Текст книги "La mort de Juve (Смерть Жюва)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
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Иронические детективы
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– Mademoiselle, vous ferez bien attention à ce contrat d’assurance. Il y a un procès d’engagé et on en donnerait bien cinquante mille francs. Je le laisse sur mon bureau…
Puis, Hervé Martel sortait du cabinet de travail, où restaient seuls les deux inspecteurs.
Léon et Michel s’efforçaient en effet d’inciter le voleur invisible à recommencer devant eux la manœuvre qui lui avait permis de réussir auparavant.
Léon et Michel se rendaient bien compte qu’il était impossible que titres ou billets eussent disparu tout seuls. Esprits rassis, d’autre part, ils ne voulaient pas admettre une explication spirite, l’hypothèse d’une maison hantée, et par conséquent, ils étaient amenés à imaginer l’intervention d’un homme, celui à qui ils offraient un appât aujourd’hui. Mais rien n’avait mordu encore.
– Michel ?
– Quoi donc mon vieux ?
– Ça ronfle de plus en plus fort.
– Ah bougre de nom d’un chien, c’est curieux tout de même.
***
À onze heures, les deux inspecteurs étaient encore dans le cabinet de travail et rien ne s’était passé.
– Léon ?
– Michel ?
– Avez-vous senti ?
– Non. Rien du tout.
– Peut-être que je me suis trompé ?
– Vous avez remarqué quoi ?
– Un peu de vent.
– C’est curieux.
Or, soudain, Léon étendit le bras, et Michel en suivant la direction de son index pointé, parut soudain au comble de la surprise.
Ce que voyaient les deux inspecteurs était cependant peu de chose, mais ce peu de chose… Au centre même de la pièce, près du bureau d’Hervé Martel, se trouvait un fétu de paille, probablement tombé de quelque balai, de quelque plumeau. Ce fétu de paille s’était redressé, comme si une force mystérieuse lui avait prêté la vie. Le fétu de paille roulait sur lui-même, allait, venait. À un moment donné, il parut s’élever en l’air, et comme emporté par un tourbillon, puis il retomba, resta immobile tout à coup.
– Qu’est-ce que cela veut dire ?
– Ma foi, je me le demande.
Ils n’en dirent pas plus. Le fétu de paille recommençait à s’agiter. Quittant le tapis, il alla jusqu’au marbre de la cheminée, avançant en roulant sur lui-même, en sautillant, restant immobile de longs instants puis précipitant sa course. Lentement Michel sortit de sa cachette. Puis Léon. À genoux, l’air grave, les deux inspecteurs surveillèrent longuement les déplacements de ce fétu de paille, qui maintenant sur le marbre de la cheminée, glissait comme un brin de paille secoué par la tempête.
– Léon ?
– Michel ?
– Vous n’avez pas senti cette fois ?
– Non. Rien du tout.
– Je vous assure qu’il y a un courant d’air. Un appel d’air.
Léon, pour s’en assurer mouilla un doigt, le tendit. En effet, son collègue avait raison.
Un léger courant d’air semblait naître dans le cabinet de travail, sans qu’il fût possible d’identifier dans quel sens il se produisait. Portes et fenêtres étaient fermées.
Or, dans la coupe de cristal qui servait de cendrier à Martel, des allumettes, comme animées d’une vie mystérieuse, s’étaient soudain précipitées, avaient voltigé jusqu’à la cheminée. Impossible de s’y tromper, Léon et Michel, très nettement, cette fois-ci, avaient senti un courant d’air assez violent, assez brusque.
– Ma parole, commença Michel, il y aurait réellement de quoi se demander si des esprits ?
Mais il n’acheva pas.
Sur la petite table où Hervé Martel, sur leur conseil, avait déposé la liasse des dix faux billets de banque, un nouveau phénomène. La liasse semblait animée, elle aussi, d’une vie bizarre. Avec un froissement léger, les billets de banque supposés palpitaient, frissonnaient, s’agitaient. D’abord, ils ne décrivirent que de petits mouvements. La liasse sautilla en quelque sorte sur la table, puis ce fut une chose rapide et que les deux inspecteurs eurent à peine le temps de noter, la liasse glissa d’un mètre au moins sur la tablette cirée.
