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La mort de Juve (Смерть Жюва)
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Текст книги "La mort de Juve (Смерть Жюва)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Mazette, fit Jérôme Fandor.

Déjà quelque chose de lourd, de puissant, de souple, d’agile, lui avait bondi sur l’épaule. Jérôme Fandor qui ne s’attendait nullement à cette attaque, fut violemment jeté sur le sol et s’écroula, avec la sensation qu’il venait d’avoir l’épaule labourée par un instrument tranchant. Il était perdu.

Or, comme il se relevait du tas de sable où cette attaque fortuite l’avait jeté, Jérôme Fandor, tout meurtri, aperçut dans l’ombre proche, deux points flamboyants, deux flammes.

– Jour de ma vie, hurla Fandor, si c’est vous Fantômas, à nous deux.

En même temps, il arrachait de sa poche son revolver, il le braquait sur les points lumineux, deux yeux, avait-il pensé, il faisait feu.

La détonation sèche de l’arme éclatait à peine que la lueur du coup éclaira une seconde l’endroit où Jérôme Fandor était : le jeune homme aperçut une bête énorme. C’était, accroupi sur lui-même, les muscles bandés, prêt à prendre son élan, un superbe lion qui, tout à l’heure, ayant déjà bondi sur lui, l’avait, dans son saut, atteint à l’épaule d’une de ses griffes acérées.

– Ah, cette fois, pensa Fandor.

Il se jeta de côté, et il fit bien. Au même moment, le lion, qui sans doute avait été paralysé d’effroi lui aussi par la lueur du revolver, fit un nouveau bond. Jérôme Fandor sentit l’énorme fauve passer à quelques pas de lui. Il entendit le rauque hurlement s’échapper de la gorge profonde, résonner dans le parc. D’autres hurlements lui répondirent.

– Archi foutu, répéta Fandor. Je me suis flanqué dans une ménagerie.

En même temps, se rappelant de vagues conseils lus dans des livres de chasse, il courut de toutes ses forces, faisant de brusques zigzags, de rapides crochets, et s’attendant à tout instant à recevoir le poids formidable de la bête. Jérôme Fandor parcourut ainsi dix mètres peut-être. Mais la fuite ne pouvait évidemment le sauver. En deux bonds, le lion l’aurait rejoint. Et puis, dans le parc tout entier, le vacarme, les hurlements des fauves montaient de seconde en seconde. Il fallait prendre un parti. Jérôme Fandor n’hésita plus. Un dernier saut l’amena au pied d’un petit arbre auquel il s’agrippa, il se hissa, il monta, aussi vite qu’il le put. Jérôme Fandor était encore près de terre, lorsqu’il sentit sa jambe droite horriblement griffée par l’un des terribles ennemis. La douleur faillit lui faire lâcher prise. Mais il se roidit, il jura, il serra les dents, il tira sur la jambe qui lui faisait l’effet d’être happée par un étau, la bête avait dû mal assurer sa prise, sa jambe se dégagea, quelque temps après il était à califourchon sur une branche en sûreté. L’alerte avait été chaude. Et, quelle que fût sa présence d’esprit, Jérôme fut de longues minutes avant de retrouver un peu de calme :

– Mazette de mazette, finit-il pas se déclarer à lui-même, je comprends que dans le pays on considère qu’il se passe des choses étranges dans cet infernal château. Les voilà bien, les chats gigantesques dont ils parlent, ces sacrés paysans. Des chats ? Je leur en donnerai des chats de cette taille. En voilà des matous pour vieilles dames. Je voudrais le voir, M. François Coppée avec son amour pour les minets, s’il trouverait l’aventure plaisante.

Jérôme Fandor se rappelait les dires des habitants terrifiés de Saint-Martin. Il comprit tout d’un coup quelle était la destination des voitures sanglantes dont on lui avait parlé. Parbleu, elles apportaient la viande de boucherie destinée à la nourriture des fauves. Mais qui donc pouvait avoir eu l’idée de lâcher des lions dans ce parc ? Ah, cela, Jérôme Fandor n’eut pas besoin d’y réfléchir longtemps. Celui-là qui, avait pu concevoir la surprenante idée de faire apporter dans des caisses énormes, des lions à Saint-Martin, de les lâcher dans le parc pour en faire de terrifiants gardiens, celui-là ne pouvait être que… C’était bien une de ses idées, que celle de ce parc infesté de bêtes féroces.

