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Recherchée
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 18:54

Текст книги "Recherchée"


Автор книги: Karin Alvtegen


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Триллеры


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– Bonne nuit.

Il se dressa sur l'un de ses coudes.

– Oh non! s'écria-t-il. Tu vas pas arrêter là!

Elle se tourna vers le mur.

– Il est près de onze heures, je suis fatiguée. Bonne nuit.

– Oui, mais comment t'es arrivée à Stockholm? Tu peux bien me dire ça, au moins.

Elle poussa un soupir et se retourna. Le grenier était éclairé par le reflet des lampes illuminant le cadran de l'horloge, mais, dans les coins, il faisait noir comme dans un four.

– Ce que j'ai à te dire, c'est ça: si j'étais toi, je prendrais ce boulot à la télé. Si je te disais tout ce que j'ai vu et ce par quoi je suis passée, au cours de ces années, tu n'arriverais pas à dormir cette nuit.

Elle se tut et chercha soigneusement ses mots. Jusqu'à quel point pouvait-elle aller dans ses confidences? Elle se mit sur son séant.

– Six de ces années sont à peu près effacées. Je ne me rappelle plus ce que j'ai fait. Qui j'ai rencontré. Où je dormais. J'ai bu autant que j'ai pu afin de ne pas penser, parce que, si je l'avais fait, ça se serait mal terminé. Quand on a été à la rue pendant un certain temps, on ne peut plus s'en sortir. Il n'y a plus moyen de revenir en arrière, parce que tu as perdu la faculté de t'adapter. Et tu ne veux past'adapter. Et alors, c'est un cercle vicieux. Si tu veux un conseil, Patrik, je suis bien placée pour t'en donner un: quoi que tu fasses, ne va pas raconter partout que tu veux devenir SDF. Tu n'as pas la moindre idée de l'enfer que ça peut être. Alors: bonne nuit.

Elle se recoucha. Patrik semblait avoir le bec cloué par cette tirade. Elle se demanda s'il allait vraiment rester là toute la nuit. Peut-être l'avait-elle vexé?

Dans le silence ambiant, elle l'entendit se retourner comme s'il cherchait la bonne position, sur son tapis de sol, puis ce fut le calme absolu.

Elle ne put trouver le sommeil. Les souvenirs ne cessaient de lui revenir à l'esprit, tels des éclairs derrière ses paupières.

Avec ses questions, il avait réveillé en elle des moments de sa vie qu'elle avait soigneusement occultés afin de ne pas avoir à y penser.

Elle avait fini par monter à Stockholm en stop, dans l'espoir d'y trouver un gagne-pain. De disparaître dans la foule. Elle avait alors appris, lentement mais sûrement, qu'il n'est pas facile de se faire une place, quand on n'a pas d'argent ni de relations et surtout pas de nom. Tellement elle avait peur qu'on ne la retrouve et qu'on ne l'interne à nouveau. Comme si personne s'était jamais soucié de sa disparition! Elle n'osait plus donner son numéro national d'identification. Il n'était donc pas question de s'adresser à l'ANPE. Elle avait réussi à trouver des petits boulots temporaires, au noir, à la plonge, mais dès qu'on commençait à lui poser des questions, elle prenait la tangente. Elle s'était retrouvée dans des milieux où chacun avait un surnom mais où personne ne posait jamais de question, à part l'éternel: t'as pas quelque chose à boire?

Finalement, affamée et à bout de forces, elle avait dû se résigner à l'humiliation suprême: téléphoner chez elle pour demander de l'aide. Elle avait supplié qu'on lui pardonne et qu'on la laisse revenir.

– Nous allons t'envoyer de l'argent. Quelle est ton adresse?

Elle avait l'estomac qui se nouait quand elle y repensait. Elle avait tant de fois regretté cette démarche. C'était plus intolérable que tout le reste de ce qu'elle avait connu. Le fait que, la dernière fois qu'elle avait parlé à sa mère, elle lui avait de nouveau demandé pardon.

Mais l'argent avait commencé à arriver. Il l'avait aidée à conserver un certain rang au sein de la lie de la société et, sa prononciation provinciale aidant, elle était devenue la Reine du Småland.

