderait pas à l’enfoncer.
– Cela retiendrait tout de même nos agresseurs pendant quelques instants, on pourrait en profiter alors pour s’en aller par la fenêtre.
– La fenêtre, déclara Prosper, elle est fermée, j’ai bien envie de l’ouvrir.
– Pourquoi ?
Depuis quelques instants, Prosper avait cessé son inventaire et ses recherches dans les tiroirs de Juve, mais il allait et venait dans le cabinet de travail du policier, les bras ballants, tournant la tête dans tous les sens, levant le nez, respirant profondément.
– Qu’est-ce qu’il y a ? interrogea Fantômas, inquiété sans doute par l’attitude bizarre de son énigmatique complice.
Prosper poussa un long soupir :
– Il y a, fit-il, qu’il fait chaud ici.
– Chaud ?
– Oui, chaud, très chaud.
Fantômas, impatienté, gourmandait l’ancien cocher :
– Tu es en train de devenir fou. Allons, dépêche-toi. Fouille encore ces armoires. Il faut faire vite. Tiens, j’ai la conviction que c’est dans ce petit bureau que tu trouveras les papiers qui nous intéressent tellement.
Prosper obéit, défonça le meuble et, pendant qu’il procédait à ce travail, il tournait le dos à Fantômas.
Cela était fort heureux, évidemment, sans quoi l’ancien cocher aurait été terrifié s’il avait pu contempler, ne fût-ce qu’un instant, le visage du captif.
Fantômas, en effet, faisait des grimaces et presque des contractions horribles. Le bandit, depuis quelques instants, paraissait souffrir, souffrir de plus en plus, ses yeux se révulsaient, il se mordait les lèvres jusqu’au sang, cependant qu’il faisait des efforts inouïs comme s’il s’efforçait de s’arracher du plancher auquel il était cloué.
Qu’arrivait-il donc à Fantômas, et s’il endurait désormais un nouveau supplice, quelle était la nature de ce supplice ?
Mais Prosper, soudain, quitta le meuble qu’il cambriolait, se pencha à moitié sur le sol regarda attentivement.
Par les interstices du plancher semblait monter un tout petit nuage de poussière, une très légère fumée.
Il se retourna interloqué, regarda Fantômas. Le bandit, faisant un extraordinaire effort sur lui-même, avait repris son masque impassible, mais, chose archi surprenante, tout autour de lui s’élevaient par moments, par intervalles irréguliers, de petits nuages bleuâtres qui se fondaient dans l’air, qui semblaient surgir de dessous le plancher.
– Drôle d’odeur, murmura Prosper, qui, spontanément, courut à la porte d’entrée.
Il l’ouvrit.
Mais il poussa un cri terrible :
Prosper, après l’avoir ouverte, referma brutalement la porte, puis revenait en courant dans le cabinet de travail :
– Nous sommes foutus, nous sommes foutus !
– Qu’est-ce qu’il y a ? interrogea Fantômas, qui avait toutes les peines du monde à conserver à sa voix une intonation naturelle.
Prosper ne pouvait répondre : il était pris d’une effroyable quinte de toux et la chose était compréhensible :
Derrière l’ancien cocher, par la porte un instant entrouverte, était entrée une vague noire, une épaisse bouffée de fumée qui l’avait poursuivi jusqu’au milieu de l’appartement.
C’était une fumée âcre et desséchée, une fumée noire.
Prosper, enfin, lorsqu’il put dire un mot, haleta :
– C’est le feu.
– Parbleu, hurla Fantômas, c’est maintenant que tu t’en aperçois.
Prosper écarquillait des yeux terrifiés. De tous côtés, dans la pièce, par les interstices du plancher, s’élevaient en effet des nuages semblables à celui qu’il avait introduit quelques instants auparavant en ouvrant la porte du palier.
Maintenant, on percevait nettement les craquements sinistres. C’étaient soudain des lames du parquet qui se recroquevillaient, craquaient, ouvrant des abîmes béants par lesquels surgissaient les flammes bleues, rouges, qui lentement, mais sûrement, venaient lécher les tapis, les meubles, s’attaquaient aux rideaux.