– Hé, hé, se disait le journaliste, en voilà un croquemitaine, non seulement il tue les personnes maintenant, mais encore il les expose à se transformer en pâté pour ses animaux domestiques. Très peu, je ne me sens pas une vocation de comestible.

Il fallait aviser cependant. Certes, Jérôme Fandor ne courait plus aucun danger pour l’instant. Perché sur son arbre, il pouvait exciter impunément la colère des fauves dont il voyait luire la prunelle dans l’ombre avoisinante. Mais il ne pouvait rester longtemps là. Dans sa fuite, il avait perdu son revolver, et désarmé maintenant, il songeait que s’il demeurait sur sa branche d’arbre, inévitablement Fantômas, qui ne devait pas être loin, le découvrirait. Il se trouverait alors à sa merci.

– De plus en plus charmant, se déclara le journaliste, j’ai maintenant le choix entre la gueule des lions et les supplices variés que ne manquera pas d’inventer Fantômas pour se débarrasser de ma personne. Le malheur est que je préférerais ne pas choisir, ou choisir un troisième parti.

Fandor était trop homme de ressource pour longtemps rester inactif.

– Il faut d’abord voir clair, pensa-t-il.

Sa petite lampe n’avait pas quitté la poche de son veston. Il l’alluma, et vit cinq lions.

– De quoi faire la joie d’un barnum, se murmura-t-il.

Le petit arbre sur lequel Jérôme s’était si fortuitement réfugié n’était pas très éloigné, il le constata avec un soupir de soulagement, d’une sorte de haut mur, fermant un enclos taillé à même le parc.

– Ce sont d’anciennes écuries, probablement, pensa Fandor. Les lions ne pourront jamais sauter ce mur. Si je parviens à le rejoindre, moi, je serai hors d’atteinte.

Mais en même temps qu’il envisageait la possibilité d’échapper au terrible danger qui le menaçait, Jérôme Fandor songeait avec mélancolie que pour rien au monde il ne consentirait à user de ce moyen.

– Battre en retraite, renoncer à rejoindre Hélène. Ah, non, pas ça ! J’aimerais encore mieux tenter d’apprivoiser les petites bêtes qui sont au pied de cet arbre, et qui me font l’amitié de me considérer comme une primeur.

« Si je descends, je suis mangé, se répétait-il, si j’essaie de m’en aller par le mur, je renonce à Hélène. Je ne veux ni être mangé ni m’enfuir, il faut trouver autre chose.

Or, c’était cette autre chose, ce moyen vague de s’échapper que Jérôme Fandor cherchait obstinément.

– Et allez donc, mes enfants, susurrait-il aux bêtes féroces, et allez donc, rossignols de ménagerie, et allez donc, carlins à Fantômas, si vous vous imaginez que je vais me laisser bouffer par vous, vous vous mettez les quatre pattes et la queue dans l’œil. Ou je ne m’appelle plus Fandor, ou Marin Premier va me tirer d’affaires.

Qu’avait inventé Jérôme Fandor ?

Le journaliste se livrait à une surprenante manœuvre. Quittant la branche d’arbre sur laquelle il était assis, il se hissa à la force des poignets le plus haut qu’il le put au long du tronc de son mince perchoir. Là, Jérôme Fandor se balança de toute sa force. L’arbre était jeune, souple, il oscilla faiblement d’abord, puis il s’inclina de plus en plus. Bientôt Jérôme Fandor parut juché sur le mât d’un navire secoué par une forte houle. Or, le journaliste avait merveilleusement combiné son affaire. Au fur et à mesure qu’il prenait plus d’élan, il arrivait à dominer de plus en plus l’enclos dessiné par le mur aperçu quelques instants auparavant. Un dernier effort. Jérôme Fandor se rendait compte qu’à chaque balancement de l’arbuste il dépassait maintenant ce petit mur.

– Encore une fois, murmura-t-il, et, à la grâce de Dieu, je lâche tout.