– Par exemple, cria Michel, voilà que tout commence à déménager.
Et une joie s’emparait du brave inspecteur, à la pensée que peut-être le piège tendu allait se refermer.
Malheureusement, après avoir glissé, la liasse des faux billets de banque s’arrêta brusquement. Les billets, eux-mêmes, ne frissonnaient plus. Rien ne bougeait dans la pièce.
Léon et Michel attendirent un instant et, aussitôt, Léon grinça des dents. Coupant net la parole à Léon, un soupir, un véritable soupir s’éleva dans la pièce. On eût dit qu’un géant, car le soupir était bruyant, avait baillé sans se contraindre. Léon et Michel froncèrent les sourcils. Ils étaient seuls évidemment dans le cabinet d’Hervé Martel et, cependant, au bruit qu’ils venaient d’entendre, ils avaient l’impression que quelqu’un était là, près d’eux, quelqu’un qu’ils ne voyaient pas, quelqu’un qui allait agir. Était-ce bien quelqu’un pourtant ? Était-ce quelqu’un qui avait soupiré ?
Nouveau silence.
Léon et Michel qui, en entendant le soupir, avaient machinalement tourné la tête, inspectèrent le cabinet de travail, en tous sens, regardaient une fois encore dans la direction de la petite table.
Et alors, Léon poussa un juron formidable, en même temps qu’il se relevait, qu’il s’élançait, sans plus prendre la peine de ne pas faire de bruit.
– Ah crédibisèque de crédibisèque, les billets ont foutu le camp.
Sur la petite table, en effet, plus trace de billets. Le temps de tourner la tête, les faux billets de banque avaient disparu, volatilisés.
Ils fouillèrent, ils scrutèrent, ils déménagèrent, ils renversèrent, ils mirent sens dessus dessous, ils se lamentèrent. Et puis, brusquement, Léon, parut furieux.
– Taisez-vous, Michel, taisez-vous.
Impressionné, Michel obéit, se tut, immobile.
– Vous n’entendez rien ?
– Rien.
– Si, un froissement de papiers ?
– Vous vous trompez, Léon.
– Non, écoutez mieux.
Léon ne se trompait pas. Il y avait en effet, dans la pièce, à un endroit qu’il était difficile malheureusement de définir, quelque chose ou quelqu’un, – mais quelqu’un, on l’aurait vu, – qui s’agitait avec lenteur.
On entendit un bruit, un bruit léger, un bruit que Léon avait parfaitement défini comme un froissement de papier.
– Cré nom d’un chien dit Michel, nos billets qui s’en vont.
Léon, à ce moment, était debout devant la cheminée.
Il lui semblait que le bruit avait sa source tout près de lui. Et pourtant, il ne voyait rien, absolument rien qui lui parût de nature à le produire. Sur la cheminée, des bibelots étaient disposés, une pendule, arrêtée n’offrait rien d’extraordinaire, des candélabres dont les bougies s’ornaient d’abat-jour minuscules n’apparaissaient pas suspects.
Or tandis que Léon considérait cette garniture de cheminée, il lui vint soudain à l’idée que peut-être, sous la tablette de velours recouverte d’une dentelle dont les franges très longues débordaient, il pouvait y avoir quelque chose d’intéressant.
L’inspecteur se pencha. Il colla l’oreille à la tablette de la cheminée. Le bruit, le bruit soyeux de papiers froissés, le bruit qui persistait, devait se produire tout près.
– Michel, regardez bien à droite de la cheminée, je vais surveiller à gauche, cria Léon.
D’un mouvement brusque, Léon empoigna les franges qui voilaient le rebord de la tablette et il les souleva.
Alors, Léon poussa une exclamation terrifiée : en soulevant les franges qui garnissaient le côté gauche de la cheminée d’où les billets de banque avaient disparu, Michel venait précisément de les apercevoir, ces billets de banque. Ils étaient collés contre le mur, glissés sous les franges, ils s’agitaient.
– Ah par exemple, qu’est-ce que ça veut dire ? commença l’inspecteur.