– Fantômas, hurla Prosper, la maison brûle. Nous allons être étouffés. Je me débine. Tant pis pour toi.
– Attends donc, hurla Fantômas, cherche encore, Prosper, il est impossible que tu partes avant d’avoir sauvé les papiers de ma fille. Lorsque tu les auras trouvés, tu seras possesseur d’une fortune immense et je mourrai tranquille si je sais que tu te contentes d’en donner une part infime à mon enfant.
En parlant ainsi, Fantômas savait qu’il surexcitait la cupidité de l’infâme voleur.
Et d’ailleurs, Prosper, malgré ses inquiétudes, ne résistait pas au désir de fouiller encore, de fouiller toujours dans les papiers, dans les documents épars qui se trouvaient dans le cabinet de Juve.
Car, à chaque incursion qu’il faisait dans les tiroirs ou les coffrets, il découvrait des choses excellentes à prendre, à défaut des papiers de la fille de Fantômas.
C’étaient en effet, çà et là, des billets de banque, des pièces d’or, quelques bijoux, dont il se bourrait les poches.
Cependant l’incendie gagnait ; Prosper eut une idée :
Un broc d’eau se trouvait à proximité, dans l’angle de la pièce. Il s’en saisit, renversa le contenu sur le meuble que, précisément, il était en train de visiter et qui menaçait de s’enflammer : les pieds du petit bureau étaient déjà calcinés par les flammes.
L’eau qui coulait, ruisselait sur le fauteuil où Prosper avait déposé son revolver, elle noyait l’arme, puis elle tombait ensuite en cascades irrégulières sur le plancher, juste à côté de Fantômas qui, sans laisser échapper un cri, afin de ne point montrer à Prosper les angoisses par lesquelles il passait, souffrait un véritable martyr, car, plus le temps s’écoulait, plus l’incendie faisait de progrès, plus les flammes consumaient de tous côtés le plancher et les meubles.
– Prosper, hurla Fantômas, délivre-moi, je n’en puis plus. Il faut que je sorte d’ici.
Mais Prosper haussait les épaules :
– Débrouille-toi, fit-il, chacun pour soi, dans ces affaires-là.
– Lâche, traître, misérable, hurla le bandit.
– Au revoir, à dimanche, cria ironiquement Prosper qui, ayant enfin cessé de vider les tiroirs de Juve et ayant bourré ses poches d’or et de billets de banque, décidait de s’en aller.
Au moment où Prosper s’approchait de la fenêtre, les vitres, avec un cliquetis sinistre, volaient en éclats et une énorme langue de feu pénétra dans la pièce.
Mais on ne pouvait plus s’échapper par les toits et, comme l’escalier depuis longtemps était consumé, Prosper se rendit compte que toute fuite était désormais impossible.
– Foutu, je suis foutu, hurla-t-il en se tordant les bras.
Il revint vers Fantômas qui, léché de plus en plus par les flammes, poussait d’épouvantables hurlements.
– Canaille, s’écria Prosper, c’est toi qui m’as fourré dans cette histoire-là.
Et il montrait au prisonnier un poing menaçant. Mais, malgré les épouvantables souffrances qu’il endurait, Fantômas ricana :
– Eh, oui, Prosper, c’est moi qui ai fait cela. Mais ce dont tu ne te doutes pas, c’est que c’est encore moi qui ai allumé l’incendie. Oui, avant de venir trouver Juve, j’ai imbibé de pétrole tout l’escalier, j’ai vidé de l’essence dans les tuyaux du calorifère, puis j’ai mis le feu à une mèche d’amadou qui devait, d’après mes calculs, allumer l’incendie une heure après mon arrivée. Mon but était d’anéantir Juve et tout ce qui l’entoure, et de le faire périr calciné, au milieu des flammes.
– Tandis que c’est toi et moi aussi, s’exclama Prosper, qui allons être enfumés comme des renards dans leur terrier.