Il tomba dans l’enclos. Il tomba sur de la terre grasse, se fit mal. Mais enfin il tomba hors de portée des lions. Jérôme Fandor voulait donc fuir ? Jérôme Fandor abandonnait donc l’idée de rejoindre celle qu’il aimait ? Le journaliste ne s’était pas relevé, riant aux éclats de ce qu’il estimait dans son esprit être une bonne farce jouée à Fantômas, qu’il traversait l’enclos, à pas précipités. La lune, brusquement venait de surgir. Un peu de lumière, une clarté pâle et blafarde lui permit de se diriger sans grand-peine. Jérôme Fandor avisa un tonneau vermoulu que les pluies récentes avaient à demi rempli et qui attendait là, le long de la grande muraille :

– Ça ne vaut pas une baignoire laquée blanc, murmura-t-il, mais enfin, il faut se contenter de ce qu’on a.

Le journaliste, délibérément, sauta dans le tonneau. C’est en claquant des dents, en frissonnant au vent de la nuit qu’il en ressortit, trempé des pieds à la tête.

– Et maintenant, se déclarait-il, rappelons-nous cet excellent Marin Premier, que nous avons eu l’occasion d’applaudir au temps de notre jeunesse dans les somptueuses arènes de Mugron quand il se payait superbement la tête des vaches landaises.

Jérôme Fandor, tout en riant, avançait de quelques pas, vit un énorme tas de plâtras provenant d’un éboulis de maçonnerie, qui s’était produit dans la grande muraille. Soigneusement il piétina un plâtras, le réduisit en poudre. Et quand il eut obtenu un tas de poussière blanche, le plus tranquillement du monde, il en ramassa par poignées, en saupoudra ses vêtements mouillés. Le plâtre adhérait naturellement aux étoffes trempées d’eau. En un quart d’heure Jérôme Fandor se rendit méconnaissable. Il en sortit vêtu de blanc, comme un vrai Pierrot, sous la lumière blafarde de la lune. Jérôme Fandor, qui cependant avait au cœur une indicible angoisse, qui se rendait parfaitement compte qu’il allait affronter une mort terrible en n’ayant pour la vaincre qu’une chance infime, s’écria :

– Je plaignais mon complet tout à l’heure pour les trois trous que je lui avais fait, je crois que maintenant, après la poudre de riz dont je viens de me servir, il sera décidément bon à mettre de côté pour être offert à Bouzille. Si jamais je retrouve Bouzille.

Le journaliste s’étant consciencieusement saupoudré, alla quérir une échelle, l’appuya contre le mur, franchit celui-ci :

– Les fauves ne sont pas loin, dit-il, gare à la manœuvre.

Jérôme Fandor, en effet, n’avait pas avancé de quelques mètres dans l’allée déserte conduisant au château, qu’il distingua maintenant distinctement, au clair de lune, un énorme lion accourant au galop vers lui.

– Celui-là, monologua Fandor, il doit s’appeler César. Il a une tête à ça.

Et tandis que le lion arrivait, Jérôme Fandor s’immobilisait dans une pose étrange, un sourire sur les lèvres, l’œil fixe, les bras arrondis en un geste gracieux, dans la pose classique du joueur de flûte d’Antinoé. Le lion approchait toujours.

Plus mort que vif, Jérôme Fandor ne bougeait pas. Alors, la bête féroce s’arrêta, demeura immobile un instant, prête à sauter à la gorge de l’homme, puis soudain, le lion poussa un grognement, sa longue queue fouailla ses flancs, et c’était à un petit trot paisible qu’il continua d’avancer.

Jérôme Fandor avait eu une extraordinaire inspiration en se roulant dans le plâtre. Il s’était souvenu de l’extraordinaire audace dont avait jadis fait preuve un écarteur devenu fameux dans les populations landaises. Fandor, tout jeune homme, alors qu’il était encore Charles Rambert, avait assisté à des courses landaises données à Mugron, petit village des environs de Saint-Sever. Il y avait vu le fameux Marin Premier et avait été frappé d’un de ses tours de force. Marin Premier, tout de blanc habillé, descendait dans l’arène, écartait une première fois, par une passe savante et rapide, une vache sauvage fonçant à tout galop sur lui, puis, alors que la bête revenait, folle de rage, les cornes en avant, il sautait sur un socle de bois, prenait une pose de statue, restait immobile. Et alors, frémissante, mais domptée, tandis que l’assistance haletait devant le drame qui paraissait inévitable, la vache, lancée à fond de train sur la fausse statue, se campait sur ses quatre pattes, labourait le sol, s’arrêtait net devant le pierrot et s’éloignait, calmée.