Mais, sans doute, en soulevant les franges, il avait poussé les billets, car, au moment même, Léon les vit s’engouffrer dans le mur, y entrer, disparaître par une bouche de calorifère creusée là et dont la grille, très large gênait à peine leur passage.
En même temps, Léon sentit un violent appel d’air, au même instant il entendit un long soupir.
– Michel, avez-vous vu ? Il y a quelque chose qui aspire là-dedans ? c’est par là qu’on attire.
Léon n’acheva pas. Entraîné par l’intérêt même de sa découverte, il s’était penché sur la bouche du calorifère, il venait d’y coller le visage. Alors, un hurlement déchirant, un cri de douleur effroyable, une lamentation sans fin, emplit le cabinet de travail. Une seconde peut-être, Léon était resté le visage collé à la bouche de chaleur. Maintenant, il se rejetait en arrière.
Le malheureux inspecteur était épouvantable à voir. Le sang ruisselait de son visage tailladé dont les chairs semblaient avoir été violemment appuyées contre la grille du calorifère, s’être coupées sur le treillis métallique. Et surtout, son œil droit arraché de l’orbite, lamentable, pendait sur sa joue, cependant que, sous une horrible douleur, tous les traits de son visage grimaçaient, se convulsaient. Il s’écroula sur le tapis rougi de sang.
Michel n’avait pas eu le temps d’intervenir. Épouvanté, il se jeta à genoux à côté de Léon. Léon sembla reprendre conscience. Il râla :
– C’est horrible. La bouche de calorifère fait ventouse. Ah, je ne vois plus. Suis-je aveugle ?
– Au secours, au secours ! hurla Michel.
11 – VERS L’AMOUR
Dans la villa de Saint-Germain, Juve et Fandor, en tête à tête, discutaient avec la plus vive émotion :
– Oui, dit Fandor. Son œil est perdu.
Juve serrait les dents. L’infirme bégayait de colère :
– Oh, nous venger, venger notre pauvre ami, réduire, une fois pour toutes à néant notre formidable adversaire, voilà ce que je voudrais.
– Calmez-vous, dit Fandor. Nous finirons par réussir. Il y a ici-bas une justice immanente. À ce propos, Juve, j’ai des renseignements…
– Non Fandor, tout à l’heure. D’abord, donne-moi des nouvelles de Léon. Quelles sont les causes de ce qui s’est passé.
– Oui. vous avez raison, Juve. Je vous ai mis au courant jusqu’à ce moment fatal où Léon a la fichue idée de coller le nez sur la bouche du calorifère. Là, il a poussé un grand cri. Il est tombé. Michel l’a relevé. Il avait le visage mutilé, l’œil arraché de l’orbite. Je passe sur l’affolement, la suite. On a emporté Léon à l’hôpital.
– Au fait, Fandor, au fait. La machine infernale, c’était quoi ?
– Une pompe.
– Quoi ? Que veux-tu dire.
– Une pompe aspirante. Une machine qui fait le vide.
Et comme Juve paraissait ne pas avoir très bien compris, Fandor lui expliqua :
– J’ai eu la chance, comme je vous le disais précédemment, de pouvoir venir avec Michel, dans l’appartement du courtier Hervé Martel, quelques heures après le terrible accident. Nous avons passé ensemble la fin de la journée, presque la nuit entière, la matinée, puis l’après-midi. Après d’interminables recherches, nous avons découvert ceci : la canalisation de la bouche du calorifère aboutissant dans le cabinet de travail de Hervé Martel avait été détournée et venait s’ouvrir dans un long tuyau métallique qui, traversant le mur de la maison, descendait le long de ce mur jusque dans une maison voisine, un garage d’automobiles, abandonné de ses propriétaires depuis six mois. Une liquidation, une faillite probablement, avait déterminé cet état de choses. Nous avons pénétré là, guidés par le tuyau. Dans les sous-sols de ce garage où ce tube venait aboutir, nous avons trouvé, tout installé, graissé, bien entretenu, dans un état qui prouvait qu’on s’en était servi tout récemment, un moteur à pétrole d’un type très courant, moteur à quatre cylindres qui, fixé à un dispositif spécial et fort connu, paraît-il, dans l’industrie, permet, lorsque le moteur est mis en marche, de faire le vide dans le tuyau et par suite, d’aspirer à l’extrémité de l’orifice avec une violence inouïe tout ce qui peut se trouver emporté. Je ne vous définirais pas mieux l’appareil, Juve, en disant qu’il était établi sur un principe identique à celui de ces aspirateurs que l’on emploie pour nettoyer les appartements.