– La mort me sera plus douce, hurla Fantômas, quand je te verrai souffrir. Canaille, traître, tu n’as pas voulu m’écouter, brigand qui as voulu me trahir et que je punis tout de même. Car tu es pris, bien pris. Prosper, regarde les flammes qui te brûlent, elles commencent à t’atteindre aussi. Je souffre peut-être, mais je ne sens plus rien puisque je te vois souffrir.
Mais Prosper, comme une bête enragée, bondissait à travers la pièce, ne sachant où se poser, ne sachant que faire.
– Ah, Fantômas, cria-t-il, tu crois jouir du spectacle de mon agonie, ce serait trop beau de te donner ce plaisir. Tu as voulu que nous crevions ensemble, soit. Mais, s’il en est un qui a quelque chance de s’en tirer, c’est moi. Écoute. N’entends-tu pas ?
Du lointain, en effet, arrivait une clameur, sourde, confuse, facile à reconnaître. Évidemment, l’incendie ne passait pas inaperçu et les gens s’attroupaient au dehors, organisaient le sauvetage. On entendit un instant la corne à deux notes des pompiers. Fantômas poussa un cri de rage et Prosper un cri de triomphe.
– Je m’en tirerai, hurla ce dernier, et toi, Fantômas, ajoutait-il, il faut que tu y restes. Fantômas, tu as encore une seconde à vivre, remercie-moi de t’épargner les terribles souffrances d’être rôti vivant.
– Canaille, hurla Fantômas, qui devinait l’intention de Prosper.
L’ancien cocher, en effet, venait d’aviser au milieu de la fumée, dans le brouillard âcre et épais qui obscurcissait la pièce, simplement éclairée par moments par les flammes, le revolver qu’il avait quelques instants auparavant déposé sur un fauteuil.
Prosper, comme un fou furieux, saisit l’arme, la braqua sur la poitrine de Fantômas et tira à bout portant.
Deux fois, trois fois, Prosper pressa sur la détente, mais, après un instant de stupeur, il rejeta l’arme en arrière, et celle-ci vint s’abîmer sur le plancher calciné, avec un bruit sourd.
– Malédiction.
En effet, aucune détonation ne s’était fait entendre, aucun coup n’était parti.
Fantômas, sous la menace du canon du revolver braqué sur sa poitrine, n’avait pas même tressailli.
C’est qu’en effet, depuis quelques instants, depuis qu’elle avait séjourné dans l’eau destinée à calmer l’incendie, l’arme était devenue inoffensive, les cartouches avaient été mouillées.
Prosper, un instant abasourdi, reprenait conscience de lui-même. Désormais, il ne s’inquiétait plus de Fantômas, et il allait, au risque de se tuer, s’élancer par la fenêtre, car la position était de plus en plus intenable. La chaleur se faisait suffocante, un coin du plancher venait de s’effondrer, une partie du plafond s’écroulait.
Mais, au moment où Prosper traversait la pièce en se glissant sur les meubles, un cri terrible de menace et de triomphe retentit derrière lui. Puis, une vive douleur lui fit exhaler un râle effroyable. Son regard devint vitreux, son souffle s’arrêta. Prosper défaillit. Une seconde après, une odeur âcre montait du plancher, odeur abominable. C’était le corps de Prosper qui, perdant tout son sang par une blessure béante, rôtissait dans la fournaise.
Que s’était-il donc passé ?
À peine Fantômas avait-il essuyé les coups de feu inoffensifs du revolver de Prosper qu’une brûlure plus vive lui prenant les chevilles et les mains l’avait spontanément obligé à une contraction dans laquelle il avait développé une vigueur surhumaine…
Mais, à ce moment précis, Fantômas reprenait la libre disposition de ses membres.
Avec le plancher calciné, ses liens avaient été brûlés aussi, et les cordes s’étaient rompues, et les courroies s’étaient déchirées. Fantômas, quoique fort endolori par de cuisantes brûlures, était libre, dès lors, et son premier acte avait été de fouiller sa ceinture, d’y prendre un poignard et de le plonger dans le dos de Prosper jusqu’à la garde, car, avant tout, Fantômas voulait se venger, punir le traître, cet acte de vengeance dut-il lui coûter l’existence.