Puis étaient venues les années effacées. Elle consacrait son énergie à rester ivre, pour que rien n'ait plus d'importance. Tant que le cerveau était déconnecté, tout était supportable. Il y avait au moins, au milieu de cette déchéance, quelque chose qu'on pouvait confondre avec un certain sentiment de sécurité. Tout était accepté et rien n'était mis en question. Lentement mais sûrement, elle avait trouvé normal que les honnêtes citoyens lui lancent des regards de mépris, au passage. C'était une sorte de reçu qu'on lui donnait, attestant de sa marginalité et du fait qu'elle appartenait à l'autre monde.

Six années avaient passé ainsi. Six années en dehors du temps.

Puis était venu le tournant, le jour où elle s'était réveillée sous un banc, près de l'Ecluse, au milieu de ses vomissures et avec une classe entière de bambins autour d'elle.

– Madame! Pourquoi est-ce qu'elle est couchée là?

– Pourquoi est-ce qu'elle sent aussi mauvais?

Un mur d'yeux enfantins voyant s'ouvrir devant eux, à leur grand étonnement, une perspective sur les aspects cachés de la vie, avant qu'une maîtresse d'école bien intentionnée ayant à peu près son âge ne les en éloigne.

– Ne regardez pas par là!

Et l'idée intolérable que son fils aurait parfaitement pu être l'un d'eux. Et qu'elle était devenue la preuve vivante que le choix qu'avait fait sa propre mère était le bon.

Elle se retourna et observa son camarade de chambre de fraîche date. Il avait fini par s'endormir. Elle sortit de son sac de couchage et alla poser sa veste sur lui. Il s'était endormi sur le dos, les bras sur la poitrine, afin d'avoir plus chaud.

Si jeune.

La vie devant lui.

Quelque part vivait son fils, qui avait à peu près le même âge.

Elle retourna se glisser dans son sac de couchage.

Elle ne pouvait plus rester dans ce grenier. Quelques jours de plus et elle deviendrait folle.

Au moment où cette pensée prit forme dans son esprit, elle comprit qu'il lui était arrivé quelque chose, au cours de cette soirée. Quelque chose de bien. Elle tourna la tête et regarda son hôte nocturne. Il avait apporté quelque chose, en venant. Pas seulement des côtes de porc et du Coca-Cola, mais quelque chose de plus important. Une sorte de respect de l'être humain en elle. Pour une raison qu'elle ne parvenait pas à percer, c'était lui et nul autre qui était monté dans ce grenier. Son admiration non déguisée avait, d'une façon inexplicable, réussi à éveiller en elle un instinct que, depuis quelques jours, elle avait cru évanoui à jamais.

La volonté de persévérer, malgré tout.

Le plus profond de la nuit était passé et elle se sentait prête à reprendre la lutte.

Ils ne viendraient pas à bout d'elle, cette fois non plus.

Elle se demanda s'ils la recherchaient toujours.

Le lendemain, il faudrait qu'elle se procure un journal.

Et j'ai vu un nouveau ciel et une nouvelle terre. Car l'ancien ciel et l'ancienne terre avaient fait leur temps et la mer n'existait plus. Et j'ai vu la Ville sainte, la nouvelle Jérusalem descendre du ciel, envoyée par Dieu, parée comme une épousée qui s'est faite belle pour son époux. Et j'ai entendu une voix forte dire, du haut du trône:

"Voyez, le tabernacle de Dieu se trouve maintenant parmi les hommes et Il vivra parmi eux et ils seront Son peuple. Oui, Dieu en personne vivra parmi eux et Il essuiera toutes les larmes de leurs yeux. Et la mort n'existera plus et il n'y aura plus de peine, plus de plainte ni de tourment. Car ce qui existait jadis est révolu".

Et Celui qui était assis sur le trône dit:

"Voyez, je crée à nouveau toute chose. Écrivez, car ces paroles sont véridiques. C'est fait. Je suis l'alpha et l'oméga, le début et la fin. À celui qui a soif je donnerai à boire à la source de l'eau de la vie. Celui qui remportera la victoire la recevra en héritage et je serai son Dieu et il sera mon fils. Mais les lâches et les traîtres, ceux qui ont commis l'infamie, les meurtriers, les impudiques, les magiciens, les idolâtres et les menteurs seront plongés dans le lac de feu et de soufre.