– Pourquoi, diable, s’était dit Jérôme Fandor, pourquoi diable, les lions ne se laisseraient-ils pas prendre à une ruse qui abuse les vaches sauvages ? Il est vrai que les lions sont les rois des animaux, mais les rois sont souvent imbéciles. Essayons.

Il avait essayé. Une première fois, grâce à sa ruse, grâce à l’immobilité absolue qu’il avait su conserver, il avait échappé au lion, mais voilà qu’il était à nouveau en présence d’une bête féroce, voilà que c’était une panthère qui lui barrait la route, une panthère dont les chaudes prunelles s’allumaient de convoitises.

– Bougre de bougre, se répétait Fandor, pendant les quelques secondes où la bête le dévisageait, bougre de bougre, il y a quelque chose à quoi je n’avais pas songé, c’est que mon épaule et ma jambe saignent. Si le minet s’en aperçoit, je suis sûr de passer à l’état de souris.

La panthère pourtant, après avoir galopé, ne marchait plus qu’à pas lents. Son échine souple avait des ondulations traîtresses, son ventre rasait le sol, sa tête oscillait lentement, elle reniflait.

– Allons, saute, bébé, pensait Fandor, dont le cœur battait à grands coups. Si tu dois m’ouvrir la gorge, j’aime encore mieux que tu fasses vite.

Son vœu n’était pas formulé, que la panthère, ramassée sur elle-même, se détendait soudain, elle sauta à la gorge du journaliste.

– Fichu, se dit Fandor.

Mais, tandis que le corps souple de l’animal décrivait une courbe gracieuse, Fandor qui se roidissait terriblement pour ne pas s’enfuir, pour demeurer immobile, crut voir la panthère donner un coup de rein comme si elle eût voulu l’éviter. La bête avait-elle été frappée tout d’un coup par la rigidité du gibier ? Fandor fut frôlé seulement par les pattes du félin. Ébranlé, il tomba. Il eut encore le sang-froid de tomber sans quitter sa pose, de tomber d’un seul bloc, comme tombe une chose, comme tombe une statue.

Et la panthère s’éloigna.

Quelques secondes plus tard, Jérôme Fandor se releva. Une course insensée le transporta sur le perron monumental du château de Saint-Martin, Allait-il l’atteindre ? Devrait-il une fois encore tenter la périlleuse aventure de la fausse statue ? Et si la porte du château était fermée, s’il ne pouvait pénétrer dans la demeure ?

L’allée que suivait Fandor débouchait devant une grande pelouse occupant toute la largeur de la façade de l’habitation. Fandor était à peine à moitié de cette pelouse qu’il entendait derrière lui un galop terrible. Sans doute, il s’était relevé trop vite et il avait fait trop de bruit.

Il resta une cinquantaine de mètres. Il les franchit à une allure de champion olympique. Avant que la bête l’eût rejoint, il avait atteint le perron, il en escaladait les marches, il se jetait sur la porte d’entrée, il en saisissait la poignée. La porte était ouverte. Fandor eut juste le temps de se glisser à l’intérieur de la demeure mystérieuse et de claquer la porte sur lui. Le battant se refermait que, d’un bond prodigieux, la panthère venait se heurter rudement contre elle, puis retombait sur le sol avec un feulement furieux.

Fandor, déjà, avait retrouvé son sang-froid.

– Ça, ma petite, gouailla-t-il, tu peux gueuler si ça te fait plaisir, c’est toujours pas toi qui me mangeras, et ça c’est l’essentiel.

Fandor était-il hors de danger ?

20 – LE PACTE AVEC « LE MAÎTRE »

Fandor avait à peine fermé la porte en esquissant un pied de nez, que d’autres préoccupations lui faisaient oublier les dangers auxquels il venait d’échapper :

– Cette fois, je suis dans la place, murmura-t-il, et comme je ne sais pas l’accueil que l’on m’y réserve, attention.