– Crève donc, canaille, avait-il hurlé, cependant que Prosper exhalait son dernier soupir.
Puis Fantômas, satisfait de son œuvre, s’efforçait de se protéger lui-même de l’incendie.
Ce n’étaient autour de lui que ruines et décombres, flammes et fumée.
L’air devenait de plus en plus irrespirable, il n’était plus possible de poser le pied sur un seul coin du parquet sans risquer de s’y brûler affreusement, mais cependant Fantômas se rendait compte qu’à toute force il lui fallait traverser la pièce pour gagner la fenêtre, seule issue possible, sinon certaine.
Le cadavre de Prosper, couvert de sang, noir de brûlures, duquel s’exhalait déjà une épouvantable odeur de chair grillée, gisait sur ce parquet transformé en brasier.
Fantômas n’hésita pas. Se servant de ce corps comme d’une passerelle, il bondit jusqu’à l’autre extrémité de la pièce, parvint jusqu’à la fenêtre, enjamba la balustrade.
À ce moment, un cataclysme épouvantable se produisit, le plafond de l’étage supérieur dégringolait sur le plancher du cabinet de travail qui, lui-même, s’effondrait, entraînant avec lui les meubles et le cadavre de Prosper.
Quant aux murs extérieurs dans lesquels s’encadrait la fenêtre, ils s’écroulaient dans la cour de l’immeuble, avec un tapage infernal.
Qu’était devenu Fantômas ?
26 – MORT DU POLICIER JUVE
Pour la vingtième fois peut-être, Jérôme Fandor tirait sa montre. Il n’avait pas jeté les yeux sur le cadran, il ne s’était pas assuré qu’il était près de cinq heures du soir, qu’il tapait du pied, haussait les épaules, bougonnait, en proie à la plus violente des fureurs.
– Mais qu’est-ce qu’il fait, nom d’un chien ? Qu’est-ce qui peut lui être arrivé ? Juve m’a quitté à minuit et il est maintenant cinq heures du soir, c’est incompréhensible, c’est inimaginable. Il faut qu’il soit arrivé quelque cataclysme, quelque catastrophe imprévue, car enfin il n’est pas naturel qu’il mette un si long espace de temps à faire ce qu’il devait faire.
Jérôme Fandor était toujours au fond de la champignonnière. Il montait toujours la garde devant Nalorgne et Pérouzin qui, de blêmes qu’ils étaient, étaient devenus jaunes, puis verts, tant les émotions par lesquelles ils passaient décomposaient leurs traits, les jetaient dans une mélancolie profonde.
Jérôme Fandor, d’ailleurs, n’était pas moins de mauvaise humeur que ses deux prisonniers. À vrai dire, même, ce n’était pas la mauvaise humeur qui le faisait nerveux et agité, c’était bel et bien l’inquiétude, car il commençait à se demander avec une angoisse de minute en minute grandissante ce qui pouvait retarder Juve et empêcher son retour.
Juve était parti bien tranquillement la veille au soir, en affirmant à Fandor qu’il allait livrer Fantômas, maintenu immobile sur le parquet de son appartement où il l’avait cloué. Juve avait annoncé qu’il passerait à la Préfecture pour y obtenir des paperasses nécessaires aussi bien à la libération de Fandor qu’à l’arrestation légale de Nalorgne et Pérouzin, et Juve ne revenait pas.
Les heures de la nuit s’étaient traînées, interminables et monotones, le petit matin, s’insinuant par les soupiraux de la champignonnière, avait éclairé la cave d’un jour indécis, puis était venu le grand jour, puis midi avait carillonné à des clochers lointains, et des heures, de mortelles heures s’étaient écoulées depuis, insipides et lentes, qui n’avaient amené aucun changement dans la situation de Jérôme Fandor ni dans celle de Nalorgne et Pérouzin.
Juve parti, Fandor s’était naturellement conformé aux instructions précises de son ami. Le revolver au poing, il avait monté une garde farouche devant Nalorgne et Pérouzin, qui, atterrés, anéantis par la nouvelle que Fantômas était prisonnier, demeuraient sans mouvements, ligotés sur le sol.