"Ce sera la seconde mort".

Seigneur, j'ai fait mon devoir.

Il ne me reste plus qu'à attendre.

Elle était éveillée depuis longtemps lorsqu'il finit par émerger lui aussi de son sommeil. Elle en avait profité pour l'observer en cachette. Le froid avait dû le réveiller, à un moment ou à un autre de la nuit, car il avait enfilé la veste qu'elle avait posée sur lui.

Elle avait pris sa décision en le regardant. Au petit matin, elle était parvenue à la conclusion que sa seule chance était de tout lui dire.

Elle avait besoin de son aide.

Elle était restée longtemps à chercher ses mots et à les tourner dans tous les sens pour tenter de trouver la formule qui serait la moins pénible pour lui.

La première chose qu'il fit en se réveillant fut de chercher ses lunettes. Il les mit sur son nez et regarda dans la direction de Sibylla. Puis il remonta le sac de couchage.

– Merde alors, qu'est-ce qu'il fait froid. C'était sympa, la veste. Tu veux que je te la rende?

– Tu peux la garder pour l'instant. Mon sac de couchage est plus chaud que le tien.

Derrière lui, l'horloge indiquait neuf heures dix.

– À quelle heure commences-tu?

Il la regarda.

– Eh là, t'es pas bien? C'est samedi, aujourd'hui.

Elle sourit. C'était vrai, elle n'était pas bien, elle avait oublié.

Il sortit l'une de ses mains du sac de couchage et attrapa l'emballage contenant les côtes de porc. Il le posa sur ses genoux et l'entrouvrit.

– Beurk, des côtes de porc au petit déjeuner.

– J'ai un peu de pain dur et du yaourt, si tu veux.

C'était plus appétissant, apparemment, car il lâcha les côtes de porc et se leva sans sortir de son sac de couchage. Il vint la rejoindre par petits bonds.

– Arrête! Le plancher risque de s'effondrer.

– Bah.

Une fois près d'elle, il se laissa tomber avec un bruit sourd. Elle le regarda en secouant la tête. Il eut un petit rire et se mit à dévorer le pain dur.

Il avait vraiment faim, cela ne faisait absolument aucun doute. Lorsqu'il en fut à la huitième plaquette, elle lui ôta le paquet.

– Il faut en garder pour demain.

– Bah, on peut en acheter d'autre.

Elle le regarda et il eut une mimique qui signifiait qu'il avait compris qu'il venait de dire une bêtise.

– Je peux en acheter, moi. Je te donnerai de l'argent.

– Non, merci.

Le moment était arrivé. Mais comment faire?

Elle prit sa respiration, pour se donner du courage.

– Tu lis le journal, d'habitude?

Il haussa les épaules.

– Ça m'arrive. Ma mère veut que je lise le "Dagens Nyheter", mais il est vachement épais. Y en a pour des heures. Alors, je jette un coup d'œil sur Expressen, le soir, quand mon père rentre à la maison.

Il la regarda à son tour.

– Et toi?

– Oui. Si j'en trouve un. Parfois je vais à la Maison de la culture. Ils les ont tous, là-bas.

Elle vit qu'il l'ignorait, mais il hocha la tête.

Elle poursuivit:

– Tu en as lu un, hier?

– Oui, en fait. Le supplément du vendredi.

Elle ne savait pas comment continuer. Avait-elle vraiment raison de vouloir tout lui dire? Elle avait été plus convaincue, tant qu'il n'était pas réveillé.

– Ça t'est jamais arrivé d'être accusé de quelque chose que tu n'avais pas fait?

– Oh si. T'as dit que t'avais du yaourt, hein?

Elle soupira et lui passa la bouteille en plastique.

– Je peux boire au goulot?

– Oui, puisque tu n'as pas pensé à prendre une assiette.

Il ricana légèrement et se mit à boire.

Elle prit une nouvelle fois sa respiration. C'était toujours le début qui était le plus difficile.

– Moi, ça vient de m'arriver.

Il se concentrait sur le yaourt. Celui-ci coulait mal, comme s'il voulait rester dans la bouteille. Il tapa légèrement sur le fond pour le décoller.

– Le nom de Sibylla te dit peut-être quelque chose?