Le vestibule dans lequel Fandor venait de pénétrer était, ainsi qu’il arrive souvent dans les vieux châteaux, une sorte d’énorme salle au plafond en ogive, aux allures de corps de garde et dans laquelle descendait un monumental escalier à double révolution dont la balustrade de pierre, ajourée, témoignait de splendeurs anciennes. Aucun meuble, aucune tenture, rien qui pût annoncer la présence de l’Homme.

– C’est le château des Mille et une Nuits, grommela Fandor, promenant soigneusement sur les murs le pinceau lumineux de sa lampe de poche, c’est le château de la Belle au Bois dormant, et pourtant je pourrais bien y vivre mon dernier nocturne.

« Bah, murmura Fandor après quelques instants d’hésitation, quand on est enfoncé dans la boue, il n’y a qu’un moyen d’en sortir : y patauger. En ce moment, je me fais assez l’effet d’être en plein dans un guêpier. Tâchons de nous y conduire le mieux possible, pour en sortir au plus vite.

Dédaignant les salles du rez-de-chaussée, il monta. Sa lampe de la gauche, un poignard de la main droite, car il n’avait pas retrouvé son revolver, Jérôme Fandor se mit en devoir de gravir les marches du grand escalier. Il ne prenait point la peine d’étouffer le bruit de ses pas. Au contraire, il semblait satisfait d’éveiller dans le château des échos qui se répercutaient dans le lointain des corridors.

– Si Fantômas m’entend, se disait le journaliste, il va certainement me sauter dessus. J’aime mieux tout de suite que plus tard, je préfère la lutte à l’attente.

Sur le palier du premier étage, Fandor cependant s’immobilisa brusquement.

– Ah, crédibisèque !

Cloué sur le sol, penché en avant, aux aguets, Fandor semblait éprouver une terrible émotion. Puis, il se précipita en furieux le long d’une galerie, qu’il parcourut sans aucune précaution, appelant :

– Hélène, Hélène.

Fandor, du palier, avait cru entendre une plainte continue. Au bout du corridor, en effet, à un angle de la galerie, il découvrit le carré lumineux d’une porte entrouverte. Fandor fut en un éclair à l’entrée de cette chambre. Il ne s’était pas trompé, c’était bien de là que partaient les sanglots.

Hélène, atrocement pâle, dans un grand lit, secouée par la fièvre, appelait, qui ?

– Hélène, Hélène, m’entendez-vous ?

Comment lui venir en aide ?

– Fandor, gémit-elle.

Or, tandis que le jeune homme jetait un regard rapide dans la pièce sommairement meublée, meublée en hâte, Fandor tressaillit.

Collé contre le mur, juste au-dessus de la petite étagère surchargée de flacons, il venait d’apercevoir un papier dont la suscription était surprenante au plus haut point :

Pour Fandor.

Fantômas savait donc qu’il allait venir.

Fandor lut d’abord sans comprendre.

La notice indiquait minutieusement les soins à donner à la jeune fille, les potions qu’il fallait lui faire prendre d’heure en heure, et dont les fioles étaient là, toutes prêtes.

Et Fandor, insoucieux du danger, se transforma en garde-malade.

La nuit passa lente et froide. Fandor était au chevet de la jeune fille. L’aube rougeoyante alluma des reflets sinistres dans la pièce. Puis le grand jour se fit. Des angélus tintèrent aux clochers voisins. Fandor était toujours au pied du lit d’Hélène, sa montre en main, surveillant le sommeil fiévreux de la malheureuse.

Or, comme il pouvait être à peu près six heures du matin, Fandor fut tiré brusquement de sa triste songerie par une fusillade nourrie.

– Ah, sapristi, est-ce que, par hasard, Fantômas…

Fandor courut aux fenêtres, retenant mal un épouvantable juron :

– La police, c’est la police.

Dans le parc, Jérôme Fandor venait d’apercevoir un groupe d’une vingtaine d’hommes formés en carré, le fusil à l’épaule et s’avançant vers le château, tout en faisant feu sur les fourrés, où, sans doute, les fauves surpris se terraient.