Fandor, d’abord, avait été tout à la joie des nouvelles extraordinaires que Juve lui avait communiquées. Il riait tout seul en songeant que l’avenir était maintenant lumineux : Fantômas était pris, il allait être livré à la justice française. C’en était fini des luttes épouvantables qui depuis des années, ne laissaient aucun repos à Juve et à Fandor. Le policier même avait ajouté, n’insistant point sur ce sujet, car il était d’une discrétion exemplaire, qu’Hélène allait mieux, que la jeune fille, toujours détenue à Saint-Lazare, était en voie de guérison.
Et cela avait causé une telle joie à Fandor que les premières heures de sa captivité, ou plutôt de sa garde, avaient passé assez vite.
Fandor, toutefois, après avoir fait des réflexions joyeuses, après avoir envisagé l’avenir sous toutes ses faces, s’être congratulé lui-même à l’idée que Fantômas était pris, qu’Hélène allait mieux et que le bonheur parfait qu’il rêvait n’était plus qu’une question de jours, Fandor s’était mis à s’ennuyer profondément.
– C’est monotone en diable, pensait-il, la station que je fais dans cette champignonnière, en face de ces deux bonshommes ligotés, de ce maigre Nalorgne et de ce gros Pérouzin dont la conversation manque d’autant plus d’intérêt qu’étant étroitement bâillonnés ils ne peuvent articuler un mot.
Fandor, par compassion, autant que par ennui, avait fini par se dire qu’il était inutile et méchant de ne point soulager un peu les deux misérables qu’il gardait. Le journaliste s’était alors approché des captifs, avait donné quelque peu de lâche à leurs liens, les avait même affranchis des bâillons qui les étouffaient, tout en les avertissant qu’il agissait ainsi par pure compassion, mais qu’il ne se ferait aucun scrupule de leur casser la figure si d’aventure il leur prenait fantaisie de crier ou d’appeler au secours.
Nalorgne et Pérouzin s’étaient tenus cois. Les deux bandits étaient demeurés longtemps silencieux, puis enfin Nalorgne avait rompu son mutisme pour interroger Fandor :
– Quelle heure est-il, s’il vous plaît ? Allez-vous bientôt nous emmener d’ici ?
Fandor avait répondu, aimablement, presque, qu’il était à peu près quatre heures du soir et qu’il ignorait tout à fait quand on s’en irait de la champignonnière, mais qu’il souhaitait lui-même que ce fût le plus vite possible, car il avait l’estomac dans les talons…
Fandor, à cet instant, aurait certes bien engagé la conversation avec Nalorgne tant il s’ennuyait, et puis il aurait peut-être appris des complices de Fantômas quelques détails intéressants, mais Nalorgne, renseigné, s’était à nouveau tu et les minutes encore s’écoulaient sans que Fandor eût pu trouver une autre distraction que celle qui consistait à se promener de long en large dans l’étroite cave, bordée d’un côté par un tas de fumier et de l’autre par un monceau de détritus.
– Très joli, le paysage ! se répétait Fandor, qui commençait à s’énerver d’autant plus qu’il venait de griller sa dernière cigarette.
À six heures, Jérôme Fandor soudain, prit une décision.
À bout de patience, il alla se camper en face de Nalorgne et Pérouzin, et interrogeait les deux crapules avec cette extraordinaire gouaillerie un peu gavroche mais vraiment originale qui faisait le fond de son caractère :
– Dites donc, est-ce que vous trouvez qu’on s’amuse ici ?
C’était Pérouzin qui se décidait à répondre :
– C’est abominable, murmurait l’agent, c’est abominable de souffrir ce que nous souffrons. Monsieur Fandor, pour ma part, j’aimerais mieux encore être en prison, au dépôt, être n’importe où, que de rester ici. Est-ce que M. Juve va revenir ?
Fandor ne répondait point à l’agent, mais interrogeait son deuxième prisonnier :
– Et vous, Nalorgne, est-ce que l’endroit vous plaît ? vous trouvez-vous parfaitement bien ?