Il hocha la tête mais continua à boire.

– N'aie pas peur, Patrik.

Elle hésita une dernière fois avant d'ajouter:

– Sibylla, c'est moi.

Tout d'abord, il ne se passa rien. Mais ensuite, elle vit qu'il avait fini par comprendre. Son corps se raidit et il ôta lentement la bouteille de ses lèvres. Puis il tourna la tête et la regarda. Elle vit que, maintenant, il avait peur.

– J'ai pas fait ce dont on m'accuse, Patrik. Il se trouve seulement que j'étais au Grand Hôtel quand ça s'est passé. Je jure par Dieu que je suis innocente.

Il était loin d'être convaincu. Il cessa quelques instants de la regarder, comme s'il cherchait par où il pourrait se sauver. Il fallait qu'elle gagne du temps. Les choses ne s'étaient pas du tout passées comme elle s'y attendait. Les mots étaient sortis d'eux-mêmes et tout ce qu'elle avait répété soigneusement avait disparu.

– Tu comprends bien que je ne suis pas une meurtrière. Sinon, on ne serait pas là, tous les deux, en ce moment. J'avais toute la nuit pour le faire.

C'était maladroit. Très maladroit. Il se leva soudain pour s'enfuir, mais il était entravé par son sac de couchage.

Il ne fallait pas qu'il parte. Pas encore.

Elle se jeta sur lui et le força à se recoucher, en coinçant ses bras sous ses genoux. Il avait la respiration lourde et elle comprit qu'il allait se mettre à pleurer.

Bon sang de bordel de merde.

– Me fais pas mal. Sois gentille.

Elle ferma les yeux. Qu'était-elle en train de faire, bon sang?

– Tu comprends bien que je ne veux pas te faire du mal, mais il faut que tu m'écoutes. Si je suis dans ce grenier, c'est parce que chaque bon Dieu de flic de ce pays me court après. Ils ont décidé que c'était moi. Ils ne me laissent pas la moindre chance. C'est comme je t'ai dit hier. Les gens comme moi n'ont aucun droit. Merde, Patrik. Je te raconte ça parce que je crois que je peux avoir confiance en toi. Que toi, au moins, tu vas me croire.

Il avait cessé de pleurer.

– Je te raconte ça parce que j'ai besoin de ton aide. Je n'ose même plus entrer dans un magasin.

Il la regarda avec des yeux écarquillés de peur.

Elle poussa un soupir.

– Et puis merde. Je te demande pardon.

Et si quelqu'un la voyait, en ce moment... À califourchon sur un gamin de quinze ans sans défense. Elle le lâcha et se leva.

– Va-t'en.

Il resta sans bouger. Il donnait l'impression d'oser à peine respirer.

– Allez, fiche le camp!

Il sursauta à cet éclat de voix. Il parvint à s'extraire de son sac de couchage, se leva et commença à se diriger vers la porte. Comme s'il avait peur qu'elle ne lui saute dessus à nouveau.

– Laisse-moi ma veste.

Il s'arrêta aussitôt, enleva la veste et la laissa tomber sur le plancher. Puis il s'éloigna à nouveau et, une fois parvenu aux marches, se précipita vers la porte. Elle l'entendit s'éloigner dans le couloir en courant.

Elle ferma les yeux et s'effondra sur son tapis de sol.

Elle ne pouvait pas rester là.

Elle remballa d'abord ses affaires à lui. Elle les rangea soigneusement dans son sac à dos et roula son tapis de sol. Puis elle passa à ses propres affaires. Au bout de quelques minutes, tout était prêt.

Arrivée près de la porte elle se retourna et regarda la grande horloge.

Salut!

Elle sortit dans le couloir et descendit l'escalier.

La main sur la poignée de la porte, elle hésita. Le simple fait d'ouvrir cette porte donnant sur le monde extérieur lui causait une sorte de nausée. Son éternel sentiment de crainte était en train de faire son malheur.

N'osant pas sortir directement dans la rue, elle avait choisi une issue qui donnait dans la cour de l'école. La porte se referma derrière elle. Il était trop tard pour revenir en arrière.

Elle traversa la cour en biais afin de prendre la direction du parc de Vitaberg, mais sans savoir où elle irait ensuite.