– C’est admirable, c’est effrayant, c’est du Fantômas.
– Oui, Juve. C’est du Fantômas.
– Quoi d’autre Fandor ?
– Juve, si j’ai bien compris ce qui s’est passé, – et je crois être dans le vrai en disant que le mystérieux voleur de l’avenue Niel faisait disparaître les documents qui se trouvaient dans le bureau du courtier maritime en les aspirant, au sens propre du mot, – il est un autre point que je n’ai pas pu éclaircir.
– Ce que tu viens de me dire, Fandor, est rigoureusement exact. L’appareil ne se contentait pas d’aspirer, il refoulait aussi, ce qui explique le fameux ouragan déchaîné un certain soir dans le cabinet de travail uniquement pour jeter l’épouvante. Mais je te vois venir et tu vas me demander comment il se fait que le coupable qui faisait manœuvrer l’appareil, choisissait le bon moment pour le mettre en action, et pourquoi il n’aspirait qu’à coup sûr ?
– Décidément, Juve, vous avez toujours, vous avez même plus que jamais une admirable perspicacité. Oui, j’allais vous poser cette question.
– Notre homme se contentait d’écouter aux portes.
– Aux portes ?
– C’est une façon de parler, poursuivit Juve, car, en réalité, le voleur, le criminel ne se tenait pas dans l’appartement d’Hervé Martel, mais bien dans le garage, à côté du moteur, ainsi que tu l’as découvert. Il écoutait ce que l’on disait dans le cabinet de travail de l’appartement de l’avenue Niel. Mieux encore, il entendait comme s’il se fût trouvé dans la pièce. Comment ?
– Comment ?
– Voyons, le téléphone.
– Mais le téléphone d’Hervé Martel n’est pas dans son cabinet, il est à l’autre bout de l’appartement.
– D’accord pour le téléphone d’Hervé Martel, mais celui de Fantômas est encore dans le bureau.
– Vous avez peut-être raison, fit soudain le journaliste, j’ai remarqué en effet dans le garage un poste téléphonique placé tout à côté du moteur, mais je ne vois pas où il pouvait aboutir.
– Hélas ! fit Juve, je l’avais pourtant indiqué à Léon, et le malheureux garçon aurait pu te le dire, s’il n’avait été victime du terrible accident qui lui coûte un œil. Vous avez fouillé tout l’appartement, sondé les murs du bureau de travail, je parie que vous n’avez pas démoli le plancher.
– Non.
– Eh bien, dit Juve, c’est ce qu’il fallait faire et vous auriez certainement trouvé la plaque réceptrice disposée par Fantômas entre le parquet de la pièce et le plafond de l’appartement du dessous. C’est pour cela, poursuivait Juve en s’animant, que j’avais recommandé à Léon et à Michel de prononcer à haute voix certaines phrases caractéristiques, de façon à prévenir, si je puis m’exprimer ainsi, l’adversaire inconnu. Mon procédé a réussi, puisqu’à peine venaient-ils de dire ce qu’il fallait que l’appareil d’aspiration s’est mis en mouvement et a traité si brutalement d’ailleurs mon infortuné collègue. Hein, qu’en penses-tu, Fandor ?
– Vous m’avez empêché de parler.
– Dis ce que tu veux dire :
– Il y a deux points qu’il faut élucider. Puisque vous êtes si merveilleusement renseigné sur ce que nous appelons les mystérieuses affaires de l’avenue Niel, et qu’en somme c’est vous qui, de votre lit, avez dirigé les enquêtes, pouvez-vous me dire si vous avez des renseignements sur la personnalité de cette jeune fille qui était dactylographe chez le pseudo courtier d’assurances, Hervé.
– Fandor, elle s’appelle Hélène.
– Eh bien ?
– Eh bien, poursuivit Juve, cramponne-toi au fauteuil, si tu ne veux pas tomber à la renverse, parce que je vais t’étonner.