Eh oui, la police, avec Nalorgne et Pérouzin marchant devant.

Parbleu, si Nalorgne et Pérouzin étaient venus à Saint-Martin, c’était bien probablement parce qu’ils étaient sur les traces de Jérôme Fandor, accusé d’espionnage, de trahison, de naufrage volontairement provoqué.

– Cette fois, se dit le journaliste, je crois que mes affaires se gâtent. J’avais les lions sur le dos, cette nuit, et ce matin j’ai les argousins sur les talons. Je perds au change. Comment me tirer de là ?

En hâte, le jeune homme s’approcha de la petite table sur laquelle étaient rangés les flacons de remèdes qu’il administrait à Hélène. Fandor tira son crayon, écrivit de sa large écriture :

La potion a été donnée, en dernier lieu, à six heures moins le quart, il faudra l’administrer de nouveau, à sept heures moins le quart.

Au-dessous, il signa, pourquoi pas ? il signa :

Jérôme Fandor.

Le journaliste alors épingla la notice là où il l’avait trouvée. Il barra l’indication pour Fandor, qu’il remplaça par Messieurs les Policiers.

Puis, cela fait, il revint s’agenouiller tout près du lit de la malheureuse Hélène. Lentement et avec une douceur infinie, Fandor attira la main fine de la jeune fille, et avec une douceur infinie, il y posa un très long baiser.

Nalorgne et Pérouzin semblaient discuter avec les autres policiers sur les moyens d’envahir le château.

– Les imbéciles songea Fandor.

Il sourit, puis cria de toutes ses forces :

– Au secours, au secours !

Alors seulement, Jérôme Fandor battit en retraite. Vingt mètres à peine le séparaient des agents que Nalorgne et Pérouzin, prudemment restés en arrière, jetaient à ses trousses. Mais Jérôme Fandor avait pour lui, pour assurer son salut, la tête froide et une habileté dont il avait donné maintes fois preuves.

– C’est bien le diable, songeait le journaliste, si je ne trouve pas un placard, un recoin, un meuble, n’importe quoi où me cacher.

La galerie qu’il suivait était longue et tortueuse. Il y galopa. Elle finissait brusquement en cul-de-sac. Or, au moment où tout se compliquait, car Fandor allait être pris au piège, le journaliste entendit très distinctement une voix qui lui criait :

– À droite, la première porte à droite, hardi, dépêchez-vous !

Qui était-ce ?

Jérôme Fandor ne s’attarda pas à le chercher. Il revint sur ses pas, ouvrit la première porte à droite, qu’il avait prise pour la porte d’une chambre : elle donnait sur un escalier.

Dans cet escalier, un homme l’attendait, qu’il voyait mal dans l’ombre :

– Vite, cria l’inconnu, fermez la porte derrière vous, et descendez.

Fandor obéit.

– Mais qui êtes-vous ?

Comme à la suite de l’homme il dégringolait les étages, l’inconnu souffla quelque chose que Fandor ne comprit pas :

– Passez par ici, dit l’inconnu.

Il ouvrait une porte de cave et, pour hâter la fuite de Fandor, sans doute, l’attrapa aux épaules, le bouscula. En même temps, Fandor eut l’horrible impression qu’il tombait dans un trou, que le sol se dérobait sous lui, qu’il était jeté dans une oubliette. La vie de château bien sûr.

Et, tandis que Fandor dégringolait ainsi le long d’une sorte de paroi lisse, à forme d’entonnoir, tandis qu’il s’efforçait vainement de se retenir, tandis qu’il avait l’impression de descendre au tombeau, il entendit une voix railleuse :

– Qui, je suis Jérôme Fandor ? Parbleu. Je n’aurais pas cru que vous auriez besoin de le demander.

***

Il y avait deux heures que Jérôme Fandor, surpris par la traîtrise de Fantômas, demeurait prisonnier au fond de l’oubliette.

– Évidemment, se disait le journaliste, il trouve préférable de me faire crever de faim. Il a choisi pour moi la mort lente. Cela ne m’étonne pas de lui.