À mi-chemin, elle entendit un cri. Elle se figea de peur et se retourna pour chercher un endroit où se cacher.

– Sylla! Attends-moi!

C'est alors qu'elle le vit. Il venait de tourner le coin de Bondegatan et arrivait vers elle en courant. Elle baissa les yeux vers l'asphalte et attendit qu'il arrive. Pour commencer, il ne dit rien. Elle se remit en marche.

– Excuse-moi de pas t'avoir crue, mais j'ai eu vachement peur, tu sais.

Elle se retourna. Il y avait dans ses yeux une expression qu'elle n'avait pas encore vue. Une gravité qui n'existait pas auparavant. Il était essoufflé d'avoir couru et baissait les yeux comme s'il avait honte d'avoir eu peur.

– C'est pas grave.

Elle continua à marcher.

– Je sais que tu dis la vérité, poursuivit-il.

Elle ne s'arrêta pas. Elle n'avait tout simplement pas la force de faire une nouvelle tentative.

– Sylla. J'ai vu les affiches des journaux, à côté de la Coopé.

Elle se retourna et le regarda. Il hésita un instant avant de continuer et, cette fois, ce fut lui qui eut du mal à trouver ses mots.

– Ils disent que tu en as tué un autre, cette nuit.

– Tu es vraiment sûr qu'il dort?

– Oui, répondit-il avec un rien d'impatience. Il a bossé toute la nuit, alors... Il se réveille pas avant une heure.

Pourtant, elle était inquiète. Qu'est-ce qui se passerait si le père de Patrik se réveillait et trouvait dans la chambre de son fils une femme aux cheveux noirs et portant un sac à dos? Une femme qui était assez vieille pour être sa mère, en plus de cela.

Ils se trouvaient dans l'escalier de l'immeuble et Patrik avait déjà glissé la clé dans la serrure. Ils parlaient à voix basse.

– Et tu es sûr que ta mère ne va pas rentrer?

– Elle ne revient que demain soir.

Pourtant, elle n'était toujours pas convaincue.

Faisait-elle bien de le mêler à cette affaire?

Quand, dans la cour de l'école, il lui avait parlé de ce qu'il venait de voir sur l'affichette du journal, elle était allée s'asseoir sur le banc le plus proche. Elle était restée là à regarder, sans la voir, la cour déserte et avait senti le courage l'abandonner, une fois de plus.

Il était venu la rejoindre. Il n'avait pas dit grand-chose, tout d'abord, et l'avait laissée en paix. Elle avait alors levé les yeux vers la grande horloge de la façade, devant eux, et regretté de ne pas avoir suivi son impulsion, quelques jours plus tôt.

Il aurait mieux valu pour elle qu'elle ne ressorte pas vivante de ce grenier.

– Je peux toujours dire à la police que t'étais avec moi, cette nuit.

Il la regardait d'un air confiant et semblait vouloir lui redonner sa gaieté.

Mais elle avait pouffé, d'une façon plus méprisante qu'elle n'en avait l'intention, et avait tenté de lui sourire.

– On m'accusera de détournement de mineur, en plus.

– Eh! dis, je te ferai remarquer que j'ai déjà quinze ans, avait-il répliqué.

Que répondre à cela?

– Je n'ai pas la moindre chance, Patrik. Autant aller passer des aveux, pour mettre un terme à tout ça.

Il l'avait regardée fixement.

– T'es complètement dingue.

Il paraissait vraiment révolté.

– Tu vas quand même pas aller avouer quelque chose que t'as pas fait!

– Qu'est-ce que tu veux que je fasse, alors?

Il réfléchit un instant.

– Tu peux aller causer avec eux.

– C'est la même chose.

– Bien sûr que non.

Elle le regarda.

– Tu ne comprends donc pas? Ils ont déjà décidé que c'était moi qui avais tué. Je n'ai pas la moindre chance.

Elle se pencha en avant et enfouit sa tête dans ses mains.

– Mais je ne supporterai pas d'être enfermée à nouveau.

– Ils feront pas ça, si tu leur dis ce qu'il en est.

Mais, cette fois, il n'avait pas l'air aussi convaincu.