– C’est fait, Juve.
– Cette jeune fille je la connais donc très bien, puisque, grâce à l’intervention de nos amis Nalorgne et Pérouzin, je dois l’épouser prochainement.
– Vous devez épouser la dactylographe ?
– Je pourrais d’ailleurs faire plus mal, car elle est fort jolie.
Le policier tira de dessous ses couvertures un portefeuille où il prit une photographie qu’il tendit au journaliste.
Fandor se précipita.
– Hélène, cria Fandor, c’est elle, la fille de Fantômas !
– Eh oui, Fandor, eh oui.
En proie à une émotion inexprimable, à une nervosité presque inquiétante, Fandor arpentait la chambre de Juve avec une extraordinaire fébrilité.
– Mais c’est une plaisanterie ? Vous n’allez pas épouser la fille de Fantômas ? Mais était-ce bien elle qui se trouvait avenue Niel en qualité de dactylographe ? Oh Juve, inutile d’essayer de me convaincre, c’est fait depuis longtemps. Si je doute absolument de votre projet de mariage, je suis convaincu que la malheureuse Hélène est bien la mystérieuse dactylographe qu’employait à son service le pseudo courtier Hervé Martel.
– Fandor, interrompit Juve, voilà deux fois que tu viens de dire le « pseudo courtier ». Pourquoi ?
– Parce que Fantômas, c’est le courtier Hervé Martel.
– C’est idiot, Fandor. Hervé Martel existe réellement. C’est une personnalité connue à Paris, il est titulaire de sa charge depuis près de dix ans.
– Possible ! s’écria Fandor, mais nous savons que Fantômas n’en est pas à un crime près, et il est parfaitement capable d’avoir assassiné le véritable Hervé Martel, pour se substituer à lui. Juve, souvenez-vous du magistrat de Saint-Calais, tué, remplacé par l’Insaisissable.
– Tu te trompes, Fandor.
– Non, la meilleure preuve, c’est qu’après l’attentat dont vient d’être victime le malheureux Léon, le courtier, le « pseudo courtier » je maintiens mes dires, a brusquement quitté Paris et s’en est allé, soi disant, à Cherbourg.
– À Cherbourg, en effet, déclara Juve, rien n’est plus logique. Sa présence est nécessaire dans ce port de mer à l’entrée duquel est venu sombrer un cargo boat dont la cargaison l’intéresse au plus haut point.
– Juve, Hélène a disparu avec lui.
– Non, interrompit encore Juve, elle a simplement, en employée fidèle, suivi les instructions de son patron, c’est-à-dire qu’elle s’est rendue également à Cherbourg où le courtier maritime peut avoir besoin d’elle.
– En êtes-vous sûr, Juve ?
– Oui.
– Eh bien je pars pour Cherbourg. Je veux en avoir le cœur net. Demain, je saurai si Hervé Martel est bien Fantômas, comme j’en ai la conviction.
Juve n’essaya pas de retenir son ami, mais connaisseur de l’âme humaine, il dit simplement à son ami :
– La personnalité de Fantômas te préoccupe, Fandor, mais avoue-le, ce qui te préoccupe surtout, c’est de retrouver Hélène et de pouvoir la rejoindre, la voir, lui parler. Fandor, Fandor, tu l’aimes encore, tu l’aimes toujours, tu l’aimes plus que jamais.
Déjà le journaliste était sur le seuil de la porte, il hésita une seconde, puis, rebroussant chemin, il vint vers Juve, prit les mains glacées du policier dans les siennes, les serra chaleureusement et, d’une voix étouffée, presque confuse, comme un enfant qui confesse une faute, il reconnut avec des sanglots dans la voix :
– Eh bien, oui, je l’aime, Juve, je l’aime éperdument.
***
– Le Palace-Hôtel, s’il vous plaît ?
– Ah ! mon bon monsieur, si vous n’avez pas peur de marcher, vous pouvez vous y rendre à pied. Mais c’est tout à l’autre bout de la ville, en face la plage. Ici, vous n’êtes qu’à la gare, il y a près de deux kilomètres.