Or, tandis que Fandor, au fond de son oubliette, se prouvait à lui-même, avec des arguments irréfutables, qu’il était à coup sûr destiné à la mort sans phrases, que dans l’ombre impénétrable un bruit de pas retentit.

Et puis une voix :

– Fandor ? Jérôme Fandor ?

– Qui va là ? qui me parle ?

Une voix nette, une voix dure :

– C’est Fantômas.

Alors, la colère de Jérôme Fandor éclata :

– Ah, c’est vous, Fantômas ? Enchanté de vous savoir là. Vous savez trahir, user des ruses les plus lâches. Moi, Jérôme Fandor, je saurai mourir sans me plaindre. Allons, Fantômas, j’ai peut être encore deux jours de vie. Eh bien, revenez dans deux jours, et vous verrez que Jérôme Fandor sait mourir en brave.

Fantômas lui répondit, très calme, sans hausser le ton :

– Vous avez tort, vous vous trompez, Jérôme Fandor. Je ne veux pas votre mort.

– Allons donc.

– Je vous l’assure.

– Que désirez-vous donc ?

– Votre aide.

– Ah ?

– Pas de paroles inutiles.

– Parlez, Fantômas.

– Fandor, j’aurais pu vous tuer, ainsi que Juve qui s’est fait transporter tout paralytique qu’il est, à Saint-Martin. Eh bien, Fandor, je viens vous proposer la vie sauve pour vous et votre ami.

– En échange de quoi ?

– En échange des papiers d’Hélène, des papiers que vous m’avez volés en Afrique, de ces papiers que Juve possède toujours et qu’il me faut. Je vous tire de ce tombeau, je ne tente rien contre vous ni Juve, et vous me rendez les papiers de ma fille. Acceptez-vous ?

– Fantômas, vous vous moquez de moi. Je refuse.

– Pourquoi ? Vous préférez la mort ? Vous trouvez que ma proposition est déshonorante ? Je ne vous demande pourtant pas de renoncer à mener campagne contre moi ? je ne vous demande rien.

– Fantômas, vous m’offrez la vie ? c’est très bien. Actuellement, grâce à vous, j’ai toute la police sur le dos. Merci de l’offre. Non, Fantômas, je ne vous dirai pas où sont les papiers d’Hélène. D’abord parce que je ne le sais pas, et qu’il faudrait les demander à Juve, ensuite, parce que vous ne les payez pas assez cher.

– Je suis au-dessus de vos insultes. Écoutez-moi une dernière fois, Jérôme Fandor. Je reprends ma proposition. Je la reprends en la complétant. Vous vous engagez tout bonnement à me remettre dans trois jours les papiers de ma fille. Vous vous y engagez en me donnant rendez-vous où bon vous semblera. Je me fie à vous. De mon côté, je vous jette une corde, je vous tire d’ici, ce qui est vous sauver de la mort, j’écris sous votre dictée une lettre dans laquelle, très nettement, j’établis que je suis l’auteur des crimes dont vous êtes accusé. Cette lettre, je ne vous la donne pas, pour être certain que, si vous êtes arrêté, elle ne sera pas saisie sur vous, ce qui m’enlèverait le temps de fuir, mais je vais devant vous la mettre à la poste. Cette lettre, je m’arrange pour qu’elle vous parvienne dans trois jours. Donc, si vous êtes arrêté, comme vous le craignez, dans trois jours, grâce à cette lettre, vous serez relâché. Enfin parce que cela est juste et que cela me convient, j’écris en même temps à Nalorgne et à Pérouzin, qui sont deux de mes complices, et j’écris de telle façon que cette seconde lettre amène leur arrestation. Voici ma proposition, Jérôme Fandor : vous me donnez les papiers de ma fille et moi je vous sauve, j’épargne Juve, je vous innocente, je fais arrêter deux coupables. Acceptez-vous ?

(Silence dans les oubliettes. Fandor songe. Fandor pèse le pour et le contre. Enfin il reprend la parole :)

– J’accepte. Dans trois jours, dans quatre plutôt, car je serais probablement pris et on ne me relâchera que dans trois jours, dans quatre jours, Fantômas, je vous rendrai les papiers de votre fille, je vous en donne ma parole d’honneur. Vous n’aurez qu’à vous rendre rue Bonaparte, chez Juve, vous m’y trouverez. Maintenant, écrivez la lettre !