Nalorgne avait une réponse farouche ; pour une fois, le bonhomme perdait sa mine chafouine d’agent d’affaires véreux, il répondait presque avec une brutalité propre à émouvoir tout autre que Fandor.
– Je ne sais pas ce que vous allez faire de nous, monsieur Fandor, mais je crois que, quand vous étiez notre prisonnier, Pérouzin et moi, nous n’avons jamais eu la lâcheté de vous imposer une attente pareille. Si vous voulez nous tuer, tuez-nous tout de suite. Si vous voulez nous remettre aux mains de la justice, faites-le, mais, bon Dieu, par pitié, ne restons pas plus longtemps ici.
– Ouais, grommela Fandor, qui, les deux mains dans ses poches, contemplait la pointe de ses souliers à la façon d’un homme cherchant une inspiration, ouais, je vois, mes deux amis, que vous pensez exactement comme moi. Ça ferait plaisir d’aller prendre un peu l’air. Je ne dis pas que vous n’avez pas raison, seulement vous comprendrez que je ne me soucie point de vous donner la clé des champs. Et dame, comme j’imagine que vous n’allez pas m’accompagner de bonne grâce…
Nalorgne interrompait le journaliste :
– Vous plaisantez, demandait-il, voyons, monsieur Fandor, qu’avez-vous à craindre ? Juve nous a mis les menottes, nous sommes liés à ne pouvoir faire le moindre geste. M. Juve est parti à pied, certainement, car nous ne sommes pas éloignés d’une gare. Donc, vous avez le taxi-auto à votre disposition, eh bien…
Fandor, à son tour, ne laissait pas à son interlocuteur le temps d’achever :
– Ça n’est pas bête, ce que vous dites là, Nalorgne, remarquait le journaliste, et, ma foi, puisque Juve ne revient pas, nous allons aller au-devant de lui. Vous avez raison, vous êtes solidement liés, donc je n’ai rien à craindre. Et en tous les cas je vous avertis que si vous bougez pieds ou pattes, j’ai six balles blindées dans mon revolver qui me suffiraient à vous convaincre qu’il importe de rester tranquille. Ceci dit, écoutez-moi : je m’en vais vous hisser là-haut, dans le terrain vague. Le taxi auto est rangé sous le hangar abandonné près de la champignonnière. Je vous ferai monter à l’intérieur. Pour moi, je me mettrai sur le siège. Et ma foi, je vous emmènerai tout droit à la Préfecture. Cela vous va-t-il ?
Acceptez-vous de vous prêter docilement à ce plan d’opération ?
Que pouvaient répondre Nalorgne et Pérouzin ?
Il leur était évidemment bien impossible de refuser quoi que ce fût à ce que voulait leur demander Fandor, et puis ils étaient convaincus tous deux que mieux valait en finir tout de suite, et ils préféraient l’un et l’autre être rapidement livrés à la Préfecture plutôt que de supporter plus longtemps l’angoisse de l’attente dans ces conditions.
– Faites de nous ce que vous voudrez, firent-ils, nous n’essayerons pas de fuir.
Fandor, de son côté, se frottait les mains :
– Ça va, alors. Nous allons nous tirer d’ici. Ah, mais, j’y songe, et Juve ? Si jamais il revenait, il pourrait s’inquiéter de ne plus nous trouver.
Le journaliste tira son portefeuille, écrivit en hâte quelques mots destinés à renseigner Juve, si par hasard le policier survenait après leur départ. Il attacha cette feuille de papier bien en vue sur l’un des barreaux de l’échelle de la champignonnière.
Cela fait, Fandor, en moins de cinq minutes, hissa Nalorgne et Pérouzin au moyen de la benne jusque dans le champ désert. Il alla quérir le taxi-auto abandonné par Juve, y jeta les deux agents de police, mit le moteur en marche, sauta sur le siège.
Fandor, à cet instant, était joyeux, respirait à pleins poumons.
– Bougre, se disait-il à lui-même, je n’aurais jamais cru qu’il fût si pénible de passer une nuit et une journée enfermé dans une cave à champignons. Ah, que c’est beau, la nature et les petits oiseaux.