Fandor se demanda un instant s’il n’allait pas répondre aux suggestions intéressées que lui formulait le cocher auquel il demandait ce renseignement.
Le train avait eu quelque retard, il était déjà neuf heures du soir et le journaliste dominait difficilement son impatience.
– Allez, dit-il au cocher, et vivement ! Vous m’arrêterez à cent mètres de l’hôtel.
Le cocher exécuta les ordres de son client et Fandor, entré inaperçu, demanda timidement à un portier aux vêtements dorés :
– Pourriez-vous me dire si la dactylographe de M. Hervé Martel est visible en ce moment ?
Le portier, grave et majestueux, mit en branle plusieurs sonneries électriques, appela à différents postes téléphoniques et devant ce déploiement de forces mystérieuses, Fandor sentit son cœur battre à rompre, dans sa poitrine, car si on lui répondait par l’affirmative, qu’allait-il dire ? Sous quel nom devait-il se faire annoncer ? En présence de qui se trouverait-il ?
Assurément, si la jeune fille qu’il demandait était bien la fille de Fantômas, et si, comme il le croyait encore, Hervé Martel n’était autre que Fantômas lui-même, ces deux mystérieux personnages devaient se tenir perpétuellement sur leurs gardes.
Avec un fort accent tudesque, le portier aux allures de Saxon expliqua :
– La demoiselle est sortie depuis une heure et n’est pas encore rentrée, mais elle ne tardera sans doute pas car elle n’a pas encore pris son souper.
Fandor remercia, parcourut un instant le vaste hall de l’hôtel, mais il s’y trouvait trop visible, trop exposé, trop facilement reconnaissable dans l’éblouissement des lumières.
– Si elle est sortie, pensa-t-il, autant l’attendre dans les jardins, je la verrai bien venir.
Le journaliste, descendant précipitamment le perron du vestibule, éprouva une certaine satisfaction à se dissimuler dans l’ombre. Fandor alla jusqu’à la grille du jardin, surveilla quelques instants la rue déserte qui longeait le port et, soudain, tressaillit. Le silence qui régnait venait d’être interrompu par le bruit sec d’un petit pas rapide.
– C’est elle, murmura Fandor, c’est Hélène, comment va-t-elle m’accueillir ?
Il s’avança. Hélène s’arrêta :
– Monsieur Fandor.
Et la surprise était si vive, si inattendue, que la jeune fille manquait défaillir, mais Fandor se précipitait vers elle, la soutenait, passait son bras autour de sa taille souple.
– Hélène, vous ne m’en voulez pas ?
– Non, Fandor, je ne vous en veux pas, je ne vous en ai jamais voulu.
– Ne songeons plus au passé, dit Fandor.
– Pourquoi, dit-elle, tout être humain n’a-t-il pas le droit, ici-bas, d’obtenir un jour sa part de bonheur ? N’avons-nous pas, l’un et l’autre, suffisamment souffert dans l’existence pour espérer une compensation ?
Fandor n’en croyait pas ses oreilles.
Quoi, c’était Hélène, c’était la fille de Fantômas qui parlait ainsi ? C’était elle, la femme impétueuse, perpétuellement révoltée contre le sort, la femme aux décisions irrévocables, aux colères soudaines, aux rancœurs terribles qui s’exprimait ainsi ?
– Hélène, est-ce votre pensée sincère ?
– Oui, Fandor, je vous dis ce que je pense, j’espère que nous sommes tous les deux des êtres assez forts et des cœurs assez généreux pour n’avoir pas besoin de dissimuler. Si j’ai été, comme vous le savez, mêlée à de tragiques aventures, c’est à mon corps défendant. Si j’ai mené l’existence que vous connaissez, c’est qu’il m’a fallu perpétuellement lutter, perpétuellement agir.
– Oui, je sais, vous passez votre existence, Hélène, à contrecarrer les forfaits de votre père et aussi à vous efforcer de le faire échapper au châtiment !
– C’était mon devoir, Fandor.
– Votre devoir a-t-il changé ?
– Le devoir est toujours le devoir, mais mon père a depuis longtemps déjà renoncé à l’existence que je réprouve. Il s’est amendé. Il expie.
– Hélène, est-ce possible ? Ne vous illusionnez-vous pas ?