– J’ai votre parole, Jérôme Fandor. Vous avez la mienne. Dictez, j’écris. Je sais que vous aimez Hélène, Fandor, vous conviendrez que je dois l’aimer aussi pour vous offrir la vie en échange de quelques documents utiles à elle seulement.

Le bandit se tut. Une lumière soudaine illuminait l’oubliette où Fandor avait pensé mourir. Fantômas était debout, dans une sorte de trou noir qui s’ouvrait à mi-hauteur de la paroi et devait aboutir à quelque souterrain. Il écrivait sous la dictée de Fandor la reconnaissance du crime que le journaliste lui précisait, puis il jeta la lettre à Fandor :

– Ai-je changé un mot ?

– Non.

– Alors, rendez-moi cette lettre.

Et comme Fandor la lui restituait à bout de bras, Fantômas, qui s’en était saisi, lui expliqua :

– Je vais vous jeter une corde. Vous grimperez. Elle vous mènera à ce souterrain où je suis, suivez-le. Dans vingt minutes, vous déboucherez en pleine campagne, un homme marchera devant vous. Ce sera moi. Vous serez libre de le suivre. Vous le verrez aller à la poste, jeter dans la boîte les deux lettres que je vous ai promises. Après, Fandor, votre devoir sera d’aller trouver Juve et de lui réclamer ce que, de votre côté, vous vous êtes engagé à me remettre.

Le journaliste se demandait s’il avait eu raison d’accepter le compromis. Sa conscience lui disait oui, son orgueil non.

21 – ARRESTATION AVEC FANDOR

– Ah, te voilà, polisson !

– Juve, Juve, il se passe des choses.

Fandor venait de faire irruption dans la petite chambre d’hôtel, à Saint-Martin, où l’infortuné Juve, plus paralytique que jamais, s’était fait transporter quelques jours auparavant.

D’une voix calme, mais légèrement railleuse, le paralytique répondit :

– Je le vois bien, Fandor. Tu perds la tête. Depuis quelques jours, d’ailleurs, tu commets gaffe sur gaffe.

– Moi ? Qu’ai-je donc fait ?

– Non seulement tu fais des gaffes, mais tu me forces à me déranger, à venir ici, et je te prie de croire que ce village n’a rien d’enchanteur. Surtout l’hiver. Il fait un froid… D’ailleurs, puisque tu es là, Fandor, mets donc une bûche dans le feu !

De plus en plus abasourdi par le calme imperturbable de Juve, Fandor obéit machinalement. Il posa un gros morceau de bois dans la cheminée. Une flamme jaillit.

– Ah ça, Juve, vous saviez donc où j’étais ?

– Mon pauvre Fandor, tu es décidément bien bas. Apprends donc une chose. C’est que tout le monde sait où tu te trouves, nul n’ignore l’inculpation qui pèse actuellement sur les épaules du journaliste Fandor et menace, assure-t-on, sa tête. Chacun sais que tu es entré dans un château tout près, château redoutable, d’ailleurs, de réputation tout au moins.

– Réputation méritée.

– Quand on aime, Fandor, on risque.

– Juve, je vous en prie, cessez. Puisque vous êtes renseigné, arrachez de mon cœur une angoisse terrible, vous savez que j’ai revu Hélène, vous savez aussi dans quel état j’ai trouvé la malheureuse. Dites-moi, qu’est-elle devenue ? Va-t-elle mourir ?

– Hélène, est désormais hors de danger. Les hommes qui l’ont trouvée abandonnée dans une chambre déserte et en proie à une fièvre violente ont aussitôt fait venir le médecin du pays, un jeune homme que je te recommande, Fandor, car il est intelligent et débrouillard. Précisément, la voiture d’ambulance automobile qui m’avait amené de Saint-Germain ici n’était pas repartie, je l’ai prêtée pour qu’on reconduise Hélène à Cherbourg. Elle se trouve à l’hôpital, fort bien soignée.

– Dieu soit loué, s’écria Fandor, et puisse-t-elle, après les heures tragiques qu’elle a traversées, trouver un peu de tranquillité.


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