Elle lui parla de ce qui s'était passé pour Jörgen Grundberg, des empreintes digitales sur sa clé, de la perruque et du couteau qu'elle avait oubliés. Et de tout ce qui, ajouté aux circonstances de sa vie, faisait d'elle la coupable idéale. Ancienne malade mentale, SDF, marginale... Tellement idéale qu'elle voyait déjà la police se frotter les mains. Bien sûr que c'était elle. Et, même s'ils devaient finir par admettre qu'elle était innocente, elle resterait enfermée jusqu'à ce moment-là. Cela la rendrait folle. Elle était déjà passée par là et savait de quoi elle parlait.

– L'assassin lui-même me met tout sur le dos. À Västervik, il a laissé un aveu en mon nom.

Il hocha lentement la tête.

– À Bollnäs aussi. Elle le regarda.

– C'est là qu'il a tué, cette nuit?

– Non, je crois que c'était avant-hier. Cette nuit, je sais pas où c'était.

Elle se pencha en arrière et appuya la tête contre son sac à dos.

Avant-hier. Il y avait donc eu un autre meurtre pendant qu'elle se cachait dans ce grenier. Elle était maintenant suspecte de quatre.

Il la regarda.

– Ah bon, t'étais pas au courant?

– Non, soupira-t-elle.

Ils restèrent un moment sans rien dire. Peut-être se rendait-il compte de la complexité de l'affaire, maintenant.

– Écoute, finit-il par dire. On va aller chez moi voir tout ce que les journaux ont raconté.

– Comment ça?

– Sur le Net.

Elle avait en effet entendu parler de cela. Internet, ce nouveau monde fantastique auquel elle n'avait jamais eu accès. Elle en avait un peu peur, ainsi que de cette invitation à se rendre au foyer de ce garçon de quinze ans si serviable.

– À quoi est-ce que ça servirait?

– On va peut-être trouver quelque chose qui prouvera que c'est pas toi. T'as lu tout ce qu'ils ont écrit?

– Non.

Il se leva.

– Allez, viens.

Elle avait hésité un moment. Mais elle n'avait guère le choix.

Ils étaient maintenant dans le hall. Elle avait l'impression d'être venue cambrioler et avait le cœur qui battait.

– Viens, dit-il tout bas.

Devant elle se trouvait une porte fermée sur laquelle était apposée une plaque de métal: Si vous entrez ici, c'est à vos risques et périls.

On ne saurait mieux dire.

Elle franchit le seuil d'une vaste salle de séjour puis, devant une porte fermée, Patrik mit son doigt sur ses lèvres pour lui faire comprendre que c'était là que dormait son père.

Elle prit peur et voulut faire demi-tour. Mais Patrik avait déjà ouvert la porte de sa chambre et lui faisait signe d'entrer.

Elle obéit.

On aurait dit qu'un ouragan avait dévasté la pièce. Le sol était jonché de vêtements, de vieux illustrés, d'étuis de cassettes et de livres.

Elle ôta son sac à dos et le déposa au milieu de ce fatras avant de regarder Patrik.

– J'ai promis à ma mère de ranger, mais j'ai oublié.

– Je vois ça.

Ils parlaient toujours à voix basse.

Il approcha de l'ordinateur posé sur une table et appuya sur un bouton. Une brève musique retentit et elle lui fit signe de baisser le volume du son. L'ordinateur se mit en marche.

Elle fit le tour de la pièce des yeux. En plus de la table sur laquelle étaient posés l'ordinateur et le matériel informatique, il y avait un lit et une étagère. Le lit n'était pas fait et, quand Patrik vit son regard, il s'empressa d'aller le recouvrir. La chambre prit aussitôt un aspect un peu plus présentable.

L'ordinateur acheva de se mettre en marche. Diverses icônes apparurent sur l'écran. Il tira la chaise et s'assit.

Sur le rebord de la fenêtre se trouvait un aquarium sans eau. Elle alla voir ce qu'il y avait dedans.

– Je te présente Batman, une tortue terrestre grecque.

Batman était en train de grignoter une feuille de salade dans un coin et elle l'observa de près. Elle était là, dans sa cage en verre, cette tortue, et ignorait le reste. Elle l'envia presque, l'espace d'un instant.

Patrik écrivit quelque chose sur son clavier. Elle approcha pour voir ce que c'était.