– Je sais ce que je dis, Fandor. Voilà six mois déjà que je n’ai pas revu mon père. La dernière fois qu’il m’a parlé, il m’a juré de changer de vie. Il a tenu sa parole et désormais, Fandor, je suis prête à vous aimer, je vous aime.
– Hélène, Hélène, murmura-t-il, je suis désespéré de ce que je vais vous dire. Vous vivez dans un rêve, et dans un instant, je vais vous faire entrevoir l’affreuse réalité. Vous connaissez Hervé Martel ?
– Oui. Fandor, c’est le courtier maritime chez lequel je travaille comme dactylographe depuis quelques mois.
– Savez-vous, poursuivit Fandor, qui est Hervé Martel ?
– Je ne comprends pas votre question ?
Le journaliste avait lâché les mains de celle qu’il aimait.
– Hervé Martel, déclara-t-il, les dents serrées, comment se fait-il que vous ne vous en soyez pas aperçue, Hélène ? Vous savez bien que c’est votre père, que c’est Fantômas.
La jeune fille, à la grande surprise du journaliste, se contenta de sourire :
– Vous vous trompez absolument, mon pauvre Fandor, M. Hervé Martel est bien M. Hervé Martel, et non pas mon père, comme vous le dites. Je suis peinée de vous voir m’accorder si peu de confiance.
– Pardonnez-moi, Hélène, je suis fou. Je ne sais où je veux en venir, mais c’est plus fort que moi, j’ai besoin d’avoir la preuve, la preuve certaine que votre père ne se dissimule pas sous la personnalité d’Hervé Martel. Ne m’en veuillez pas d’insister ainsi, ma conscience m’ordonne de pousser jusqu’au bout mon enquête alors que mon cœur serait tout prêt à m’arrêter sur un mot de vous.
La jeune fille, très calme, se leva du banc où elle était assise.
– Il doit être environ neuf heures et demie, dit-elle, n’est-ce pas ?
– Neuf heures vingt-cinq.
– M. Hervé Martel est un homme qui apprécie pardessus tout la régularité et l’exactitude, j’ai la prétention d’être une dactylographe modèle et pour rien au monde, je ne voudrais commettre une faute.
– Où voulez-vous en venir ?
– À ceci, continua la jeune fille : chaque soir, à neuf heures et demie, M. Hervé Martel me dicte son courrier dans un des salons de l’hôtel, je vous prie de m’excuser, il faut que j’aille le rejoindre. Toutefois, monsieur Fandor, M. Hervé Martel ne se cache pas, il dicte au grand jour. Il doit être actuellement dans le hall de l’hôtel, achevant de fumer son cigare, comme il fait tous les soirs, depuis qu’il est arrivé à Cherbourg. Rien ne vous empêche de me suivre, de le voir, de vous rendre compte.
Fandor, pétrifié, demeurait au milieu du jardin, immobile.
Hélène se retourna, eut un sourire engageant et moqueur.
– Mais venez donc, dit-elle, monsieur Fandor, je vous en prie ?
12 – C’ÉTAIT UN MANCHOT
Aux petites tables rangées le long des fenêtres qui donnaient sur la rade magnifique, des femmes en toilette achevaient leur repas, en compagnie de messieurs, cravatés de blanc.
Il y avait en effet grande réception chez l’amiral Roustan et les nombreux invités venus des villes voisines étaient descendus au Palace pour rectifier leur toilette avant d’aller valser sur les parquets cirés à grand renfort de fauberts de la Préfecture maritime.
Hervé Martel, lui, avait pris place à la grande table, à la table d’hôte. Le courtier avait le front soucieux, il était de mauvaise humeur, chagrin, ennuyé. Aussi bien l’affaire qui l’avait amené à Cherbourg, le naufrage du Triumph, à bord duquel se trouvaient les millions imprudemment assurés par lui-même, n’était évidemment point de nature à l’égayer énormément.
Pour la première fois de sa carrière, Hervé Martel se trouvait en présence d’une perte qui allait vraisemblablement être irrémédiable. Pour la première fois il connaissait l’angoisse terrible de ceux qui se sentent acculés à la ruine, qui imaginent l’âpre misère, toute proche et presque inévitable. C’était un lutteur cependant et tandis que bien d’autres se fussent laissé aller au découragement, il espérait lui, il continuait d’espérer malgré tout. Il voulait espérer. Il comptait sur le sauvetage de la cargaison engloutie du Triumph. Hervé Martel, quoi qu’il en soit et quelles que fussent ses espérances, avait fort mal dîné. Il s’était contenté de chipoter quelques plats, de grappiller un peu de dessert. On passa le café. Malheureusement, si le Palace-Hôtels’enorgueillissait d’un immeuble somptueux, le service y était mauvais.
À cette époque de l’année, en plein hiver il y avait généralement peu de monde dans l’hôtel et ce soir-là, les maîtres d’hôtel perdaient la tête. On venait de verser le café, on avait oublié le sucre.
Hervé Martel allait se décider à boire son café sans sucre lorsque son voisin de table, un homme d’une trentaine d’années, en habit et qui, chose curieuse, avait dîné le haut de forme sur la tête, se pencha vers lui :
– Vous seriez aimable, monsieur, demanda-t-il, de bien vouloir mettre dans ma tasse deux morceaux de sucre. Le sucrier est là, je viens de renvoyer mon domestique et…
Hervé Martel, heureux d’apercevoir enfin le sucrier qu’une coupe de fruits avait jusqu’alors dissimulé à ses yeux, allait s’empresser de rendre le service demandé.
– Vous vous demandez, monsieur, pourquoi je fais appel à vos bons offices. C’est que je suis manchot des deux bras.
– C’est moi qui dois m’excuser, monsieur. J’ai dîné très précipitamment et je vous avoue que je n’avais pas remarqué…
– … mon infirmité. Vous êtes tout excusé, monsieur et vous ne pouvez savoir, au contraire, l’extraordinaire plaisir que j’éprouve lorsque parfois, comme il vient d’arriver pour vous, je m’aperçois que quelqu’un ne l’a pas remarquée. Si vous saviez comme il est triste de toujours passer aux yeux de ses contemporains pour une monstruosité ou tout au moins comme un objet de curiosité.
– Je vous comprends, dit Hervé Martel, ou du moins je compatis à votre douleur. Vous avez donc eu un accident terrible, monsieur ?
– Terrible, en effet.
L’infirme qui buvait son café à l’aide d’un chalumeau de verre continua sur le ton des confidences :
– Je n’ai pas trente ans, monsieur et il y a six mois j’avais les deux bras. Je suis ingénieur et c’est en visitant une usine, en voulant arracher un pauvre diable d’ouvrier qu’une courroie de transmission entraînait que j’ai eu les deux bras broyés. J’ai été assez heureux pour sauver l’homme, mais cependant je dois vous avouer, vous confesser qu’il y a des moments où je regrette de m’être trouvé là. Je regrette au moins de n’être pas mort.
Hervé Martel voulut le réconforter.
– Allons. Vous êtes ingénieur, au moins vous devez trouver dans des études scientifiques un soulagement ?
– Vous vous trompez. Monsieur. C’est un peu l’histoire des enfants malades qui, souffrant de la tête se lamentent en disant qu’il vaudrait bien mieux avoir mal aux pieds. Non, monsieur, ne croyez pas que je puisse encore avoir de vraies satisfactions intellectuelles. D’ailleurs, pratiquement, je ne puis plus exercer, je suis incapable, songez-y bien, d’écrire une addition.
Le manchot s’était levé, son café bu, il accompagna jusqu’à l’embrasure d’une fenêtre Hervé Martel :
– Vous mettriez le comble à votre obligeance, déclara-t-il, si vous vouliez bien, cher monsieur, me passer une cigarette et m’aider à l’allumer. Vous voyez où j’en suis, à faire continuellement le mendiant moral, à réclamer perpétuellement aide et assistance. Bah, tant pis, et je vous demande pardon d’être si lugubre. Vous alliez sortir, sans doute ? vous occuper de vos affaires, du Triumph ?
– Vous savez ?
– Oui, j’ai bavardé avec Pastel.
– Un imbécile.
– Mais non, un homme intelligent, mais un commerçant. L’avez-vous décidé ?