+ meurtre + dépeçage + sibylla.

Il pointa la flèche de la souris sur "rechercher" et cliqua.

Elle entendit l'ordinateur tourner pour exécuter cet ordre. Quelques secondes plus tard, ce fut terminé et il afficha: 67 réponses.

– Bingo! s'exclamat-il avec un grand sourire.

– Qu'est-ce que ça signifie?

– Qu'il existe soixante-sept pages dans lesquelles on parle de toi et de ces meurtres.

Était-ce possible? Ainsi, elle faisait partie intégrante de ce monde dont elle ignorait tout? Patrik cliqua sur l'une de ces lignes.

– J'imprime tout ce que j'ai trouvé et on pourra lire ça tranquillement.

Elle ne comprit pas vraiment ce qu'il voulait dire par là mais elle pensa qu'il savait ce qu'il faisait. Une autre machine posée sur la table se mit à tourner et, peu après, une feuille de papier apparut. Le texte était à l'envers et elle ne put donc voir ce dont il s'agissait avant que la feuille entière soit sortie.

Elle la prit et alla s'asseoir sur le lit. Patrik cliqua à nouveau et la machine se remit en marche et cracha du papier.

Elle lut ce qu'elle tenait à la main.

La femme du Grand Hôtel a rendu visite à l'épouse de sa victime

Lena Grundberg est assise sur un coin de son canapé, dans l'élégante salle de séjour de sa maison. Il y a seulement une semaine, elle vivait là avec Jörgen, son mari bien-aimé. Jeudi dernier, il a été la première victime de cette démente de 32 ans qui l'a tué de sang-froid et qui parvient depuis à passer à travers les mailles du filet tendu par la police. Mais, pas plus de deux jours après ce meurtre bestial, la femme du Grand Hôtel a rendu visite à la veuve éplorée de sa victime. Lena a du mal à retenir ses larmes quand elle nous dit: "J'ai vraiment très peur. Cette femme est venue sonner à ma porte et m'a dit qu'elle avait perdu son mari, elle aussi. Je n'ai pas bien compris ce qu'elle voulait, sur le moment. Ce n'est qu'après, lorsque j'ai vu le portrait-robot diffusé par la police que je l'ai reconnue..."

Sibylla interrompit là sa lecture.

La veuve éplorée.

Mon cul.

D'autres feuilles de papier attendaient d'être lues. Elle prit le tas et s'assit à nouveau.

Les connaissances anatomiques sont fréquentes

Chez les meurtriers qui dépècent les cadavres

La femme de 32 ans recherchée dans tout le pays pour plusieurs meurtres reste une énigme pour la police. Une étude menée sur les affaires de meurtre avec dépeçage commis en Suède depuis les années 60 fait apparaître une surreprésentation des professions telles que bouchers, médecins, chasseurs et vétérinaires. D'après Sten Bergman, expert psychiatre auprès des tribunaux, cela vient d'une part que les membres de ces corps de métier ont surmonté la répulsion que la plupart des gens éprouvent devant une dissection, d'autre part qu'ils possèdent les connaissances techniques nécessaires pour y procéder.

D'après l'enquête de police, la femme suspecte ne correspond pas à ce profil. Rien ne laisse penser qu'elle ait exercé l'une des professions en question. Mais cela ne suffit naturellement pas à produire un meurtrier de ce type. Il faut aussi des tares psychologiques conduisant à un manque de sympathie, voire à un très fort mépris envers les autres. Une autre explication est la maladie mentale. Ceux qui dépècent des cadavres ne sont pas toujours capables, par exemple, de se séparer de leurs victimes et il semble que ce soit le cas de cette femme de 32 ans. Ils prélèvent une sorte de trophée leur rappelant le défunt et, dans certains cas, l'acte lui-même, comme s'ils s'arrogeaient le droit de vie et de mort. Dans cas présent, les victimes ont subi ce qui porte le nom de "dépeçage agressif". Cela se distingue du dépeçage passif par le fait que ce dernier est effectué uniquement pour masquer le crime ou pour rendre l'enquête plus difficile. Dans les cas présents, l'assassin ne s'est livré à aucun effort en ce sens et il semble que le seul but de cette femme ait été de profaner le corps de ses victimes. La police refuse toujours de révéler quels organes ont été prélevés...

Elle se leva et jeta la feuille par terre.

– Je ne peux plus lire ça. Je ne le supporte pas.

Elle avait parlé à voix haute et Patrik se retourna pour la regarder.

– Plus bas!

Elle s'assit à nouveau. La machine continuait à cracher des feuilles de papier, mais elle n'avait pas l'intention de les lire. Des gens avaient écrit tout cela sur son compte. Auparavant, personne ne s'intéressait à elle et, soudain, elle était devenue une sorte de célébrité nationale.

C'était quand même un peu fort.

– Je m'en vais. Je ne peux pas rester ici.

Il se retourna pour la regarder.

– Où est-ce que tu vas aller?

Elle se contenta d'un soupir pour toute réponse.

Une porte s'ouvrit dans l'appartement. Ils se regardèrent sous le coup de la peur et restèrent immobiles, à prêter l'oreille. Peu après, ils entendirent couler de l'eau. Sibylla chercha des yeux un recoin où se dissimuler.

– Il va seulement pisser, murmura Patrik pour calmer ses inquiétudes.

Mais cela ne suffisait pas à la rassurer. Lorsque le bruit de la chasse cessa de retentir, elle se jeta sur le sol et se glissa sous le lit. Elle fit bien car, un instant plus tard, on frappait à la porte.

– Patrik?

Il ne répondit pas. Sibylla vit ses pieds disparaître sous la couverture et, juste après, la porte s'ouvrit. Elle aperçut deux jambes velues.

– Tu dors?

– Mmoui.

– Il est plus de onze heures.

Soudain, elle entendit un bourdonnement et le bruit d'une feuille de papier qui sortait de la machine, bien après les autres.

– Qu'est-ce que c'est que ça?

Les jambes velues approchèrent. Aussitôt après, celles de Patrik, en jeans, vinrent se planter devant son nez et elle entendit le bruit d'une feuille de papier qu'on froissait.

– Oh, rien.

– Ah. Pourquoi est-ce que tu dors tout habillé?

– Je me suis simplement allongé pour me reposer un peu.

– Ah bon. Qu'est-ce que tu imprimes, comme ça?

– Je suis allé faire un tour sur le Net.

Quelques secondes de silence intolérable.

– Je vais me recoucher. Tu es à la maison, aujourd'hui, ou quoi?

– Je sais pas. On verra.

– Ne rentre pas après dix heures, hein. Et puis appelle-moi pour me dire où tu es.

Elle entendit Patrik soupirer. Les jambes firent demi-tour mais s'arrêtèrent à nouveau.

– Qu'est-ce que c'est que ce sac à dos?

Sibylla ferma les yeux. Patrik tarda beaucoup trop à répondre. Dis que tu l'as trouvé. Piqué. N'importe quoi.

– Oh, c'est celui de Viktor.

Encore mieux.

– Pourquoi est-ce qu'il est là?

– Il l'a oublié à l'école. J'ai promis de lui rapporter.

Les jambes s'éloignèrent.

– À ce soir, alors. N'oublie pas que tu as promis de ranger ta chambre avant que maman rentre.

– Oui oui.

La porte se referma enfin. Le visage de Patrik apparut par-dessous le bord du lit, tout sourires.

– T'as eu la trouille, hein, dit-il à voix basse.

Elle sortit de sa cachette en rampant.

– Elle ne ferme pas à clé, ta chambre? lui dit-elle en s'époussetant.

Il s'assit sur le lit et se mit à lire la feuille qu'il avait soustraite à la curiosité de son père. Elle suivit son regard.

La traque de la meurtrière

Il eut l'air de réfléchir une seconde puis leva les yeux vers elle.

– Je sais ce qu'on va faire.

Elle ne répondit pas.

– Réfléchis un peu. La police te recherche, toi. Mais qui est-ce qui recherche le vrai coupable?

Aucune idée.

– Tu piges donc pas? C'est à nous de le faire. On va le trouver nous-mêmes.

Tout d'abord, elle n'éprouva que de la colère. Elle se dirigea vers la porte en prenant son sac à dos au passage. Mais, une fois qu'elle eut la main sur la poignée, elle hésita.


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